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Animal

De la difficulté d'être végé dans un monde de colons

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Faire maigre
De la difficulté d'être végé dans un monde de colons
Josée Blanchette 2 avril 2010 Alimentation

Photo : Rue du monde

Tiré de La Fabuleuse Cuisine de la route des épices d’Alain Serres et Vanessa Hié (illustrations).

Vous êtes peut-être devenus adeptes des lundis sans viande, mais s'il est une seule journée dans l'année où le végétarisme devrait être synonyme de foi renouvelée en l'écologie ou en Dieu, c'est précisément aujourd'hui, le Vendredi saint. La pratique du carême remonte au IVe siècle et l'Église encourageait même la xérophagie durant cette période, au pain et aux fruits secs. Laura Secord et Geneviève Grandbois n'apparaissent que plus tard dans les us et coutumes pascales.

Au siècle dernier, bien avant que Georges Laraque n'en fasse une religion, je pratiquais moi-même un végétalisme serein (vegan) avec des accommodements raisonnables. Je fabriquais mon lait de soja (qu'on ne trouvait que dans le quartier chinois), pétrissais mon pain, pressais mon tofu (avec une brique) et gardais le petit-lait pour arroser les plantes, buvais de la chicorée et mangeais du pâté chinois aux graines de tournesol. J'en fumais du bon aussi.

À l'heure des desserts, tous mes principes s'envolaient et je continuais à élaborer des Forêt-Noire décadents, des Saint-Honoré caloriques et des soufflés glacés bourrés de cholestérol et de crème à 35 % sans le moindre remords pour le règne animal. Tant que ça ne saignait pas... À d'autres la caroube et la farine de son. Le plus intéressant dans la religion, c'est le péché. Je n'ai jamais changé d'avis là-dessus, même en forniquant avec un curé.

Il m'est resté un petit travers de cette époque (celle du curé): j'aime très souvent faire maigre. Et je constate que 30 ans après avoir roulé de Vancouver à Los Angeles sans jamais souffrir de mon nouveau régime, le Québec demeure une terre de colons en matière de végétarisme. Nous sommes très en retard comparativement à la plupart des grandes villes nord-américaines sur cette question, mais il est vrai que je n'ai jamais mis les pieds à Calgary.

Nos restos, traditionnellement portés sur la protéine animale, n'ont pas évolué, ou si peu, même si la diversité des végétaux est incomparable et les importations très exotiques. Une éducation reste à faire quant au reste. D'autant que nos modes de vie ne correspondent plus aux repas de chantier, version moderne, qu'on nous propose à l'envi. Si même Laraque peut jouer au hockey en mangeant de la ratatouille, yes, you can!

Tout le monde le fait

Même si on prévoit qu'il se mangera deux fois plus de viande sur la planète dans 40 ans (les Chinois se sont mis au foie gras!), autour de moi la consommation de viande diminue à une vitesse surprenante depuis quelques années. Même mon ex-boucher est devenu végétarien. Si seulement 4 % des Canadiens le sont, nombreux sont ceux qui pratiquent à mi-temps, en omnivores sélectifs.

Quelques restos branchés ont inclus une section végé à leur menu, comme la Salle à manger, sur l'avenue du Mont-Royal, au coeur du Plateau, mais ils sont encore trop rares. Depuis quelques mois, je fais le test: chaque fois que je vais au resto, je demande si on sert des plats végés. Elle est terminée l'époque où les végétariens mangeaient des germinations entre eux. Les nouveaux végés veulent faire partie de la gang et revendiquent le droit à la gastronomie. Ras-le-bol d'être condamnés à la salade de chèvre chaud et à l'omelette du jour.

Au Bistrot Bienville, récemment, le jeune proprio m'assurait avec véhémence qu'il ne pouvait pas ajouter un plat végé à sa carte (six plats), mais que les végétariens étaient les bienvenus, qu'ils pouvaient avertir au moment de la réservation.

«Le resto Les Chèvres a fait faillite! Je ne peux pas me permettre de mettre un plat végé et que ça ne "sorte" pas», a-t-il répondu à ma suggestion. J'ai perdu la bataille même si je me suis promis d'y retourner un jour. Quant aux Chèvres, le resto végé de Claude Beausoleil, c'était cher et surfait, même si l'intention était louable. Un peu de bouillon de céleri, de semoule de blé et quelques carottes bios ne font pas de vous un végétarien. Et deux ou trois légumes d'accompagnement réunis à la va-vite n'équivalent pas à un repas pensé, recherché, dans lequel on sent l'amour de l'art et l'art de l'amour.

De fait, je rêve encore de voir un jeune chef s'éclater avec du tofu. Et d'avoir le choix sur une carte entre un «pigeon cuit sur le coffre, purée d'ail noir, coeur de laitue romaine, pomme de terre au beurre fumé» (Toqué) et un «bol de nouilles udon aux échalotes, edamame, sauté de bok choy, daikon mariné, bouillon végétarien, oeufs de canard frits en panko» (Biron).

Pour l'instant, pas un seul plat végé chez Normand Laprise (le pape du produit du terroir), qui m'assure que son tout nouveau bistrot, dont l'ouverture est prévue fin mai, rue Jeanne-Mance à Montréal, offrira un plat végétarien et un plat végétalien. «Je cuisine plus de plats végés durant l'été parce que ça nous sort par les oreilles, affirme Laprise. Mais nous n'avons ni le volume ni la culture au Québec. Même les végétariens qui viennent au Toqué se laissent aller et vont prendre un poisson.»

Un chef qui nous fait pécher, parlez-moi de ça.

Bienvenue aux végétariens

Normand Laprise soulève un argument non négligeable quant à la mode des «nouveaux» végétariens. Mis à part le souci de délester son empreinte carbonique (18 % des GES sont générés par le transport du bétail et de sa nourriture, et manger un kilo de viande équivaut à rouler 250 kilomètres avec sa voiture) ou les convictions éthiques, spirituelles et philosophiques, les végétariens le sont parfois pour des raisons de santé et de traçabilité.

La viande et ses dérivés ne semblent plus fiables après tous les scandales qui ont malmené leur réputation. «Beaucoup de gens deviennent végés à cause des produits maltraités, qui ne sont pas naturels, souligne Normand. La traçabilité du produit, c'est essentiel. Je veux savoir ce que je mange, d'où ça vient et comment ç'a été traité. En Europe, tu achètes un poisson et tu sais de quel port il vient et à quelle heure il est sorti de l'eau! Ici, on te dit que le poisson est arrivé ce matin. Je ne veux pas savoir quand il est arrivé, je veux savoir quand il a été pêché!»

En attendant des menus «Bienvenue aux végétariens», je vais poursuivre ma croisade culinaire et harceler chaque chef en chair et en os que je croise sur mon chemin. Et j'aime mon tofu saignant, qu'on se le dise!

***
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http://www.ledevoir.com/loisirs/alimentation/286199/faire-maigre

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