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Nature : les envahisseurs sont parmi nous !

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Nature : les envahisseurs sont parmi nous !


Ces espèces souvent importées par l’homme s’adaptent si bien à notre écosystème qu’elles menacent l’environnement



Emilie Blachère - Paris Match



Avantage perche soleil. Un coup de nageoire. Puis un deuxième dans la foulée. L’écrevisse rouge de Louisiane titube. Pas le temps de s’en ­re­mettre. La perche soleil ­attaque de nouveau. Coup de bec. Droit dans l’œil. Aveuglé, le crustacé peine à se relever. Le poisson n’en démord pas et attaque une dernière fois. Un ­assaut façon kung-fu. L’écrevisse s’effondre, les deux pinces dans la vase : 1-0 pour la perche.

Quelques secondes de répit, puis l’écrevisse file à l’anglaise, la queue entre les six pattes. « Il vaut mieux ! commente Laurent Ballesta. Car la perche mâle ne renoncera jamais à repousser l’intrus du nid d’algues qu’il a patiemment préparé pour attirer une femelle. »



Drôle de spectacle que ce combat aquatique entre deux espèces invasives : « Elles ont été importées des Etats-Unis à la fin du XIXe siècle, explique le plongeur. L’une pour l’élevage, l’autre pour l’aquariophilie. » Depuis, jetées dans les cours d’eau, elles ont envahi ­rivières et fleuves de France.



Comme la perche soleil et l’écrevisse, près de 10 670 espèces, animaux et plantes confondus, sont arrivées en Europe depuis le Moyen Age. Venues d’Amérique ou d’Asie pour la plupart, elles ont été introduites de façon intentionnelle ou non. Aucun chiffre officiel ne quantifie le phénomène en France, mais « leur rythme d’introduction ne cesse d’augmenter depuis quelques années », souligne le scientifique. « Il y a une loi, précise-t-il : sur 1 000 espèces exotiques importées, 100 s’installent, 10 vont avoir une dynamique de reproduction et une seule va parvenir à étendre son aire de répartition de ­manière durable. »
Le développement des animaleries peutrapidement augmenter les envahisseurs



Un risque pour mille de voir une espèce invasive s’implanter, c’est peu. Mais l’explosion des échanges internationaux, le réchauffement climatique ou encore le développement des jardineries et animaleries peuvent rapidement faire gonfler ce pourcentage. « L’invasion dans les rivières françaises est due à deux principaux facteurs : l’ouverture des canaux qui relient les grands cours d’eau et la pêche de loisir, explique Laurent Ballesta. La plupart des envahisseurs ont été ­introduits par l’homme, constate-t-il. Au XIXe siècle, on rêvait d’acclimater de nouvelles espèces pour repeupler nos rivières. » Un rêve devenu réalité. Une aubaine pour les pêcheurs à la ligne, mais parfois un fléau pour la faune et la flore locales.

« Les espèces allochtones [le contraire d’autochtones] ne sont nuisibles que lorsqu’elles deviennent invasives. Elles déséquilibrent alors l’écosystème qui les accueille », affirme le biologiste. Quinze pour cent d’entre elles produisent des dégâts avérés sur l’environnement, l’économie ou la santé. Plus ou moins graves. Par exemple, l’arrivée du silure, un gros poisson au corps mou importé du Danube peu avant 1900 pour l’élevage et aujourd’hui présent partout en France, a un impact très faible. L’animal, bien qu’énorme (2,40 mètres pour 100 kilos), n’a pas l’appétit que son gros ventre suggère. Il a été prouvé récemment qu’il mangeait peu : 1 kilo de nourriture par semaine. Le silure doit sa réputation d’ogre à son opportunisme, puisqu’il mange à tous les râteliers : écrevisses, petits poissons blancs, canards, sandres, brochets, bouteilles en plastique... « Autour de lui, les autres carnassiers semblent disparaître, note Laurent Ballesta. Le silure ne les dévore pas, mais il s’adapte mieux qu’eux à la pollution toujours croissante de nos rivières, et ­résiste là où d’autres meurent. »



Pour la perche soleil et l’écrevisse, le scénario est beaucoup plus dramatique. Parfaitement intégrées à leur milieu, elles menacent leurs convives. « Elles sont très nuisibles pour l’écosystème qui les accueille, affirme le biologiste. Non seulement elles mangent tout ce qu’elles trouvent sur leur passage, dont les larves de poissons, mais en plus elles se reproduisent beaucoup plus vite que les espèces autochtones. Très dangereuses, elles ne laissent aucune chance à leurs ­rivaux et détériorent leur milieu. »



Au fil du temps, l’écosystème se métamorphose, quitte à voir sa ­biodiversité menacée. Les envahisseurs profitent souvent de l’absence de leurs prédateurs, laissés dans leur pays d’origine. Car n’est pas ­envahisseur qui veut ! Les individus qui survivent sont agressifs, coria­ces, résistants. Beaucoup supportent les eaux polluées, et tous ont un cycle de reproduction rapide, une caractéristique supplémentaire pour entrer en compétition avec les autres individus et les éliminer.
La tortue de Floride ? cette joliepetite bestiole s’est changée en démon



Un exemple incroyable : le carassin, un poisson appartenant, comme la perche, la carpe et la tanche, à la grande famille des cyprinidés. Il a débarqué de l’Est dans les années 50. « Non seulement il s’est installé chez nous, s’enthousiasme le scientifique, mais il a développé une méthode de reproduction inédite, la gynogenèse. » La femelle ­libère des phéromones, attirant dans son nid les mâles d’une autre famille de ­cyprinidés. Bernés, ces derniers déposent leur semence sur la ponte du carassin. « Lorsqu’il touche l’œuf, le spermatozoïde est rejeté car il n’est pas de la même espèce, ­explique Laurent. En revanche, il provoque la division cellulaire de l’œuf, et donc la création d’un nouvel individu : un clone. » Le carassin se reproduit très vite, et de surcroît il empêche la reproduction des autres poissons en détournant leur semence... Astucieux ! « Et très néfaste, renchérit le chercheur. Il crée un vide biologique autour de lui. »



Même constat avec l’arrivée des tortues de Floride : « Tous les gosses, dans les années 90, avaient le pack tortue-bac-palmier en plastique. Une fois la mode passée, elles ont été jetées n’importe où ! Aujour­d’hui, la jolie petite bestiole est devenue un démon : elle mange les œufs de tous les poissons et ­attaque les autres espèces de reptiles. » Du coup, la cistude, la tortue d’Europe, voit son territoire se réduire et son avenir s’assombrir. « Le paradoxe ? De l’autre côté de l’Atlantique, raconte Laurent Ballesta, les tortues de Floride, surexploitées pour l’aquariophilie, ont été menacées d’extinction. Absurde ! »



Malgré les avertissements ­alarmistes des scientifiques, rien n’est fait pour stopper l’invasion de toutes ces espèces dévastatrices. Les rares solutions envisagées sont des échecs. La faute au manque de connaissances sur le sujet. « Soit on les élimine directement une par une, mais c’est loin d’être ­facile, soit on introduit de nouveaux prédateurs pour les éradiquer ; c’est la lutte intégrée. » Mais le remède peut vite, à son tour, devenir poison. L’enjeu est donc risqué. Reste alors la solution du principe de précaution : demander, en préalable à la commercialisation d’une espèce, la preuve que son intrusion ne présente pas de risque pour le milieu naturel. « Mission impossible, affirme Laurent. On ne peut pas prédire l’impact d’une nouvelle intégration. »



Sur les 69 espèces de poissons présentes dans les rivières et fleuves français, près de la moitié – 32 – ont été introduites par l’homme. Comme la carpe, jetée dans les cours d’eau au Moyen Age par une communauté de moines. Aujourd’hui, elle s’est installée dans le milieu. Plus personne n’y prête attention. Son intégration est acquise. Force est donc de constater que la cohabitation avec les envahisseurs est inéluctable.



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