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Chasser les humains pour sauver les tortues géantes

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Chasser les humains pour sauver les tortues géantes

Face à la croissance des villes aux Galápagos, les autorités locales veulent limiter le nombre de résidents.

De Puerto Ayora (îles Galápagos)
Les monceaux d’ordures qu’on voit aux abords de cette ville des Galápagos, à 1 000 kilomètres au large de l’Equateur, en sont la preuve éclatante. S’il y a une espèce qui prolifère sur ce fragile archipel du Pacifique, c’est l’homme. Les minuscules pinsons des Galápagos, qui ont joué un si grand rôle dans l’élaboration par Darwin de la théorie de l’évolution, volettent autour de la décharge. Celle-ci est alimentée par une ville en pleine croissance, où viennent s’entasser des Equatoriens venus travailler dans le tourisme, secteur florissant dans l’archipel. La population humaine des Galápagos a doublé au cours de la dernière décennie, atteignant aujourd’hui 30 000 habitants, au grand dam des écologistes. Ceux-ci mettent en avant les dégâts déjà causés à un écosystème qui a permis aux plus célèbres habitants de ces îles – notamment les tortues géantes et les fous à pieds bleus – d’évoluer dans l’isolement avant que les continentaux ne commencent à les coloniser, il y a plus d’un siècle.

Cette hausse de la population humaine représente une telle menace pour l’environnement que les autorités, pourtant attachées à la croissance du secteur touristique, ont expulsé plus de 1 000 Equatoriens pauvres dans l’année écoulée et s’apprêtent à en expulser encore bien davantage. Ces gens sont pourtant convaincus, à juste titre, d’être chez eux dans cette province équatorienne. En limitant la population, les pouvoirs publics espèrent préserver les merveilles naturelles dont dépend l’un des secteurs les plus rentables de l’Equateur : le tourisme. Mais ces mesures provoquent un tollé parmi des immigrés peu qualifiés, qui se disent pénalisés tandis que le pays continue de récolter les millions de dollars que les touristes apportent en Equateur, l’un des pays les plus pauvres d’Amérique du Sud.

“Une tortue qu’un riche étranger va photographier vaut plus qu’un citoyen équatorien, voilà le message”, s’insurge María Mariana de Reina Bustos, une immigrante d’Ambato, dans la vallée andine centrale de l’Equateur, dont la fille de 22 ans, Olga, a été récemment prise dans une rafle de la police, près du bidonville de La Cascada dans les Galápagos, et renvoyée en avion sur le continent. Les premiers colons équatoriens sont venus sur l’archipel pour vivre de la pêche, de l’élevage et de l’agriculture. Aujourd’hui, la plupart de ceux qui font le saut de puce en avion depuis Quito, la capitale de l’Equateur, ou qui viennent clandestinement sur l’île en bateau, sont attirés par les salaires relativement élevés qu’ils peuvent gagner comme chauffeurs de taxi, femmes de chambre dans les hôtels ou employés dans l’administration des îles.

La police multiplie les contrôles d’identité

Pendant plusieurs décennies, les dirigeants du pays n’ont guère empêché les gens de se rendre sur l’archipel, à la fois pour développer le tourisme et pour s’assurer que l’Etat équatorien avait une présence parmi les pionniers. Il semblait y avoir une limite naturelle à la croissance démographique : le pays avait fait en sorte que 97 % du territoire de l’archipel soient classés comme parc naturel. Mais, ces dernières années, à mesure que le tourisme et l’immigration ont pris de l’ampleur, les milieux scientifiques et écologistes, tant sur l’archipel qu’à l’étranger, ont commencé à tirer la sonnette d’alarme. En 2007, les Nations unies ont inscrit les îles Galápagos sur la liste du patrimoine mondial en péril. Des scientifiques locaux ont af­firmé que la population avait déjà fait des dégâts importants : marées noires, braconnage de tortues géantes et de requins, introduction d’espèces invasives – notamment rats, bétail et fourmis rouges. Même le fait, apparemment bénin, de posséder un animal domestique peut avoir ici d’énormes conséquences. “Les gens amènent leurs chats, qui représentent une menace pour des espèces qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde”, note Fernando Ortiz, coordinateur du programme Galápagos pour Conservation International. Le conflit est inscrit dans les règles mêmes qui ont permis aux Galápagos d’être colonisées, malgré un manque d’eau douce dans l’archipel. En principe, la résidence n’est accordée qu’à un nombre limité de personnes : les personnes nées là et leurs conjoints, celles arrivées avant 1998 et les titulaires de permis de travail. La police, appelée en argot local la migra, à cause de son rôle dans la poursuite des immigrants illégaux, multiplie les contrôles d’identité à travers les îles. Mais le même gouvernement qui procède aux expulsions octroie aussi des subventions aux habitants de l’archipel.

Ainsi, l’essence coûte à peu près le même prix que sur le continent. Une autre subvention permet aux résidents de voyager en avion entre les îles ou vers Quito pour moins cher que ce qu’il en coûte aux étrangers. Et il y a de nombreuses façons de détourner la loi. Par exemple, il existe aujourd’hui un marché noir florissant du droit de résidence – par le biais de mariages blancs entre migrants et résidents légalement installés.

Dans les rues de Puerto Ayora, des discothèques, des étals de nourriture, des boutiques de souvenirs attirent le chaland. A la périphérie, un panneau publicitaire affiche un portrait de Leopoldo Bucheli, maire fa­vorable au développement, vantant un projet nommé El Mirador, qui déblaie une zone des abords de la ville afin d’y construire 1 000 nouveaux logements. “Tout ce que nous voulons, comme tout le monde sur cette planète, c’est vivre décemment”, affirme Yonni Mantuano. Il a acheté un terrain pour y faire construire un logement à El Mirador. Il est à la tête du syndicat des enseignants des Galápagos, dont les 600 membres ont protesté contre une nouvelle tentative du gouvernement de limiter les subventions : une réduction de leur prime sur le coût de la vie, mesure décidée cette année. La conception assez schizophrène qu’a le gouvernement de la vie sur l’archipel se reflète dans les sentiments de la population. Margarita Masaquiza, 45 ans, une Indienne des hauts plateaux d’Equateur, est arrivée ici à l’âge de 14 ans. Elle est excédée par les expulsions. “Nous avons construit cette province de nos mains, fait-elle valoir. Alors, évidemment, ça nous fait de la peine de voir nos concitoyens expulsés comme des animaux. Après tout, nous sommes des Indiens équatoriens. Comment peut-on être des clandestins dans notre propre pays ?” Mais, quand on lui demande comment ses quatre enfants et ses quatre petits-enfants vivent la présence des nouveaux migrants, Margarita Masaquiza change de discours. “Nous devons préserver les débouchés pour nos familles”, lance-t-elle.

L’homme a déjà perturbé la vie sur ces îles

La plupart des habitants des Galápagos vivent à San Cristóbal et à Santa Cruz, dont Puerto Ayora est la ville principale. D’autres zones de l’archipel sont également en cours d’aménagement. Isabela, la plus grande île, offre un aperçu du “Far West” des Galápagos. Puerto Villamil en est le chef-lieu. Des manœuvres travaillent fiévreusement à la cons­truction de deux cents nouveaux logements en parpaings, à la périphérie de la ville. Seules quelque deux mille personnes vivent dans l’agglomération, mais celle-ci compte l’un des taux de croissance démographique les plus élevés des îles Galápagos : environ 9 % par an. “Je gagne 1 200 dollars par mois ici, alors que je n’en gagnerais pas plus de 500 sur le continent”, assure Bolívar Buri, 26 ans. Cet ouvrier du bâtiment né à Puerto Villamil a gagné une petite fortune cette année en revendant 8 000 dollars [5 358 euros] une parcelle qu’il avait acquise pour 600 dollars il y a six ans.

Mais, même dans les zones les moins défigurées de l’archipel, il ne fait guère de doute que l’intrusion de l’homme a perturbé la vie sur ces îles qui charmèrent Darwin. Sur la route qui relie Puerto Villamil au cratère noyé de brume du volcan Sierra Negra, des chasseurs fouillent la forêt à la recherche de cochons sauvages, une espèce introduite par des marins il y a plus d’un siècle. Dans le ciel volent des hérons garde-bœufs, une autre espèce introduite. Manuel López, un éleveur de 36 ans émigré du continent et qui élève son troupeau au pied du volcan, émerge d’une épaisse forêt de goyaviers. Après un silence, plissant les yeux sous le soleil équatorial, il lance : “Si Dieu le veut, je suis sur cette île pour y rester.” Puis il ajoute : “Si nous sommes aux Galápagos, c’est qu’il y a une raison”, et prend le visiteur à témoin : “Oui ou non ?”

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