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MORSURES DE SERPENT A GAOUA : Quand la sorcellerie s’en mêle

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MORSURES DE SERPENT A GAOUA : Quand la sorcellerie s’en mêle

La région du Sud-Ouest a une flore riche, abondante et est de ce fait favorable à un développement d’une faune diversifiée. Avec en sus son relief accidenté et caillouteux, elle constitue un terrain propice aux serpents. Cependant, tous ne sont pas inoffensifs comme la couleuvre d’Esculape (ndlr : serpent non venimeux symbole du dieu grec de la médecine, souvent enroulé autour du bâton d’Esculape, emblème des pharmaciens et des médecins) ou le python. Il y en a qui sont venimeux et très mortels tels que les vipéridés. Conséquence : les cas de morsures sont légion dans la région. Ils sont même un véritable problème de santé publique.


En 2009 par exemple, et selon les données recueillies au service d’urgences du Centre hospitalier régional de Gaoua (CHR), il y a eu 120 cas dont 5 décès. Mais cela n’est que la partie visible de l’iceberg. La sorcellerie qui hante constamment les esprits en cas de morsure freine la prise en charge rapide et augmente le nombre de décès. Nous avons tenté de mieux cerner ce problème de morsure de serpent dans la région où la croyance, la pauvreté, les modes de vie sont des facteurs d’aggravation.
Les morsures de serpents sont fréquentes dans la région du Sud-Ouest. Le hic est que l’idée de sorcellerie entrave le mode de prise en charge. La croyance est simple et basée sur le fait qu’une morsure de serpent n’est pas forcément gratuite. « Un serpent peut être envoyé dans le but de faire du mal à quelqu’un », a martelé le tradipraticien et adjudant- chef à la retraite Sansan Kambou. Et M. Kambou d’ajouter : « Un serpent normal quand vous le tuez, il y a des intestins. Par contre, un serpent envoyé quand vous le dépecez par le dos, il n’y a pas d’intestins. En ce moment-là, il faut le suspendre sur une branche d’arbre, la tête en bas jusqu’à la guérison du malade. Si vous le jetez la victime meurt. » Il en convient cependant qu’il peut arriver qu’une morsure soit des plus ordinaires, c’est-à-dire sur le coup de la coïncidence.

C’est pourquoi en ce qui concerne la conduite à tenir, il dit : « Il faut envoyer le malade en urgence, mais il faut consulter pour un traitement traditionnel. Dans le cas contraire, le malade peut mourir malgré les soins à l’hôpital ». Visiblement contrarié entre-temps par notre favorable volonté de comprendre, il lâche : « Vous pouvez interroger beaucoup de Lobi. Dans l’ancien temps, il y a des gens qui se transformaient en éléphant, en panthère, etc., les gens ne croient pas mais c’est comme ça. »

L’adjudant-chef à la retraite soutient avoir traité et guéri 5 personnes. Le réflexe des gens lorsqu’un serpent mord un proche est de dépecer le reptible pour vérifier la présence des viscères. Nous en avons fait le constat avec un vieux mordu par un gros serpent et qui avait été soigné à l’hôpital. Nous y avons trouvé la vipère dépecée. Une autre personne, fonctionnaire de son état qui avait perdu son père des suites de morsure de serpent, nous a confié que ce dernier a été "fait" par la sorcellerie. « Lorsque mon père a été mordu par un serpent, mon petit frère l’a fait dépecer. Il n’a trouvé aucun intestin. On lui a conseillé de le suspendre sur une branche d’un arbre de la cour. Il l’a fait et avant le soir le serpent mort avait disparu ».

Recours fréquent à la médecine traditionnelle
Cet état d’esprit fait que lorsqu’il est question de soigner le mordu, si le recours au traitement à la poudre noire ne prend pas le dessus sur celui de la médecine moderne les deux se côtoient. Généralement, le traitement traditionnel se fait les premiers instants pour parer à toute éventualité. Ce fut le cas de l’élève Doulaye. Doulaye Palé venait de réussir avec brio à son Certificat d’études primaires dans la Circonscription d’éducation de base (CEB) de Nako. Il était même le premier de la CEB. Comme bon nombre d’enfants de son âge, il partit aider ses parents au champ dans son village à Poyo. Pendant qu’il fauchait l’herbe, il empoigna un serpent qui le mord au bras. Ses parents décidèrent de le traiter de façon traditionnelle. Mais les notions qu’il avait reçues à l’école concernant les serpents venimeux lui ont permis de mesurer le risque qu’il encourait. Il demanda à ses parents de l’envoyer à l’hôpital. Ce qui fut fait le même jour. C’est d’ailleurs là-bas que nous avons échangé avec son grand-frère, Sib Tiolaté, qui était à son chevet. Pendant notre entretien, nous avons remarqué qu’il évitait de dire que le serpent l’avait mordu. A chaque fois, il disait que la paille l’avait piqué. Cela nous a rappelé qu’en la matière, c’est l’expression consacrée en pays lobi.

C’est ainsi qu’il a expliqué qu’on évite de dire que le serpent l’a mordu afin que le produit traditionnel qui lui a été administré garde ses vertus. En outre, selon lui, lorsqu’on appelle le nom du serpent qui a mordu quelqu’un, ce dernier réagit dans l’organisme avec beaucoup de vigueur et le traitement devient caduc. C’est ainsi que nous avons pu comprendre que l’enfant avait eu un traitement à domicile avant d’être évacué à l’hôpital. C’était une scarification au front sur laquelle une poudre noire avait été appliquée. En plus, il a bu une potion. Qu’à cela ne tienne il avait en plus reçu les soins nécessaires à l’hôpital ; le sérum anti-vénin lui a même été administré. Du reste, son visage s’est empli de joie lorsqu’il était question de savoir comment il se portait. Et pourtant, elles sont nombreuses à perdre la vie dans le silence ces personnes victimes de morsures de serpent et qui optent de recourir exclusivement à la médecine traditionnelle. Filtounoté Kambou, infirmier de son état, a perdu son grand-frère Irfité Kambou dans ces conditions. Il explique : « Quand il a été mordu par un serpent, j’étais à Ouagadougou. Lorsque je suis venu, j’ai été informé et le lendemain je l’ai trouvé au village en très mauvais état.
C’est ainsi que j’ai décidé de l’amener à l’hôpital où il a reçu des soins intensifs. Malheureusement, il n’a pas survécu. Il est décédé le 10 juillet 2009. Comme je n’étais pas là, les parents ont préféré le garder à la maison et lui administrer des produits traditionnels. Cela s’est compliqué par la suite ; il avait la jambe presque pourrie. » C’est en effet après une dizaine de jours de traitement à la poudre noire et aux décoctions qu’il avait été conduit au CHR de Gaoua. Yerbina Somé du village de Wolwolà dans la commune rurale de Bousséra est une autre victoire récente de la "piqûre de la paille". Mais pour cette femme, le traitement traditionnel n’a duré que deux jours au village. Son fils Da Sié a décidé d’interrompre un tel traitement pour l’évacuer au CSPS de Bousséra. Le major Sylvain Nikièma qui l’avait reçue au CSPS a jugé entre- temps, son cas critique et l’avait référé à l’hôpital de Gaoua.

Le sérum, cher malgré tout
Le 8 décembre dernier, c’était le 19e jour de sa morsure et la victime était pratiquement dans le coma. Selon lui, les dépenses à ce jour, s’élevaient à plus de 135 000 F CFA. Pourtant, les derniers examens ont révélé un cas de complication notamment une insuffisance rénale. Mais le fils, ne pouvant plus honorer les ordonnances, a obtenu l’autorisation de rentrer avec son malade après avoir formulé une demande. Bohité Kambiré a, quant à lui, eu plus de chance en recourant à un tradipraticien. Ce dernier est également un militaire à la retraite et est réputé dans le traitement des morsures de serpent à Gaoua. Selon M. Kambiré, deux de ses enfants ont été sauvés par ce dernier. Dans son témoignage, il a fait savoir que plusieurs autres personnes ont été soignées par ce guérisseur du nom de Nébilima Bako. Il a même des recettes pour éloigner ces reptiles des concessions. Contacté, il nous a présenté le nombre de cas qu’il a soignés en 2009 : dans le Poni, il dit avoir soigné 16 cas, 3 au Noumbiel, 4 cas dans la Bougouriba et 1 cas au Boulgou.

A la question de savoir quel a été le taux de réussite, en militaire il répond que c’est positif. C’est-à-dire un taux de guérison de 100%. Mais le bilan n’est pas aussi rose qu’il veut le faire croire. Il se trouve qu’une patiente qu’il dit avoir tirée d’affaire est pourtant décédée des suites de sa morsure. Mais cette situation déplorable lui avait échappé. Le parent de la défunte, Ditouté Da, n’avait pu le tenir informé du décès de la femme pour laquelle il avait sollicité un traitement. « Avec la mort de cette femme, je crois vraiment aux morsures de serpent par sorcellerie » avait déclaré M. Da Ditouté ; car pour lui, toutes les conditions étaient réunies pour qu’elle soit sauvée. Il dit avoir évacué la femme seulement quelques heures après la morsure. En plus, le sérum était disponible pour la traiter. De surcroît, de son côté, c’était une pratique contraire aux précédentes. Il avait commencé par la médecine moderne le même jour. Le contact avec le tradipraticien a été pris lorsque la situation lui semblait désespérée.
Bien que le sérum au coût initial est de 78 000 F CFA soit subventionné à 25 000 F CFA par l’Etat, certains pensent que c’est son prix est malgré tout inabordable.

La plupart de ceux qui ont eu recours aux tradipraticiens pour soigner les envenimations par morsures de serpent soutiennent avoir opté pour ce type de soin en raison également de son coût peu élevé. Pour une personne mordue, c’est généralement un poulet et 15 ou 20 F CFA qu’il faut donner après guérison. Pour Ditouté Da, c’est la pauvreté qui est à l’origine du recours aux détenteurs de la poudre noire. A ce propos, il s’en explique : « De nos jours, on dit que la tuberculose se traite gratuitement. Qui va se permettre dans un tel cas de figure de traiter sa tuberculose à l’indigénat ? »

Il fait par ailleurs savoir qu’un tradipraticien l’avait impressionné en soignant son enfant mordu par un serpent alors qu’il s’était évanoui et saignait abondamment. Le gamin s’est remis de sa morsure au bout de quelques heures. Maintenant, le sérum est disponible à l’hôpital de Gaoua. Ce qui n’était pas le cas dans les années 2002 jusqu’en 2006. La provision en sérum se faisait à Bobo. C’était curieusement à Batié que beaucoup de personnes se rendaient pour se ravitailler en sérum. Tombeau Koné est infirmier. Il était lui aussi renommé dans le traitement des morsures de serpent à Gaoua à cette période. Son procédé était singulier. Il soignait les patients grâce à un appareil d’électrochoc. « C‘est un traitement qui consiste à faire une décharge sur un rayon d’environ 5 cm en 6 fois. Ça fait mal puisque c’est du courant. Quand vous finissez de décharger, vous voyez que le malade transpire et après, la douleur disparaît » dit-il. Là encore, les statistiques qu’il a présentées démontrent que celles des centres de santé sont loin de refléter la réalité pour ce qui concerne les morsures de serpent.

« Dans la première tranche, j’ai eu à traiter au moins 100 personnes et 96 d’entre elles ont été sauvées », selon Tombeau Koné. La deuxième évaluation a été également satisfaisante car le taux de succès était de 98%. M. Koné dit qu’il avait l’autorisation de la direction régionale de la Santé. L’obligation lui était faite de remplir régulièrement des fiches d’évaluation. A la question de savoir pourquoi les victimes avaient recours à lui au lieu d’aller à l’hôpital, l’infirmier répond : « Il n’y avait pas de sérum ici. Pour en avoir, il fallait envoyer en chercher à Bobo. C’est pourquoi on me faisait appel à chaque fois qu’il y avait un cas ». Il fait savoir que le traitement était sans séquelles. En sus, il présentait le plus bas tarif pour la prise en charge d’une morsure de serpent : il réclamait juste 250 F CFA pour la recharge de la batterie. Avec la disponibilité du sérum, il a rangé son matériel d’électrochoc, qui est d’ailleurs tombé en panne.

Des malades qui arrivent en retard à l’hôpital
Dr Harouna Doro, médecin- chef au service des urgences du CHR de Gaoua, a soutenu que les 120 cas reçus à l’hôpital et les 5 décès enregistrés sont loin de refléter la réalité. Il indique que, malgré tout, les morsures occupent le 5e rang dans les pathologies prises en charge par l’hôpital. Pour lui, le centre de santé est mieux indiqué pour une prise en charge des morsures de serpent dont certaines sont très dangereuses. Il soutient que dans le protocole de prise en charge d’une morsure le sérum est généralement utilisé aux 3e et 4e stades car certains serpents peuvent mordre sans pour autant être inquiétants par leur venin.
« Malheureusement la plupart des malades nous arrivent en retard à un moment où ils sont anémiés », déplore Dr Doro. L’une des caractéristiques du venin du serpent est sa capacité à lyser les globules rouges du sang et à provoquer des saignements. C’est à ce titre que les cas critiques nécessitent généralement une transfusion sanguine. Ce que les tradipraticiens ne peuvent pas faire. Et selon le médecin-chef, les élèves sont les principaux fournisseurs de sang à l’hôpital. Pourtant, c’est pendant les vacances que le taux de morsures est plus élevé. Un centre de transfusion est donc nécessaire pour juguler le problème selon le pharmacien de l’hôpital, Dr Millogo. Pour l’heure, le sérum polyvalent permet de lutter efficacement contre les morsures.

Le directeur général des médicaments, de la pharmacie et du laboratoire, Dr Mahamadou Compaoré, a tout de même relevé un fait qui avait attiré l’attention de plus d’un lors d’une rencontre pendant la tournée du ministre de la Santé. Selon lui, au Burkina particulièrement dans la portion comprise entre Gaoua et Sindou, il y a deux espèces de serpents qui n’ont pas été prises en compte dans le cocktail de venin fabriqué. La recherche des deux types de serpent a d’ailleurs été sans succès. Et Dr Compaoré de dire que « si ce serpent mordait quelqu’un, il va être difficile de sauver cette personne même avec le sérum polyvalent ».

Toutefois, et selon toujours le directeur des médicaments, le sérum polyvalent permet actuellement de réduire de façon considérable la mortalité liée aux morsures de serpents. La fréquence des morsures dans la région est, de l’avis de Lazare Bougouma, chef de service départemental de l’Environnement et du Cadre de vie, liée à une insuffisance de prise de précautions. « Ce n’est pas à Gaoua seulement qu’il y a beaucoup de serpents, ailleurs aussi on en trouve », fait-il savoir d’emblée. Dans la plupart des cas de morsures, le serpent mord en légitime défense. Malheureusement, les élèves sont les plus touchés. En témoignent les nombreux communiqués nécrologiques à la radio. Dans la CEB de Loropéni, par exemple, il y a eu au cours de l’année scolaire écoulée 5 cas dont 3 décès parmi les élèves.

Le conseiller Ditouté Da a du reste énuméré quelques cas de figure où la vigilance et la précaution ne sont pas de mise dans la région : c’est notamment la marche la nuit sans des chaussures protectrices ni une torche pour éclairer le chemin. Aucune précaution non plus n’est prise dans les travaux champêtres. Mais pour Dr Stanislas Kambou que nous avons également interrogé lors de la tournée, l’un des principaux facteurs favorisant les morsures dans la région est le manque d’hygiène caractérisée par les cultures proches des maisons d’habitation. Comme conseil, il préconise de cultiver le maïs et le mil loin des concessions. S’agissant des morsures de serpents que certains imputent à la sorcellerie, le docteur Kambou, chargé de la recherche et du système d’informations à la santé dans les 15 pays membres de la CEDEAO, déclare plutôt sceptique : « Vous savez qu’en Afrique, aucune mort n’est naturelle. Il y a toujours quelqu’un qui vous en veut. Dans tous les cas, même si la poudre noire est appliquée, je demande d’aller à l’hôpital pour qu’on fasse le sérum ».

Par Hompko Sylvestre KAMBOU (Collaborateur)
Sidwaya

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