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Les Vietnamiens au chevet de leur tortue légendaire

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Les Vietnamiens au chevet de leur tortue légendaire

Le grand chélonien du lac Hoàn Kiêm, au centre de Hanoi, est l’un des derniers spécimens de son espèce. D’où l’urgence de le protéger alors que son biotope est menacé par la pollution et les pêcheurs.

Pendant plus de deux mille ans, la tortue géante à carapace molle du lac Hoàn Kiêm, à Hanoi, a joué un rôle important dans la culture vietnamienne. Pourtant, sa survie est aujourd’hui menacée et son avenir demeure incertain car les autorités n’ont pas réussi à lui assurer une protection juridique.

L’espèce Rafetus swinhoei ne compte plus que quatre individus dans le monde – deux mâles qui vivent à l’état sauvage dans des lacs vietnamiens et un couple qui vit en captivité en Chine et n’a pas encore donné d’œufs fertiles. Le plus célèbre spécimen vit dans le lac Hoàn Kiêm, où, selon certains, il est menacé par la pollution et les hameçons des pêcheurs. A l’heure où la ville fête son millième anniversaire [du 1er au 10 octobre], les autorités locales et les spécialistes de la protection de la faune débattent sur la façon de protéger cette légende.

Les tortues du lac Hoàn Kiêm étaient considérées jadis comme les incarnations du dieu Kim Qui, la Tortue d’or. Au cours des deux derniers millénaires, cette divinité aurait aidé les Vietnamiens à cons­truire des fortifications, à repousser des armées ennemies et aurait même créé des armes enchantées. C’est ainsi qu’au XVe siècle Kim Qui remit au futur empereur Lê Loi [qui occupa le trône de 1428 à 1433 et fonda la dynastie des Lê postérieurs] une épée magique avec laquelle il repoussa l’envahisseur chinois. Après sa victoire, Lê Loi rendit l’arme à Kim Qui, qui replongea alors dans le lac avec l’épée dans son bec – Hoàn Kiêm signifie littéralement “l’épée restituée”. La tour de la Tortue qui se dresse sur une petite île au milieu du lac commémore ce prêt légendaire.

La tortue à carapace molle a été observée dans le célèbre plan d’eau de la ville de Hanoi depuis les années 1990. Le mois dernier, la presse locale a publié des photos du reptile vieillissant, couvert d’hameçons et de cicatrices, provoquant un émoi populaire et lançant un débat sur la protection de la tortue. Le Dr Da Dinh Duc, professeur assistant à l’Université nationale du Vietnam à Hanoi, a appelé au sauvetage immédiat de l’animal. “D’abord, nous devrons enlever les hameçons de sa carapace… sinon ils finiront par se prendre quelque part et lui arracheront des morceaux de peau”, a-t-il déclaré au journal vietnamien Tien Phong. Il a ensuite exprimé son inquiétude face aux innombrables dangers qui peuplent son environnement – un simple sac en plastique flottant dans le lac pourrait ainsi lui être fatal. “Le sac est susceptible d’abriter de petites crevettes et des poissons et la tortue, en l’avalant, risquerait d’en mourir étouffée ou empoisonnée.”

Législation trop laxiste

D’après le Dr Da Dinh Duc, la tortue du lac Hoàn Kiêm aurait environ 700 ans et serait la dernière survivante de l’espèce Rafetus leloii. Pour d’autres scientifiques, elle n’aurait pas dépassé 120 ans et appartiendrait plutôt à l’espèce Rafetus swinhoei. Ces mêmes biologistes préconisent d’ailleurs de laisser l’animal tranquille. Le stress provoqué par sa capture risque selon eux de lui faire plus de mal que de bien. Toutefois, tous s’accordent sur le fait qu’elle doit bénéficier d’une meilleure protection. En effet, ni la Rafetus swinhoei ni la Rafetus leloii ne figurent sur la liste des espèces protégées au Vietnam. “Je ne comprends pas”, confie Douglas Hendrie, conseiller technique pour Education Nature-Vietnam, une ONG de défense des animaux. “Si cette tortue ne représente pas un cas idéal d’espèce à protéger, je ne vois pas laquelle le serait.” Selon lui, les Rafetus swinhoei seraient en trop petit nombre et ne présenteraient donc pas suffisamment d’intérêt économique pour que les autorités vietnamiennes fassent l’effort de les protéger.

Cela fait douze ans que Hendrie de­mande que quelque chose soit fait pour améliorer l’habitat de la tortue. Dans le même temps, un membre de l’unité gouvernementale chargée de garder le lac et un parc voisin déclare que ses hommes ont interpellé des pêcheurs clandestins et saisi leur matériel. Mais la législation, trop laxiste, ne dissuade généralement pas les pêcheurs à la ligne.

Obtenir des œufs fertiles

Le nettoyage de l’eau du Hoàn Kiêm est actuellement en cours et si certains craignent qu’un changement drastique de son environnement ne perturbe la tortue, d’autres considèrent qu’il s’agit là d’une bonne action pour améliorer son milieu. Plusieurs scientifiques estiment cependant que la tortue n’en a plus pour très longtemps. “Je pense qu’elle vit actuellement ses dernières années”, déclare Peter Pritchard, fondateur du Chelonian Research Institute [une ONG installée à Oviedo, en Floride, qui se consacre à la protection des tortues] et auteur d’un livre sur cette espèce.

Les défenseurs des animaux espèrent qu’un partenariat international impliquant l’autre mâle vietnamien et une femelle captive en Chine donnera des œufs fertiles. Si on parvient à sauver l’espèce, ce ne serait pas une mauvaise idée de la réintroduire dans le lac Hoàn Kiêm, considère le Dr Pritchard. “L’idée a l’air dingue mais, après tout, cela fait longtemps qu’elles vivent ici.”

Il faudrait cependant procéder à certaines modifications dans le lac, par exemple, créer une plage de sable autour de l’île de la tour. Selon des biologistes, les berges en béton actuelles du lac peuvent érafler et blesser les tortues de cette espèce. En définitive, Peter Pritchard est persuadé que l’opinion vietnamienne est capable de faire bouger les choses. Après tout, “des milliers d’yeux sont rivés sur ce lac”, conclut-il.

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