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Max|mum-leterrarium

SERPENTS, SCORPIONS, ARAIGNÉES: FAUT-IL EN AVOIR PEUR ?

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SERPENTS, SCORPIONS, ARAIGNÉES: FAUT-IL EN AVOIR PEUR ?

Ils sont, pour beaucoup d’entre nous, la terreur de l’été. Rampant et s’infiltrant par surprise, ces animaux venimeux sont-ils dangereux ? Notre enquêtrice a bravé son effroi et interviewé des spécialistes.

« Si c’est pour écrire les trucs angoissants habituels, mieux vaut arrêter là. » Il était souriant, il ne l’est plus. Ivan Ineich, chercheur au Muséum national d’histoire naturelle, erpétologiste passionné, veut bien décrire les espèces de serpents qui vivent en France. Il refuse d’abonder dans les poncifs qui nourrissent les terreurs. « Il n’y a qu’une cinquantaine de morsures en France par an, à peine cinq graves, une au maximum tous les deux ans qui soit mortelle ! » En somme, cet été, on aurait plus de risques de rendre l’âme en croisant une mâchoire de pitbull, un alcoolo au volant ou une balle perdue. Notre amoureux des reptiles se bat contre nos a priori et nos phobies. « Qu’au fin fond de l’Afrique des enfants pas chaussés, à des centaines de kilomètres de tout poste de secours, leur tapent dessus, passe encore, mais nous, qui n’avons quasiment rien à craindre de nos vipères ! »

A quelques bureaux de là, la dame aux yeux verts sourit. Habituée. Et elle aussi rompue aux grimaces quand elle présente ses protégées : velues, parfois noires, peu avenantes. Christine Rollard, chercheuse aranéologue, maître de conférences du Muséum, porte ses araignées en bague, en boucles d’oreilles, en collier. Dans son bureau old style, les bestioles trônent en majesté – peluches, tasses, cartes postales, gadgets —, au milieu des vraies, dans les bocaux d’alcool à 75 degrés ou bien vivantes dans des cages vitrées. A l’automne, elle leur consacre un ouvrage et une énorme exposition. Il y a tant à dire pour les réhabiliter. Et, à défaut de les aimer, ne pas les craindre et les respecter. Ne serait-ce que pour cesser de les écraser sans raison. « On ne déplore qu’une à cinq morts par an causées par des araignées… dans le monde entier, rappelle-t-elle. Aucune en France. »
Il est l’un des grands connaisseurs français des scorpions. Max Goyffon, chercheur et professeur honoraire, nous les montre baignant dans l’alcool, la queue inerte, inoffensifs. Et d’emblée prévient : « Les scorpions n’ont pas provoqué de mort en France depuis des siècles. » Ailleurs ? « On déplore 4 000 décès par an dans le monde. Officiellement. Pas de recensements exhaustifs dans les villages africains ou asiatiques, alors vous multipliez ce bilan par quatre ou cinq. » Heureux Hexagone qui nous préserve des pires turpitudes. Quoique… Les scorpions, araignées et serpents qui villégiaturent sous nos cieux sont tous dotés de venin. Venimeux, donc.

UNE VINGTAINE
D'ARAIGNÉES DANS NOS MAISONS

Si, grâce à la médecine, on n’en meurt plus, reste qu’ils ont de quoi nous faire passer de sales quarts d’heure… Là encore, d’après nos trois experts, pas tant que ça. Christine Rollard prend la main : « Attention à ne pas confondre venimeux et dangereux. Les araignées, par exemple, ont du venin, mais ce n’est pas pour cela qu’elles sont dangereuses pour l’homme. Ce venin réclame de l’énergie pour sa fabrication, elles ne vont pas le gâcher en nous attaquant : elles en ont trop besoin pour tuer leurs proies ! » Parce que les araignées qui, précision, ne sont pas des insectes mais des arachnides, ont des mœurs carnassières. Certaines ont même la fâcheuse manie de tuer leur mâle après le câlin. Christine Rollard poursuit : « Quand bien même elle aurait été surprise par l’homme et le mordrait, il y a une chance sur deux que ce soit une “morsure blanche” : sans venin. » Mais les 50 % restants ? On y vient. Pour comprendre, il faut savoir que sur 42 000 espèces d’araignées dans le monde, seules 1 600 sont répertoriées en France. « Dans nos maisons, déjà, il y en a une vingtaine à longueur d’année. Souvent on ne les voit pas, elles ne mesurent pas plus de 5 millimètres, sont cachées dans des endroits sombres (radiateurs, rideaux…). Elles n’hibernent pas, mais se déplacent peu, attendant que leurs futures proies échouent sur leur toile, ou alors la nuit. Il arrive aux mâles, plus coureurs comme il se doit, de traverser une pièce pour se dégoter une femelle. »

La plus grosse araignée domestique européenne est la tégénaire : 2,5 centimètres au maximum, de 8 à 10 avec les pattes. Caractéristique : elle fabrique une toile en nappe pourvue d’un entonnoir. Point commun avec toutes les autres : elle a bel et bien un venin. Alors ? Si une tégénaire avait la fâcheuse idée de nous confondre avec une mouche, un cafard, un acarien, ses mets favoris – preuve, en passant, qu’elle assure une bonne part de notre ménage –, « nous ressentirions éventuellement une petite douleur. Il peut y avoir ou non un bouton. A soigner comme une piqûre de moustique ».

Autre araignée fréquente sous nos toits, le pholque, qui fait moins peur parce que plus gracile avec ses pattes fines et son corps plus petit. « Il n’a pas les crochets assez grands pour s’attaquer à notre peau. Comme, d’ailleurs, 70 % des 42 000 araignées de cette planète : trop petites, elles ne peuvent mécaniquement nous mordre. » Quid alors de ces faits divers, de cet homme qui, en 2009, aurait été gravement piqué à Orange par une bestiole à huit pattes ? « Seule une dizaine d’espèces sont dites dangereuses. Chez nous, il en est une, effectivement, qui appartient au groupe des veuves noires : la Latrodectus tredecimguttatus, que les Corses ont eu la bonne idée de surnommer “Malmignatte”. Cette Veuve a un corps noir comme son nom l’indique, mais, coquetterie, parsemé le plus souvent de 13 points rouges. Les mâles mesurent moins de 1 centimètre (sans les pattes) et ne peuvent pas mordre. Les femelles, 1,5 centimètre, peuvent mordre. » Au mordu, alors, la farandole de symptômes : douleur intense au point touché, oppression, sueurs, tachycardie, grosse fatigue, « mais qui passent en général au bout de deux jours sans autre soin que le repos. Une seule fois on m’a signalé un cas qui avait entraîné une fatigue de quelques mois ». Quant à l’homme dont le bras a été gravement nécrosé, « on ne sait pas vraiment de quel animal il s’agit. Certains parlent d’une Loxosceles. »

Mais notre Loxosceles à nous – nous n’en avons qu’une espèce en France pour une centaine dans le monde – est inoffensive. Discrète, nocturne, de petite taille ; son venin ne semble pas avoir eu de grandes conséquences. Au pire, les tissus autour de la morsure se nécrosent et laissent parfois une cicatrice avec guérison lente. Là, à Orange, il a fallu faire une greffe de la peau. « Réaction allergique ? Loxosceles venue d’Amérique ? On ne sait »… Justement, et les voyages ? Ces mygales, grosses et velues, qui se logeraient dans les yuccas et débarqueraient, hordes assoiffées de sang, dans nos appartements… « Fantasme ! J’en profite, du reste, pour tordre le cou à une idée toute faite : quand les gens parlent de mygales, ils s’imaginent toujours un animal tropical d’au moins 10 à 15 centimètres. Non que celui-ci n’existe pas, mais d’abord il n’attaque pas l’homme, il le fuit ; ensuite, sur les 2 600 espèces de mygales au monde, il y en a plus de 2 000 qui sont petites ; enfin savez-vous que la mygale n’est pas forcément exotique, il en existe une vingtaine d’espèces en France, qui, discrètes, vivent dans des terriers, sortent la nuit, ne mesurent que 1 à 2 centimètres et n’ont jamais affolé personne ! » Pourtant là, à deux pas de son bureau encombré, il y en a de grosses velues dans leur terrarium qu’on n’aimerait pas retrouver à l’air libre… Nouveau sourire de Christine Rollard : « Il y a quelques années, trois se sont échappées. Deux semaines plus tard, on en a retrouvé une morte dans un coin, une autre mal en point deux étages en dessous, et la dernière dans cette pièce, qui n’a pas tardé à crever : manque de nourriture. Avec le développement des transports, cela peut arriver, c’est vrai, qu’une araignée embarque par inadvertance dans des bagages, des conteneurs, etc., mais elle ne survit guère confinée chez nous, par manque de chaleur, d’humidité et de proies ! Et pourquoi imaginer que les mygales sont dangereuses pour l’homme ? Encore une idée reçue ! »

DES SCORPIONS INOFFENSIFS

Max Goyffon se souvient du coup de fil inquiet d’une femme qui venait de découvrir dans sa nouvelle maison du Midi une invasion de petits scorpions noirs. Il l’a vite rassurée : n’ayant rien à manger, ils n’allaient pas survivre longtemps. « A la rigueur, s’il y avait eu une cave, peut-être auraient-ils pu trouver quelques cloportes, mais de toute façon pas au point de passer l’hiver. » Plus impressionnants que dangereux, une fois de plus. Du moins dans notre pays où nos cinq espèces de scorpion – sur 1 500 dans le monde – sont inoffensives. On les trouve dans la « zone de l’olivier » autour du Bassin méditerranéen, en Aquitaine jusqu’à Bordeaux. Que ce soit le flavicaudis (4-5 centimètres), le carpathicus (plus de 3 centimètres), ou l’italicus (6-7 centimètres ), nos trois Euscorpius, ou scorpions noirs, ne présentent aucun danger. Leur venin est en si petite quantité qu’ils préfèrent l’utiliser pour leurs proies et qu’au pire cela ne nous causerait pas grand mal. Le Belisarius xambeui, dit aveugle (3 cm), est inoffensif, et le Buthus occitanus, qu’on trouve dans le Languedoc et en Provence, n’a causé que quelques accidents avec courte hospitalisation en Espagne.

Chez nous, rien. Youpi ! Chance, oui, que n’ont pas tous les habitants d’Afrique du Nord, d’Egypte, du Mexique… « Au Maroc, par exemple, on recense 30 000 piqûres par an. La Tunisie, qui, l’été, met en place des postes de secours accessibles en une demi-heure, oscille depuis une dizaine d’années entre dix et zéro décès par an (pour une centaine dans les années 60). Même si certains contestent l’efficacité du sérum antiscorpionique, force est de reconnaître que, depuis que ces pays l’utilisent, la létalité diminue. » Une piqûre de scorpion provoque une douleur immédiate. Il suffit souvent de bien s’hydrater, d’appliquer de la glace dans un sachet (jamais à même la peau) pour ralentir la diffusion du venin et de rester allongé vingt-quatre heures. « Dans 95 % des cas d’une piqûre de scorpion considéré comme dangereux, il ne se passera rien de plus. Dans 5 %, peuvent apparaître des troubles digestifs et cardio-respiratoires, avec parfois un œdème pulmonaire, qui, chez l’adulte, se résolvent spontanément en vingt-quatre heures. Chez l’enfant, l’évolution, beaucoup plus dramatique, peut conduire à un coma, létal dans près de la moitié des cas. Après un délai de vingt-quatre heures, le pronostic vital n’est plus en jeu. »

Coriace, le scorpion qui parcourt notre globe depuis 450 millions d’années – à titre de comparaison, la tortue, qui n’a rien d’une jeunette, n’a « que » 200 millions d’années – n’est pas une espèce protégée (hors l’espèce Pandinus). Il fut un temps où certains en rapportaient dans leurs bagages ; la mode serait passée. Quant aux passagers clandestins, foin des fantasmes. « En quarante ans, on m’a peut-être parlé de 10 cas de scorpions qui seraient arrivés dans des bagages ! Une fois, une femme, qui a sorti son gilet de sa valise à son retour en France, s’est fait mordre au cou et m’a appelé. La piqûre était douloureuse, elle se sentait très fatiguée. Le scorpion récupéré étant inoffensif, je lui ai conseillé de rester au repos. Vingt-quatre heures plus tard, il n’y paraissait plus. »

DU VENIN POUR LES LÉZARDS

Le chiffre est impressionnant : plus de 140 000 décès annuels par morsure de vipères dans le monde. Largement sous-estimé. Comment recenser tous les cas d’Afrique et de Navarre ? Quoique, en Navarre, chanceux que nous sommes une fois encore, ils tournent autour de zéro. Comme les araignées, les vipères n’ont aucune envie de gaspiller leur venin dans notre peau. Jeunes, elles le réservent surtout aux lézards, adultes, aux souris. En France, pas de crotales et autres espèces exotiques, mais des « vipères vraies », et fort peu : quatre seulement. Il y a d’abord la vipère d’Orsini, 50 centimètres au maximum, qui vit dans les Alpes provençales, utilise son venin pour neutraliser les sauterelles, sans dommage grave pour nous en cas de morsure. Il y a la vipère aspic, de 60 à 70 centimètres, plus abondante, quoique en régression à cause de notre urbanisation. Nez retroussé et zigzag sur le dos, elle vit dans les trois quarts sud de la France. Il y a la vipère péliade, dans les endroits humides et frais de la région Centre et la moitié nord de la France, qui a tendance à remonter à cause du réchauffement climatique. Enfin, la vipère de Seoane, 50 centimètres, qui vit dans une enclave du sud-ouest de la France près de la frontière espagnole.

Toutes sont venimeuses, toutes, sauf la vipère d’Orsini, peuvent exceptionnellement entraîner de graves conséquences en l’absence de sérothérapie. Imaginons le pire : elles prennent peur et, ne pouvant fuir, n’ont d’autre choix que de nous attaquer pour se défendre : « Il y a de fortes chances que ce ne soit qu’une morsure sèche, sans venin, explique Ivan Ineich. On ne sent alors que l’action mécanique des deux crochets, presque rien, deux gouttes de sang qui perlent. S’il y a venin en quantité, on le sait de suite, tant la douleur est vive. Comme un violent coup de marteau. Les symptômes sont impressionnants : nécrose, œdème, ecchymose violacée, vomissements, malaises. Si le visage est atteint – ce qui est rarissime –, cela peut avoir des répercutions terribles. » Oubliez votre pompe antivenin : aucune efficacité, aucun intérêt. Cela risque même de retarder la seule chose à faire : se précipiter à l’hôpital. Une intervention banale à la conclusion heureuse dans notre pays, quand, ailleurs, d’autres ne peuvent être sauvés.

« Pour de nombreux pays en voie de développement, le sérum antivenimeux est trop cher, intervient Max Goyffon. Des sérums falsifiés à bas coût sont apparus sur le marché, qui, dans le meilleur des cas, ne soigneront rien, dans le pire, seront nocifs. Savoir que des milliers de gens meurent au XXIe siècle d’une morsure de serpent, alors qu’on dispose de sérums efficaces et bien tolérés, est insupportable. » Ne pas oublier que nous sommes gâtés, donc. Petite info, enfin, avant de conclure : des couleuvres aussi sont venimeuses ! Mais elles n’ont pas de dispositifs aussi efficaces pour l’injecter aux humains. Ouf ! Reste cette exception à la française : « La couleuvre de Montpellier a des crochets suffisamment longs en arrière de la bouche pour opérer. » Les conséquences ? Normalement, parvenus à ce stade de lecture, vous les connaissez déjà : « Juste de quoi donner un petit œdème, annonce Ivan Ineich. Aucune mort humaine à déplorer. » Si après cela vous n’êtes pas convaincu qu’il ne sert à rien de détruire ce qui vous fait peur, c’est à se demander si vous ne le faites pas exprès. De fait, vous ne le faites pas exprès ! Notre erpétologiste, compréhensif, commente : « La peur du serpent est inscrite dans notre subconscient. Notre cerveau fonctionne toujours comme il y a cent mille ans quand il y avait bien plus de serpents et que leur danger était réel. Même le singe nouveau-né en a une peur innée. Il faudra des milliers d’années pour que cet instinct archaïque qui n’a plus de raison d’être s’estompe. Il serait bien plus rapide d’avoir recours à l’éducation. Surtout que cela devient urgent : chez nous les serpents disparaissent inexorablement et en silence. » Et si c’était ça, le truc angoissant ?

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