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Sept vipères prennent la clé des champs au pied des Vanils

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Sept vipères prennent la clé des champs au pied des Vanils

Nés au Jardin botanique de Fribourg, sept vipéreaux viennent d’être relâchés dans la nature. Serpents mal aimés, ils se dévoilent.
PAR THIBAUD GUISAN
Les langues de vipère pointent vers l’air libre. Le couvercle du seau est ôté: c’est la libération. Ces sept vipéreaux aspic ont été acheminés dans un sac à dos, comme un vulgaire pique-nique. Les voilà qui découvrent leur nouvel environnement: un pierrier du vallon de Bounavaux, sur les hauts de Grandvillard, dans le massif du Vanil-Noir.
L’opération a eu lieu mercredi après-midi. C’est la troisième fois, après 2008 et 2010, que le Jardin botanique de Fribourg remet en liberté de jeunes vipères. Espèce protégée oblige, la mission bénéficiait d’une autorisation spéciale du Bureau cantonal de la protection de la nature. «Depuis 2006, nous possédons deux femelles et un mâle», expose Benoît Clément, responsable du secteur plantes alpines au Jardin botanique. «L’idée était de présenter une espèce animale protégée au milieu de plantes protégées.»
Le jardinier-paysagiste de Vuadens a découvert les nouveau-nés le 15 septembre dernier dans l’enclos à vipères, à côté des fougères. «La mise bas a lieu tous les deux ans. Parce que la reproduction demande une grande quantité d’énergie aux femelles.»
Pour la remise en liberté des petits – «de la taille d’un crayon» – Benoît Clément était accompagné de Jean-Claude Monney, collaborateur scientifique du Musée d’histoire naturelle de Fribourg et employé du Centre de coordination pour la protection des amphibiens et des reptiles de Suisse (Karch). «Pour la préservation de la race, il est important de relâcher les petits exactement à l’endroit où leurs parents ont été capturés», explique le biologiste.
Car les spécimens du vallon de Bounavaux – entre 100 et 150 au total, à raison de cinq ou six adultes par hectare – ont leurs spécificités. «Ils n’ont pas tout à fait les mêmes caractéristiques génétiques que les vipères du Pays-d’Enhaut. Il en va de même pour la coloration. Dans la région du col du Jaun, les vipères ont des dessins dorsaux plus fins.»

Le noir du Vanil
Autre particularité de la colonie de la région du Vanil-Noir, elle recense une très forte proportion – 60 à 70% – de spécimens complètement noirs. Explication plausible, l’influence du milieu, qui a sélectionné les spécimens les plus aptes à y vivre. «Dans une région boisée, il y a peu de soleil. Le noir a l’avantage de mieux absorber la chaleur», avance Jean-Claude Monney.
Les taches des autres vipères pourraient s’expliquer par un besoin de camouflage. «Il y a beaucoup d’érables sycomores. Les feuilles ont souvent des taches noires dues à un champignon. Lorsqu’elles tapissent le sol, la vipère se confond avec elles.»

Relâchés à jeun
En même temps qu’ils goûtent à la liberté, les vipéreaux peuvent s’offrir un premier repas. Car, depuis leur naissance, ils sont restés à jeun. «Ils pourraient même se passer de nourriture jusqu’à l’hibernation, relève l’herpétologue. Ils ont suffisamment de réserve.»
Jusqu’à l’âge de deux ou trois ans, le menu sera avant tout composé de lézards. Une fois adultes, à l’âge de cinq ans, les vipères se nourriront essentiellement de campagnols et de musaraignes. Des proies gobées et digérées grâce à l’effet d’un puissant suc gastrique. «Pour que les enzymes digestives s’activent, il faut une chaleur ambiante de l’ordre de 15 degrés, précise le spécialiste. Sinon les vipères doivent vomir.»
Ce n’est que dès l’âge de cinq ans – avec une taille d’environ 50 cm – que les vipéreaux songeront à se reproduire. En attendant, ils veilleront à éviter de croiser leurs prédateurs: buses, corbeaux et autres serpents (coronelles lisses).
En quête de repaires, les vipéreaux privilégieront les pierriers ou les amas de pierres calcaires. Des lieux stratégiques accumulant la chaleur, tout en offrant une cachette. «Les vipéreaux vont chercher à se rattacher à une colonie, explique Jean-Claude Monney. Certains pourraient rejoindre l’autre versant de la vallée, du côté du Motélon.»

Pas Esculape
Une certitude. On ne verra aucun vipéreau relâché grimper aux arbres. En Suisse, un seul serpent s’y essaie: la couleuvre d’Esculape. Le spécimen, non venimeux, vit en Valais, dans le Chablais, à Genève et au Tessin. Loin d’être une langue de vipère, l’animal a le privilège d’être l’emblème des médecins et des pharmaciens.

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Un kilo de pain par vipère
Protégée depuis 1967 en Suisse, la vipère aspic a longtemps été pourchassée. «Comme pour les queues de taupes, plusieurs communes versaient des primes pour toute vipère tuée», raconte Jean-Claude Monney. Le biologiste évoque un tarif de cinquante centimes par tête, versé dans les années 1920, dans la vallée neuchâteloise des Ponts-de-Martel. «A l’époque, c’était une jolie somme. Ça équivalait à un kilo de pain complet.»
Les temps ont changé. Mais la vipère a toujours la vie dure. «L’espèce est considérée comme vulnérable dans les Alpes. La situation est beaucoup plus critique sur le Plateau et dans le Jura. La multiplication des constructions raréfie son habitat. Ensuite, elle reste victime de persécution, mais aussi de captures par des collectionneurs ou pour du commerce illégal.»
Venimeuse, la vipère continue à terroriser. «Il est étonnant de voir quelles craintes continuent à susciter cet animal au comportement pacifique, remarque Jean-Claude Monney. Car la vipère n’attaque pas l’homme. Elle le fuit.»

Légendes tenaces
Sur les alpages, l’herpétologue voit les légendes se perpétuer. «De nos jours, en Gruyère, quelques gardes-génisses restent persuadés que les vipères tètent les pis des vaches. Or, c’est impossible.» Le biologiste voit deux explications plausibles. «Peut-être qu’un jour une vache s’est couchée sur une vipère et qu’elle s’est fait mordre. Le serpent serait resté accroché au pis.» Autre hypothèse. «Les vipères peuvent entrer dans les écuries. Une d’elles pourrait s’être lovée contre la tétine d’une vache pour en chercher la chaleur.» TG

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