Max|mum-leterrarium 0 Posté(e) le 20 juillet 2013 La nuit de la chasse aux tortuesPLANÈTE Plusieurs espèces de tortues marines sont menacées d’extinction par la pêche et le braconnage. Au Suriname, le vol des œufs le long des côtes est monnaie courante, mais la résistance s’organise."Ca y est, le soleil s’est couché, elles ne devraient plus tarder." Confortablement installés dans des hamacs qu’ils ne quittent qu’à une température jugée acceptable, les trois gardes engagés par le WWF pour assurer la protection des tortues marines le long des côtes du Suriname se mettent en mouvement. Leur mission : débusquer les braconniers qui se rendent sur les plages à la tombée de la nuit pour voler les œufs fraîchement pondus et les revendre au marché noir. La tâche n’est pas aisée, pour atteindre les lieux de ponte, les voleurs doivent traverser une partie de la Suriname River, se faufiler avec leurs bateaux à moteur dans des kilomètres de mangroves sans être repérés, et se terrer dans la jungle pendant des heures.Patrouille de gardes armésLà, livrés en pâture à des moustiques particulièrement voraces venus se repaître de sang frais, ils sortent les lunettes de vision nocturne et attendent. Des tortues vertes, dont la trajectoire a petit à petit dévié vers la Guyane voisine, et surtout des Leatherbacks, ces tortues de mer géantes pouvant atteindre jusqu’à 800 kg, dont les œufs sont particulièrement appréciés par les Amérindiens et la communauté indonésienne, très présente au Suriname.Pour empêcher ces prises illégales, les trois gardes armés parcourent chaque jour des dizaines de kilomètres de plage afin d’attraper les chapardeurs en flagrant délit et leur infliger une amende de 25 euros par œuf, six mois de prison pour les récidivistes. Une belle peine qui peine toutefois à décourager les malfaiteurs quand on sait qu’une nuit fructueuse peut rapporter 30 000 œufs à raison de 1 euro la pièce, dans un pays où 60 % de la population vit officiellement sous le seuil de pauvreté. Deux heures de marche plus tard, un premier garde revient bredouille dans la cabane rustique située à même la plage où il va vivre pendant deux semaines. Il relance le feu qu’il avait allumé avant de partir, profite de la fumée pour éloigner ces maudits moustiques, et s’apprête à entamer le deuxième raid de la soirée.400 kilos sur le dos"Les tortues viennent sur la plage à deux conditions" , explique Avanaissa Turny, responsable du WWF pour la conservation des tortues marines dans la région et envoyée en mission sur la plage pour évaluer les résultats de la ponte. "La nuit doit être tombée et la marée à ¾ haute. Avec près de 400 kilos sur le dos, autant limiter les efforts et se laisser porter un maximum par l’eau."Les tortues vertes pondent environs 160 000 œufs par an au Suriname et dans les deux Guyanes, les Leatherbacks 30 000 dont 70 % donneront naissance à une petite tortue. Parmi celles-ci, seule une petite partie survivra assez longtemps pour venir pondre à leur tour, et quelques secondes à peine après avoir vu la lumière du jour, les nouveau-nés s’apprêtent déjà à vivre le moment le plus intense de toute leur vie. Il est désormais 23 heures, deux des trois Ranger se remettent en quête de braconniers pendant qu’une deuxième équipe dite de "monitoring" recherche les tortues. Pour les autres, restés au camp, une longue attente s’annonce. Quand soudainement, un homme arrive en courant. Il vient de faire un sprint de 400 m sur le sable humide pour annoncer qu’une énorme tortue à été repérée à l’est.Dans une obscurité totale les observateurs invités par l’équipe s’agitent dans tous les sens pour attraper leurs lampes de poche préalablement recouvertes de plastique rouge afin de ne pas aveugler les tortues, et se lancent dans une course effrénée en essayant de reprendre leur souffle. Le troisième garde, lui, marche paisiblement.Outre le fait qu’il n’affectionne pas particulièrement tout effort inutile, il sait que la tortue géante mettra au bas mot une heure et demie pour sortir de la mer, se traîner jusqu’au sommet de la plage, creuser un trou de 80 cm de profondeur avec ses pattes arrière, et retourner dans l’eau. Près de deux heures d’un effort surhumain dont témoigne la gigantesque trace de passage laissée sur le sable entre la mer et le haut de la plage.On comprend mieux pourquoi une Leatherback met quinze ans avant de revenir pondre sur la plage qui l’a vue naître. Vingt-cinq ans pour les tortues vertes, après quoi elles reviennent plus souvent, entre six et douze fois par saison. Ce temps de maturation permet aussi d’expliquer la disparition des tortues de mer dans certaines parties du globe. La grande majorité d’entre elles viennent pondre sur leur plage d’origine. Si trop d’œufs sont volés ou mangés, les spécimens victimes de braconnage ne sont plus assez nombreux pour reproduire la race et disparaissent inévitablement.Ce n’est pas encore le cas sur la plage surinamienne de Matapica où la tortue repérée il y a maintenant une heure semble avoir enfin terminé de creuser. Epuisée, elle se lance dans un ultime effort pour y déposer une dizaine d’œufs soigneusement dissimulés par ses pattes arrière. A défaut de voir la ponte, on peut entendre la longue phase de respiration qui ponctue chaque effort. La tortue reprend son souffle, l’effort semble interminable, mais cette fois ça y est : la mission est accomplie. La Leatherback peut reboucher son nid et doit maintenant regagner la mer en espérant que personne ne l’a repérée.Sortie synchronisée des petitsComme consciente de la menace qui pèse sur ses œufs, elle prend d’ailleurs le soin de camoufler les traces de son passage avant de partir en effectuant de grands cercles avec ses pattes avant sur le lieu de la ponte. Si tout se passe bien et que ni l’homme ni la faune ne viennent s’ajouter aux pertes naturelles, une dizaine de petites tortues sortiront d’ici deux mois. Trois petites heures après avoir regagné leur hamac avec bonheur, voilà que nos trois rangers doivent à nouveau aller arpenter la plage. Deux nids ont éclos non loin de là et une trentaine de petites tortues se lancent ensemble dans le périple de leur vie.Ici aussi le phénomène est bien réglé. Dès qu’il est prêt à sortir de sa coquille, le petit émet un son aigu pour s’assurer que les autres bébés sont nés. La tortue marine est un animal solitaire, mais les jeunes sont incapables de remonter seuls dans 80 cm de sable. Ils doivent synchroniser leur sortie et se pousser les uns les autres pour atteindre la surface en dégageant le sable avec leurs pattes avant. Les vautours, eux, sont déjà là ! Prêts à fondre sur ces proies faciles. Les chiens sauvages aussi d’ailleurs, incapables de creuser aussi profondément dans le sable, mais prêts à bondir le moment venu ! Sans parler des poissons-chats qui attendent la gueule grande ouverte dans les petites profondeurs de la mer !Braconnier caché dans son buissonMais le danger principal, aujourd’hui, c’est encore notre braconnier caché toute la nuit dans son buisson marécageux. Un garde remarque d’ailleurs un trou aux allures tristement connues. "Un rond creusé par l’homme qui date d’hier , confirme le Ranger. Même si on attrape les coupables, il est trop tard. Si les œufs ne sont pas remis dans leur nid 24 heures après avoir été enlevés, ils ne donnent plus rien." Un peu plus loin, c’est la nature qui s’en est mêlée. Une partie de la plage s’est effondrée et deux nids se sont retrouvés à l’air libre. Il n’a pas fallu cinq minutes pour qu’une vingtaine de vautours se ruent sur les malheureux, ne laissant derrière eux qu’une scène de désolation faite de coquilles ensanglantées et de carapaces vides. Nettement plus robustes, mais particulièrement peu véloces, les tortues adultes ne sont pas à l’abri non plus. Quand elles ne sont pas dévorées par un jaguar ou un requin, elles peuvent être involontairement attrapées dans les filets des pêcheurs et décimées. Plusieurs pays comme le Suriname ont enfin mis en place un système qui leur permet de s’échapper, mais il n’est pas encore obligatoire et nécessite certains investissements. Les survivantes reviendront à Matapica dans une dizaine d’années après avoir effectué un long voyage à travers le monde pour trouver les étoiles de mer dont elles ont besoin pour se nourrir. Les deux Guyanes et le Suriname représentent le deuxième site de ponte de l’Atlantique Nord après Trinidad. Malgré les programmes mis en place pour assurer la surveillance des tortues, leur survie n’est absolument pas assurée, et certaines espèces ont déjà disparu.Source Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites