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Paul Féval La Fée des Grèves "Douze Lévriers"

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Invité
Paul Féval
La Fée des Grève
s



X. Douze lévriers.

Quand le chevalier Méloir se fut mis les pieds au feu et qu’il eut entamé l’attaque des volailles froides, absolument comme s’il n’avait point soupé la veille, Gueffès, debout à ses côtés, le bonnet à la main et la mâchoire inclinée, reprit respectueusement la parole.



– Mon cher seigneur, dit-il, je ne sais pas pourquoi je me sens porté vers vous si tendrement. Je vous aime comme un chien aime son maître.



– J’ai eu autrefois un mâtin qui me mordait, grommela Méloir entre deux bouchées.



– Moi, mon cher seigneur, poursuivit Gueffès, je n’ai jamais rencontré de gentilhomme qui m’ait traité si favorablement que vous.



– Allons maître Vincent, vous n’êtes pas difficile.



– Je crois, sur ma foi, que si vous m’ordonniez d’aimer le petit Jeannin, je l’aimerais. Méloir bâilla la bouche pleine.



– Ceci est pour vous faire comprendre, mon cher seigneur, continua encore Gueffès, toute l’étendue de mon dévouement. On dit que je suis un païen, mais qui dit cela ? des gens qui croient à la Fée des Grèves et autres sornettes, au lieu de se fier à la vierge Marie !



– Ah ça ! dit Méloir, au fait, qu’est-ce que c’est que la Fée des Grèves ?



– C’est une jeune fille, monseigneur, qui pourrait, si elle le voulait, vous mener tout droit à la retraite de Maurever.



– Vrai ?



– Très vrai.



– Où la trouve-t-on, cette jolie fée ?



– Ici et là, tantôt à droite, tantôt à gauche. Vous l’avez vue cette nuit.



Méloir porta la main à sa ceinture, où pendait encore le cordon coupé de son escarcelle.



– Quoi ! s’écria-t-il, ce serait ?… Gueffès eut un sourire.



– La fée des Grèves, ni plus ni moins, monseigneur, interrompit-il. Méloir cessa de manger.



– Est-ce que tu voudrais te moquer de moi ? gronda-t-il en fronçant le sourcil.



Le vent apporta le son le plus rapproché d’une seconde fanfare.



– À Dieu ne plaise ! monseigneur, répondit Gueffès ; mais voici vos lévriers qui arrivent. Quand ils seront là, vous ne voudrez plus m’écouter. Permettez-moi de mettre à profit le temps qui me reste. Si je ne peux pas faire mieux, je tiens au moins à gagner mes cinquante écus nantais. Comme je vous le disais, je vais de côté et d’autre pour avoir du pain. Partout où l’on parle, j’écoute. Y a-t-il longtemps que vous n’avez vu la cour ?



– Tout au plus une semaine.



– Un siècle, mon pauvre seigneur ! Combien de fois le vent peut-il tourner en une semaine ? François de Bretagne enfle et pâlit. À la cour du roi Charles, on commence à prononcer le mot de fratricide. Et monsieur Pierre de Bretagne, notre futur duc, a juré qu’il ferait pendre messire Jean de la Haise à la plus haute tour de son manoir du Guildo.



– Tu es sûr de cela ? murmura Méloir.



– Comme je suis sûr de voir devant moi un vaillant chevalier, répondit maître Vincent Gueffès. Quant à Robert Roussel, on le rôtira sur un feu de bois vert dans la cour du château de la Hardouinays.



Méloir était tout pensif.



– Vous n’avez rien à voir à tout cela, monseigneur, reprit négligemment Gueffès. Aussi, je ne vous dis même pas ce qu’on fera du Milanais Bastardi, de messire Olivier de Meel et des autres. Seulement, il faut vous hâter, si vous voulez conquérir Reine de Maurever, car, dans une autre semaine, souvenez-vous de ceci, monsieur Hue ne sera plus fugitif. Le vent aura tourné. Monsieur Hue trouvera protection auprès des Normands et jusque dans l’enceinte du Mont-Saint-Michel.



Une troisième fanfare éclata au pied du tertre même. Méloir ne bougea pas. La mâchoire de Gueffès souriait malgré lui.



– Voilà vos chiens, mon cher seigneur, dit-il ; je vous laisse. Quand vous aurez besoin de moi, vous me trouverez à la ferme de Simon Le Priol.



Il fit mine de sortir. Mais il revint.



– Voyons, dit-il encore de sa voix la plus caressante : Si par mon industrie, sans que mon cher seigneur s’en mêlât, le petit Jeannin était pendu…



– Va-t’en au diable, misérable coquin ! s’écria Méloir d’une voix tonnante.



Gueffès se hâta d’obéir. Cependant sur le seuil, il s’arrêta pour ajouter :



– Pendu, assommé, étouffé ou noyé, j’entends… Méloir saisit une cruche à cidre. La cruche alla s’écraser contre la porte où maître Gueffès n’était plus.



Mais Méloir entendit sa voix de damné qui disait dans la cour :



– C’est convenu, mon cher seigneur, vous ne vous en mêlerez pas !



Bellissan, le veneur, entrait à ce moment dans la cour avec trois valets de chiens menant douze lévriers de la grande origine.



Merveilleuses bêtes de tous poils, sortant du chenil de l’aîné de Rieux, sieur d’Acérac et de Sourdéac, dans le pays de Vannes et seigneur des îles.



Ces lévriers étaient dressés à la chasse d’Ouessant, à la chasse des naufragés dans les Grèves.



Car le sang de Rieux était un bon et noble sang. Là-bas, au bout du vieux monde, derrière les rochers de Penmar’ch, Rieux chassait au naufragé, comme, de nos jours, les religieux du mont Saint-Bernard chassent au voyageur égaré dans les neiges.



Hauts sur leurs jambes, musculeux, frileux, le museau allongé, les côtes à l’air, les douze lévriers, malgré la fatigue de la route, bondissaient dans la cour, jetant ça et là leur aboiement rare et plaintif.



Bellissan, la trompe au dos, les découplait et les caressait.



Le chevalier Méloir descendit.



Les lévriers sautèrent follement, puis vinrent, à la voix de Bellissan qui les appelait par leurs noms.



– Rougeot, Tarot, Noirot ! messire, dit-il en les présentant à tour de rôle et chacun par son nom ; Nantois, Grégeois, Pivois, Ardois ! Ravageux et Merlin ! Léopard et Linot ! Quant à ce dernier, ajouta-t-il en montrant une admirable bête de poil noir sans tache, il ne vient pas de Rieux ; je l’ai acheté à Dol pour remplacer le pauvre Ravot, qui est mort de la poitrine en route.



– Ils seront bons pour la chasse que nous allons entreprendre ? demanda Méloir.



– Ils sont habitués à dépister un homme, vivant ou mort, dans les rocs ou sur la grève, à une lieue de distance, messire. Donnez-leur seulement un jour de repos, et vous aurez de leurs nouvelles !



– Nous les mettrons en grève cette nuit, dit Méloir qui tourna le dos.



Bellissan avait compté sur un autre succès. Recevoir ainsi douze lévriers de Rieux ! sans une caresse ! Un regard froid et puis bonsoir !



Il fallait que le chevalier Méloir fût malade. De fait, le chevalier Méloir songeait aux paroles de Gueffès. Le duc enflait et pâlissait. On prononçait le mot fratricide à la cour du roi Charles VII, et monsieur Pierre, le futur maître de la Bretagne, avait juré que messire Jean de la Haise serait pendu à la plus haute tour de son manoir du Guildo.



Le vent tournait.



Désormais, la partie devait être jouée d’un seul coup.



À moins qu’on ne se fit des amis dans les deux camps.



Or, le chevalier Méloir était Normand à demi.



Quand notre beau petit Jeannin prit congé des hommes d’armes, au pas de course, sous le manoir de Saint-Jean-des-Grèves, ce fut pour retourner à la ferme de Simon Le Priol.



Mais la ferme de Simon Le Priol était close.



L’arrivée des soudards avait mis fin à la veillée. Le métayer et sa femme dormaient ; Simonnette était dans son petit lit en soupente. Les deux vaches, la Rousse et la Noire, ruminaient auprès du lit commun. Quant aux quatre Gothon et aux quatre Mathurin, les Mémoires du temps ne disent pas ce qu’il faisaient à cette heure.



Le petit Jeannin courait volontiers au clair de lune. Les nuits passées à la belle étoile ne l’effrayaient point, bien qu’il fût au dire de tout le monde, poltron comme les poules.



Les trous de sa peau de mouton laissaient passer le vent froid, mais sa peau, à lui, ne s’en souciait guère.



Plus d’une fois, et plus de cent fois aussi, le petit Jeannin était venu à pareille heure, à cette même place, l’hiver ou l’été, par le beau temps ou par la pluie.



Il s’asseyait sous un gros pommier, dont le tronc, tout plein de blessures et de verrues, lançait encore vaillamment ses branches en parasol.



Un pommier de douce-au-bec ma foi !



Ce sont de bonnes pommes, oh ! oui, sucrées comme les becs-d’anges (bédanges) et goûtées comme les pigeonnets.



Mais le petit Jeannin n’était presque plus gourmand depuis qu’il songeait à Simonnette.



Donc, c’était par une belle nuit de juin que notre Jeannin, assis sous son pommier et rêvant tout éveillé, avait aperçu la fée, la bonne fée.



Il s’amusait à bâtir toutes sortes de châteaux, faisant de l’avenir un joyeux paradis où Simonnette avait, bien entendu, la meilleure place, lorsqu’un pas léger effleura les cailloux du chemin.



Jeannin vit une jeune fille. Il ne dormait pas, pour sûr ! La jeune fille passa devant la porte de Simon Le Priol et prit le gâteau de froment que Fanchon la ménagère n’oubliait jamais de déposer sur le seuil, quand il n’y avait pas de bouillie fraîche.



Cela s’était passé la veille.



Jeannin avait eu peur, il s’était bien douté que cette jeune fille était une fée des Grèves.



Et certes, pendant que le frisson lui courait par tout le corps, pendant que ses petites dents claquaient dans sa bouche, il n’avait point songé à poursuivre la fée.



Bien au contraire, il avait fermé les yeux et caché sa tête entre ses deux mains.



Mais c’est qu’il ne savait pas encore, cette nuit-là, l’histoire du chevalier breton dans l’embarras.



Il ne savait pas que ceux qui parvenaient à saisir la bonne fée au corps pouvaient lui demander tout ce qu’ils voulaient.



Aujourd’hui, le petit Jeannin était plus savant que la veille.



Et ce n’était plus tout à fait pour rêver qu’il se cachait sous le vieux pommier à l’écorce rugueuse.



Il guettait la fée.



Il tremblait d’avance à l’idée de ce qu’il allait faire, c’est vrai, mais il était bien résolu.



Rien de tel que ces petits poltrons pour tenter l’impossible.



Jeannin attendait, le cœur gros et la respiration haletante.



Il s’était assuré que l’écuellée de gruau était intacte sur le seuil.



La fée allait venir.



Il attendit longtemps. La lune marquait plus de minuit lorsqu’un murmure confus vint à ses oreilles, du côté du manoir.



Presque aussitôt après, les cailloux du chemin bruirent.



La jeune fille de la veille arrivait en courant.



Il s’était dit :



– Quand la fée se baissera pour prendre l’écuelle, je la saisirai. Mais la fée passa, légère et rapide. Elle ne se baissa point pour prendre l’écuelle. Le petit Jeannin resta un instant abasourdi.



Puis, ma foi, il jeta son bonnet par-dessus les moulins et se mit bravement à courir après la fée.

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bravo Merci pour cet extrait qui nous refait découvrir les belles histoires et surtout le plaisir de lire des mots et des phrases de notre magnifique langue que l´on a tendance à oublier.

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