Aller au contenu
Rechercher dans
  • Plus d’options…
Rechercher les résultats qui contiennent…
Rechercher les résultats dans…
Admin-ccsasg

Entraîner sans dominer… Une utopie ? Une idée folle ?

Messages recommandés

Par Jean Lessard

L’idée de devoir dominer un chien ou celle de ne pas se laisser dominer par lui, de le soumettre dans une foule de situations ou d’interactions qui nous dérangent persiste manifestement avec force et vigueur. Comme si c’était un réflexe naturel chez l’être humain. Comme si nous n’y pouvions rien. Comme si nous ne pouvions apprendre à enseigner autrement. Et que nous ne nous rendions pas compte des dommages et des confusions que cela engendre.

Mais pourquoi voyons-nous donc des chiens dominants partout ? « S’il marche devant, il veut vous dominer. » « S’il mange avant vous, il veut vous dominer. » « Il mordille sans arrêt, c’est un petit dominant. » « Il grogne, il domine. » « Il fonce à la porte, il tire en laisse, il prend sa laisse en bouche, il saute… Il est DOMINANT ! »

Mais quels chiens atroces nous avons ! Ne nous laissons surtout pas faire ! Soumettons-les. Rabaissons-les au rang où ils devraient être : celui de soumis obéissants.

Vous trouvez tout cela exagéré ?

Pourtant. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai croisé un propriétaire de petit schnauzer qui étranglait son chien à répétition afin qu’il arrête d’aboyer… Parce qu’il avait vu mes chiens. Cette semaine, un berger allemand d’environ cinq ou six mois était puni à grands coups sur la laisse parce qu’il regardait mes chiens derrière lui au lieu de suivre docilement son « maître ». Pas plus tard qu’hier, un de mes clients me racontait à quel point son chiot le rendait impatient… Et qu’il n’avait pas le choix de le punir. Ho ! Punissait-il le chien à cause de ce que celui-ci faisait ou parce que lui-même était impatient ?

Certaines techniques encore trop utilisées et même abondamment encouragées en pleine télé sont dangereuses et dépassées : l’interdiction pure et simple par punitions, la confrontation, l’immersion, l’inhibition, la soumission physique, etc. Toutes les semaines, je suis à même de constater les traces qu’elles laissent sur les chiens que je vois en consultation et comment elles modifient la relation entre le propriétaire et son animal d’une manière qui n’était absolument pas souhaitée, en stimulant de la peur, par exemple, ou encore une augmentation de l’anxiété, ou pire, de l’agressivité.

Attention : je ne dis pas que ces techniques ne fonctionnent pas. La peur est un stimulus aversif puissant. Nous le savons tous pour l’avoir expérimenté nous-mêmes face aux menaces de punition de la part des parents ou à l’école ou encore face à des « ennemis » cherchant la bagarre. Je demande simplement si elles sont nécessaires. Les chiens peuvent, parfois, tenter d’établir une hiérarchie entre eux, mais nous, en utilisant ces techniques, nous sommes souvent trop sévères et même injustes. C’est carrément abusif, dans certains cas. Ces façons de faire ne sont nullement essentielles au travail de réhabilitation que requièrent certains comportements indésirables. Dans la grande majorité des cas, elles ne sont que nuisibles et aggravent la situation.

La violence engendre la violence, dit un proverbe bien sage.

Mais il faut comprendre : c’est certain que si je crois que mon chien veut me dominer, je n’aurai pas envie de le laisser faire. Si je crois qu’il faut hiérarchiser nos rapports, je voudrai le soumettre. Et à partir de la minute où nous pensons en termes hiérarchiques, nous pensons conflit, gagnant/perdant, peur, frustrations et impatiences… Quel joli cercle vicieux ! Pouvons-nous dire d’un « chef » qu’il est un bon chef parce qu’il a la capacité de faire peur ?

Je parle en connaissance de cause pour l’avoir moi-même expérimenté. J’ai déjà confronté des chiens, j’en ai puni, j’en ai soumis. J’ai même déjà soumis un chien devant d’autres chiens qu’il craignait ! Heureusement, j’ai vite appris de ces erreurs de débutant. Je me suis rapidement rendu compte que c’est notre façon de voir les choses qui nous fait agir de telle ou telle manière.

L’impatience, en n’importe quoi, est toujours signe de faiblesse, disait Vittal Rao (un philosophe indien connu sous le nom de Swâmi Râmdâs). Louis XIV pensait pour sa part que c’est toujours l’impatience de gagner qui fait perdre. Même Confucius pensait en ces termes : « une petite impatience ruine un grand projet ».

Alors, si nous agissions sur nos impatiences plutôt que de les subir en victime et les faire subir à nos chiens ?

Se pourrait-il que la croyance en une hiérarchie à établir absolument nourrisse nos impatiences ? Si je voyais mon chien autrement que comme une bête qui veut dominer toute chose, tout être et toute situation ? Si j’expliquais ses comportements indésirables autrement qu’avec cette seule grille d’analyse, ce seul point de vue ? Si, en constatant les résultats que j’obtiens avec ces techniques désuètes; évitement, peur, signaux d’apaisement à profusion, etc., je m’arrêtais tout de suite et me posais la question : qu’est-ce qui cloche ? au lieu d’en remettre et d’insister sous prétexte que le chien ne comprend pas, ou pire, qu’il me tient tête ?

Les techniques d’entraînement basées sur l’utilisation du renforcement positif font appel au raisonnement plutôt qu’à la soumission par peur. Cela fait toute une différence, non ? Les animaux sont des êtres pensants et ont des sentiments et des émotions. Ils ont, tout comme nous, le désir d’éviter la souffrance et de rechercher le bien-être. Ne pas reconnaître ces faits, c’est faire preuve d’ignorance et d’irrespect.

Voyons ce qu’en pensent certains experts qui jouissent d’une énorme reconnaissance de leurs pairs[1] :

Dre Patricia McConnell détient un doctorat en Zoologie de l’Université du Wisconsin-Madison. Elle a fait sa recherche sur les comportements canins et la communication entre les entraîneurs professionnels et les animaux domestiques.

« La source de la plupart des problèmes de comportement est une mauvaise communication et non un problème de dominance » souligne-t-elle. « Soit les chiens ne savent pas ce que souhaitent leurs maîtres, soit nous leur avons enseigné le mauvais comportement par mégarde. » Elle affirme aussi : « La plupart des problèmes de comportement peuvent être solutionnés en enseignant aux maîtres comment apprendre à leurs chiens à faire ce qu’ils veulent en utilisant la science de l’apprentissage chez les animaux. »

Janis Bradley, entraîneure de San Francisco, ajoute : « le chien se trouve dans un état de désarroi lorsqu’il est dans ce que certains entraîneurs, même à la télé, appellent une « soumission calme ». Les comportementalistes définissent plutôt cet état comme un stress chronique pouvant provoquer certains mécanismes de défense comme l’agression. »

Nicholas Dodman, directeur de la clinique du comportement animal de l’école de médecine vétérinaire Cummings à l’Université Tufts, affirme que la punition, qui consiste à poser un geste aversif comme donner un coup ou tirer sur la laisse ou encore frapper, et l’immersion, où le chien se retrouve « submergé » dans quelque chose qu’il n’aime pas du tout sont des outils poussiéreux mis en vogue par des militaires à la main dure.

Andrea Arden, entraîneure à Manhattan, raconte qu’elle a une cliente qui a reproduit des techniques vues à la télé, comme s’approcher du chien et le pincer, l’attraper par le cou et l’immobiliser au sol et commente : « Il n’est pas surprenant que le chien en question ait été la cause des cinquante points de suture faits à la figure de la dame. »

Joan Orr, dans le bulletin d’avril dernier de la CAPPDT (Canadian Association Of Professional Pet Dog Trainers), nous rappelle que l’apprentissage a lieu quand un chien se sent bien et confiant. Que la peur de la punition empêche l’assimilation de bons comportements. « Les recherches scientifiques, précise-t-elle, ont défait le mythe de la dominance aisément. Trouvez un entraîneur qui n’y croit plus et qui ne cherche pas à montrer qui est le patron. »

Vous en voulez plus ?

Selon une étude publiée par le département de science vétérinaire clinique de l’université de Bristol’s, les chiens ne seraient aucunement motivés par le maintien de leur place dans une hiérarchie et les méthodes coercitives axées sur la réduction de la dominance seraient non seulement inutiles en réhabilitation mais empireraient les comportements indésirables et seraient même dangereuses.

La très réputée Dre Karen Overall, chercheure au département de psychiatrie de l’école de médecine de l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie a dirigé un groupe de 23 vétérinaires en médecine comportementale avancée afin de créer un document présentant une liste de recommandations sur comment choisir un entraîneur. « En général, les entraîneurs ayant recours aux colliers étrangleurs et aux coups sur la laisse sont punitifs. Ils punissent les chiens pour ce qu’ils ne font pas au lieu de les récompenser lorsqu’ils font quelque chose de bien. J’ai vu tellement de gens dévastés quand ils ont constaté que leurs chiens étaient devenu anxieux ou agressifs suite à l’utilisation de mauvaises méthodes d’entraînement. Nous savons comment les chiens apprennent le mieux et ces méthodes et outils découragent l’apprentissage, sans mentionner qu’ils peuvent blesser le chien et même endommager son fonctionnement psychique. »

Le document recommande l’utilisation de la récompense (afin de motiver), de licous, de harnais ou de colliers plats et bien sûr, de renforcements de toutes sortes. Il mentionne aussi le clicker comme outil favorable aux apprentissages, dans la mesure où les gens ont bien appris à s’en servir. Dre Overall suggère d’assister à un cours d’obéissance avant de s’inscrire afin de pouvoir observer l’entraîneur en action : « Les chiens et les gens dans la classe devraient avoir l’air heureux. »

Voilà la clé :

Que les deux aient l’air heureux. Le chien et le propriétaire. Voilà une situation gagnant/gagnant. Nous sommes là pour aider nos chiens à comprendre comment vivre parmi les humains. C’est un défi énorme pour eux ! Arrêtons de croire que nous devons les empêcher de faire des bêtises. Ils ne sont pas « bêtes » et peuvent apprendre aisément une multitude de choses. Il existe aujourd’hui une quantité phénoménale d’information sur des techniques d’entraînement plus adéquates et douces. Fouillez le Web et vous découvrirez à quel point il est facile de trouver des solutions différentes afin d’amener le chien à collaborer, et qui plus est, avec plaisir, dans toutes sortes de situations que nous trouvons déplaisantes, impossible à solutionner et qui nous impatientes au point de se fâcher démesurément et même d’abandonner.

Le chien qui produit des comportements indésirables manque peut-être tout bonnement d’activité et se cherche une occupation. Le chien qui protège son os ne pense pas à vouloir établir une hiérarchie claire et immuable; il protège son os parce qu’il y tient en ce moment. Présentez un os à un chien affamé et à un chien supposément très dominant qui viendrait de manger un énorme repas. Lequel voudra protéger l’os ? L’affamé, bien entendu. Les chiens qui agressent afin d’obtenir ce qu’ils désirent ne démontrent aucunement leur statut de dominant. Ce comportement est plutôt basé sur une forme d’anxiété qui ne fera qu’augmenter si l’animal est confronté à des menaces verbales ou physiques provoquant plus de stress, donc plus d’anxiété et plus d’agressivité.

Il nous faut quitter ce concept de dominance qui nous piège sans fin. Observer attentivement vos pensées, vos paroles et vos gestes. Et si vous croyez qu’une vision ou une attitude différentes pourraient vous mener vers une meilleure relation avec votre chien, n’hésitez pas à les explorer. Pour son bien à lui mais aussi pour le vôtre.

Et si vous êtes de nature impatiente, de grâce, n’adoptez pas de chien ou amorcez un travail sérieux sur votre tempérament…

Jean Lessard est éducateur canin et comportementaliste affilié à l’Hôpital Vétérinaire Rive Sud. Journaliste, auteur et conférencier, on peut lire ses chroniques dans les magazines et l’entendre à la radio et à la télévision. Il a publié Comme un chien chez Le Jour, éditeur et collaboré aux ouvrages La Zoothérapie, une thérapie hors du commun, publiée aux Éditions Ressources et Comportement chez le chien et le chat; observer, comprendre, modifier, publié aux éditions CCDMD. Il a mis sur pied le Chienposium, premier et unique symposium annuel francophone en obéissance et en comportement canin en Amérique, a fondé le programme de formation professionnelle en zoothérapie (PFPZ) et le CIZ (congrès international de zoothérapie). Il dirige le programme de zoothérapie Grandir avec Maggie dans une école primaire de Montréal.
Son site : www.jeanlessard.com
Son blogue : www.leducateurcanin.wordpress.com/

Partager ce message


Lien à poster
Partager sur d’autres sites
intéressant mais rien de nouveau pour moi, il reprend des idées déjà exprimée par d'autres.

Partager ce message


Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Y'a rarement des choses nouvelles dans le monde du chien. Wink
C'est une bonne synthèse je trouve, qui répond à beaucoup de questions que les gens peuvent se poser.

Partager ce message


Lien à poster
Partager sur d’autres sites

×
×
  • Créer...