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kti

LA NUIT DE LA HONTE par Kti

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Je vais vous raconter l'histoire.....

Jour après jour

Et vous allez comprendre

C'est un bouquin qui s'intitule «La nuit de la Honte», signé de moi.

Aujourd'hui, les premières pages.


Ce soir de réveillon 91, Victoire tremble de peur dans l’ascenseur. Peu habitué à veiller si tard, Nico est fatigué. Il envoie un violent coup de pied à son petit frère David :
— Non, c’est moi pour monter !
David Hurle et Victoire en oublie un instant l’essentiel :
— Calmez-vous les enfants, on arrive.
Elle est trop lasse pour expliquer à ses deux rejetons, une fois de plus, que le petit appuie sur le bouton zéro lorsqu’ils descendent et que le grand se charge du deux pour monter. Elle a hâte de rentrer, d’enlever sa tenue de fête, d’enfiler leurs pyjamas aux enfants. Elle a hâte de s’enfermer dans sa chambre. En ce jour de décembre, le dernier de l’an 91, elle a commis «La Faute». On ne défie pas la Mafia…

A 23 heures, les enfants sont au lit. Victoire respire un peu. Elle a décidé, pour une fois, de les garder contre elle toute la nuit. Le père lui interdit d’ordinaire cette marque d’affection qu’il juge incestueuse mais Victoire n’est plus à ce détail près, elle a besoin de leur force pour assumer le lendemain, elle a besoin de leur odeur pour fêter, à sa façon, cette année qui commence, loin des flonflons et du champagne, juste eux contre elle, juste l’amour de ses deux fils, juste le réconfort de leur existence…

Panique : à 23 heures 03, la clef tourne dans la serrure de la porte d’entrée. Les enfants bondissent hors du lit, sensé matrimonial il y a trois semaines encore, les enfants, insouciants, accueillent leur père avec des cris de sioux. Philippe franchit le seuil les bras lourds de paquets.
Victoire sait qu’il n’y a rien pour elle. Elle suit son mari des yeux, elle le regarde se décharger devant le magnifique sapin qu’elle a décoré pour Noël. Sous les banderoles et d’un geste nerveux, Philippe, sans même lui avoir dit bonsoir, s’attaque au bolduc qui entoure les paquets. Les enfants hurlent de joie :
— Chic ! Un déguisement de cow-boy ! Super ! Une voiture téléguidée !…

Vic assiste, impuissante, au délirant bonheur de ses gosses. Le Père Noël est passé chez mamy, le Père Noël passera chez maman… Victoire le sait, rigole, prend des photos. Elle a saisi au vol le regard lourd de son époux. Elle va payer, Victoire le sait.


Philippe a recouché ses deux fils dans leurs lits et fermé la porte de leur chambre. Victoire revient de chez ses parents où elle a grignoté sans boire. S’est avalé un Lexomil entre deux petits fours puis a demandé à son père de la reconduire sans attendre le douzième coup de minuit. Elle voulait rentrer avant Phil mais puisqu’il était là :

— Philippe, il faudrait que nous parlions, calmement… Préfères-tu attendre demain ou discutons-nous maintenant ?
Très posément, Philippe répond :
— Je suis à ta disposition, «mon amour».
Vic s’installe donc dans le fauteuil tandis que lui s’assied en face, sur le canapé.
Bon, commence-t-elle avec courage : tu n’es pas sans savoir que j’accepte la séparation, et que j’en ai parlé avec ta mère au téléphone ce midi.

— Oui, se contente de répondre Philippe.
— Bon (et chaque nouvelle phrase est un effort). Tu sais peut-être aussi que j’ai proposé deux solutions : tu te trouves un appartement et me laisses celui-ci pour les enfants, ou je pars, moi, dans quelque chose de plus petit, avec les enfants…
— Oui.
— J’aimerais connaître ton choix et ce qu’en dit ta mère.
— Mon choix est clair : je cherche l’appartement depuis un mois, je ne l’ai pas encore trouvé, et j’ai pris contact avec un avocat. L’idéal serait un divorce à l’amiable.
— Qu’entends-tu par là ?
— Nous nous mettons d’accord sur tout, nous n’avons plus qu’à signer, pour 6000 fcs, le divorce est réglé en trois semaines.
— D’accord sur tout ?… Alors, commençons par les enfants.
— On se les partage.
— C’est-à-dire ?
— La garde conjointe, moitié chez toi, moitié chez moi.
— Donc nous ne pouvons pas divorcer à l’amiable.
— Pourquoi ?
— Parce que moi, je veux la garde de mes enfants. Ils seront domiciliés chez moi, je te les laisserai un week-end sur deux et tous les mercredi, plus la moitié des vacances.
— Donc tu comptes m’empêcher de revoir mes enfants ? (le ton devient grinçant).
— Je n’ai pas dit ça. Je veux le système classique : l’autorité parentale conjointe et la garde à la mère. Ils ont deux et quatre ans, à cet âge-là, ils ont plus besoin de leur mère que de leur père. Et ils sont trop petits pour naviguer d’une maison à l’autre. Lorsqu’ils atteindront dix, douze ans, on pourra changer de méthode…
— Donc, je répète, tu veux m’empêcher de voir mes enfants ? (le ton monte dangereusement).

Vic joue les fatalistes, son mari commence à l’effrayer mais elle ne doit pas le lui laisser percevoir, elle ne doit pas surenchérir :
— Si tu veux comprendre les choses comme ça, comprends-les comme ça…
— OK, OK. Mais je te préviens (il menace des yeux) : chaque week-end que je les aurai, chaque vacances que je les aurai, tous les jours, je leur répèterai : «Si vous ne voyez pas plus souvent papa, c’est à cause de maman». Et tu verras comme ils seront tordus au bout du compte…
— Effectivement, si tu dis ça…
— C’est donc ce que tu souhaites : que tes enfants soient tordus… Tu te fiches complètement de leur équilibre.
— Je suis loin de m’en fiche, mais l’idée du bourrage de crâne n’est pas de moi… Si tu le prends comme ça, que veux-tu que j’y fasse ?
— Accepte la garde conjointe.
— Il n’en est pas question dans l’immédiat.
— Bon. (et ses yeux sont des poignards, et ses masséters sont serrés, comme un Berger Allemand prêt à bondir).
La peur s’emballe d’un coup, le feu patiemment attisé prend enfin, Vic maîtrise de justesse ses tremblements tandis que Philippe continue :
— OK, OK… Tu vas faire des enfants dégénérés, je te répète que tous les jours, je leur dirai ces mots…

Elle l’interrompt, se lève du fauteuil :
— Je crois qu’il vaudrait mieux aller se coucher, tu es en train de perdre ton sang-froid et je suis fatiguée…
Surtout, il a ses yeux de fou, comme le jour où il a manqué de la tuer, où il a serré si fort ses doigts autour de son cou qu’elle a senti le sang lui battre aux tempes ; comme le jour où, devant Nico bébé, il s’est emparé d’elle et l’a violemment projetée sur le lit. Elle se dirige vers sa chambre, lentement, et pourtant elle a hâte d’y être pour s’enfermer à clef. Elle entend :
— C’est ça, va te coucher conasse !
Elle ne doit pas répondre à l’insulte, elle ne doit pas relever l’affront, elle s’est faite aux injures, depuis cinq ans qu’elle les subit, depuis cinq ans qu’elle a conçu Nico… Et pourtant elle répond, plutôt que de courir s’enfermer, elle perd trois secondes à répondre au dément, l’orgueil sans doute, l’orgueil qui va la perdre :
— Oh tu sais, articule-t-elle avec lassitude, conasse, poufiasse, flemmasse, trou-du-cul merdeux… j’ai l’habitude…
Son flegme quoique artificiel encourage Philippe à la suivre. Dans le couloir, il continue :
— C’est ça que tu souhaites, avoue-le, c’est tordre tes enfants, n’est-ce-pas ? Tu n’en as rien à foutre, dans le fond… Ce que tu veux, c’est te les approprier, les avoir pour toi toute seule, de toutes façons, c’est pour TOI et uniquement pour TOI que tu les as faits !!!

La voix de Philippe explose à présent. Vic est derrière la porte de sa chambre, au lieu-dit «sécurité» mais lorsqu’elle tente de la fermer, Philippe la bloque avec son pied. La minute est insupportable mais Victoire la supporte :
— Allons nous coucher Philippe, retourne sagement dans ton salon, nous en reparlerons, j’ai sommeil.
Mais lui insiste, le pied coincé :
— Tu n’as pas honte ? Tu veux les garder sans même voir leur intérêt !… C’est bien ce que je disais : tu es une EGOISTE qui a fait des enfants pour elle !!!
Vic s’étonne de son self-contrôle : sois calme ma fille, sois calme, vire-le, il est devenu complètement dingue… Elle crois trouver la solution, elle connaît son esprit de contradiction, si elle lui donne raison, il va abandonner :
— D’accord : tu as raison sur tout, je suis une mère indigne, j’ai fait les enfants pour moi, je me fiche pas mal de les détraquer…

Elle abonde dans son sens pour qu’il la laisse, pour qu’il débloque son pied de la porte et qu’elle puisse la fermer à clef. Elle échoue. Dès cette phrase finie, une seconde, elle voit les yeux de fou exorbités, elle sent deux mains puissantes lui étreindre les épaules, elle ne touche plus terre, vol plané, elle atterrit sur la moquette.
Le blanc.
Un écran blanc occupe l’espace, une douleur aiguë lui transfixe la nuque, elle ne peut plus bouger, elle sent le bois du meuble contre lequel elle a cogné, elle entend, comme dans un rêve de l’au-delà : «Victoire !… Qu’est-ce-qu’il y a ?… Relève-toi ! Parle-moi !…» Elle ne peut pas se relever, elle ne peut pas parler.
Explosée comme un verre jeté par terre de rage…
Le blanc de son cerveau se colorie soudain : une multitude de scènes défile à toute allure, sans queue ni tête, des bribes de vie qui lui semblent vécues, d’autres qui ne lui disent rien, elle gît sur la moquette, anéantie.

Elle se souvient qu’au moment de la mort, la vie défile. Elle pense qu’il lui a rompu le cou et qu’elle est en train de mourir, tout simplement. Mourir un premier de l’an, des mains d’un assassin… Le cinéma des images continue, comme si elle était par instant très consciente, à d’autres victime d’hallucinations. Elle se souvient de son oiseau Coco, au cou cassé d’avoir voulu volé contre la fenêtre, tombé en perpendiculaire et qui n’a plus volé, de ce médecin martyre dont elle a lu l’histoire ce matin au bureau : violée, violentée, puis salement égorgée par un toxicomane en mal de drogue.

Elle voit du sang sur la moquette, elle ne sait d’où il sort.

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Invité val
:bravo: :bravo: :bravo:

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Victoire est enceinte de deux mois et demi.

Elle a été nommée interne du premier coup, à Paris, et a choisi la spécialité qu’elle briguait. Sa grossesse se poursuit tranquille, elle gagne correctement sa vie à l’hôpital le matin et tricote l’après-midi dans son deux pièces. Philippe ne vit pas avec elle. Lors du premier essai, il n’a décroché que la province et partira le mois prochain. En attendant, il n’a pas jugé utile de chambouler le train-train de son existence. Il habite chez ses parents et passe baiser Victoire lorsque sa queue le lui ordonne.
Il a très mal vécu l’annonce de cette grossesse. Il a quitté Victoire, l’a menacée de la faire avorter, est allé jusqu’à prendre rendez-vous chez le gynécologue. Mais elle a tenu bon. A la question : «C’est lui ou moi ?», elle a simplement répondu : «C’est lui» et Philippe est revenu.

A présent, Vic aimerait que le géniteur s’investisse davantage. C’est son côté bourgeois. Entre autre, depuis deux ans qu’elle le fréquente, elle aimerait, si ce n’est trop demander, être présentée à ses parents. Philippe résiste, il doit bosser pour le second tour et ne veut pas d’ennui, il juge sans doute qu’elle n’est pas la belle-fille idéale, il est coincé et il lui fait payer. Donc il résiste, jusqu’à ce jour d’avril où il propose un rendez-vous chez lui, genre guet-apens : «Quand ma mère rentrera, je lui dirai tout.»
Vic marche, arrive à l’heure fixée, découvre le pavillon charmant et le jardinet propret, voit déjà son bambin courir avec ses frères se cacher sous les arbres en poussant des cris de guerre. Philippe a choisi la robe qu’elle devait porter : «Surtout, n’en fais pas trop… Surtout, ne l’ouvre pas…» OK, OK, Vic est plutôt rebelle mais sait se bien tenir en les grandes occasions. Ce samedi en est une. Elle guète, les mains moites, l’arrivée de ses futurs beaux-parents.

A 18 heures, mère et grand-mère débarquent. Philippe tord nerveusement ses doigts, Vic s’est assise du bout des fesses sur le canapé du salon télé. Smack, smack, Bonjour mon fils, tu as bien travaillé ?… Pas une phrase ne lui est adressée, pire, pas le moindre regard ne se pose sur elle. A cet instant, Vic envie le génie d’Aladin et cherche désespérément des yeux la lampe dans laquelle elle pourrait disparaître.
Lorsque tous trois changent de pièce, pour la cuisine, croit-elle, elle se demande encore ce qu’ils fichent là, sa graine qui pousse et elle. Elle aurait bien crier, crier à ces deux femmes qu’elle portait leur progéniture, elle aurait bien couru jusqu’à la porte, une fois l’esclandre commis, mais Philippe lui a fait promettre la sagesse, aussi attend-elle dix minutes, les fesses pincées sur ce canapé recouvert d’un plaid, dans cette pièce au papier fleuri suranné, attend-elle qu’on la sonne.

Et personne ne la sonne.
Elle se risque donc jusqu’à la cuisine.
Les femmes papotent devant le grand benêt. Sur la table reposent semoule, citrouille et Harissa. Le couscous du lendemain se prépare. La vieille dit à la moins vieille :
—J’espère que Sophie viendra. As-tu pensé à inviter Sophie ? (Sophie est la fiancée du frère aîné de Philippe. Pas vraiment sexy mais bien sous tous rapports. Juive en tous cas.)

— J’y ai pensé mais je ne sais pas. J’ai appelé Simon, il va confirmer ce soir.
— Ce serait bien, répète la vieille, que Sophie puisse venir…

Le grand benêt n’ouvre pas la bouche. Victoire croit mourir de la honte, mais la honte ne tue pas. Il se retire avec sa mère, une histoire d’ourlet de pantalon, si Vic a bien compris. Mais comprend-elle ?
Seule à son triste sort, la vieille semble perplexe, tourne et retourne devant la cuisinière. Victoire se lance :
— Peut-être puis-je vous aider ?
— Je ne sais pas comment s’allume cette machine.
— Ne bougez pas, je vais le faire.
Et Vic, enfin, se trouve une contenance, tourne la manette, le voyant rouge s’éclaire, la vieille ne dit même pas merci.

Philippe pousse la politesse jusqu’à ramener Victoire chez elle. Victoire et son enfant puisque malgré l’épreuve, l’enfant n’est toujours pas tombé.
Dans la voiture, sur le trajet, il ne desserre pas les dents.

Dans la voiture, le lendemain, parce qu’elle demande : «Alors ? Comment m’ont-elles trouvée ?…», il répondra : «Sans-gène».

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— Dis donc ! Qu’est ce que tu as grossi !!! Et où tu as trouvé cette robe ?… On dirait l’un de ces trucs immondes spéciaux pour femmes enceintes !…
— Je suis enceinte, mon amour…

Vic s’est considérablement arrondie ces derniers temps. Elle entame son cinquième mois et n’a pas vu Philippe depuis trois semaines. Il ne se déplace plus jusqu’à Paris, et elle n’a pu venir avant, bloquée par trois gardes successives.

Victoire déchante un peu. Blois est ensoleillé et nonchalant mais le futur papa l’accueille machoires serrées.
C’est vrai, elle est en cloque, et elle n’est pas peu fière. Depuis le temps qu’elle se souhaitait ainsi ! Elle s’étonne de l’abondance de ses cheveux, domestiqués pour l’occasion par des peignes colorés que Phil arrache d’un geste brusque («Qu’est ce qu'il te prend de jouer les stars !»)
Elle bombe le ventre, exagère la cambrure, se plaît en femme enceinte, et adore cette toute nouvelle robe, tissu indien, coloris fauves.
Le bébé bouge depuis peu, elle se concentre sur les coups de pieds la nuit. Incrédule, elle multiplie les échographies, pour la suivre de plus près, cette petite bestiole qui vit en elle.

— Bébé se porte bien. Tu veux voir les photos ?
— Mouais… On a tout le temps…
Assise à l’avant de la voiture, Victoire découvre les remparts de Blois, les vitrines de Blois. Elle se promet de s’y promener au plus vite, propose une balade à Phil. Mais lui n’a pas envie, il connaît le quartier par cœur et son travail l’attend. Plus tard, plus tard, lorsqu’il faudra se nourrir.
Il se gare dans une résidence, à quelques kilomètres du centre. S’est trouvé un studio confortable en rez-de-jardin, sur les berges de la Loire. D’emblée, Vic est conquise.
Elle ne sait pas encore que ces berges-là puent, que les insectes s’y complaisent, que le cumulus de la salle de bain se charge toutes les heures dans un boucan d’enfer et qu’elle n’aura JAMAIS de pain frais le matin.
L’unique pièce, spacieuse, est occupée d’un lit deux places, d’une télé couleur en face, de quelques gros coussins à même le sol, et d’une immense table d’architecte jonchée de feuilles blanches, stylos, marqueurs, brouillons, revues scientifiques. Les polycopiés de conférences d’internat, soigneusement empilés dans des cartons numérotés et légendés, mangent cinquante pour cent de la moquette.

Vic est venue avec ses pelotes, jubile, Pingouin crèche également à Blois, elle pourra y courir sitôt en manque de laine. Pour l’heure, elle aimerait surtout que Philippe s’occupe d’elle. Seule à paris, Victoire a constaté l’incontestable : le désir de la femme enceinte persiste.
Malgré la nausée permanente, le gros ventre et l’exaspération des seins, le désir ne s’atténue pas. Pire, il décuple.
Et Vic qui n’a pas été caressée depuis des semaines n’a qu’une envie : baiser.
Alors elle se gondole sur le grand lit deux places, et envoie des œillades et des sous-entendus. Passe même sous la table d’architecte.
Mais Phil reste inflexible. Froid comme le pôle, à peine ne lui envoie-t-il pas le coup de pied vengeur qui la dénichera de là.

Lors des repas, il est odieux. Elle n’a pas le droit de se resservir («Tu as vu comme t’es grosse ?»). Privée de dessert, comme à dix ans. Privée de cigarette («Tu veux l’enfumer, inconsciente !»). Privée de baise, privée de pain, privée d’amour.

Par bonheur, Phil n’est pas seul à Blois. L’ami commun François s’est installé dans un studio en centre ville et lui est charmant avec Vic, et rêve d’un enfant et répète à Philippe : «Tu réalises la chance que t’as ?» Et Phil devant François retrouve des manières humaines.
Et Victoire chaque fois retombe dans le panneau.
Au point de revenir, et revenir encore. De plus en plus grosse, de plus en plus handicapée, elle reviendra, pour se faire insulter à Blois.
Et tricotera, des heures durant, tandis que le promis travaille dehors, ou derrière sa table, ce qui est pire puisque Vic n’a pas le droit de parler, ni de bouger, ni même de tirer la chasse d’eau.

Et l’attendra les valises pleines de bouffe, sur ce quai de gare la nuit tombée, parce qu’il a «oublié» de passer la chercher.
Et l’attendra, dans multiples troquets, parce qu’il n’est pas venu, comme convenu, la rejoindre comme prévu, devant le magasin prévu.
Ce jour-là, elle shoutera dans l’égouttoir et les casseroles et les tapis de bains achetés pour lui, pour qu’il soit mieux dans son nouveau décor.
Ce soir-là, elle pleurera devant son Vittel menthe, parce qu’elle a essayé le numéro tous les quarts d’heure, au Pénalty.
Cette nuit-là, elle le laissera l’étrangler, sans se défendre.
Parce qu’elle porte leur enfant et qu’il ne veut pas de cet enfant, parce que c’est sa faute à elle et qu’elle s’est accordé le droit de mourir.
Mourir des mains du père parce qu’il ne veut pas de cette famille, et que cette famille est sa seule raison de vivre.

Et même si le lendemain Victoire avale difficilement, souffre à chaque bouchée, elle sait qu’elle reviendra.

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Jean-Pierre Foucault.

Que vient donc faire Jean-Pierre Foucault dans cette histoire ? Victoire l’aurait-elle rencontré ?
La douleur insensée lui revient aux entrailles. La douleur d’une femme sur le point d’accoucher et qui regarde «Sacrée Soirée» à la télé. Elle lâche son tricot, note l’heure, compte ses mailles, la vague douloureuse l’immerge de nouveau.
Vic souffre toutes les vingt minutes et paradoxalement, chaque nouvel assaut l’emplit d’une joie électrique. Cette fois elle en est sûre, la naissance du petit est imminente.

— Allo ? Bonsoir Samuel, c’est Vic. Pardonnez-moi de vous déranger mais pourriez-vous me passer Philippe ?
— Ne quittez pas.
— Allo Philippe ! Ca y est !… Ca y est !… Crie-t-elle toute excitée.
— Quoi «Ca y est» ? répond Philippe avec morgue.
— Ca y est !… C’est pour ce soir !… Le petit !…
— Arrête, arrête …
— Mais si ! J’te jure, j’ai noté l’heure et les contractions sont très régulières…
— Arrête, j’te dis… Je suis en pleines révisions et tu m’as déjà fait le coup hier…
— Mais cette fois-ci c’est bon, c’est sûr… Je… Et la vague lui coupe la parole, Vic retient sa respiration, serre les dents, jusqu’où va-t-elle monter ? Vic attend le reflux :
— Tu vois, douze minutes depuis la dernière, c’est pas des blagues et ça fait drôlement mal…
— Tu veux que je vienne alors ? demande Philippe avec la voix du type qui préfèrerait le négatif.
— Il FAUT que tu viennes !…
— T’es sûre ?… Vraiment, vraiment, vraiment sûre ? insiste Philippe… Parce que tu comprends, je n’ai plus qu’une semaine pour plancher mon concours…
— Si je te le dis : C’EST POUR CE SOIR !
— Bon, j’arrive, conclut-il à contre-cœur.



La naissance d’un enfant, on ne le répètera jamais assez, est le plus beau moment de la vie d’une femme.
Atrocement douloureux, si douloureux qu’on imagine ne jamais y survivre. Les contractions, insupportables, s’intensifient, se multiplient, tandis que la future maman, soudée à la table gynécologique par les bandes élastiques du monitoring, ne peut pas même remuer, se replier, tenter de vaincre ces déchirements ou de les atténuer en changeant de position.

Philippe est à côté de Victoire, dans la minuscule salle de travail. Il saute en tous sens, profite des rares instants où elle ne souffre pas pour lui réciter ses questions d’internat. Il est venu avec ses fiches, de petits bristols à carreaux sur lesquels il a résumé l’essentiel. Vic doit garder le sourire, Philippe ne vit pas sa douleur et la charrie lorsqu’elle se plaint. Vic n’a pas envie de se plaindre, du reste. Elle est tellement heureuse de souffrir pour son fils ! Elle sait depuis quatre mois qu’il s’agit d’un garçon et le prénom est déjà choisi. Victoire l’aurait appelé Olivier, Philippe n’entendait que David, ils s’étaient finalement mis d’accord pour Nicolas. Nicolas, Samuel, Charles Lévy. Lévy comme son papa.

Depuis sept heures qu’elle souffre, Nicolas Samuel Charles se décide enfin à sortir. L’accoucheur installe alors la future mère, jambes ouvertes sur les étriers. Vic s’étonne de sentir le crâne de son enfant l’écarteler et résiste, parce qu’on le lui demande, à la formidable envie de pousser qui l’assaille. Elle ne veut pas que Philippe assiste à l’expulsion. La salle est trop petite pour qu’il reste derrière la table, la sage-femme et l’accoucheur l’entourent et Victoire est pudique. Elle a entendu dire que certains hommes, après, ne pouvaient plus toucher leur femme, elle craint de manquer d’efficacité si elle sait son amant en face.
Philippe insiste, Vic ne cède pas. Philippe s’énerve, Vic argumente :
— Mon chéri, laisse-moi travailler, laisse-moi te faire un beau bébé. Tu sais qu’on avait décidé, depuis le début, que tu ne resterais pas.
— Et alors ! tonitrue le père, on a le droit de changer d’avis !!! Qu’est-ce-que tu es rigide ma pauvre fille !!! Et il sort furibond remonter dans la chambre.

Lorsque Victoire lui téléphone, une dizaine de minutes plus tard, pour lui faire partager sa joie, lui annoncer que leur premier garçon est parfait, avec de grands yeux noirs et tous ses doigts, Philippe ne répond pas car il s’est endormi.

Nicolas a sept jours lorsque son père passe le concours. Philippe n’est venu qu’une fois à la maternité et c’est sa mère Rachel qui s’est chargée du retour jusqu’à la maison.
Nicolas a quinze jours lorsque son père part pour l’armée.

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Bonjour Samuel ! Bonsoir Rachel !


Nico braille à tous va, dans le couffin en plastique transparent de la maternité. C’est l’heure de la tétée, Vic sent la montée de lait lui tirailler les seins.
Elle tache sa chemise de nuit, le fade liquide sort de lui-même, dégorge sur les coussinets du soutien-gorge, dégouline le long du buste et s’accumule entre les plis du ventre, ce ventre si tendu la veille et si flasque aujourd’hui, ce ventre désaffecté dont elle était si fière avant, lisse et musclé, plat et doré. La maison du bébé s’est effondrée et les ruines, comme des regrets, rebondissent sur le corps de la jeune maman qui n’a pas dormi de la nuit.

«Bonsoir Samuel, Bonjour Rachel !»

Victoire rencontre ses beaux-parents.

Ils sont arrivés les mains pleines, les chocolats Léonidas, le cake maison confectionné avec amour, et une première brassière, pour le petit, des fois que Vic n’y aurait pas pensé…
Mais Vic a tout prévu, depuis neuf mois qu’elle prépare la naissance : l’allaitement et les rototos, le hochet et les chaussons bleus. Elle serait plus méchante, elle les enverrait bouler, ces gens qui n’ont jusque-là jamais fait l’effort de la connaître. Mais elle pense au bébé, et ce petit convoi l’émeut :

— Philippe nous a dit que vous étiez d’accord pour la circoncision…

Samuel est grand-père et Rachel grand-mère pour la première fois, elle n’a pas le droit d’intervenir, de séparer les vieux du nouveau-né, de refuser l’émotion de ce premier contact. Samuel sautille, il ne peut s’empêcher d’attraper la crevette rouge qui braille et braille. Il gagatise :
«Alors, mon tout petit, on ne fait pas risette à son grand-père ?»

Vic ne veut pas que l’on touche à son tout petit. Il est neuf comme la vie qui commence et elle craint les microbes. De mauvaise grâce, elle assiste au spectacle de son fils qui passe en hurlant de bras en bras. La mémé est venue aussi, avec foule recommandations, et revendique aussi son sourire.
Dieu qu’il faut donc d’abnégation pour accepter une telle épreuve ! Ces gens, ces inconnus, parce qu’ils ont élevé Philippe, ont la permission de jouer avec ce qu’elle a de plus cher, la permission de postillonner de joie au visage de celui dont hier encore, ils ne voulaient entendre parler !…

— Allo ? C’est Philippe. Je viens d’annoncer la nouvelle…
— Alors ? s’interrompt Vic entre deux mailles et le cœur battant.
— Alors c’est la cata ! Ma mère me fait la chiasse et je te parle pas du savon de mon père…
— Il fallait t’expliquer avant… On n’attend pas huit mois et demi de grossesse pour annoncer à ses parents qu’on fréquente une fille et qu’elle va accoucher…
— Je sais, je sais…
— Enfin, c’est dit ; on va être tranquille maintenant.
— Tu parles ! C’est la panique à la maison…
— Ne t’en fais pas, tout va rentrer dans l’ordre, tu vas voir.

Et Vic raccroche, laisse exploser ses larmes : la naissance de son premier fils baigne dans le caca.
«Ne t’inquiète pas mon Ange, maman est là, et maman sera toujours là», rassure-t-elle en caressant son ventre.

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A bientôt pour la suite

De relire tout ça...... boum boum boum boum

Merci à vous, mais moi, ça me rend malade !

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Ca ne fait qu'empirer après

Vous êtes d'attaque ???

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Victoire allaite, pouponne, chaque jour sollicitée par Rachel et la vieille dont l’engouement brutal paraît suspect. Elles prétextent l’absence du père et veulent se rattraper, peut-être…

Victoire se laisse envahir avec indulgence, car la rancune est inutile et le revirement louable.
Pourtant, madame grand-mère se gêne de moins en moins. Vic ne choisit ni la journée ni l’heure et doit s’organiser pour lui donner satisfaction.
Elle n’est pas vraiment dupe. Lorsqu’avec son Nico elle est invitée à Passy, chez la mémé, les deux femmes ne se préoccupent que de l’enfant. «Leur» fils, «leur» tout petit, n’a-t-il pas faim ?… Pourquoi le mettre sur le ventre ?… N’a-t-il pas faim ?… N’avez-vous pas de courses à faire, ma belle ?… N’a-t-il pas faim ?… Pourquoi crache-t-il ainsi ?… N’avez-vous pas envie de prendre l’air, ma belle ?… Nous pouvons vous le garder vous savez… Allez, allez, ma belle… (Va-t’en !…)

Victoire se sent toujours de trop lorsqu’elle se retrouve entre les deux sangsues. Un malaise indéfinissable, qu’elle se reproche d’éprouver. Elle se persuade que ces gens sont gentils et qu’elle délire, que c’est bien elle et lui qu’ils aiment et pas uniquement lui. Pourtant l’intuition est énorme, envahissante, l’intuition gâche tout.

Vic écrit à Philippe, chaque jour, et attend ses appels. Elle se languit de lui. Il a beaucoup changé depuis la naissance du petit. De nouveau affectueux et gai, comme au temps de sa cour, avant l’«accident», et Vic se félicite d’avoir tenu. Et Vic répond aux appels Lévy du matin, même s’ils la réveillent, et Vic se rend aux rendez-vous Lévy, même s’ils l’obligent, se prête au jeu de la vraie belle-fille juive, puisque Phil est heureux, rassuré, de nouveau affectueux et gai. Elle n’a plus le temps de voir ses propres parents, elle a changé de famille, mais ne se plaint de rien, puisqu’elle construit la sienne.

Ils profitent d’une permission pour la circoncision.
Agé d’un mois, Nico vient d’atteindre ses trois kilos, condition nécessaire et suffisante. La cérémonie, à Passy, ébranle fameusement Vic. Côté Lévy, quarante personnes et côté Vic, le strict minimum : ses parents, ses frères et leurs épouses. Elle aurait préféré attendre dans la chambre mais on lui colle d’office la tétine sucrée. Bébé hurle de faim, d’effroi, Philippe, coiffé d’une Kippa et les épaules couvertes d’un linge blanc (?) écarte les genoux, tandis que Vic, à la limite de la syncope, ne lâche pas les yeux de son fils, lit la douleur intense, tandis que le rabbin commente : «Voyez-vous, j’insinue le scalpel et soulève la muqueuse… Ca y est !… J’incise… Regardez comme c’est beau, il saigne à peine, regardez comme la lame décolle le prépuce, regardez donc, Madame !…» Et Vic manque de tomber, murmure : «Ne t’inquiète pas bébé, c’est fini, c’est fini…» et ne lâche pas les yeux de Nico, tend la sucette, que le pauvre aspire goulûment entre deux cris de terreur.

Elle jure qu’elle a vu les yeux se noircir, le front se durcir, les larmes jaillir. Elle jure que ça fait mal et quoiqu’on dise. Elle se jure de ne jamais recommencer.

Pourtant, c’est avec joie qu’elle écoute la prière. Zina, au premier rang, n’a pas perdu une seconde du spectacle et Vic a vu briller ses larmes. Bouleversées toutes les deux, Nico est baptisé. Nico a été présenté à Dieu, dans le sang peut-être, mais présenté, et Vic est soulagée.


C’est ce jour-là que le lait s'est tari.

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Pour son second, David, Vic refuse le rabbin. Circoncision américaine, à la maternité, sans protocole et sans douleur.
Philippe se venge. Reconnaît son enfant sous le prénom de David, en omettant, parce qu’il a «oublié», le Pierre et le Pascal qui devaient suivre.
Victoire répare, supplie la préposée, David aura ses trois prénoms, comme son frère, mais de justesse.
Philippe parlera longtemps de trahison.
Les deux enfants n’auront pas le même zizi.


















— Allo ? C’est Phil… dit une voix étranglée que Vic ne reconnaît pas.
— Allo chéri ?… s’inquiète-t-elle.
— Bon. J’ai fait une connerie. Je suis au trou. Je ne viens plus… Et je n’ai droit qu’à un coup de fil… Victoire, préviens ma mère, je ne rentrerai pas pour les fêtes…
— Mais qu’est-ce que tu racontes ?
— Je suis au trou, j’te dis… J’ai fait une connerie… Ils comptent m’envoyer en Allemagne et je passe demain devant le tribunal militaire.
— Le tribunal ?… L’Allemagne ?… Mais que dis-tu ???
— Je t’expliquerai, plus tard… Ils m’ont coincé et je dois raccrocher… Victoire, je t’en supplie, appelle ma mère…
— Mais nous ?… Et nous ?… Et Nicolas ?…
— …
— Mais tu m’avais juré…
— Je sais, je sais… Je t’en prie, ne m’accable pas.
— …
— Je t’écrirai…



Victoire n’accable pas mais quelque chose se casse.
Comme un fil trop tendu qui claque.

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Nico gambade dans sa tenue de fête.

A quelques jours du mariage de ses parents, une douce euphorie règne dans le deux pièces du square de l’Aveyron. Nico marche déjà mais il n’aura pas le plaisir de suivre le cortège en tenant la traîne de maman. Maman n’a pas de traîne. Elle s’est permis le blanc de justesse, depuis quatre ans qu’elle couche avec le père. Le blanc avec des pois, les pois comme des taches, celles des déceptions déjà subies, celles des amours passées entre les bras d’autres garçons, avant, taches prémonitoires d’une union constellée d’embûches. Et puis ce mariage-là ne sera que civil, puisque papa est juif et maman catholique.

Le jour J, Victoire est magnifique. Elle compte ses jupons, elle s’est cousue la veille une jarretière qu’elle a coincée sur l’une de ses cuisses nues. Elle mets son cœur à jouer le jeu.
Philippe l’attend dans sa banlieue, avec le petit et le reste des invités. La fête s’est organisée dans la plus stricte intimité. La mère de Vic, Zina, aurait voulu un grand mariage, pour son unique fille, avec buffet de marque sous les lampions, avec de petites tables nappées de blanc posées ici et là, dans le jardin de Fontainebleau, elle voyait les époux arriver en calèche, elle aurait invité son oncle d’Amérique et sa tante d’Australie… Zina aurait voulu offrir à Vic le fastueux mariage auquel elle-même n’avait eu droit, faute de moyens.
Les moyens, son mari Charles à présent les avait. Haut fonctionnaire, il n’aurait pas lésiné pour combler fille et femme mais la belle-famille n’avait pas les mêmes ambitions : «Vous comprenez, ma belle, Philippe va bientôt s’installer et nous devrons l’aider… Vous comprenez ma belle, le petit est déjà si grand…»
Vous comprendrez, ma belle, nous ne souhaitons pas ce mariage.

Vic à présent trépigne. Elle doit passer devant le maire à 15 heure 15, à trois quart d’heure d’ici. Comme le veut la coutume, c’est son père Charles qui a prévu de l’y conduire. Et Charles, à 14 heures, n’a pas encore donné signe de vie. Elle est fin prête, discrètement maquillée, délicatement hâlée grâce aux cinq séances d’UV des cinq jours précédents, elle attend, et guète la BMV de son balcon, et passe, repasse, devant le miroir du salon, et joue de ses jupons dans lesquels maintenant elle transpire.
A 14 heure 15, le téléphone sonne. Charles est au bout du fil, contrit :
— Ta mère n’est pas encore à la maison et nous devions venir ensemble… Je fais quoi, moi, maintenant ?…
— Mais tu rigoles !… Tu viens, avec ou sans maman, tu viens !… Tu te rends compte de l’heure ?…
— Je sais, je sais… Mais elle va devenir folle si je ne l’attends pas…
— Papa, je t’en supplie… Je me marie dans une heure, et au fin fond de Montmorency !… Papa, c’est de mon mariage dont il s’agit !…
— Bon, répond Charles la mort dans l’âme.

Lorsqu’elle ouvre la porte, 25 minutes plus tard, son père est blanc comme un linceul. Il ne jette pas même un regard sur la robe à pois bleus qu’il a pourtant offert. Il répète et répète : «Et ta mère ?… Bon Dieu où est ta mère ?…
Vic lui noue sa cravate. Son père a fière allure, ainsi costumé et elle serait la plus heureuse des filles s’il n’y avait encore, encore et toujours, l’ombre noire de Zina entre elle et lui.

Ils arrivent en retard, bien entendu. Dans le jardin de la mairie, où Philippe l’accueille avec des yeux brillants de gourmandise, Vic cherche en vain sa mère.
Bisous, félicitations, Nico passe de bras en bras :
— C’est fou ce qu’elle ressemble à Zina, tu ne trouves pas Henri ? Huguette, la belle-sœur de Charles, ainsi que son mari, ainsi que l’autre frère Roger, congratulent gentiment. Vic se réchauffe de leur présence, seuls membres de sa famille à s’être déplacés, malgré la contre-publicité de Zina : «Ma fille se marie samedi, mais dans l’intimité, vous savez, trois petits fours de rien, une formalité en somme…»
Une formalité, un oui, un échange d’anneaux, la promesse de l’éternité et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants…
Vic en ce jour fastueux a été présentée au dernier des derniers de la famille Lévy.
Sa mère est arrivée tandis qu’elle descendait les marches de la mairie.



Son vrai mariage, Vic le toaste le soir-même. Depuis deux ans qu’elle coiffe Sainte Catherine, et puisque Dieu ne sera pas convié, elle a joué sur l’amoureuse démesure et compté sur sa quelque centaine d’amis. Charles a gentiment accepté de financer la «boum» et rien n’a été laissé au hasard, dans cette cave des bords de Seine, sous les fausses allures de bonne franquette. Disk-Jokey, vestiaire, cramoisi des tentures et rococo des luminaires de la salle du rez de chaussée. Humidité ruisselante, résonance des décibles, araignées centenaires au sous-sol… Jusqu’aux faire-parts dessinés de la main de la future mariée, jusqu’aux jattes de Blue Lagon, d’époque, qui donnent un goût intemporel au breuvage décisif, confectionné, testé et retesté par Phil, et servi à la louche par un extra exprès. Jusqu’aux gerbes odorantes et blanches, coincées entre les trous des lourds pavés des murs.

La fête bat son plein. Les uns dansent en bas, tandis que d’autres plus placides se rencontrent et discutent en haut. Charles et la belle rebelle Zina se trémoussent aussi, sous les yeux affectueux de leur fille comblée. De petites logettes, creusées à même la pierre, protègent les couples avides de baisers, ou les groupes de six, comme celui des amis de Phil.
Ils sont cent à féliciter la mariée, six à réconforter l’élu. L’élu qui s’en était allé passer la nuit dehors, la veille et puisqu’il le fallait, enterrer sa vie de garçon. L’élu qui s’enfuyait soudain, au beau milieu du plein, dans les méandres des rues alentours, à la poursuite de son inconditionnel Christophe, lui-même aux basques de son aimée Sophie. Mal aimée sans nul doute puisqu’elle se tuera peu après. Six mois plus tard pour être exacte.
Ils exagèrent, cette nuit-là. Les trois fugueurs doivent crier trop fort, dans les rues alentours, car Phil revient quelques instants plus tard trempé de flotte. Un seau d’eau lui est tombé dessus, une voisine, réveillée en sursaut, a aspergé le jeune marié, et Vic, lorsqu’elle croise la chemise collée aux os, chasse d’une pensée rigolote le présage pourtant sombre.
D’autant qu’un invité se gausse. Se fout de leur gueule pour parler clair.
Un autre se roule par terre. Fin saoûl, il s’est vautré de fille en fille et la soirée durant s’est épanché sur toutes les épaules. Vaguement gênant, telle la mouche des cabinets, telle la guêpe du pique-nique. Une espèce de rabat-joie, inconnu des époux, entré là par hasard, peut-être avec Guillain, un bruit de fond vaguement assourdi, qui tarabuste mais qu’on écoute pas.



A la fin, ne restent plus que huit convives. Les mariés exténués vident les cendriers et ramassent les cadavres de vodka. La mouche est encore là et s’agite davantage, se refuse à quitter les lieux. Victoire la prie de sortir, si elle n’aide pas pour le rangement. L’inconnu s’empare d’une bouteille de Coke, la secoue et la dégueule sur le tapis persan. Guillain s’excuse, excuse le trouble-fête, l’emporte sous son aile à l’extérieur. Mais l’autre s’attaque à la porte fermée, cogne dedans, tandis que l’insulte suprême fuse :
— Bande de sales Juifs !!! Z’avez pas honte ???… Evidemment, vous n’avez JAMAIS honte !!!… Tout ce fric, tout ce fric !!!… Ca vous empêche pas de pioncer ?… Mais non ! On pionce, on pionce, pendant que d’autres crèvent !!!… Normal qu’on vous ait tous gazés… Pas étonnant !!! Tous à la chambre, TOUS !!! »

Victoire blêmit. Souffre à son paroxysme. Madame Lévy reste muette, soudain brutalement dessaoulée, soudain désenchantée, regarde son récent mari, le Juif que l’on insulte, et c’est l’un de ses corréligionnaires qui se permet l’affront, et elle le prend deux fois en pleine figure : un coup sur la joue juive, et elle tend la joue goy…
Philippe bondit, ouvre la porte d’un coup. L’insolent détale effrayé, le mari à ses trousses. Croq en jambes et l’ivrogne s’écroule sur le macadam. Vic arrive au moment où Philippe l’achève, à grands coups de lattes dans le bide. De grands coups de lattes venus du fond de l’histoire, celle de l’intolérance et de la revanche. Victoire dans ses jupons brillants s’interpose de son mieux, tire les bras du mari, supplie :
— Arrête !… Arrête !… TU VAS LE TUER !!!
Les larmes aux yeux et dans sa jolie robe à taches, elle se place au milieu, entre les lattes et le bide, méprise les unes comme l’autre, non, elle ne méprise pas, ne comprend pas, si, elle comprend. Trop tard.
La mouche est écrasée par terre. Et elle mariée à vie.

Victoire ne passe pas sa nuit de noces entre les bras du jeune époux. Au retour, il lui a refusé le sandwich au rosbeef de ses rêves affamés du matin.
Et le rosbeef est un prétexte.

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Il y a des individus qu’il ne faut pas croiser, et des sourires auxquels il ne faut pas répondre, et des cœurs enflammés qui mentent, et des enfants qui pleurent.

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Invité val
Continue!

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L’exagération familiale atteint son paroxysme lors du voyage de noce. Dès lors, le fossé ne cessera de se creuser entre Victoire et la Smala.
La jeune mariée tient à sa lune de miel. Avec un seul salaire, puisque Philippe est encore seconde classe, les Bahamas sont inenvisageables. Aussi Victoire accepte-t-elle de bon cœur la proposition de Julien, le frère cadet de Phil : partager la centaine d’hectares d’une propriété Corse. Les deux villas, indépendantes, respecteront l’intimité des deux jeunes couples, les deux enfants, Nicolas et Sarah, pourront jouer ensemble. Victoire admire la bonhomie de Julien, envie la nonchalance d’Isabelle. Aussi blonde que Vic est brune, Isabelle fume aussi et ne refuse pas l’apéritif. C’est une rescapée aussi. Une goy qui a vécu sa grossesse dans le silence. Au point qu’enceinte, Vic ne se doutait pas que son Nico hériterait bientôt d’une cousine. L’ostracisme crée des liens. Et Vic est reconnaissante à Isabelle, l’arrivée de Sarah, apprise par tous le jour de la naissance, a quelque peu distrait les beaux parents.

Donc Victoire est heureuse. Les montagnes grises du cap Corse, le vent marin, le pastis et le basilic, les gazouillis des deux bébés, le chuchotement de la cocotte-minute, la fraîcheur des soirées de septembre, la nuitée qui tombe d’un coup, tandis que le désir s’aiguise, l’ensemble est harmonieux, sensuel, magnifique.
Pour la première fois, Victoire partage la vie de Philippe. Et curieusement, tandis qu’ils n’ont plus le moindre souci, et malgré le décor enchanteur, leurs deux humeurs ne coincident pas. Comme si décalées.
Philippe reproche en permanence. Les cigarettes, l’éducation de Nico… Il juge sa femme trop sévère, il découvre son fils et revendique ses droits de père. De père gâteau, et Victoire n’approuve pas. Il la traite de «vipère aux poings», elle le trouve laxiste. Craint qu’il ne sabote son patient travail, effectué en solo jusqu’à présent. Elle est sévère, peut-être, mais son fiston ne touche pas aux prises, n’avale pas les cailloux, ne se blesse pas, mange et dort à la demande. Nicolas n’est pas chiant, elle s’est donné du mal pour qu’il en soit ainsi et refuse les critiques.
Philippe se sent exclu et Victoire lui rappelle sa faute : Charles l’avait pistonné, s’était bougé pour qu’il effectue son service à Paris, dans l’enceinte du Val-de-Grace. Il n’avait qu’à bien se tenir pendant ses classes, elle ne l’avait pas poussé à frapper ces deux types, à investir leur caisse, à dégobiller dedans, à lever la main sur les forces de l’ordre appelées à la rescousse. Lui profite du tabac et la traite de toxico. Il profite du pastis et la traite d’alcoolo, et ils repartent sur Nico, et la bévue de l’armée, et n’en finissent pas, ne se retrouvent pas.
Puis Philippe regrette, et Victoire se flagelle, allume une é-nième cigarette, dévore Françoise Dolto, se rassure comme elle peut. Vipère aux poings, vipère aux poings… Où est ENCORE l’erreur ?…

Julien a invité l’autre frangin, l’aîné, qui débarque au quatrième jour avec sa femme Sophie.
Simon, Sophie, profitent, l’espace d’un long week-end, puis repartent. Sophie est adorable mais Simon joue le pacha. Les femmes cuisinent, s’occupent des enfants, dressent puis débarrassent la table. Simon pinaille, parce qu’il manque un rien de sel, parce que le soleil chauffe, ou qu’il ne chauffe pas.


Un soir, au crépuscule, Victoire croit rêver. N’a-t-elle pas surpris Samuel dans le garage ?… Non, ce n’est pas possible !!! Elle s’est rendue malade et Philippe a raison : réduire le pastis !…
Pourtant, quelques minutes plus tard, c’est la voix de Rachel qu’elle entend de loin. La voix de Rachel dans l’autre villa, celle de Julien.
Les beaux’p viennent d’arriver, dans une voiture de location qu’ils rendront le lendemain, les beaux’p s’installent pour huit jours !!!
Vic n’a pas le souvenir de les avoir conviés. Julien, en aparté, avouera que lui non plus n’a pas lancé l’invitation. Non, non, ils sont venus sur les conseils avisés de Simon, et grâce à l’itinéraire de Simon :
Vous verrez, il fait beau et le jardin est grand, et la grande maison accueillante…
Patatras ! Adieu sensualité, pastis et basilic, madame belle-mère se pose là, avec ses brioches, confectionnées pour les bébés, les bébés uniquement, «ses» bébés qui lui manquaient tant !… Avec son épaule d’agneau, et sa suprématie, et sa pâte à pizza, et ses et ti et ses ta…
«Mon fils, tu es palôt, profites-tu du soleil ?»… «Isa, vous devriez changer Sarah»… Monsieur beau-père n’hésite pas non plus : «L’apéro ?… A midi ?… Déjà ?…»
Voilà, voilà, Victoire est reléguée dans la petite maison. Les festivités jusque tard le soir se déroulent de l’autre côté. La famille Lévy s’est retrouvée et Vic n’a plus le droit de l’ouvrir. Surveille le dodo de son fils dès la tombée du jour, tandis que son mari déguste le dernier café avec les siens, dans l’autre villa, à quelques mètres mais si loin…
Et Vic essuie les scènes, parce qu’elle ne marche pas et qu’elle doit se plier. Se prend quelques raclées aussi. Si elle n’est pas contente, qu’elle vire, mais Nico restera !…

Madame belle-mère a gagné. Lorsqu’ils repartent, les deux époux ne se regardent même plus, ne se battent même plus.

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Maman ne dramatise pas. Attend son heure.
Lorsque papa reviendra pour de bon, les angles s’arrondiront.
Puisque ces deux-là s’aiment, n’est-ce pas ?
Et l’Amour est miraculeux, n’est-ce pas ?

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Victoire vient de finir son premier livre. A présent, elle vit avec Philippe dans un appartement splendide, spacieux, ultra moderne, avec des bow Windows en guise de fenêtre. Ils sont tous deux en troisième année d’internat, lui en radiologie, elle en biologie. Ils sont à peu près riches, en tous cas, Philippe effectue des remplacements le samedi et sa femme peut s’offrir le luxe d’une nourrice plein temps. Nico va à l’école et rentre le midi déjeuner avec son frangin David, de vingt mois son cadet et que Philippe n’a pas refusé. L’enfant légal est bien passé et Vic, entre ses trois garçons et dans un relatif confort, peut enfin assouvir son fantasme secret : écrire.

Elle a commencé à onze ans. C’est une seconde nature qu’elle aurait aimé exploiter mais ses parents espéraient mieux. Victoire a toujours été première de sa classe et à l’époque du bac, l’avenir passait par les mathématiques. Donc Victoire se résigne, décroche la mention scientifique et s’inscrit en médecine. Elle écrit comme l’on respire sans se douter qu’un jour, à 29 ans, elle écrira pour respirer. Le carcan médical l’étouffe. Son mari reçoit revue sur revue, ne parle plus que de sa carrière : «Le patron m’a promis un poste de chef pour l’année prochaine… Le gosse avait une tumeur frontale… Tu te rends compte : réveillé en pleine nuit pour une rage de dent !!!…» Victoire sublime. Elle s’ennuie à mourir au boulot, elle s’ennuie à mourir le soir, lorsque les enfants couchés, la table débarrassée, Philippe sort «pour se détendre» ou s’enferme dans son bureau pour progresser, tandis qu’elle se reproche son manque d’ambition. Victoire sublime, s’invente des histoires, se procure une machine, les tape et en septembre 90, se lance dans la tournée des éditeurs. Elle a enfin fini son vrai vrai premier livre. Elle est descendue à la cave rechercher ses essais, s’est étonnée, à 29 ans, d’avoir déjà tout un carton d’essais. Elle n’a pas eu le courage de se faire la totale, trop de lignes lui brouillaient la vue, trop d’époques lui semblaient désuètes, en somme, à haute dose, sa prose l’indigestait.

Elle commence par Julius Delta et dès son coup de fil, obtient un rendez-vous. Une certaine Germaine le Buisson répond : «Passez me voir, un après-midi entre 14 et 18 heures, je vous prendrai entre deux entretiens.»
Une voix posée, bienveillante, très distinguée, celle d’une femme de la cinquantaine qui semble connaître le métier. Victoire ne se fait pas prier, se pointe à heure non dite au rendez-vous cadeau.
— Si vous voulez bien me suivre, propose la voix en tailleur style Chanel et qui découvre Vic, toute petite enfoncée jusqu’aux genoux dans l’un des confortables fauteuils de l’entrée. Vic se bénit d’avoir chaussé ses perles. L’instant est mémorable et le hall imposant.
L’entrevue dure 25 minutes. Victoire se présente, médecin patati, vocation contrariée patata, revanche, revanche… Au final, madame le Buisson lui lance : «Vous êtes croyante, n’est-ce-pas ?
Vic répond oui pourquoi.
— Parce que depuis votre arrivée, depuis que vous me parlez de votre livre, c’est votre foi qui transparaît…
— C’est vrai, d’ailleurs, j’ai failli citer Dieu page 99, voyons… Quand Martin apprend… Attendez…
Elle veut trouver la page mais elle sent la bienveillance du regard cesser de la caresser. Elle n’insiste pas :
— J’avais une jolie histoire à raconter sur Dieu, mais ce sera pour le tome deux.
— Comment voulez-vous raconter la suite si votre héroïne est morte ?
— Ah non !!! Elle n’est pas morte ! Elle s’est suicidée mais elle n’est pas morte !!!
La femme lui prend le livre avec beaucoup de respect : «Nous vous communiquerons la décision de notre comité de lecture sous deux mois.»
Vic serre sa main très fort. Elle est confiante.

En sortant, elle fonce chez Tallendier. Elle a été prévenue par téléphone : «Dans notre Maison, nous n’accordons pas d’entretiens privés.» Mais Vic est audacieuse, pire, elle ne craint rien, ni la honte, ni les coups, ni le mutisme de la porte cochère. Sans rendez-vous, elle frôle pourtant l’inconvenance : «Pourriez-vous m’adresser au responsable de l’édition ?»
— C’est à quel sujet ? répond la standardiste au regard de poisson.
— A propos de CA, annonce l’effrontée, désignant l’exemplaire jusque là serré sur son ventre.
— C’est un manuscrit à déposer ?
— Oui, c’est à déposer… Mais ce n’est pas un manuscrit, c’est bien plus précieux qu’un manuscrit, c’est un BEST-SELLER !
La fille, ébranlée, balbutie :
— Mademoiselle, dans notre Maison, nous n’accordons pas d’entretien privé.
— Ah bon ! Dommage ! Parce que je viens de rencontrer madame Julius Delta, et elle m’a pris le livre, et elle va certainement me proposer un contrat, et je vais accepter, alors que c’est chez Tallendier que je veux publier et pas ailleurs !
La fille est médusée :
— Bon, écoutez, je vais voir ce que je peux faire… Et elle s’éclipse.
Victoire prend l’air j’m’en fiche en attendant. Puis une petite jeune femme se poste devant elle. Elle lui répète qu’ici, on n’accorde pas de rendez-vous privé, mais elle écoute la pub, poliment, feuillette quelques pages puis repart avec le chef-d’œuvre.

Vic s’offre un verre à l’Escurial. Elle est déjà célèbre. Riche, aimée et célèbre.

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Paris, le 9 octobre 1990

Madame,

Deux lecteurs de notre maison ont lu le manuscrit que vous avez bien voulu nous adresser. Ils n’ont pas cru devoir nous en recommander la publication, votre texte se situant trop loin, selon eux, de ce que nous cherchons dans le domaine du romanesque. A partir de là, nous n’aurions pu que mal le défendre, l’engagement de tout un comité étant la condition d’un possible succès.
Avec nos regrets de ne pouvoir répondre à votre attente et en vous souhaitant bonne chance chez un confrère, nous vous prions de croire, Madame, à nos sentiments les meilleurs et bien attentifs.


Vic reçoit son manuscrit accompagné de la lettre huit jours après avoir déposé le colis aux éditions Gontran. Huit jours, elle se rassure, ils ne l’ont pas ouvert…
Et elle n’avait pas envie de paraître chez Gontran.

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Marie-Florence est infirmière et par un curieux hasard, elle écrit elle aussi. Par un hasard plus curieux encore, elle vit avec le fils Bellefontaine, des éditions Bellefontaine.

Marie-Florence est une jolie black, menue, à la voix douce et aux gestes gracieux. Elle a invité Vic à dîner un soir, pour qu’elle présente à son «ami» un exemplaire de son roman. Il est de bon conseil et il pourra l’aider. Trop heureuse de l’aubaine, Vic a immédiatement accepté. Elle n’est rentrée qu’à deux heures du matin et Philippe a filé se coucher aussi sec. Il n’a rien voulu entendre du compte-rendu de sa femme. D’ailleurs, depuis qu’elle s’est mis dans la tête de publier, il est insupportable. Il planche sa thèse dans son coin, ne rentre plus qu’un soir sur deux. Sa thèse qui est unique au monde, qui va paraître dans le «Radiologic journal of…»

Le lendemain, à table, Vic n’est pas très loquace. Philippe se croit permis d’ironiser :
— Ca y est : tu vas nous faire la gueule pendant quinze jours !…
— Pas du tout, répond-elle vivement, je n’ai pas de raison de m’inquiéter : tu réalises ? J’ai déjà trouvé l’éditeur !
— Je te ferai remarquer qu’il ne t’a pas dit qu’il prendrait ton livre.
— Il veut que je le corrige ; il a raison, c’est pas sorcier de corriger.
— Même si tu le corriges… Tu lui as posé la question texto : «Me le prenez-vous si je le corrige ?»
— Non.
— Tu aurais dû : c’est la seule chose à savoir. Pas la peine de te casser le cul pour lui s’il n’a pas l’intention de te publier…
— Mais il a raison ! Sous cette forme, ce bouquin est un torchon ! Il faut absolument le reprendre.
— Aucune chance.
— Comment ça aucune chance ?
— On ne s’improvise pas écrivain du jour au lendemain.
— Mais j’ai TOUJOURS écrit !
— …
— Tu veux dire que ça ne marchera pas ?
— Non.
— Eh bien d’accord ! Bravo ! Moi, j’y crois encore ; c’est juste une affaire de corrections …
— Mais s’il t’a dit que l’histoire était bonne pour te faire plaisir ?… S’il le trouve archinul, ton truc ?…
— Il n’est pas archinul.
— Bof.
— Ah bon ? Tu le trouves nul maintenant ?
— En tous cas, personne n’en veut.
— C’est dingue ça !!! «Personne n’en veut» alors que lui seulement m’a répondu !… Tu exagères !!! Tu dis : «Qu’est ce qu'il te prend de vouloir faire du littéraire ?» Tu dis : «Il faut savoir si tu veux signer un best-seller ou entrer dans la postérité»… Tu dis : «Frédéric Dard utilise un maximum d’expressions populaires et t’as vu à combien il vend ?»… Alors, que me conseilles-tu au juste ?
— Essaie de publier ton livre tel qu’il est écrit et rappelle le mec pour connaître ses vraies intentions.



Philippe ne veut pas que Victoire s’y remette parce qu’il a peur de ne pas pouvoir finir sa thèse tranquille.

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Madame,

Notre comité de lecture a pris connaissance du manuscrit que vous avez bien voulu nous envoyer. Il ne nous sera malheureusement pas possible de le retenir pour nos prochaines publications. Les qualités littéraires de votre ouvrage ne correspondent en effet pas à nos critères de selection.

Tapée le 22 octobre. Reçue le 25 au matin.


Victoire nécrivait plus parce que même prévenue, elle a souffert.
Gontran : non ; Bellefontaine : non ; Tallendier : non… Elle commence à s’inquiéter. Le professionnel a donc raison : moins d’adverbes, moins d’adjectifs, moins de clichés, moins de grossièretés, Victoire se corrige.

Pour son frère Maxime, le refus de Tallendier serait dû aux fautes de syntaxe, concordance de temps etc… (pourtant il y en a peu), mais surtout au cul. Et en poussant plus loin, pas à l’abondance des scènes de cul, mais à leur maladresse. A entendre par maladresse : banalité et vulgarité. Pourtant, si Victoire ne touche pas à la trame, pour le satisfaire, il suffirait qu’elle enlève quelques mots : «limais, dégoulinante, sexe dans sa bouche, ses trois trous… »
Elle ne peut s’y résoudre. Elle n’est pas convaincue qu’un livre puisse être refusé pour ça et elle aime parler de sexe comme ça. Ces passages-là avaient été rédigés pour Philippe, sinon il aurait décroché. Et puis Vic a envie de faire du bruit, de choquer, de casser la baraque. Elle souhaite une célébrité brutale, immense, nauséabonde, elle a envie de puer le souffre, d’engendrer la polémique :

— Moi je trouve qu’elle parle très mal de cul.
— Ce n’est pas vrai : elle appelle un chat un chat.
— Une chatte une chatte, voudrais-tu dire.
— Oui, mais c’est bien vu… Excitant même.
— Tu trouves ? Moi ça me donne envie de vomir. Elle aurait écrit : «Je chie et je m’essuie», ça m’aurait fait le même effet…
— Vous discutez de quoi ?
— Du bouquin «Le soleil Rose», de Victoire Lévy.
— Et alors ?
— Alors je n’ai pas pu finir tant sa façon de parler de sexe m’indispose.
— Je ne suis pas d’accord, moi j’ai trouvé ça bien. Courageux, même.
— «Le soleil Rose» tu dis ? Tu pourrais me le filer ?…

Voilà, elle a envie qu’on parle d’elle. Tout le monde.
En fait, elle n’est plus sûre d’y croire encore. Editée, c’est bien joli, mais pour passer une fois à «Ex-Libris» et rester dans l’anonymat le plus total, vendre 4500 exemplaires (un centième de son pied-à-terre en Espagne) et avouer plus tard à ses petits-enfants : «Quand elle avait votre âge, mamy a écrit un roman… Si, si…»
— Et qu’est-il devenu ?
— Pas grand-chose… Et avec un clin d’œil : «Il ne s’est pas très bien vendu…»
Autant n’avoir rien fait.

David babille devant la glace. Il s’amuse à poser le carnet d’adresses grand ouvert sur sa tête, comme un chapeau, et se regarde en répétant : «A ya ya ya, A ya ya ya, pfi, A ya ya ya…» et il rigole, devant le petit monstre qui fait pareil de l’autre côté. Nico joue dans sa chambre. Actuellement, il éprouve une passion démesurée pour les motos. Une fois par mois, maman l’emmène au Prisunic en acheter une. Il en a maintenant quatre mais a déjà perdu trois guidons et a oublié à l’école la verte, sa préférée. «C’est pas gave, c’est pas gave…» commente-t-il invariablement. Qu’il renverse son assiette pleine de nouilles ou qu’il s’oublie dans sa culotte, il prononce, maladroitement, la phrase rituelle, et maman ne gronde pas, puisque ce n’est pas grave, n’est ce pas ?

David a posé sa main sur le cahier de Vic. Il veut attraper son stylo, un Mont Blanc que Philippe lui a offert pour Noël l’an passé : «Man ?… Bababa… Bababa.» Il se saisit des lunettes sur la table de nuit, les chausse : «Cocou Cocou !» dit-il au p’tit bonhomme qui le regarde dans le miroir. Puis il les jette sur le lit «Ra !», s’attaque au téléphone «Mm Mm Ya Ya Ya Ta !»
Un petit trou derrière, il y glisse son index droit, recule, puis y glisse le gauche, déçu. Il s’assied au bord du lit, soupire, attrape son biberon vide, le secoue, le jette par terre : «Bar, bar, bar, Caco, caco…»
Vic se lève lui donner à boire.

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Il y a des jours où le cœur s’arrêterait volontiers de battre.
Mais le cœur ne décide pas.
Et c’est tant mieux, s’il y a des enfants.

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Philippe commence une politique de réconciliation.

Cette nuit, il s’est couché nu et Vic a senti à plusieurs reprises son corps la chercher sous les draps. Ce n’est pas trop tôt si l’on sait que la scène a éclaté la semaine dernière. Parce que monsieur, non content de s’offrir le cinéma avec ses amis, ne voyait pas d’inconvénient à les recevoir d’abord chez lui. Pour Christophe, l’inéluctable, Vic admettait le réflexe mais lorsque Pierre et sa nouvelle Hélène ont appelé pour se joindre à eux, Vic a vu rouge.

Elle n’est pas la baby-sitter du médecin macho qui s’évade en goguette ; elle n’est pas la vieille tante bénévole non plus, elle aurait bien aimé participer à la fiesta et Philippe ne réalise pas qu’en l’abandonnant sur le palier, après un verre et le smack conjugal, il risquait de lui gâcher sa soirée pour de bon, les enfants endormis, l’Hélène à croquer et Vic laissée pour compte, cheveux gras et chaussettes en accordéon. Non, pas question… Pas question de jouer à l’épouse conciliante, va rigoler dehors, bonhomme, mais ne m’impose pas le spectacle !…

Vic s’est donc révoltée et Vic s’est pris une grande claque dans la figure. Philippe n’est finalement pas sorti, le gentil couple est sagement resté à la maison, Philippe avec sa honte et Vic l’oreille en feu.

Le jour-même, férié, la famille Lévy s’en était allée promener. Chez Mac Donalds puisqu’avec les enfants, on peut y déjeuner tranquille. Sur le trajet, Philippe s’était permis quelques confidences grivoises. Son «humour» de mari comblé, de père comblé, de médecin comblé : il avait avoué, en passant devant la Closerie et sur le ton de la confidence, qu’il y invitait ses petites externes, qu’il y branchait à l’occasion la patronne, qui ne s’offusquait pas, la garce, et dans la foulée, il avait cité l’Hélène, bandante et bien galbée, et fine et drôle, et il avait conclu : «Toi, tu as vu la gueule que t’as…»

Vic avait sa gueule habituelle. Par manque de temps —parce que Philippe a la fâcheuse manie de remuer son monde à la dernière seconde— elle avait fait l’impasse sur les rouleaux, le masque et le vernis à ongle. Donc elle ne répond pas, elle sait qu’elle est jolie, même à peine maquillée, si lui ne le voit plus, c’est qu’il le fait expres…

C’est pourquoi, ce jeudi soir férié, explose-t-elle.
Parce qu’elle le trouve gonflé, à force. Parce qu’elle souffre de l’entendre ainsi cracher dans la soupe, et qu’il débarque à l’improviste chez l’Hélène, et qu’il la saute, le cheveux gras et la chaussette en accordéon, une bonne fois pour toutes !…
Et elle se prend sa grande claque sur l’oreille.
Ce n’est pas la première. Ce ne sera pas la dernière.

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Victoire revient de chez Marie-Florence.
Elle a confié les cinquante premières pages corrigées de son livre et elle est invitée ce soir pour le verdict. Marie-Florence, un peu gênée, s’excuse : «l’ami» a été agréablement surpris, le travail est sérieux mais non merci, pas le genre de la maison Bellefontaine.
Victoire sauve la face, évidemment qu’elle peut faire mieux, il suffit de s’y remettre, mais son choc est massue.

Lorsqu’à 21 heures, René-Yves rejoint les deux femmes, c’est à peine s’il la regarde, vachement supérieur, il allume la télé et se poste devant, le silence doit suivre.

— Si vous n’en voulez pas, il n’est peut-être pas nécessaire de continuer les corrections…
— Tu rêves !… Le maximum que tu feras sera toujours en dessous de ce qu’ils désirent.
— Même chez Lartebille ?
— Lartebille ne te publiera pas.
— Même chez Vertex ?
— Vertex, peut-être…

Le dialogue est crié, Victoire est dans l’entrée, prête à partir et lui dans son bureau. Devant un tel dédain, l’optimisme déjà bien entamé achève de s’écrabouiller sur les rayonnages croulant de livres. La voix enrouée, elle remercie. D’autant que le fils Bellefontaine, des éditions Bellefontaine, lui a prêté un roman de femme, très «bien écrit», pour qu’elle apprenne… Vic le commence dès le taxi.

Comme par magie, elle se réveille intacte le lendemain. Elle préfère s’imaginer que René-Yves est un couillon qui ne comprend rien à rien. Elle appelle Lavil, une autre grande maison dans laquelle elle a déposé son «torchon» il y a déjà un mois et demi.
Le «Soleil Rose» a été soumis au comité de lecture le 27 septembre et la standardiste ne peut rien dire d’autre. Il faut attendre, attendre encore, mais c’est l’espoir qui stimule Vic.

Et la bouchère se croit maligne :
— Alors, ce livre ?… Ca avance ?…
Idiote de lui en avoir parlé. Si d’ici deux mois, pas de contrat, elle envisagera de changer de boucherie (et c’est dommage, la blonde commerçante a toujours une petite tranche de jambon à offrir aux enfants…)


Coup de théâtre ! Vic s’est pointée chez Tallendier, la jeune femme de l’autre fois l’a reçue. Elle n’a pas lu le livre, elle assure juste la publique relation. Coup de théâtre parce que d’emblée, elle dit :
— Bon, alors, pour ce qui est du style, y’a rien à vous reprocher.
— Quoi ? s’étrangle Victoire.
— Pour ce qui est du vocabulaire, de la syntaxe, de la construction des phrases et de l’enchaînement des idées, nous n’avons aucun reproche à vous faire…
Vic tombe des nues (cliché). La fille continue :
— En revanche, nous n’avons pu accepter le manuscrit, le lecteur a jugé insuffisante la progression de l’intensité dramatique. Trop de redites dans la seconde partie.
— Et si je la reprends, cette seconde partie, pourriez-vous de nouveau soumettre mon livre ?
— Sans aucun problème.


Dès lors, Victoire travaille intensément.

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Philippe craque.

Depuis qu’elle a changé de travail, qu’elle dose 800 plasmas par jour dans le plus grand hôpital d’Europe, Victoire s’occupe moins de lui. Et depuis le rendez-vous Tallendier, il ne vit plus avec une femme, mais avec un cerveau.

Il souffre, cet homme. Dès qu’il arrive, trop heureuse de lui laisser les enfants, elle s’enferme dans la chambre pour avancer. Evidemment, elle fume et Philippe n’a trouvé que ça pour exprimer son désarroi.
Hier, le drame a éclaté : «Ohé Bouboule !… Quand est-ce qu’on mange ?…» (Bouboule est le surnom de Victoire, depuis les vingt kilos pris pour David. Pourtant la mère a vite retrouvé sa ligne d’avant-mère, mais le nom est resté.)
Elle arrive, avenante, veut embrasser la joue de son époux mais l’époux est à vif :
L’haleine que t’as !!! (allusion discrète à la fumette). Vic ne relève pas :
— On dîne quand tu veux, tout est prêt. Il continue :
— L’haleine de toxico !…
Justement, il tombe mal, elle n’a fumé qu’une tige depuis son retour, il y a au moins une heure. Et vas-y que j’en ai marre d’avoir une femme comme ça, qui fume à longueur de journée…
— De toutes façons, tu râles tout le temps : quand je bosse, tu râles parce que je bosse, quand je glande, parce que je glande, quand je suis enceinte, à cause du gros ventre, quand je fume, à cause de l’odeur… OK, j’arrête demain, mais j’ai peur de ce que tu iras inventer après…
Phil ne peut la stopper :
— De toutes façons, il n’y a pas que la nicotine !… Mon bouquin aussi te sort par le nez !… Impossible d’en parler, c’est de la MERDE !… Alors que c’est TOUT pour moi, ce livre, c’est ma résurrection, ma délivrance, peut-être le prix Fémina…

Elle crache le sang, lui, vaguement épaté, se radoucit :
— Je n’ai jamais dit que c’était de la merde, ton bouquin…
Il parvient à la calmer. Mais lorsqu’ils passent à table, il arbore son masque numéro trois, qui affiche : «Je ne suis pas vraiment en colère, juste contrarié, et je n’ai pas grand-chose à raconter». Victoire n’insiste pas. Elle est perplexe quant à la suite des aventures de Lola au Maroc. Doit-elle retrouver le Finlandais ou non ?
Sitôt le bœuf mode englouti, Phil file avant même le dessert bosser dans son bureau. Sa femme pourrait l’y rejoindre, s’asseoir sur ses genoux, le couvrir de baisers —d’autant qu’à la cuisine, il est venu la peloter à plusieurs reprises— mais elle ne veut pas laisser sa Lola toute seule se griller de soleil au Paradis : elle risquerait d’attraper mal.

Et puis Vic garde un mauvais souvenir de leur dernier coït, elle supporte de moins en moins sa brutalité. Pourtant, Philippe n’a pas changé et c’est cette brutalité qui l’a séduite. Le premier soir, il l’a allongée sur le lit, l’a ouverte et l’a pénétrée, sans façons.
Mais en ce moment elle est fragile, sans s’expliquer pourquoi. Elle aimerait qu’il soit plus doux. C’est tellement lui, cette fougue au lit ! La refuser serait tout refuser et elle veut le garder.
En tous cas, cette nuit-là, elle ne va pas le surprendre dans son bureau.
Avec délectation, elle retrouve les malheurs de son héroïne où elle les a laissés et réfléchit à grands coups de cigarettes.

Le lendemain, comme par enchantement, elle avait dénoué le nœud gordien. Elle savait comment finir son histoire, les mots sortaient en flux de son Mont Banc, telles des évidences, elle n’était que l’outil, obéissait à l’ordre inadmissible, l’ordre inconditionnel de l’écriture.

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Qu’est-ce qu’un livre ? Rien.

Sinon le souvenir de celui qui n’a pas eu la chance d’aboutir : vivre pour ses enfants.
Faute de mieux, celui-là laisse un livre pour ses enfants.

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Vic a déposé hier chez Tallendier la version numéro deux du «Soleil Rose». Elle est évidemment très fière de son travail. Court moment de panique cependant à l’accueil : les réceptionnistes sont différentes des autres fois, elles n’ont jamais vu la jeune femme, échangent des regards perplexes et Vic se sent martienne sur la lune. Elles font appel à une plus vieille et celle-ci se souvient, plisse les yeux :
— Marie-Christine dites-vous ?… Marie-Christine… Elle se gratte les neurones : Marie-Claude Dauphiné, voulez-vous dire ?…
— C’est ça ! Marie-Claude Dauphiné !

Ouf ! Vic ne sait plus ou se mettre, elles sont trois maintenant à s’agiter autour de son humble personne qui serre contre son cœur le bébé, à présent vêtu de jaune. Une seconde, elle regrette son audace, elle perturbe, elle aurait mieux fait de laisser son exemplaire incognito. Pourtant, dès qu’elle la voit, Marie-Claude lui adresse le plus franc des sourires, sans rouge à lèvres, ce qui la rend plus familière :
— Comme vous avez fait vite ! s’exclame-t-elle éberluée.
— J’ai eu du mal à me résoudre aux coupures de la seconde partie, répond Vic empourprée… Je laisse juge le lecteur.
— Oui, rassure Marie-Claude, vous verrez ça avec lui (comme si elle était déjà dans la place…)
— Je ne vous dérange pas davantage… Sachez seulement que même si votre Maison ne l’édite pas, avec cette fin-là, il a pris cinq kilos et est devenu un très beau livre grâce à vous.

Vic s’enfile un cognac à l’Escurial. Elle réalise difficilement que son testament est dans ce livre. En principe, elle devrait être morte. Elle remercie le ciel, du cadeau que Dieu lui a fait.

Il l’attend, de toutes façons, et ce n’est que partie remise, mais Vic, un peu pompette, ne s’en doute pas.

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Ce dimanche 26 novembre, jour de la sainte Victoire, Vic se coltine le traditionnel repas chez les beaux-parents. Elle aurait voulu mieux, en tous cas, elle aurait aimé qu’ils lui souhaitent, tous autant qu’ils étaient, cette fête désuète que Zina et Charles n’oubliaient jamais. Mais elle a dû choisir son camp. Philippe lui impose les dimanches à Montmorency, les enfants courent, comme elle l’avait rêvé, entre les arbres du jardinet propret. Elle en néglige sa famille et ses amis, et néglige tant et tant qu’elle sait qu’un jour, la corde cassera. Mais la corde est solide, s’effiloche à mesure et Victoire s’amuse, de loin, à regarder les fils s’individualiser. La tête dans le sable, les enfants rient, l’objectif est atteint.

Rauque comme à l’ordinaire, son mari s’inquiète des interventions verbales de sa femme. Vic a compris depuis longtemps qu’elle n’avait rien à dire en dehors de «merci, c’est bon, je reprendrai bien du poisson, c’est vous qui avez fabriqué le pain aux graines de sésame ?… Bravo Rachel, il faudra me donner la recette…» Victoire n’échange rien d’autre que des fiches-cuisine, le dimanche à Montmorency.
Bof ! Pourquoi pas !… S’il suffit de ça pour faire semblant. Pour croire que tout est arrangé, le passé oublié, malgré la solitude de ces mois de voleuse, voleuse de la graine du Juif, s’il suffit de ça pour reconstruire un couple sur des ruines… Vic s’en balance. Elle apprécie les frères de Philippe et ses belles-sœurs. Elle les trouve un peu lâches, mais ne l’est-elle pas également, comment être soi-même, le dimanche à Montmorency ?

Elle sait malgré sa bonne figure qu’elle va en prendre pour son grade dès la porte de la R5 claquée. Philippe ne supporte pas ces dimanches familiaux. Il tourne, retourne, dans le pavillon charmant, arbore une mine boudeuse, répond mal à sa mère lorsque la pauvre femme tente une pauvre question. Il est chez lui, dans le décor de son enfance, mais ne supporte pas l’intrusion de ses parents. Il impose sa lignée mais fait payer à Vic, le soir, l’effort qu’il a subi.
Elle s’est habituée. Le dimanche est un jour maudit. Inéluctable et maudit.

Samuel s’est dépassé pour la sainte Victoire. Parce qu’elle n’a pas réalisé, immédiatement, qu’il venait de coucher David, il s’est offert un «mère dénaturée» humoristique et qui n’a révolté personne. Samuel et Philippe ont le même humour, Vic, touchée en plein cœur, n’a pas même répondu. Seule contre quinze !… L’esclandre est inimaginable… Et puis Philippe, au pied du mur, lui aurait reproché sa susceptibilité mal placée. C’est vrai, il ne faut pas accorder d’importance aux mots ; ni aux mots, ni aux sous-entendus : «Victoire ! Votre Nico n’a-t-il pas faim ?… Depuis quand n’a-t-il pas mangé ?…» Et Vic, prise en flagrant délit de mauvais traitement, parce qu’ils sont si nombreux et qu’elle délègue le dimanche, qu’elle laisse au père les rôles ingrats, se sent comme une citrouille. Répond poliment : «Je ne sais pas, demandez-donc à Phil…» Mais l’aveu est trop grave : comment peut-elle ne pas savoir ? Pourquoi Phil serait-il coupable alors qu’elle est la mère ?… La mère !… Victoire se marre : le dimanche à Montmorency, elle est la mère pour le mépris, pour tout ce qui cloche : «Nico a mauvaise mine… Mange-t-il correctement ? David est agressif… Est-il élevé correctement ?…» La mère qui bâcle son boulot de mère, et les diplômes ?… Mais ils ne veulent même pas entendre, ces braves gens, que Vic a le même statut que leur fils et qu’elle ramène autant… Elle n’a aucune excuse, cette goy mal élevée qui leur a volé leur petit…

En fait et pour l’avouer, cette belle-fille est la Honte avec le H majuscule. Aussi vient-elle le dimanche sans savoir la contenance à prendre. Aussi accepte-t-elle les remontrances de son mari au retour. Quoiqu’elle fasse, elle aura toujours faux.
Victoire attend lundi, sublime, écrit ses livres. Oublie cette famille qui la déteste et n’hésite pas à le montrer, tâche de sortir Philippe du lot, parce que c’est le père de ses enfants.

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Les nouvelles littéraires ne sont pas bonnes : Lavil, que Vic a contacté lundi pour accélérer les choses, a répondu sans diplomatie aucune qu’ils ne savaient pas encore pour son livre mais qu’elle n’avait rien a en espérer puisqu’ils n’en publiaient qu’un sur mille. Piquée au vif, elle a répondu «Ce sera le mien» mais ne veut même plus y croire.
Un sur mille, c’est craint-craint. Et elle a reçu ce matin la réponse de Julius delta :

Paris, le 30 novembre 1990

Madame,
Nous avons examiné votre manuscrit avec attention.
Malheureusement, celui-ci ne correspond pas à ce que nous souhaitons éditer. Nous ne pouvons donc vous en proposer la publication.
Avec nos regrets, nous vous prions de croire, Madame, à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.

Le service manuscrit pour Julius Delta.



Le lendemain, Vic se réveille désespérée. Elle en veut à la terre entière, et avant tout à son mari. Il est très affable en ce moment —disons depuis une semaine et avec quelques restrictions quand même : s’il est vrai qu’il vient volontiers la câliner, s’il lui raconte de nouveau les petites anecdotes de ses journées, il ne peut s’empêcher, de loin en loin, quand c’est elle qui se risque à un geste affectueux, de la rabrouer brutalement, du style : «De toutes façons, maintenant, j’ai le cœur tout desséché…», ou alors : «Je travaille comme un fou parce que je n’ai rien d’autre à faire…», «Je suis déçu par le mariage…» Des petites phrases comme ça, pour «rire», mais qui ont immédiatement l’art de refroidir Victoire, et qui, cumulées, finissent par s’incruster dangereusement dans sa cervelle.

Hier soir, Philippe avait une dingue envie de baiser. L’aurait bien sautée sitôt les enfants couchés, n’a cessé de glisser la main entre ses cuisses, frétillant à la vue de la moindre paire de fesses sur l’écran TV. Vic vient d’arrêter de fumer —pour satisfaire son mari— et elle n’a pas envie de faire l’amour. Et plus Philippe insiste, plus elle sent l’irrésistible désir du mâle se rabattre tout entier sur sa petite personne —normal, puisqu’elle est sa femelle— et plus elle est coincée.
Elle préfèrerait bouquiner le prix Fémina qu’elle s’est offert et qui, depuis qu’elle l’a ouvert, lui plaît. Bon, elle s’exécute. Rejoint le mari devant l’écran et fait sa petite gentille, pour finir, comme elle l’avait prévu, la bouche pleine de son sexe. Pour qu’il lui foute la paix avec sa libido.
Libido qui hier soir n’était pas venue d’elle, mais plutôt de la minette qui avait dragué Phil toute la journée, exploit dont il s’était allègrement vanté. Bref, devoir conjugal et Vic aurait tant préféré oublier ses soucis, et son manque de désir, et son manque tout court avec Pierrette Fleutiaux.

Au lit, elle refuse que Philippe la prenne. Cette pipe, loin de l’exciter, l’avait enfoncée davantage. Elle avait senti la crampe de ses maxillaires, elle avait trouvé ça long et n’avait pas apprécié cette main sur son crâne, brutale, pour l’astreindre à le finir et à l’avaler. Un ordre : «Surtout ne t’arrête pas, je veux jouir dans ta bouche…»
Avait-elle l’habitude de s’arrêter ?

Cadeau et pourtant ce matin, Phil est à peine aimable :
— Puisque tu vas à la cuisine, tu peux faire chauffer l’eau du café ?
— Non.
C’est pour «rire» et Vic ne trouve pas ça drôle.
Elle ne supporte plus son «humour», sa libido de jeune homme qui tirerait dans tout ce qui bouge, ses bouderies interminables… Elle ne supporte plus la bonne non plus, elle s’interroge.

Elle arrive à la conclusion qu’il est plus sain de fumer et se précipite au tabac racheter des cigarettes.

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Ce matin, Vic a présenté au service le dossier d’un malade.

Elle ne s’est pas mal débrouillée et c’est normal puisqu’elle avait passé son week-end à le préparer. Elle renoue donc avec son métier alimentaire, histoire d’anesthésier son impatience.
Pourtant, ici encore, alors que l’on ne lui demande rien, elle ne peut s’empêcher d’accuser : la Grosse Machine qu’est l’Assistance Publique, le manque de confiance entre confrères : pourquoi ont-ils contrôlé le 8 novembre, dans un autre hôpital, la cryoglobuline qu’elle avait typé le 31 octobre ? Pourquoi les examens complémentaires pléthoriques de monsieur X ont-ils été refaits dans l’intégralité alors que son médecin traitant, bien avant la Grosse Machine et avec l’aide d’un biologiste privé compétant, avait mis le doigt sur le diagnostic ?
Temps perdu et monsieur X, après deux mois d’hospitalisation, a fini par nécroser ses orteils. Argent jeté par les fenêtres et le déficit de la sécurité sociale n’est pas prêt de se combler… La lecture de ce dossier l’avait révoltée. Elle s’est pourtant contrainte à ne pas extérioriser, juste a-t-elle laissé passer une petite question, à la fin de son exposé : «Si on avait écouté le biologiste de Rambouillet, monsieur X aurait-il sauvé ses orteils ?»

La réponse de l’assistante Marie-Prune Derlich fuse :
— C’est normal ! Lorsqu’on décide d’une hospitalisation, il faut recommencer le bilan… Vous rendez-vous compte ? Une vascularite ainsi flambante !
— Normal, non, intervient la patronne madame Dieuleveut, mais habituel…
Nuance et pourtant sa voix aussi remet Vic à sa place. Elle regrette d’avoir soulevé le problème. Après tout, elle arrive au bout du calvaire et elle crache dans la soupe, maintenant que son transat au soleil se précise ? Vic repense à son livre, à ce besoin qu’elle a de ruer dans les brancards, à ce besoin de prendre sa revanche, absolument, alors qu’il lui serait si simple de maintenant cueillir le fruit de ses efforts… Et si le Conseil de l’Ordre décidait de lui mettre les batons dans les roues ? Si près du but, s’il refusait de la nommer docteur ? C’est vrai, elle accuse les psys dans le «Soleil Rose», mais ce n’est pas tant à cause des études et du corps médical. Si elle a choisi les psychiatres, ce n’est pas un hasard.

Vic se souvient trop bien de ce retour chez elle, lorsque se retrouvant avec la foi et la conscience que son heure n’avait pas sonné, elle a maudit cette race de docteurs. Pas parce qu’ils étaient docteurs, non. Parce qu’ils l’avaient blessée, au plus profond d’elle.
Ce désir de revanche date du 6 novembre 1984. Trois heures durant, ils avaient jugé nécessaire, eux, les sains d’esprit, de l’immobiliser, écartelée dur son lit de réa, sous prétexte qu’elle gesticulait trop et qu’à cause de son insuffisance rénale, elle ne devait pas débrancher sa perfusion. Il est vrai qu’elle était confuse —qui ne l’aurait pas été au sortir d’un coma stade III de 72 heures— qu’elle avait arraché sa sonde urinaire tant elle ne supportait plus d’avoir le cul à l’air, qu’elle avait traité la grosse et brutale infirmière de teutonne et de mal baisée… Etaient-ce des raisons suffisantes pour se jeter à six sur elle, la ruer de coups jusqu’à l’immobilisation totale et serrer si fort les liens de ses poignets et chevilles qu’elle en saignait ? Elle avait mis dix jours à cicatriser leurs plaies. Quatre bandeaux de cuir qui lui mangeaient la chair, tandis que soudée au matelas, les jambes ouvertes, Vic tâchait de comprendre où était son erreur. Elle s’était simplement ratée. Elle avait essayé de mourir mais elle avait échoué.

Le matin même, elle avait obtenu un slip en mailles, jetable, comme il en existe dans les maternités. Il était très ajouré mais c’était mieux que rien. Confuse mais pas inconsciente, elle n’oublierait jamais l’humiliation de cette nuit-là : leurs douze bras énergiques, la teutonne et ses gros seins vautrés sur elle, le regard de celui-ci, un peu en retrait, un peu gêné, et celui de cet autre, brillant. Et ses cris qu’ils étouffaient en bâillonnant sa bouche… La relève, trois heures plus tard et parce qu’elle supplie, libère ses mains et ses pieds bleus. De quoi aurait-elle pu se plaindre : ils avaient sauvé ses reins… Et ils la croyaient folle, les psys leur avaient dit. Ces psys qui passaient à tour de rôle prendre la température de son cerveau. Sûrs de leur intégrité psychique, sûrs de leur bon droit, ils avaient décrété qu’il fallait l’interner à Sainte-Anne, qu’il fallait l’empêcher de nuire. Condamnée à leurs yeux puisque majeure, elle n’était plus sous le contrôle de ses parents et folle, elle n’avait plus droit à la parole.
Pas de décharge à signer. Dans cette réa, ils attendaient un lit à Sainte-Anne pour définitivement fermer sa gueule… Pas de décharge à signer, sa signature ne valait plus rien.

Vic s’en est sorti d’une drôle de façon. Elle a attendu d’être libérée de sa perf, a demandé des fringues à son frangin et au cinquième jour, a subitement tenté de fuir, à toutes jambes…
Au premier essai, elle s’est retrouvée dans la rue, clopinant (elle avait perdu une chaussure), poursuivie par Maxime qui criait : «Vic, tu aggraves ton cas !!!»
Il parvint à la bloquer en plein carrefour. Roulé-boulé et un peu plus, la voiture qui fonçait écrasait la bête à deux dos. Au second, elle atterrit Dieu sait comment dans le bureau du patron de psychiatrie. Ella a fui dans l’autre sens, cette fois-ci poursuivie par son père et se souvient de ne pas avoir compris, alors, pourquoi il l’empêchait de courir. Elle a de la chance : ce psy-là ne la condamne pas, prend le temps de la rassurer, la prie de s’asseoir, de lui raconter, calmement. Alors elle voit qu’il a une jolie plante sur son bureau et dit : «Je ne veux pas retourner chez les fous, ce système est inefficace, la preuve… Et mes plantes vont mourir si je ne les arrose pas… Je veux rentrer à la maison, je vous le jure : je n’essaierai plus de me tuer, je sais que maintenant, j’ai envie de vivre…»
Vic est sincère, ce nouvel échec lui a servi de leçon. Elle s’acharnait à le répéter aux autres, les petits redresseurs de torts, mais ils ne voulaient pas l’entendre… Pourtant lui l’écoute et la croit. Si vite qu’elle a soudain peur de la ruse.
— Il n’est malheureusement pas en mon pouvoir, maintenant, de vous sortir de ce guêpier. Ils ont trouvé une place à Perray-Vaucluse, acceptez-la, ne vous révoltez pas… Vous verrez, là-bas, ils sont beaucoup plus tranquilles qu’à Sainte-Anne. Vous pourrez en sortir plus facilement. C’est votre chance, qu’il n’y ait pas de place disponible dans l’immédiat…
Victoire préfère le croire. De toute façon, a-t-elle le choix ?

L’ambulance la trouve docile au début de l’après-midi. Elle sympathise avec les brancardiers qui lui font même confiance lorsque sur le trajet, elle s’arrête chez Potin s’offrir du shampooing et une savonnette. Enfin ! Ca la réchauffe de ne plus être prise pour une foldingue. D’abord le patron, puis ces deux jeunes garçons qui poussent même la galanterie jusqu’à lui faire un brin de cour. Victoire reprend espoir, parvient à garder son sang-froid lorsque de nouveau, elle atterrit à la table pourrie d’un réfectoire pourri, devant le poisson plein d’arêtes et le Petit Suisse à la confiture, entourée de «débiles mentaux». Les moins graves, ici, sont séparés des pires, enterrés au sous-sol. Cette fois, elle ne croit plus à la purge rédemptrice, cette fois, elle est bien décidée à rentrer chez elle.
Le reste va très vite. L’interne du week-end semble attiré par son histoire. Presque six heures, il restera dans sa chambre à écouter, encore et encore, ce qu’elle a à vomir. Et il la relâchera le dimanche soir, parce que dit-il, avec le médecin officiel, elle n’avait aucune chance : son dossier était accablant.
Lui la laissera sortir avec six Temesta. Repartir avec sa maman et les valises pleines de fringues et de cadeaux qu’elle avait apportées la veille.


Un jour Vic se vengera. Obtiendra l’internat, deviendra médecin et respectable comme eux. Un jour, elle fera mieux : elle signera des autographes dans la rue.

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Même si l’envie d’en finir s’en prend aux tripes, qu’on a tout essayé et que rien n’a marché. Même si la mort semble l’ultime solution, il faut réaliser qu’ailleurs, au ciel, les journées seront tristes, mornes, en tous cas dénuées de ce petit piment qui rend la vie si belle.

Ce piment tel l’oignon qui fait pleurer les yeux, ce piment tel l’aneth qui explose les corps, entre deux draps peut-être sales.

Qu’importe l’apparence, le oui-dire, le non-dit, qu’importe le passé.
La femme et l’homme reconstruisent à grands coups de je t’aime, les enfants poussent à coups de théorèmes : tout corps plongé dans un liquide ne se noie pas…

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Le lendemain de Noël 1990, Victoire s’offre un maxi bourdon. Pas celui qui vole en faisant brrr brrr, mais l’autre, le vicelard.


La veille, elle a obtenu de Philippe la traditionnelle virée-magasins, pour son cadeau de Noël, un pull qu’elle tenait à lui faire essayer. Elle était partante pour la chemise assortie mais lui s’y est opposé. Sur le trajet, il a demandé :
— Et toi ? Tu veux quoi pour Noël ?
Vic a caché sa déception, elle pensait qu’un 24 décembre, son mari aurait déjà tout prévu. Elle a fait sa coquette :
— A part un troisième enfant, je n’ai envie de rien (le troisième enfant est le vœu le plus cher de Vic. Elle s’est entichée de cette idée au retour des vacances d’été et tanne en vain Philippe depuis). Il répond olympien :
— Tu peux toujours courir ! Elle répète :
— Je n’ai envie de rien. Et se creuse… «Peut-être de disques ?»
— Bon, je vais t’offrir des disques.
Victoire n’a que deux titres en tête, elle mérite mieux, n’est-ce-pas, pour son sixième Noël ? Elle continue, vaillante :
«… Ou une paire de gants…» (mais Zina s’est déjà proposée à les lui offrir)… «Ou un bijou ?…»
Ils sont précisément devant la vitrine d’un bijoutier :
— On peut peut-être entrer ? se risque-t-elle. Philippe presse le pas.
Elle tente donc de le traîner dans un magasin de chaussures : des escarpins ? Oui, pourquoi pas ? Victoire en a besoin. Phil est déjà deux mètres plus loin…
Tans pis ! D’autant qu’une autre urgence s’impose : il faut trouver un joli bouquet à Zina qui les reçoit ce soir. Phil se propose à le payer, ils regardent, commentent, pour finalement hésiter entre deux confections, l’une à 270 francs et l’autre à 375 qui plaît davantage à Philippe. Il parvient vite à la convaincre et elle s’émeut que son gentil mari ne lésine pas pour sa maman. Il lui demande de l’attendre devant la voiture, il est mal garé, si l’autre veut sortir… Vic s’amuse à penser que l’idée de la voiture est une ruse et qu’il va rappliquer avec un magnifique bouquet pour elle. Non. Il case la décoration dans le coffre et lance :
— Dis donc ! C’est vachement cher, ce truc, tu devineras pas combien ! Victoire joue l’étonnée, peut-être a-t-elle mal lu :
— Non...
— 400 francs !
— Ah oui, effectivement !…

Elle est déçue sur toute la ligne. Il n’a pas lu les étiquettes, il est resté seul dans la boutique mais pas pour une surprise, finalement, il lui jette, une fois dans la voiture :
— Mignonne, la p’tite vendeuse… Tu as vu ce cul ! (Non, elle n’avait vu que son visage, brune aux lèvres charnues… Jolie, c’est vrai, Vic pense qu’elle a ses lunettes et qu’elle aurait peut-être pu se laver les cheveux.) Mais elle ne relève pas, même lorsque Phil lui envoie le clin d’œil :
— Une feuj, à tous les coups, vachement cool en tous cas…

Ils rentrent, libèrent Brigitte, retrouvent les enfants. Vic file bosser dans la chambre nuptiale tandis que Phil se poste devant la télé, les garçons à ses pieds. Puis il tape dans la porte. Elle s’est endormie, dommage, elle serait bien restée au lit, la grippe vient de lui tomber dessus, ses articulations sont rigides comme des plombs, elle souffre du crâne et même son mari remarque «sa petite mine». Tant bien que mal, elle se bouge cependant, sort de sa housse une tenue de gala que Phil n’a jamais vue, confectionne un chignon de ses cheveux en bataille, chausse ses perles et les boucles d’oreilles assorties. Pendant ce temps, Phil habille les enfants qu’elle entend hurler de la salle de bain. Stoïque, il se débrouillera seul et ne jettera pas même un regard à sa robe (déplacé, tout ce tralala, alors qu’il y a plus important à prévoir, d’ailleurs, lui n’a pas changé de tee-shirt, il s’est rasé, c’est tout.)

Apéro : RAS, Vic oublie son mari, oublie ses fils, toute à la joie de revoir sa belle-sœur Muriel et ses deux filles, les filles de son frère aîné Jonas. Repas : RAS, Vic sait que les enfants se sont gavés de petits fours salés, elle a juste viré les cacahuètes et ils n’ont plus faim. David est à présent sur ses genoux, Phil à côté avec Nicolas sur les siens. Il refuse qu’elle allume une cigarette, parce que les enfants sont trop près. Il n’a pas tort mais son air supérieur l’agace. Il ordonne :
— Donne à boire à David !
— Encore ?…
— Ben oui, il a quarante de fièvre !

Elle s’exécute, docile, pique son fard lorsque Philippe rabâche son couplet sur Nicolas qui ne mange rien, et l’avis de la diététicienne etc…
Vic traite la diététicienne de con. Toutes les diététiciennes sont cons. Elle en a consulté une, pour grossir, à laquelle elle a détaillé son menu quotidien : un petit pain au chocolat, une banane à dix heures, un cheese-burger avec maxi frites et maxi coca à midi, une demi-baguette et une demi tablette de chocolat au goûter, et le dîner du soir avec entrée, milieu, dessert et boissons à volonté… Et cette idiote de lui répondre qu’elle mangeait trop sucré et que si elle voulait grossir, elle devait remplacer ses en-cas par du fromage… Allez sortir le camembert à dix heures à l’hôpital !!!
Elle parvient à finir l’histoire et enchaîne sur :
— C’est dingue, en revanche, quand je suis enceinte, absolument tout me profite… J’ai pris vingt kilos pour David !!!
— C’est ça ! intervient Philippe, n’importe quoi !…
— Tu as raison, lui répond-elle. C’est TOI qui l’a porté David, c’est TOI qui sais combien t’as pris !… A chaque fois que je dis ça, tu me contredis. Je ne comprends pas ce besoin que tu as de me contredire tout le temps !…

La clop, David, la diététicienne, les 20 kilos, RAS LE BOL, elle ne le regarde plus. Elle s’adresse à Muriel, en face :
— Moi, de toute façon, les enfants, je les laisse grandir… S’ils veulent grignoter, qu’ils grignotent. Je respecte leur indépendance et j’attends d’eux qu’ils respectent la mienne. Je ne suis pas à leur disposition, ce qui me pousse d’ailleurs à en envisager cinq… Je n’ai jamais souffert de mes enfants, je ne me suis jamais sacrifiée pour eux, je trouve débile d’aller consulter une diététicienne et de passer leurs quatre volontés.
Philippe explose, se lève brutalement de sa chaise :
— MAIS TU ME CHERCHES ! C'EST PAS VRAI !... TU VOIS COMME TU ME CHERCHES DEPUIS UN QUART D'HEURE ???
Vic est soufflée d’une telle violence. Au regard de son père et à sa moue désapprobatrice, elle comprend que lui aussi s’épate. Philippe répète :
— SI ! TU ME CHERCHES DEPUIS UN QUART D'HEURE !!!

Et contre toute attente, Zina donne raison à l’époux. Vic tâche de ne pas plonger le nez dans son assiette de honte. Elle ne se défend pas, se remémore une phrase du «Soleil Rose» : «Ces fêtes où l’on s’empiffre, où l’on règle ses comptes autour d’une table .», garde donc les yeux rivés aux fromages, de chez Barthélémy, mais son âme est brisée…
— Bravo ! Tu as réussi à gâcher mon Noël, avait fini par conclure Phil, pour une histoire de vingt kilos !!!

Pourtant ne lui avait-il pas jeté, tandis qu’elle sortait de la douche en chantant : «Joyeux Noël, Joyeux Noël !…» :
— Noël, ne l’oublie jamais, est une fête instituée par notre «cher» Pétain.
— Ah bon. Pourtant le Christ n’a pas attendu Pétain pour naître…

Elle lui a gâché son Noël... Elle ne le regarde plus, il ne lui adresse plus la parole et la fin du dîner s’évapore dans un film de Visconti. Phil habille les enfants en cinq sept. David, qu’elle a couché une demi-heure plus tôt, vient de se réveiller les joues rouges de fièvre. Pas le temps de s’éterniser, d’ailleurs elle n’a plus de clops et pas le choix : Philippe l’attend fin prêt dans l’entrée.
Dans la R5, il fait la gueule. Elle aussi, elle rumine. Vic sait que l’alcool la rend agressive, elle l’a souvent remarqué :
— Au fait, tes remplacements, ils doivent bien te rapporter 3000 francs de plus par mois ?
Philippe ne répond pas (il fait la gueule). Elle insiste :
— C’est ça : tu en fais deux à trois par mois et cet argent, on n’en voit pas tellement la couleur…
— Qu’est-ce que tu cherches à dire ?
— Je dis que je trouve anormal que tu ne m’aies pas fait de cadeau à Noël.
— Tu sais très bien que tu vas l’avoir, ton cadeau… Je t’offre toujours un cadeau… Raconte pas ça alors que c’est les vingt kilos qui t’ont déplus… T’es qu’une CONNE qui m’a gâché mon Noël pour une connerie !
— N’empêche que t’es radin… Quand je pense qu’on n’a même pas fait de cadeaux à ma famille !…
— Ca y est… Tu veux me faire croire ça, que c’est pour ça que tu m’as cherché, alors que tu sais très bien que je n’ai pas de fric, que le loyer de 7500 francs m’est directement prélevé, alors que c’est toi qui a l’argent !
— Tu veux dire 10 000 francs, avec 4500 francs de bonne, reste 5500 francs pour la bouffe pour cinq, les fringues et les jouets des enfants, mes fringues, l’électricité, le chauffage, le téléphone et les assurances… Reste vachement !
— Arrête ! Tu te prives de rien : tu t’es bien offert 2000 francs de lunettes ce mois-ci !
— Oui, avec l’argent de mon plan épargne-logement, c’est-à-dire l’héritage de ma grand-mère.
— Arrête, arrête… De toute façon t’es qu’une conne, je ne supporte plus ta sale gueule et je vais divorcer… Et je me casse demain et je pars en vacances le 6.

OK. Plus un mot. Il lui a cloué le bec. D’ailleurs, ils arrivent. Elle se couche seule tandis que lui rumine dans le canapé du salon. Il s’y endormira et finira donc la nuit de son côté.

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Au matin, Victoire l’accueille fraîche et pimpante :
— Alors Monsieur le Radin, Egoïste et Prétentieux… On va encore bouder pendant huit jours ?…

Elle le déteste et ça la rend joviale. Elle sait qu’il va passer son après-midi chez sa mère à Montmorency et qu’elle va rester seule tranquille avec David qui est encore malade.
Loin de son sale regard.
Elle pense qu’ils ne s’aiment plus, mais n’en est pas encore totalement persuadée.
Elle est très décidée à divorcer lorsqu’elle appelle Zina. Celle-ci prend tant et tant la défense du mari que Victoire se sent obligée de lui raconter l’autre Philippe, celui qui part très tôt et rentre très tard, même le samedi, qui travaille à longueur de jour sans pour autant être plus riche. Le Phil qui se persuade que ses enfants ne tournent pas rond («Pourquoi Nico ne mange-t-il pas ? Quel est le problème du couple ?») avait demandé le pédo-psy qu’il avait vu pour lui…
Parce qu’avec leurs gènes, ses gènes, sa mère, ses frères, ses fils, ELLE… ils sont tous fous, hystériques, obsessionnels, et Nicolas l’inquiète à se focaliser sur les motos et les casques… Le pauvre enfant : voilà que son père a dit «obsessionnel»… Un bambin de trois ans !
Le Philippe qui vomit sur ses livres, l’éducation qu’elle croit bonne pour ses gosses (beaucoup, qu’on laisse choisir et qu’on gronde, et auxquels on apprend à respecter l’indépendance des parents…) Le Philippe qui vomit sur sa religion («Mais ça, c‘était écrit») lui dit sa mère. Zina est surtout choquée quand Vic lui avoue ne jamais savoir ce qu’il fait, ni qui il voit, s’il la trompe ou s’il l’a trompée… Il dit que non et à l’occasion d’un dîner entre amis, racontera une histoire de l’armée, puis lui assurera, en tête-à-tête, que non, ce n’était pas vrai mais pour «rire»… Une maîtresse ? Des maîtresses ?… Vic s’en balance.
«Non», lui répond sa mère, «tu ne peux t’en fiche».

Bref, Victoire réussit à la monter contre lui et elle se calme. En raccrochant, l’intense sentiment de culpabilité qui ne la quitte jamais s’abat sur elle : elle avait dit la vérité à Zina, mais sous la lumière de l’intransigeance. C’est vrai que Philippe répète que son livre, c’est de la fiente, mais il l’a lu, par accoups de trois pages et parce qu’elle suppliait, mais il l’a lu et c’est lui qui lui a trouvé une machine à écrire… Donc elle peut le casser en racontant le pire comme elle peut l’enjoliver en racontant le meilleur. Zina se montre intraitable à propos des réflexions sur les femmes. Pourtant Vic n’est pas sûre de s’être choquée de sa réaction devant la fleuriste. Elle n’est pas jalouse de Philippe, ou peut-être, à en croire Zina, ne se l’avoue-t-elle pas…
Elle est plutôt gênée du reste : les beaux-parents et son malaise du dimanche, le crachat sur son livre, les reproches sur l’éducation des enfants, les problèmes d’argent (même si elle ne manque de rien : acheter des yaourts ou de la pâte brisée la comble autant que d’acheter des jouets aux enfants ou des vêtements pour elle. Du moment qu’elle dépense, Vic est contente.) Elle ne manque de rien mais elle aurait aimé recevoir un cadeau à Noël, sentir l’envie du cadeau…
C’est surtout que Phil traite leur fils d’obsessionnel qu’elle ne supporte pas.

Voilà comment Vic a fêté Noël 1990 : Philippe a explosé tel le pétard du 14 juillet.
Après le coup de fil à Zina, elle n’a plus d’opinion : rester avec lui ou divorcer, elle pense qu’au fond, c’est kif. Seuls lui importent ses bébés, son stylo et ses clops. Elle sait qu’elle n’a plus qu’un an d’études à tirer, qu’elle pourra s’installer en biologie, qu’elle s’en sortira toujours. A moins que «Le Soleil Rose» ne la raye du Conseil…
— Penses-tu ! a dit son père. Et s’ils la rayent, c’est qu’elle sera connue. Pas de panique, donc, le gros bourdon peut s’envoler.


Lorsque Philippe rentre avec Nicolas, Charles et Zina faussement décontractés dégustent des petits fours autour d’une tasse de thé. Charles semble inquiet mais Vic assure. Elle connaît son mari et ne s’offusque pas qu’il préfère l’ignorer.
Sitôt ceux-ci partis, Philippe s’enferme téléphoner dans la chambre. Il en ressort triomphant, Victoire épluche les pommes de la tarte qu’elle a prévu pour le dessert :
— D’abord, crie-t-il, je sors ce soir… Aucune envie de voir ta sale gueule ! Ensuite… (il lui fiche une liasse de papiers sous le nez), ensuite, je t’ai apporté mes relevés de banque…
Elle ne les regarde pas, toujours dans ses épluchures.
— Allez ! Regarde ! Je veux que tu regrettes !… Ah, ah, ah, tu ne me crois pas ? Ah, ah, ah, tu vas voir !…
Il fanfaronne, insiste. Bon, il n’a qu’à les lui montrer, ses relevés, pendant qu’elle découpe ses lamelles. Elle jette un œil sur la première page et lui commente, faraud :
— 7500 francs de loyer, 375 francs, c’est le chèque d’hier, le bouquet pour ta mère, 300, mon inscription à la FUP, 150 francs d’essence… Bilan du mois : reste 865 francs le 12/12/90… Heureuse ?
Il est immonde mais elle s’en fiche, encaisse, n’a pas spécialement envie de s’énerver, de répondre à ses insultes :
— Alors ? Ca t’en fout plein ta sale gueule, hein ? T’es convaincue, hein ?

Vic n’est convaincue de rien, il peut très bien avoir un autre compte. C’est son ton qui la rassure, seulement : il n’est vraiment plus possible de vivre ensemble. Elle lui répond :
— S’il n’y avait que ça, l’argent…
Il continue à s’agiter :
— En tous cas, ce soir, je sors, je ne vais pas voir ta sale gueule… Et puis enfin : je veux divorcer.
— Ne t’inquiète pas, on divorcera.

C’est assez sordide, la fin d’un couple. Vic ne dirait pas «d’une histoire d’amour», car elle est en train de se persuader qu’elle ne l’a jamais aimé, ce type.
Et ça marche impec.
Et si Philippe craque, s’il divorce, s’il ne veut plus voir sa «sale gueule», qu’il parte, elle se débrouillera.
La seule chose qu’elle ne supporterait pas serait de ne plus vivre avec ses enfants. Mais la loi est pour elle. Elle n’a pas commis de faute grave (elle lui a gâché son Noël), elle se tient à carreaux, encaisse.

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Il y a des fois où la peine est si grande, et la déception si amère, qu’on aimerait perdre conscience, oublier le passé, devenir amnésique.

Comme si la détresse, pourtant née d’un conflit mineur, ne venait que d’ailleurs, du plus profond du temps, de l’accumulation de cruels souvenirs.

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vraiement poignan ton livre,j'ai l'impression de le vivre tellement c'est bien racontée,bravo ce n'est pas autobiographique du moins je l'espère

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RIEN N'EST INVENTÉ !

C'EST PUREMENT AUTOBIOGRAPHIQUE

Sad Sad Sad Sad Sad

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Après trois jours de mutisme haineux et trois nuits de dodo solo, Philippe et Victoire se réconcilient.


Phil est sorti deux soirs de suite, Vic s’est rattrapée le lendemain et à son retour, lorsqu’elle a vu son pauvre époux vautré fin saoul sur le canapé du salon, elle a pardonné les insultes et s’est laissée prendre en levrette, à cause de l’haleine avinée.

L’ordre se rétablit. Philippe ne parle plus de divorce mais reste sur ses positions quant au départ prochain. A la montagne, en circuit de grande randonnée et avec son complice Pierre :
— Tu comprends, ma chérie, il n’est pas question de te joindre à nous, nous skierons du matin au soir et dormirons dans des refuges.
De mauvaise grâce, Vic n’a pas insisté. Elle serait bien partie aussi, avec ses trois garçons, mais puisque le pardon passe par cette concession, elle est obligée de se résoudre à l’abandon.

Le 31 décembre, fêté sous le sapin des beaux-parents, puis sous les cotillons des amis de Philippe, Victoire s’inquiète de l’année qui commence.

Elle craint la guerre qui se profile dans le Golfe et redoute l’inconscience de son homme. On n’abandonne pas femme et enfants à une semaine de l’explosion… Elle toaste le cœur gros et le Tampax en place. Ses multiples essais de grossesse échouent les uns après les autres, et c’est peut-être mieux : on ne met pas un enfant juif en route à une semaine de l’explosion…

Et puis Brigitte vient de donner sa démission. Malgré l’indicible soulagement, Vic sait qu’elle va devoir revivre le circuit infernal : écrire les annonces, les déposer, répondre au téléphone, rencontrer les postulantes, raconter le boulot par le menu et choisir parmi les Rita, Malika, Alba et autres Conchita.
La perspective ne l’enchante guère, elle n’a plus joué au qui-sonne-gagne depuis un an que Brigitte travaille pour elle, avec un peu de malchance, elle devra prendre sur ses vacances pour former la nouvelle.
Evidemment, pour Phil, c’est à cause du sale caractère de sa femme que Brigitte rend son tablier. En fait, Victoire ne la supportait plus, cette pauvre infirme analphabète qu’elle avait engagée par pitié, mais qui passait son temps à récurer le sol, faute de ne pouvoir parler avec les enfants, puisqu’elle n’avait pas de langue.




Ce 5 janvier 1991, Victoire doit rentrer tôt de l’hôpital, le défilé démarre dès seize heures et ne devrait plus s’arrêter de la journée.

La veille, seule une vieille est passée, et Vic commence à croire qu’elle va devoir choisir entre les deux candidates de l’avant-veille : Paméla, une Mauricienne de 31 ans, trop jolie et trop finaude, qui vient d’emménager dans le quartier. Bon contact avec les enfants mais dont elle soupçonne le calcul : «Ma patronne actuelle me donne 5000 francs par mois», lui a-t-elle lancé lorsqu’elle a proposé ses 4200. Vic a saisi le regard de connivence échangé avec la sœurette, venue aussi. Et puis 8 h 30, ce serait mieux, elle a une petite fille à accompagner à l’école… Et puis Vic l’imagine mal derrière une serpillère.
Joséphine, la seconde, est quasi l’opposée : la doudou type avec le boubou et les dents du bonheur. Une heure pour trouver la maison, l’allure décontractée à souhait, elle ne doit pas connaître le fil à beurre. Mais elle est prête à pointer dès six heures et ne semble pas rechigner devant les tâches domestiques. D’emblée, elle retire ses chaussures et Vic y est sensible. Moins Philippe qui ramasse par terre de petits morceaux de pansements et la juge «dégueulasse». En plus, elle lui paraît bien grosse, et pourquoi a-t-elle laissé ses trois enfants à leur père à Bordeaux ?


A seize heures, tandis que Brigitte peaufine et classe par ordre alphabétique les carottes dans le réfrigérateur, Vic ouvre la porte à une mama Marocaine, précédée d’un p’tit pois, sa fille de huit ans, la dernière.
Fichu, loden, des mains d’agriculteur, larges comme des battoirs et sillonnées comme des feuilles de vigne. Franc sourire, avec une incisive en or.
Le choc !
Vic lui expose la situation, la laisse parler de son emploi chez Cartier, à l’aube et au crépuscule (elle en est fière comme si elle y faisait la montre), mais sait déjà qu’elle ne l’engagera pas. Parce qu’elle avoue 42 ans (48 pour l’état civil mais ils se sont trompés) et qu’elle en fait 50. Et Philippe va encore la trouver trop grosse. Aïla lui dit :
— Si tu m’emploies, tu deviens ma fille, et tes fils, mes petits fils… C’est pratique, j’habite juste à côté, Cartier, c’est aux Champs-Elyséees, et c’est trop tôt le matin…
4200 francs lui conviennent mais elle tient à être déclarée. Chez Cartier, ils la déclarent.

La suivante, à 18 heures, ne fait pas long feu. Philippe l’a déjà vue hier et son verdict est sans appel : elle se trimballe avec le voile, pas question d’une bonne femme comme ça chez lui, et pour aller chercher les enfants à l’école, non, pas question…
A cause du tissu blanc qui lui entoure le visage à la façon d’une nonne, Victoire la reconnaît de suite. Pourtant Phil avait dit qu’elle était grosse, et sous le lourd manteau, Vic ne la trouve pas grosse, bien en chair seulement. D’emblée, elle se renseigne :
— Vous travaillez avec le voile ?
— Non, je le retire s’il n’y a pas d’homme ; sinon, je le garde.
— Alors, excusez-moi, mais je crains que ça ne puisse marcher…
Les mots de Phil résonnent à son oreille, le voile, il a raison, ce n’est pas possible. Kenza argumente :
— Mais je ne comprends pas… Je le porte toujours… Je fais mes courses avec, je vais chercher mes enfants à l’école avec, je n’ai jamais eu le moindre problème !…
— Mais j’espère bien… Je n’ai rien contre la religion musulmane ; ma grand-mère maternelle était elle-même musulmane…
— Je ne comprends pas, je connais mon travail, j’ai élevé mes enfants…

Kenza a un joli sourire, des traits réguliers, mais le bandau blanc qui descend bas sur son front, juste à la limite des sourcils, gêne Vic un tantinet :
— Voyez-vous, ici, nous sommes mélangés, nous n’avons pas la même religion. Nous ne voulons pas aborder le problème tant que nos fils ne nous posent pas de questions. Si vous gardez le voile et revendiquez la vôtre, je ne peux pas vous employer. Aucune religion ne doit être affichée sous ce toit…

Kenza se lève, furax, marmonne, persiste :
— Je n’ai jamais eu de problème, je n’ai jamais eu de problème…
— Mais j’espère bien ! Profitez de votre croyance, j’espère bien… Vous n’avez pas à avoir honte, au revoir, excusez-nous…

La porte sitôt fermée, Philippe qui, sans intervenir, a assisté à la scène, agresse son épouse :
— Tu n’aurais pas dû dire ça.
— Quoi ça ?
— Son voile.
— Ah bon ! Parce que ce n’est pas à cause de lui que toi, hier, tu n’as pas voulu de cette femme ?

Vic toire sent la moutarde lui effleurer la narine. Elle est tirée de sa sieste par cette pratiquante effrénée, elle dit la vérité, épargne et son temps et le sien, et se fait savonner par son jules ? Pourquoi ? Parce qu’elle a vexé cette petite madame, qu’elle a été trop sincère, qu’elle aurait dû lui dire que la place était prise ? Ah ouais ? Quand ça ? Lorsqu’elle a répondu qu’elle acceptait d’enlever le chaddor s’il n’y avait pas d’homme ?

Elle aurait dû lui dire comme aux autres.

Ah ouais ? Le baratin du business, vingt minutes de publicité sur le joyeux naturel des gosses, la proximité du square et des pédiatres, le confort de l’appartement etc… Vingt minutes à multiplier par cinq puisqu’elle en reçoit cinq ?… Non. Il n’a qu’à le faire, lui, le speech…

Elle lui sort qu’il n’a pas de couilles, qu’il l’accuse mais qu’il n’avait qu’à lui dire, hier, lorsqu’elle s’est présentée, que la place était déjà prise. Elle a bon dos : elle se tape le laïus et le courroux de la bonne femme, et de surcroît encaisse les remontrances du mâle !!!

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Miracle !

A vingt heures, elle n’y croyait plus, une perle se propose : mignonne, vingt ans, Portugaise, précédée d’une bonbonne et soudain, Vic s’effraie : «C’est pour laquelle ?» demande-t-elle la voix chevrotante.
— Ma fille, répond la bonbonne en s’effaçant devant la jeune, la mignonne, au sourire impeccable et à l’allure proprette.

S’ensuit une discussion à six, avec les deux enfants, Philippe, Ydillia, puisque c’est son prénom, et la mamma. Intelligente, mais pas trop, cinq ans d’expérience, dont deux à Neuilly dans une maison de quatre étages et avec quatre enfants, un mariage pour bientôt (Aïe ! Elle va vouloir faire des gosses !).
Une nana qui sent bon le savon espagnol, dégourdie, qui sait parler et même écrire le français !!!! Déjà sur deux coups mais la Tour Effel, c’est trop loin…
Seul hic : elle tient à être déclarée après son mariage pour que son promis puisse rester en France, et qu’il travaille au noir.
Pas question que Victoire la déclare d’emblée, elle veut d’abord savoir si elle la garde. Elle propose donc deux mois d’essai. La Portugaise semble accepter, c’est si près de chez elle, et les enfants, elle les adore, ils ne lui font pas peur, et le ménage… Métier de mère en fille depuis presque trois générations…




Vic rencontre Rosy en revenant de chez l’Arabe. Avec ses cheveux au vent, ses lunettes rondes au bout du nez et son foulard indien sur les épaules, elle n’imagine pas un instant qu’elle répond à l’annonce. Elle est familière, souriante, avec un dossier dans les bras :
— C’est ici le 48 ?
— Oui.

Elle a une drôle d’allure, un peu hyppie sur le retour, look Katmandou ; un drôle d’accent aussi.
Lorsqu’elle la voit appuyer sur l’interphone, Victoire comprend enfin :
— Vous venez pour l’annonce ?
— Oui, sourit-elle (il est 21 heures). J’ai eu votre mari au téléphone hier. Vic ose s’enquérir :
— Vous vous appelez comment ?
— Rastopouloff.
— Oui, mais le prénom.
— Ce serait trop compliqué.
— Dites toujours. La baba cool hésite :
— Esenrosfen…
— Pardon ?.......Dites Rosy, c’est plus simple…

Sûr. Et dans l’ascenseur, Vic se demande pourquoi elle n’a pas commencé par là.

Philippe dans le salon tente désespérément de calmer David et Nico (c’est leur heure). Ils lèvent le nez vers l’intruse, sans commentaire. Victoire attaque son baratin. Le poulet est au four, elle n’a que ça à faire en attendant le dîner.
Et en principe, c’est la dernière.

Quand elle a déposé ses petites annonces, le 31 décembre, elle aurait volontiers écrit : «Nicolas, trois ans, et David, 18 mois, cherchent Marie Poppins.»
A présent, en face de cette femme, elle se dit que le surnom lui irait bien. Rosy n’a jamais gardé d’enfant, si ce n’est la sienne, à Sofia, et elle avait un grand jardin, une vaste demeure, le travail proposé lui paraît enfantin. Elle est slave, elle se donnait beaucoup dans son pays : le ménage, la vaisselle, les courses avec les files d’attente. En plus de son propre job, puisqu’elle est diplômée de géologie.

Avec ses longues mains fines, son discours d’intello : «Le grand est à l’école ? Ah ! La maternelle !… C’est la fin de la liberté !… Tu vois la lune ? Eh bien tu manges le soleil et il reste le croissant de lune… Et tu n’as pas besoin de le colorier, il est blanc.»
Vic ne la voit pas, mais alors pas du tout, se préoccuper de l’intérieur. L’esprit des enfants, jouer, parler, elle l’en sent fort capable, mais pour laver les chiottes… Mmmm, elle aura tendance à bâcler.
«D’ailleurs, lui dit la slave, tandis que Vic la raccompagne, ce dont on se souvient, quand on est grand, ce n’est pas la propreté du sol, mais de ce qu’on a échangé avec les autres». Et lorsque Vic avoue travailler à mi-temps sur ses romans, Rosy ajoute :
— Ah ! Moi, j’écris des vers…

Le bouquet ! Impossible à engager : un domicile à Perpettes-les-Oies, une famille en Bulgarie, un «collègue» rue de Tolbiac (c’est pourquoi elle a vu l’annonce, et ça ou autre chose…) Vic lui souhaite autre chose. Elle flaire l’intrigante, la jeune femme fantasque qui a quitté sur un coup de tête foyer et parc, et qui les quittera sur un coup de tête, lorsqu’elle se sera lassée de ramasser les miettes des enfants.


Victoire appelle Samuel, et Rachel, appelle l’ancienne patronne d’Ydillia, au numéro que la jeune fille lui a laissé. Ladite patronne, Olga, du même âge que Victoire, ne tarit pas d’éloges : elle la lui recommande chaudement, a dû s’en séparer lorsque sa fillette est entrée à l’école, mais la regrette : une perle !!!

Elle quitte sa chambre à la limite de l’hypoglycémie. Heureusement, Phil a sorti le poulet du four et dressé le couvert. A table, elle lui raconte ses coups de fil. Phil se réjouit que son père s’occupe de l’URSSAF mais tire sa mine de contrarié. Elle risque :
— Tu remplaces demain ?
— Toute la journée.
— Avec Anita ? plaisante-t-elle (Anita est une jeune voix qui appelle souvent).
— Ouais…
— Ah ! Je comprends pourquoi tu remplaces si souvent et que l’argent ne rentre pas.
— C’est pour ça : je travaille de la bite et ça rapporte rien.
— Je m’en doutais, répond-elle inspirée. Pourtant j’avoue ne pas avoir compris que tu y cours, le jour où t’avais 40 de fièvre.
— Ben si, je suis resté au lit. Mais j’étais avec elle, et j’étais heureux.

Il a l’air tellement sincère qu’un peu plus, Vic s’étoufferait.
— Ce qu’il y a de bien, avec cette nouvelle bonne, continue-t-elle histoire de relever le niveau, c’est qu’elle a l’air facile.
— …
— Ben ouais, avec mon syndrome prémensttruel, je suis parfois chiante…
— S’il n’y avait que lors du syndrome prémenstruel… pouffe-t-il.

Bon ; trouvons autre chose :
— Alors ? Il est pas bon mon p’tit poulet ?
— Tu parles ! Heureusement que j’étais là pour veiller à la cuisson, parce que sinon…
— Oh quel culot !
— Ben ouais ! J’ai changé le feu, j’ai changé la hauteur de la plaque, qu’est-ce-que tu crois ? Sans moi, il était immangeable, ton poulet !
— Ah quel culot ! OK pour les vingt dernières minutes, mais pendant plus d’une heure, c’est quand même moi qui ai veillé dessus !!!…

Elle ronge son os et le frein. Nico est à table avec eux et elle ne tient pas à le rendre complice d’une scène entre son père et elle. Pourtant ce n’est pas l’envie qui manque.
Evidemment, comme elle évite la bagarre, c’est l’estocade :
— Si tu voyais ta gueule !!! Imbaisable une femme comme ça, imbaisable !!!
Cette fois OK, le message est passé. Vic fonce chercher deux mandarines, embrasse tendrement ses rejetons, et file s’enfermer dans sa chambre.

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très bien raconté,j'attend la suite avec impatience,n'as tu jamais essayée de faire éditer ton livre,car c'est génial,bref le livre je veux dire

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Ceci n'est pas dans le roman, je réponds à Dada :

«Merci beaucoup Dada

A l'époque de sa rédaction, j'avais besoin d'argent immédiatement.

Les quatre éditeurs qui l'ont lu me l'ont refusé, et j'ai abandonné.

Pas le livre = la suite demain,
pas d'écrire, il y en a une dizaine qui suivent...

Non, à partir de celui-là, je n'ai plus vraiment eu le temps de chercher un éditeur. Ils sont tous assurés et gentiment rangés dans ma bibliothèque.

Merci à toi, je pensais ne jamais publier mais c'est peut-être le moment.

Ce bouquin à quatorze ans !!!!»

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La suite :


La grand-mère de Victoire s’est suicidée.
A 36 ans et dans d’atroces circonstances. Vingt-deux mois, Leïla a subi l’agonie, sur un lit d’hôpital tandis que peu à peu sa moelle, rongée par la section, perdait de sa crédibilité.

Vingt-deux mois pendant lesquels le grand-père s’est battu avec sa conscience. Assassin il était devenu. Assassin parce qu’il avait volé à Leïla ce qu’elle avait de plus cher. Sa religion d’abord, en l’obligeant au christianisme. Sa rivière de diamant ensuite, tandis qu’en instance de divorce, ils vivaient séparés. Ses quatre enfants enfin parce que le chirurgien revanchard ne voulait rien laisser à l’Arabe qu’il avait épousée, convertie, puis répudiée comme une malpropre.

Leïla s’est jetée par la fenêtre. N’a pas élevé ses enfants.

Leïla est tranquille à présent, ne souffre plus de l’infirmité sordide, n’a plus besoin de la culpabilité de son tortionnaire pour se nourrir.


Victoire écrit pour sa grand-mère. Pour sa grand-mère qu’elle n’a pas pu connaître et pour ses fils.
Histoire qu’un jour, le radiologue ne lâche pas la phrase inadéquate :
«C’est vrai qu’elle était belle… Mais en même temps complètement folle.»

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Qu’est-ce que l’hérédité ?


Rien, sinon le poids qu’on traîne jusqu’à la fin de sa vie.
Rien, sinon le boulet qu’on lègue à ses enfants.

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Paris, le 6 janvier 1991

Madame,

Notre comité de lecture ne pourra malheureusement pas revenir sur sa décision, quand bien même il s’agit d’une version augmentée et corrigée de votre manuscrit.
En effet, un manque de construction romanesque et une absence de structure laissent le lecteur dans une impression d’inachevé et de flou. Le style ne contribue pas non plus à attirer l’attention et à susciter l’intérêt.
Nous espérons que ces explications vous seront utiles, et nous vous prions de croire, Madame, à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.

Pour le comité de lecture.
Tallendier.

PS. Nous tenons votre manuscrit à votre disposition.


Le départ de Philippe est un soulagement pour Victoire, qui a reçu la veille La Lettre et n’a pas osé avoué l’échec. Elle est trop démunie pour subir de surcroît les remontrances de son mari : «Tu vois, je t’avais prévenue, dans ces grandes Maisons, l’écrivain X n’a aucune chance… Tu ferais mieux de chercher des remplacements.»
Elle ferait mieux mais non. Refuse le découragement, envisage le tirage de sept autres exemplaires et le bombardement de Paris. Elle finira par gagner, elle le trouvera, son éditeur…

Donc le père est parti, guilleret, l’abandonnant tristoune à ses résolutions. Victoire profite de ses gamins puisqu’elle n’est plus reléguée aux fourneaux le soir. Elle peut jouer avec eux, les câliner, et se coucher à l’heure qu’elle veut. Elle savoure son célibat, n’ose inviter personne. Pour parler de quoi ?

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La guerre s’annonce dans le Golfe, les positions se durcissent, Sadam Hussein invoque la «Mission divine», il n’hésitera pas à s’attaquer à Israël, les autres surenchérissent.

Victoire a peur la nuit. Le jour, elle y pense moins.
Elle dépose l’exemplaire Tallendier chez Vertex, appelle Lavil, de l’hôpital, pour que ses copines ne se doutent de rien. Elle a décidé de garder tâpi son secrêt, personne n’a besoin de savoir qu’elle s’est pris la veste magistrale, personne n’a le droit de la décourager.
Lavil avoue qu’ils ont perdu le manuscrit. C’est une autre déception pour Vic mais qu’importe, elle leur portera la seconde version, tellement meilleure…

Le téléphone sonne tandis qu’elle guète l’ébullition de l’eau des pâtes, les deux gosses à ses pieds. Elle n’aime pas être dérangée en cuisine, elle craint toujours le pire, que Nico en profite pour se brûler, par exemple.
C’est le père.
— Salut !
— Salut !… Ecoute, tu tombes mal !… C’est le rush…
— Oui, alors bon (tut-tut). Tout va bien ?
— Oui, tout va très bien, et toi ?
— Moi aussi (tut-tut)
— Tu appelles d’où ?… Du refuge ?
— Non, ça y est, c’est fini ; je suis dans un studio en ville.
— Ah ! C’est bien ce que je craignais !… Deux jours de grande randonnée et six à la station…
— Bon. Tu peux appeler ma mère et lui dire que ça va ?
— OK. Compte sur moi.
— Tu fais la gueule ?
— Moi ? Pas du tout ! Pourquoi ?… A bientôt, je t’embrasse.

Et elle raccroche, furax. Tu parles qu’elle va appeler Rachel ! Elle est trop révoltée : ces prétextes bidons, grande randonnée, peau de phoque, épreuve sportive, amitié virile, elle en passe… Il la prend pour une bille, comme d’hab.
D’autant qu’elle vit très bien seule avec ses enfants. Ils ne parlent jamais du père, et lorsqu’elle a montré le calendrier à Ydillia, qu’ils ont vu la photo de famille dessus, ils l’ont caressée simplement : «Papa, c’est mon papa», sans plainte ni revendication, joyeux comme la certitude.
La certitude acquise, indiscutable : le père existe, ailleurs, peut-être, mais il existe.

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ne baisse pas les bras,tape à d'autres portes,je suis sure que tu y arrivera,je vais me renseigner où le frère de ma belle soeur est allé pour faire éditer son livre,je te tiens au courant
en attendant je te dis bravo

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