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LA NUIT DE LA HONTE par Kti

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(Réponse à Dada :

Tu sais, c'est cher de faire la tournée des éditeurs. Chaque manuscrit me coûte quinze euros... Donc dix, ça fait 150 euros, plus les frais d'envoi aller retour. Certaines maisons ne répondent pas et ne te rendent même pas le bouquin, qu'elles détruisent. Dans les meilleurs cas, la réponse est négative après deux mois d'attente.
Le Soleil Rose a fait 17 maisons (deux ans d'espoirs et de déceptions). La seizième m'a contactée (Calmann Lévy). J'ai bossé cinq ans avec un lecteur du nom de Roger Vrigny. Il y croyait beaucoup et je n'ai montré qu'à lui (et à Gallimard, Robert Laffont et POL) les livres écrits à cette époque.
J'étais à deux doigts d'aboutir quand Roger Vrigny est mort.

C'est là que j'ai cessé d'espérer. J'ai tout abandonné.....
Je réalisais que les refus itératifs me sabraient l'inspiration. Or un écrivain mort n'est pas un écrivain qui ne publie pas, mais un écrivain qui n'écrit plus.

Donc j'en ai accumulé pleins, des bouquins, au rythme d'un par an, environ, mais juste parce que je ne peux m'empêcher d'écrire. C'est une maladie, une drogue. Une servitude salvatrice.

Mes amis me lisent, je ne sais jamais ce que ça vaut. Eux ils aiment mais ce sont mes amis.
J'écris pour un tout petit cercle d'inconditionnels !!!

Ce serait sympa que tu te renseignes auprès du frère de ta belle-soeur.

Maintenant qu'Internet existe, je me demandais s'il n'y aurait pas moyen de publier par l'intermédiaire du web....

Genre je crée mon site... et comme pour Google, je facture 0,3 centime chaque clic sur l'un de mes sponsors...

Je cherche une solution.

Merci de m'encourager car j'avais perdu toute confiance en mon «talent».)

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La suite :

Le guerrier est revenu !

Heureux, bronzé : «Alors ma p’tite chérie ? On ne se précipite pas dans les bras de son amour ?…» Détendu, drôle, affectueux : «Tu sais que je m’attendais à ce que les enfants me manquent… Mais non, c’est la Bouboule qui m’a manquée !…»
Vic est froide, surprise (il est 22 heure 30) et habituée à ne plus l’ouvrir une fois les enfants couchés. Mais Phil insiste tant pour qu’elle sourit, il a l’air si content de rentrer, il répète encore et encore qu’elle est si belle, Victoire sent sa haine s’évaporer et la rancœur lâcher son cœur. Elle fait durer un peu le plaisir, histoire d’entendre pour la énième fois que Philippe ne l’a jamais trompée, qu’il est étonnamment fidèle, qu’il n’avait envie que d’elle durant son séjour… Il ne lésine pas, sent qu’il gagne du terrain à chaque minute et que s’il continue comme ça, il ne va pas tarder à caresser ses cuisses et lui mater les seins, deux projets qu’il n’a de cesse de mettre à execution. Il est tout chaud, câlin, et lorsqu’elle le retrouve au lit, elle est assez partante pour la bagatelle. Un petit peu seulement et pour une seule raison : ce garçon l’aime, n’est pas prêt de la lâcher, huit jours d’absence et le voilà reconquis, pour Vic, tout ça veut dire l’enfant… Elle y pense tant et tant que le plaisir n’est pas physique.

— C’est quand que tu as eu tes règles pour la dernière fois ? lui murmure Phil bientôt. Elle ment :
— Heu… J’en sais rien…
— C’est peut-être dangereux de déconner alors ?
Il lui demande son avis ? Vic reste muette ; accélère seulement le rythme de la danse.
— Oh et pis j’m’en fous !
Le cœur de Vic explose, tandis que les mouvements de bassin s’exaspèrent. Mais Phil décroche :
— Tu n’as plus de spermicide ?
Elle se croit drôle :
— Ni spermicide, ni capote, ni rien…
— Tant pis !
Elle se dit que c’est bon, que c’est divinement bon, qu’elle fabrique son troisième enfant avec un garçon qui l’aime et qu’elle aime. Mais il s’arrache :
— Je crois qu’il en reste une boîte dans la pharmacie des toilettes…

Lorsqu’il revient, il lui balance le truc en carton avec dedans, cinq petits tubes en plastique pleins de liquide anti-bébé :
— Tiens ! Enfile-toi ça ! ordonne-t-il.

Obéissante, Vic décapsule, introduit la canule et sans hésitation aucune, n’appuie pas sur la poire… Miracle : Phil ne se rend compte de rien, reprend son histoire où il l’avait laissée et elle reprend son film : un troisième enfant d’un homme qui l’aime et qu’elle aime. Malgré l’energie du mari en manque, Victoire s’arrête au seuil du septième ciel, sa bouche, au comble du bonheur, embrasse et remercie, mais son ventre, incrédule, semble plus difficile à émouvoir.







Victoire s’est promenée avec Nico et elle revient à peine. Elle vole : ses initiatives de cette nuit la comblent d’aise. Elle est très amoureuse de Phil, s’est répétée ses phrases gentilles toute la journée. Ce soir, elle est certaine qu’il l’aime et cet amour avoué la transporte et elle l’entend lui dire : «Nous avons fait deux circuits, avec les raquettes aux pieds, mardi-mercredi et vendredi-samedi, j’en ai bavé mais c’était bon… Non, je n’ai pas visité les boîtes, tu rigoles, avec les courbatures !!!» C’est un sportif qui est parti à la neige, qui revient en lui promettant de les y emmener en mars, ses fils et elle, qui revient pressé de son corps, assoiffé de sa peau, qui ne l’a jamais trompée et qui ne peut vivre sans elle… Ce sportif est à elle et il l’a sautée hier.

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Elle a été déposer son roman chez Tremplin, rue Saint-Jacques : réception classe, dans un hôtel particulier en face de la Sorbonne. Du plexiglas fumé, des rayonnages de livres en duplex… La standardiste est «prout-ma-chère».

Victoire s’est affublée de sa toque en agneau, de ses gants noirs bordés vison (cadeau de Noël de Zina) et accompagnée de Nico, elle ne passe pas inaperçue, à quatre pattes, à chercher la vis de son sac (cadeau de Noël de Phil) qui a encore sauté. Même Nico refuse de fouiner, tant ce lieu si select lui semble impressionnant. Mais maman n’a pas honte, elle est peut-être enceinte de cette nuit, son mari l’aime et son bouquin ne peut qu’intéresser…

Chez Lavil, elle traîne aussi Nico qui commence pourtant à faiblir. Elle demande sans ambages la responsable des manuscrits.
— Je vais vous l’appeler, lui répond la réceptionniste que Victoire reconnaît à son chignon façon Pauline Carton :
— Sylvie ? Tu peux venir ? (l’interlocutrice se prénomme donc Sylvie).
Ladite Sylvie apparaît quelques instants plus tard. Fatiguée, le maquillage en berne, elle lui sourit comme si elle connaissait Victoire depuis toujours. S’excuse encore d’avoir égaré la première version.
— Ne vous inquiétez pas, celle-ci est bien meilleure, tout le monde est unanime…
Sylvie tend l’oreille. Vic la sent intriguée, sur le qui-vive : mais qui est cette petite personne, qui corrige son manuscrit en moins de deux mois, soutenue par Tallendier et Bellefontaine, et revient gracieusement porter un exemplaire, nantie d’un gamin de trois pommes et chapeautée d’une toque en fourrure ?
— Oui, précise Vic : mes amis, mes parents, l’ensemble de ceux qui ont lu les deux versions… Bellefontaine m’a proposé de le prendre…
Elle attaque mais elle n’a pas tort : à la brutale chute de tension du corps d’en face, au relâchement des muscles faciaux et au sourire de soulagement qu’elle voit naître sur les joues, elle réalise que Sylvie n’attendait que ça.
— Mais je ne sais si vous êtes au courant, continue-t-elle d’un air entendu.
La fille hoche le chef, prévenue elle aussi du désastre Bellefontaine (la maison a été vendue), attend que Vic poursuive :
— Oui, c’est dommage, je n’ai plus rien à espérer de ce côté…
— Oui, oui, abonde Sylvie, bien sûr… Elle lui rend le manuscrit (sur lequel elle s’était jetée) et lui tend un stylo, compatissante, propose de rappeler et le titre et le nom.

Vic adore cette méthode, elle écrit ces formalités en dernier lieu, devant les réceptionnistes, ce qui lui donne davantage de temps pour poser ses questions (et graver les esprits).
Pour Tremplin, compter un mois, un mois et demi. Pour Lavil, «Cette fois-ci, je vous assure que vous aurez votre réponse fin mars au pire.»








Le monde est en ébullition.
Ils se préparent, ils se préparent : Saddam Hussein ne veut rien entendre et les Irakiens le suivent.
A l’hôpital, les collègues de Victoire ne parlent plus que de cette guerre. Chacun donne son point de vue, chacun s’applique sur sa routine mais chacun s’inquiète. Israël et les Américains sont prêts. Vic ne réalise pas, se rassure comme elle peut : le conflit va éclater demain, soit. Dans le Golfe et pas chez elle. Saddam Hussein doit être écrabouillé. Les Américains y laisseront des plumes… Elle peut aller jusqu’à envisager une crise du pétrole, avec les puits explosant au Koweit, avec l’essence en France à six francs le litre… Elle ne va pas plus loin. Il est hors de question qu’elle réfléchisse à l’éventualité d’être touchée de plus près par cette guerre.

Le spermatozoïde tourne autour de l’ovule.
Le bébé naîtra mi-octobre.
Avec un peu de chance, le 20, comme son père.
Avec un peu de chance…

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Victoire a bientôt 17 ans.


Elle fréquente Hervé depuis peu, un jeune fils à papa qu’elle a rencontré dans une boum. De deux ans son aîné, il argumente avec passion pour coucher avec elle. Mais Victoire n’a encore jamais couché.

Ce samedi 14 juillet, elle remonte les Champs-Élysées, seule, puisque son «fiancé» passe en famille ses vacances sur la Côte. Elle s’est offert «Les Valseuses», à la séance de 18 heures, il est maintenant 21 heures et la nuit tombe doucement sur l’Arc de Triomphe.
Assise sur un banc, elle attend le bus 52 qui la ramènera chez ses parents. Elle est jolie, pour l’occasion, elle s’est coiffée d’un chapeau bleu marine, sa jupe est rouge et son tee-shirt blanc. Elle plane : ainsi, c’est CA, l’amour physique. Ca fait crier, ça ne marche pas à tous les coups mais quand ça marche, c’est bon à en pleurer…
Victoire s’étonne, Victoire reste incrédule, elle lève à peine le nez lorsque deux Blacks l’interpellent :
— Mademoiselle !
C’est la seule demoiselle sous l’abri-bus, il ne peut donc s’agir que d’elle. Ses parents l’ont prévenue des dangers encourus à parler aux messieurs qu’elle ne connaissait pas, aussi fait-elle mine de ne pas entendre.
— Mademoiselle ! insiste l’un des hommes.
Il s’est planté sous son regard. Il est grand, en tee-shirt et jean’, avec un appareil photo en main :
— Accepteriez-vous de poser pour moi, devant l’Arc de Triomphe ?
Victoire hésite. Le cliché ne la tuera pas, au contraire, pense-t-elle. Il immortalisera cette fin de journée, et ce mystère dévoilé que peut-être trahissent ses yeux baissés.
Elle a compris l’amour, elle a été Miou-Miou deux heures, elle n’est plus vierge pour deux heures. Pourtant, ces deux jeunes hommes l’effraient : si elle accepte la photo, ils proposeront un verre et Victoire n’a pas soif, juste elle désire rentrer chez elle.
L’insistance des deux noirs commencent à l’impatienter lorsqu’enfin le 52 s’arrête devant eux. Elle monte. Eux montent aussi et la frôlent ostensiblement. Le bus est plein. Elle se répète que s’ils se tiennent si près, c’est par absence de place. Elle compte les minutes, redoute les arrêts feu rouge, voltige jusqu’à leurs corps, empuantis de chaleur, au moindre coup de frein.

Vic ne pèse que quarante kilos. C’est une jolie jeune fille, fine et délicate, aux boucles brunes en cascade sur les épaules, aux grands yeux de chat, si pervers par instant, instant dont elle n’a jamais eu le contrôle. Elle durcit son visage et fronce les sourcils, elle craint d’encourager l’effronterie de ces hommes parce qu’elle transpire l’amour, le sexe, elle est exacerbée des images volées, elle n’était pas majeure et le film n’était pas de son âge.
Les deux hommes se parlent. Victoire se doute ou s’imagine qu’elle est le sujet de leur conversation mais elle ne comprend rien à leur langage. Lorsqu’ils descendent à son arrêt, dans un coin perdu du seizième, Victoire s’angoisse. La nuit tombée, la petite rue qui la ramènerait chez elle devient inquiétante. Pas une vitrine, pas un passant, juste elle marchant encadrée des deux Noirs qui se parlent toujours. «Ne presse pas le pas, surtout, ne montre pas que tu les crains…»
Tous trois s’engagent dans le square de l’immeuble où elle habite chez ses parents. Ses doigts malhabiles composent le code. Mais qu’attendent-ils ? Pourquoi sont-ils encore à ses côtés ? Quand se décideront-ils à lui faire son affaire ?…
Les deux garçons s’arrêtent devant le portail, et rassurée, Vic court sonner chez elle. Elle a raté le dîner. Son assiette l’attend, avec un steack et des haricots verts. Haricots verts tout frais cueillis, symbole de l’échappée belle, de l’immense soulagement, du confort douillet de l’enfance. Elle aurait voulu embrasser ses parents, dévorer son assiette, elle était saine et sauve.

Zina la traite de pute :
— Pourquoi nous as-tu amené ces deux garçons ?… Regarde, ils sont encore en bas, ils connaissent ton adresse maintenant, ils vont t’attendre, te poursuivre… Qu’as-tu besoin de les aguicher ? Tu n’as qu’à t’en prendre à toi-même !… Evidemment, vêtue comme ça, avec ta façon de rouler du cul, c’est bien ta faute si tu les allumes tous !!!

Charles, comme d’habitude, se tait.
Victoire shoote dans son assiette, les haricots verts valsent et pour la première fois, elle insulte ses parents.


Ils la retrouveront le lendemain à moitié morte dans son lit.
L’enfance était définitivement finie.



PIMPOM PIMPOM PIMPOM !!! HOSTO DARE-DARE !
Victoire s'est envoyée la totalité de la pharmacie familliale.

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coucou Kti

boum study

carlla (qui t'as envoyé un mp) lol

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Marie-Prune n’a pas apporté de chouquettes.

Elle pense le conflit pour demain et laisse Victoire se charger de l’achat, selon les clauses de leur pari.
Françoise s’est fâchée avec son Syrien. Il critique sa désinvolture, lui reproche de ne pas craindre la guerre comme lui, en bref, de ne pas être Arabe comme lui. Victoire conseille la réconciliation : le pauvre garçon tremble et c’est à Françoise de comprendre.
Philippe aussi, hier soir, aurait pu la blesser. Criait :
— Tu vas voir, ils vont baisser leurs frocs et ça va se finir par un traité de paix à la mords-moi-le-nœud au détriment d’Israël… Moi, j’irai me battre et je ne me laisserai pas miner comme tous ces connards de Français, qui s’humilient, qui supportent les attentats, qu’on les envahisse, qu’on viole leurs femmes !… Quand tu penses qu’en 40, ils ont été jusqu’à collaborer !… Tu réalises ? Quand Pétain a signé, le Français a souri : vous nous envahissez, vous nous chiez sur la gueule, mais nous, on est d’accord pour travailler pour vous…
Devant tant de véhémence, Vic aurait pu se formaliser, parce que Française, aurait pu trouver la bagarre aussi. Mais non, sa grand-mère était musulmane et son père résistant notoire. Elle ne se sent ni pleutre ni sale. Pas visée, en tous cas. Elle aurait pu se fâcher mais elle aime trop Philippe en ce moment.

Gaétan, un brancardier de son service, pessimise à longueur de jour :
— Et puis tu sais, même si la guerre n’éclate pas, sûr que c’est pour l’année prochaine… Si tu regardes l’histoire, ce genre de conflit, même jugulé, prépare le pire pour les années suivantes : en 14, en 39… Et puis ça va y aller, les règlements de compte… Tu vas voir, dès qu’ils vont tirer, les Arabes, tu vas voir, ils vont en casser des Arabes, en France…
Hier déjà, il racontait :
— Les lettres des appelés sont écrites, y’a plus qu’à les timbrer… Moi, de toute façon, j’y vais !… Tu sais, la guerre tous les 25/30 ans, elle est indispensable…

Indispensable ? Donc, si Vic a bien compris, elle fait des gosses pour les envoyer au casse-pipe. Et cette idée s’impose soudain comme l’horreur absolue : la finalité d’un être humain n’est pas de donner la vie, mais de fabriquer de la chair à canon, des petits soldats pour défendre le sol. Le SOL !!! Philippe disait hier :
— J’ai passé la journée à lire la presse et à écouter la radio. Faut s’informer, je ne sais pas si tu en as conscience, mais nous sommes les témoins d’une aventure exceptionnelle, dans les bouquins d’histoire de Nicolas, on parlera du 15 janvier 91 au même titre que de la guerre de
14 !
Vic le reprend :
— Au même titre que de mai 68, veux-tu dire ?
S’il a raison, existera-t-il des manuels d’histoire pour son fils ? Nico aura-t-il la chance de les lire ?… Pas de quoi palabrer.
«Evitons ce conflit qui risque d’être plus sanglant que les deux dernières guerres mondiales» claironnent les infos. Mais pourquoi comparent-ils les évènements récents aux dernières guerres mondiales ? Vic s’interroge : s’il ne s’agit que d’un conflit dans le Golfe, entre Saddam qui refuse de libérer le Koweit et les soldats américains (avec quelques autres, dont des Français, mais si peu), pourquoi ne pas plutôt l’associer à celui du Vietnam ? Parce qu’Israël va se battre ?… Et que le monde arabe suivra ?…
Philippe continue :
— C’est historique, ce qu’il se passe dans le monde actuellement, tu te rends compte ? Pendant le Golfe, l’URSS en profite pour envahir la Lituanie !… Tu réalises l’enfant dedans le dos ? (et Victoire de penser qu’elle est l’URSS et Philippe les pays alliés). Et de craindre son inconscience :
— J’ai peur du nuage.
— Quel nuage ?
— Un nuage genre Tchernobyl.
— C’est-à-dire ?
— J’ai peur que Saddam nous envoie le nuage.
— Il n’a pas la bombe atomique.
— Ah bon ?
— Non. Et tu sais grâce à qui il ne l’a pas ?
— Non. Vic est bien mieux soudain. A quel sauveur doit-elle ce brutal soulagement ?
— A Israël !
— Non !
— Si !… Si Israël n’avait pas eu la bonne idée de détruire leurs bases, là tu pouvais le craindre, ton nuage…
C’est donc l’avis de Philippe mais Françoise ce matin discute :
— N’empêche que c’est quand même nul de la part d’Israël d’avoir détruit les bases… Tu trouverais ça normal, toi, que les Allemands viennent chez nous saccager nos centrales et nos équipements militaires ?
— Oui, répond Vic, s’ils nous jugeaient inaptes à avoir l’engin atomique… Saddam est fou pareil qu’Hitler et il fallait s’en rendre compte avant tout le monde.


C’est l’opinion de Victoire parce qu’elle couche avec un Juif, et Françoise défend la sienne parce qu’elle couche avec un Arabe.

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Les députés votent le recours ou non à la force.
Vic écoute les discours de chaque bord. A l’exclusion des communistes, ils concluent tous, hélas, que la force est dans ce cas (libération du Koweit) indispensable.
Les politicologues échafaudent des plans sur la comète quant à qui ouvrira le feu et quand. Les Français sont dix mille sous les ordres des Américains.
A Paris, de grands cordons de flics cernent les bâtiments «à risque» : le Printemps, les Galeries Lafayette, la Fnac… Vic n’a plus très envie de courir au quartier Latin y déposer ses livres.

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Cette nuit, à minuit, les Américains ont attaqué.

La guerre est en cours.

L’aviation américaine bombarde. Elle a détruit les bases chimiques des Irakiens et intercepté les missiles jetés sur l’Arabie Saoudite.
Victoire regarde la télé, ils déblatèrent sur les plateaux, reçoivent les appels de leurs correspondants spéciaux. Ils parlent vite, fort. Enthousiastes car confiants. Le plan «Bouclier du désert» s’est métamorphosé en «Ouragan du désert», bref, les alliés pavoisent.
Vic ne sait trop que penser. Ils jouent avec leurs maquettes de papier, comme des gosses, et les rôles semblent distribués d’avance.

Bombardements se succédant tous les quarts d’heure. Saddam évoque l’Islam lors de son discours à 11 heures. Pourtant, dans l’après-midi, cinquante chars irakiens se seraient rendus… La presse et la télé préconisent la vigilance quant à l’interprétation des nouvelles.

Ils pensent de même à l’hôpital. Gaétan, qui se promène depuis une semaine avec son walkman à l’oreille, branché sur France Info, ne parvient pas à se rassurer :
— Comment veux-tu qu’on soit avisés de nos pertes ?… Il paraît que deux avions français ont été touchés. Mais va savoir, les infos, elles viennent du Pentagone, alors, il transmet ce qu’il veut, le Pentagone…
Dans l’ensemble, l’éclatement du conflit est un soulagement —sauf pour Nadira l’Algérienne, qui n’en n’a pas dormi de la nuit. Mais chacun s’étonne cependant de l’absence d’offensive d’Hussein. Les Américains nous cacheraient-ils quelque chose ?… Les Irakiens ne possèdent-ils pas la meilleure armée d’Orient ?… Saddam a-t-il niché dans un recoin quelque «bombe atomique», dernier bouton sur lequel il pourrait appuyer ? (c’est un scoop de Gaétan).

Les chouquettes de Victoire obtiennent un franc succès auprès de Marie-Prune qui paraît plus détendue, mais les choses s’aggravent entre Françoise et son Syrien. Il lui préfère la compagnie de ses compatriotes, passe son temps rivé au téléphone et Françoise jalouse.

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Les Irakiens ont bombardé Israël cette nuit.

Six missiles traditionnels sont tombés, seul l’un d’entre eux a été intercepté. Bilan : douze blessés civils à Tel Aviv.
Les alliés somment Israël de ne pas riposter, de ne pas entrer dans la guerre sous peine de généraliser le conflit : les Syriens, Jordaniens et autres pays Arabes risqueraient de s’unir à Saddam.

Vic n’a pas pu sourire de toute la matinée. Est arrivée à l’hôpital avec un cafard grand comme ça. Plus elle tâchait de se l’expliquer, plus il l’handicapait.
Nadira lui paraît frivole à rire de son retard parce qu’elle a perdu un talon en route. Félix l’énerve à chanter des hymnes de guerre appris au service, et même Gaétan, qui sent ce matin une alliée à son angoisse, n’est pas à la hauteur pour apaiser la sienne.
L’ONU a décidé de blâmer l’URSS, un raid israélien de punition est en route… Tous pensent qu’Israël va répondre : Marie-Prune, Nadira, qui s’émeut que de pauvres civils aient pu être bombardés pendant leur sommeil… Mais ils n’ont pas peur. Ils disent que oui mais plaisantent plus qu’hier et ne se sentent pas véritablement concernés.

Et Vic ne sait pourquoi elle oui. Et cette distorsion la bouleverse. Une sensation étouffante d’isolement, identique à celle du 31 décembre. Ils sont conscients que le monde entier danse sur de la dynamite mais Françoise a retrouvé le sourire parce qu’Oamar est revenu…
Barnabé parle d’une cause générale à défendre et d’intérêts particuliers à préserver. «Son petit nombril», comme il dit. Il est jeune, il a fait son armée, sait qu’il peut être appelé mais ne veut y penser :
— Nous sommes tellement peu responsables de ce qu’il se passe !
— Mais ça ne te ferait pas mal au ventre de laisser ta femme et ta fille ?
— Bien sûr que ça m’f’rait mal. Surtout qu’on le dit de plus en plus : cette guerre est un stratagème des Américains. Tout a été programmé d’avance, nous ne sommes que des pions.
Françoise abonde :
— Servir la cause des Américains ? Merci !
Pour eux, les Américains sont des vendus, ils ne pensent qu’à s’approprier le Koweit. Et Françoise ajoute même que c’est tellement téléphoné que la France se retirera du conflit s’il devient mondial.


En sortant de l’hôpital, Vic court chez son dentiste, pour la révision des dix mille. Elle a mal de cette matinée, de cette affreuse nuit. Elle repense à Sarajevo, à la Bosnie-Herzégovine, au massacre de la Saint-Barthélemy.
Elle flippe de cette atrocité : la guerre de religion.
Arrive survoltée chez le praticien, le cousin de Philippe, qui la rassure :
— Ne t’inquiète pas, elle dure depuis quarante ans, la guerre… Toi, tu découvres, mais t’inquiète pas, on ne risque rien.
Et tandis qu’il détartre, Vic sent qu’il met le doigt sur son malaise, qu’il calme sa douleur :
— La guerre ?… Tu parles ! Je suis réformé et Philippe est père de famille. On n’est pas prêts de partir…

Elle savoure avec volupté le petit embryon qui se promène dans son ventre. Elle est fière de donner à Philippe un bébé en cette époque troublée. Fière de le rendre encore plus père de famille… En feuilletant le journal ELLE qui traînait dans la salle d’attente, elle avait lu l’éditorial de Fitoussi : «Elégance suprême de s’affoler pour des futilités alors que le monde bouge.»
Elégance suprême de faire un enfant juif en cette obscure saison. Et Vic comprend d’où vient sa rogne, d’une phrase de Barnabé :
— Tout ça, finalement, c’est pour servir les Américains… Les lobbies juifs Américains…
Elle n’avait pas saisi le mot «lobbies» mais avait entendu le mot «juif», et sans vraiment comprendre la phrase, avait peu à peu résumé :
«Tout ça, c’est la faute des Juifs Américains». Nous y voilà… Et Vic, aujourd’hui, ce matin, à l’hôpital, elle s’était sentie juive, la seule Juive du service… Et le cousin la calme en lui citant Sitruc, le grand Rabbin de France : «Ne vous inquiétez pas, il ne vous sera pas fait de mal.»
Sa crainte au fond, au plus profond, est la remontée de l’antisémitisme, est, associée à ce raid sur Israël, l’angoisse qu’on touche encore à ces braves gens…
A cet instant, elle se sent Juive, et veut se convertir, pour devenir solidaire de cette liberté qu’ils revendiquent, et une seconde, elle pense :
«je ne suis pas catholique, je préfère les Juifs aux Arabes. Je suis Juive et ne supporte pas l’antisémitisme.»

Elle monte dans le bus, vaguement soulagée. Croise le regard des Noirs et des Arabes, n’en revient pas : à l’Haye-les-Roses, à Villejuif, au métro Louis Aragon et jusqu’à la place d’Italie, elle dénombre plus de Noirs et de bronzés que de Blancs !
Et ces Arabes qui sont assis devant elle, de braves bougres qui parlent arabe, vêtus de vieux vêtements et qui trimbalent d’énormes sacs en plastique pleins à craquer, et ce grand Noir qui vient de s’asseoir, lui aussi encombré d’un énorme sac en plastique, mais silencieux, comme endormi… Eh bien ceux-là aussi, elle les aime bien, ils ne lui font pas peur.

Et Victoire réalise combien Paris est mélangé : Français blancs, noirs, arabes… Et elle se dit que s’ils sont à ce point mêlés, pourquoi se font-ils la guerre, puisqu’ils partagent le même sol, les mêmes sièges de métro, les mêmes journaux, les mêmes inquiétudes… Et elle est sûre que son Arabe d’en face est père, et même grand-père en France.
Alors pourquoi se faire la guerre ???

Victoire n’est pas juive, ni catholique, ni musulmane.
Elle n’a pas de religion, ne sait quel parti prendre.
Victoire est estropiée.

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La religion soutient l’individu, et décime des familles entières.

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Invité val
Continue Ktinette! BALLE

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Après un démarrage spectaculaire et moult rebondissements, la guerre du Golfe s’achève en eau de boudin.

Saddam, loin de gagner, a surtout brillé par son sadisme, tandis que côté cour, les autres s’en tiraient avec les honneurs.
De toute façon, si le conflit a persisté quarante-deux jours, il a très vite cessé d’être l’unique préoccupation du monde, au grand désarroi de Victoire qui suivait les infos avec une émotion intense.

Le bébé n’a pas accroché, l’intensité, probablement, et elle s’est résignée à faire une croix dessus. Philippe ne veut pas de troisième enfant, s’exprime chaque fois que l’éventualité est soulevée et Vic n’a plus de courage. Elle attend l’accident mais ne le provoque plus.

Surtout, l’Espoir Immense vient de renaître. Ydillia est l’ancienne femme de chambre de Kundera, Milan Kundera, pour qui ne connaît pas l’Idole, celui de «l’insoutenable légèreté de l’être»… Si, si, le monde est minuscule, notre Seigneur miséricorde et Vic a toujours su qu’elle était dans ses petits papiers. Donc elle a confié son livre à sa bonne, ferme les yeux sur ses bêtises, et attend le jour où le Grand Milan jettera les siens sur sa littérature.
Elle s’impatiente. Les petits dosages hospitaliers lui coûtent chaque jour davantage. La mesquinerie de ses consœurs aussi, puisque Victoire travaille entourée de femmes. Le bouquin déjà passait mal, mais Kundera !!!
Elle est seule responsable, elle n’a pas à crâner, elle est bien trop sexy, heureuse, chanceuse… Et puis elle a envolivé : c’est Tallendier, impressionné par son talent, qui lui présente le grand homme, pas la bonniche.



Ce mercredi soir, Philippe a prévu d’aérer Victoire.
Lorsqu’il débarque à 20 heures 02, elle l’attend depuis vingt minutes, fin prête, particulièrement soignée, dans le pull rouge à torsades qu’elle a acheté pour Milan. C’est une répétition, en somme, mais avec un jean’ à la place du kilt, pour le confort au cinéma, puisqu’après le restaurant, ils iront voir «Alice».
— Ah non ! implore Victoire lorsqu’elle surprend Philippe le camembert en main… Tu ne vas pas manger maintenant ?
— Et qui m’en empêcherait ? répond-il péremptoire et devant Ydillia médusée.
Puis il se coupe une part et comme pour lui prouver que l’encas ne retardera en rien leur rendez-vous avec les autres, l’avale en entraînant Vic vers la porte.

Dans la voiture, elle est muette. Elle se demande pourquoi son époux l’a conviée. Phil n’a pas l’habitude de s’encombrer d’elle lors de ses virées nocturnes et le profil renfrogné qu’il affiche ne lui dit rien qui vaille.
— Tu fais la gueule ? jette-t-il soudain. Je sors ma femme ce soir et ma femme tire la tronche ?
— Non, répond-elle placide, j’ai faim et je garde mes forces.
Par courtoisie et pour qu’il se rassure, elle se lance sur les quais dans un long monologue. Cryoglobulines patati, électrophorèses patata… Monologue car Philippe ne l’encourage pas et ne profite pas des blancs pour donner son avis, ou parler d’autre chose.

Victoire est mal à l’aise, pire, elle est malheureuse. Elle narre, elle narre, sur le même ton, un peu enjoué, surtout factice. Philippe cherche son chemin et elle a la vague intuition qu’il lui reproche de ne pas l’aider. Il interrompt le show place de l’Opéra : «C’est celle-ci la rue du 4 septembre ?» Elle ne sait que répondre, se sent idiote, plisse les yeux genre attends je décrypte.
Lorsqu’ils arrivent au restaurant, Philippe pousse la porte avec l’audace de l’habitué et passe devant sa femme, bien entendu. Les autres les attendent : Xavier, sa fiancée Valérie, Sophie, une amie de Valérie et Christophe, l’incontournable, sont assis autour d’une table circulaire et centrée par un barbecue. Un gros monsieur propose poliment de se décaler pour permettre aux nouveaux-venus de s’asseoir. Philippe remercie poliment, Christophe se lève, par solidarité pour le monsieur peut-être, et avec un clin d’œil, lui lance : «Vous n’avez pas peur !…» en désignant Victoire qui se retrouve à côté de lui. Elle se rassure, c’est de l’«humour» et elle commande.

Xavier, d’emblée, questionne :
— Alors ton livre ? Il est publié ?
— Ca avance
— Mais ça y est ? Tu as un éditeur ?
— Non, mais il est chez Milan Kundera.
— Ah ouais ! s’exclame-t-il admiratif.
— Ouais, ouais… J’attends un rendez-vous potentiel avec lui dans quinze jours et je dépose des exemplaires un peu partout… Et puis j’ai commencé un autre bouquin.
Plus tard, Xavier revient à la charge :
— Alors Philippe ? Tu sors ta femme ? Ca faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vue, ta femme…
— Ben oui…
Philippe n’a pas encore dit grand chose, juste a-t-il repris Vic lorsqu’elle a avoué que le Soleil Rose était un livre scandaleux : «Scandaleux, scandaleux, n’exagère pas !…»
Xavier semble intéressé mais Christophe connaît l’histoire par cœur et Philippe ne la supporte plus. Victoire se réjouit lorsqu’ils changent de sujet :
— Vous étiez où le 31 décembre ?
— En Bretagne, répond la fiancée Valérie. Et vous ?
— Chez Vladimir à Créteil.
— Je remarque en tous cas, intervient Xavier, que depuis qu’il est avec Solange, Vladimir ne m’appelle plus.
— Ah bon ? s’étonne Philippe.
— Non. Pourquoi ? Il t’appelle, toi ?
— Non, réalise Philippe.
— Je suis sûr, continue Xavier, que sa femme y est pour quelque chose. D’abord elle est con. Elle est gentille, c’est vrai, mais elle est con.
— Ouais, l’interrompt Philippe, c’est comme Victoire : si elle ne vient pas plus souvent, c’est parce qu’elle te trouve con.
Vic avale de travers : comment ose-t-il ?
Xavier pique du nez. Christophe entre les deux ne sait quel parti prendre : en rire ou changer de sujet dare-dare.
— D’ailleurs, insiste Philippe, si tu n’appelles plus toi non plus, c’est parce que tu le sais, qu’elle te trouve con, Victoire…
Vic tâche d’humoriser :
— Con, con, n’exagérons rien… Disons juste insupportable…
— Ouais, la coupe Philippe, elle me l’a balancé un soir, elle trouve tous mes potes cons, et surtout toi, Xavier !…
Ledit Xavier reprend du poil :
— Nos idées s’entrechoqueraient-elles ?
— Sûr ! abonde Philippe. D’autant qu’elle est pathologiquement susceptible.
Et d’insister, et d’insister, tandis que Vic se demande ce qu’elle est venue faire dans ce mauvais film :
— Ne l’écoute pas, Xavier. Il en rajoute. J’étais très contente de te voir ce soir, sincèrement.

C’est alors qu’elle se tourne et aperçoit le gros, celui qui a cédé sa place tout à l’heure : il mime des mains qui enserrent un cou, et il s’agit de son cou. Sans doute encouragé par l’irrespect de son mari, le voisin se permet de se fiche d’elle, devant tout le monde !
Avec beaucoup de sang-froid, elle lui décoche son sourire Paloma :
— Excusez-moi, je suis désolée… Je vous dérange ?… Ce geste est à mon intention sans doute… Permettez-moi de ne pas comprendre : je parle trop ? Je parle fort ? Je parle trop vite ? Excusez-moi, Monsieur, je n’en ai pas conscience…
L’étonnement général de la tablée en serait resté là si un grand gaillard type Koweitien, distingué et costume bien coupé, n’était intervenu :
— Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle. Parlez si vous avez envie de parler, exprimez-vous. Vous êtes la seule ici qui ait de la personnalité. Je vous en prie, n’ayez pas honte, c’est vous qui avez raison…


L’incident clos, le charmant gros monsieur envolé avec sa minette, Victoire s’insurge : Philippe est imbuvable ce soir et il la met au pilori. C’est à cause de sa grossièreté que le type a cru bon de se payer sa tête.
Lorsque Philippe lui chante au moment de régler :
— Tu as de la monnaie ? son sang ne fait qu’un tour :
— Oui mais je la garde, je rentre.
Christophe s’ébahit :
— Tu ne viens pas au ciné avec nous ?
— Non, j’ai sommeil.
— Ma femme fait la gueule, alors ma femme se tire, conclut l’époux avec philosophie. Tu sais Christophe, il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions.
Et il déchire son premier chèque, et en signe un plus gros, pour garder son liquide.

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Comment peut-on accepter le mépris ?
On ne l’accepte pas mais on fait comme, quand on a l’habitude d’y être confronté.

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Madame,

Nous avons étudié avec attention votre manuscrit intitulé Le Soleil Rose (deuxième version). Il ne nous a malheureusement pas paru possible de le retenir pour publication. En effet, nous avons été sensibles à la qualité d’émotion de ce récit attachant. Mais il nous a en même temps semblé que votre style restait d’une originalité inégale et manquait trop souvent de la force expressive qui aurait pu assurer sa pleine efficacité.
Nous vous prions de croire, Madame, à nos regrets, ainsi qu’à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.

Christophe Manufacture pour Lavil.


Victoire se jetterait volontiers sous le métro. Après sa désastreuse soirée d’hier, elle n’avait pas besoin d’un tel cadeau ce matin dans sa boîte aux lettre. Lavil, elle y croyait, savait qu’ils la liraient attentivement et elle est maintenant désespérée. Ne comprennent-ils pas, ces imbéciles, que c’est la maladresse du style qui permet «la qualité d’émotion de ce récit attachant» ? Si sa Lola se met à penser comme Kundera, sa naïveté et son inexpérience ne seront plus crédibles…

Comme elle souffre ! Son mari qui s’éloigne, la biologie qui ne lui apporte plus rien, elle s’étonne de son acharnement. Ce livre est un fléau qui lui bouffe peu à peu la vie. La littérature est un engrenage maléfique dans lequel elle n’aurait jamais dû glisser le doigt. Mais il est à présent trop tard pour faire machine arrière. Le virus l’a piquée, se multiplie dans ses globules, et chaque vague de reproduction la pousse à son stylo, irrésistiblement.
Elle ne veut plus vivre que pour ça : écrire, raconter des histoires, approfondir les sentiments, dénuder les âmes. Elle le sait comme jamais elle n’a su quoique ce soit. Et elle les trouve bien sévères, ces grands éditeurs. Bien sévères et peu clairvoyants.
Elle va apprendre à écrire. La chance inespérée, elle finit par le croire, est cette rencontre avec Milan. Il va lui apprendre à écrire. Elle va s’acharner, cent fois sur le métier remettre son ouvrage, et elle y arrivera, devra-t-elle y perdre mari, carrière médicale et sommeil. Devra-t-elle y perdre la raison.

Elle y arrivera. Personne ne l’en empêchera. Elle n’est pas si désespérée. Patience, travail, sang-froid. Et ils verront bien ces Lavil, Tallendier, Bellefontaine et pense-petits, ils s’y feront, au succès de l’illustre inconnue à laquelle ils n’ont pas donné la moindre chance.
Et sa revanche sera belle.
Elle se jure de pulvériser les records de vente, elle se le jure même si l’objectif initial n’était pas celui-là.
Elle n’a RIEN à perdre, elle vit du rab, elle est morte depuis très longtemps déjà.
Et ça, Lavil ne peut le savoir.
Elle a fait un pacte avec le diable, et ça, son mari lui-même l’ignore.

Victoire est increvable.

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Les deux époux se sont réconciliés.

Victoire est fragile en ce moment, elle se ménage, et Phil est amoureux du corps de sa femme, tient huit jours maximum, puis revient pantelant supplier le rapport.
Victoire fait la putain. Pour ses enfants et pour son œuvre. Ses enfants sont heureux d’une vie familiale environ stable et Vic a besoin du mari pour finir son nouveau bouquin. D’autant qu’il est touchant, l’adolescent qui ne mûrit pas, l’étalon qui ne se lasse pas, le baratineur qui parvient à la convaincre qu’elle manque d’«humour». Il n’aurait pas besoin de ces périodes que Vic jugent trop longues, chacun chez soi à ruminer, elle se satisferait du reste. Elle s’est habituée aux insultes, aux abandons nocturnes et quant à la corvée dominicale, ils sont parvenus à un arrangement : Phil n’impose plus les beaux-parents qu’un week-end sur deux et tâche de rester à Paris un week-end sur deux.

Vic se persuade comblée : le mariage n’est-il pas affaire de concessions ?
Son Soleil Rose reste crépusculaire, Kundera silencieux, elle change donc d’espoir, décide de s’attaquer aux «petites maisons».
Un jour, elle pousse jusqu’au fin fond de Nanterre. Dans une rue inconnue, sous un porche minable et au bout d’un couloir sans fin, elle s’arrête devant une porte en préfabriqué sur laquelle se détache une affichette peinte à la main : «Furia». Du dehors, elle flaire une animation intense sur fond de tabac blond :
— Oui mais vois-tu, explique une voix mâle, en ce moment, avec la guerre…
Elle aurait bien écouté davantage mais sa main frappe et une autre voix la prie d’entrer. Derrière la porte, une pièce de neuf mètres carré donne peut-être sur une autre, ou sur un placard. Dedans la pièce, une bibliothèque croule sous les livres, un bureau d’architecte croule aussi, occupant un bon tiers de l’espace. Derrière le bureau, un homme d’une quarantaine d’années, avec double menton (et double ventre s’imagine Vic) fume derrière ses lunettes de myope et lui envoie donc avec une volute :
— C’est à quel sujet ?
— J’ai téléphoné tout-à-l’heure. C’est sur vous que je suis tombée ?
— Tout-à-l’heure ? répond-il avec la même surprise qu’il aurait répété : «Michel Jonas ?…» ou : «La guerre ?… Quelle guerre ?» ou «Tu le penses vraiment, vieux ?…»
Bref, avec une nonchalance de ruminant qui ne comprend pas pourquoi le direct Paris-Calais de 17 heures 12 n’est toujours pas passé.
L’étonnement maximal que puisse ressentir ce mec, autrement dit, le bouquin ne lui haussera même pas le sourcil.
Une fille sort soudain du placard pour intervenir :
— Non, vous n’êtes pas tombée sur lui.
Il tardait à répondre, c’est vrai, mais Vic se demande de quoi se mêle cette petite madame. C’est la seule à bouger ici, et elle rompt le charme. Les deux autres en face du myope et le myope réfléchissent, Vic croit percevoir qu’à l’odeur du tabac, se mêle celle du cerveau surchauffé. Elles fouettent, elles dépaysent, c’est bon. Avec un petit côté cliché non négligeable : le boss, mégot aux lèvres, les pieds sur le bureau, l’adjoint assis en face et le troisième, indifférent, celui qui est de dos au cinéma.

Vic ferait bien durer le plaisir, d’autant qu’en face du boss, l’adjoint est tout à fait son genre. Instant magique que son regard sur elle. Quarante ans, cheveux poivre et sel, front dégarni mais nuque buissonnante, blouson de cuir négligemment ouvert sur un lambswool bouteille, classe mais relax, il s’avachit sur son transat. Surtout, il a le regard qui la plante : vaguement blasé mais intéressé tout de même, histoire de voir, qu’est-ce qu’il risque ?
En une seconde, il la déshabille, revient à ses yeux, elle lit dans les siens : «Toi, je ne serais pas étonné que tu aimes ça…»

Stoïque, Victoire présente son livre :
— Je suis venue déposer un manuscrit.
Elle gagne du temps, rester, rester, le plus longtemps possible sous le regard de cet homme, interrompre sa conversation, le déranger, et qu’il en éprouve du plaisir… Elle feuillette son exemplaire : la fille est encore debout dans la pièce et s’impatiente :
— Je vérifie qu’il y a bien mes coordonnées… Le titre… Le nom…
— L’adresse, continue l’autre.
— Il n’y a pas de mots doux ? fait Vic imperturbable (elle se souvient trop bien de sa frayeur lorsqu’elle a cru avoir oublié la seconde lettre de refus de Tallendier dans son exemplaire Kundera…)

Et à cet instant, en prononçant ces mots devant son livre en éventail, elle le regarde lui, le créatif lubrique, droit dans les yeux :
— Enfin, des mots doux… il y en a… Je veux dire…
Et elle perd le contrôle. Elle voulait dire quoi ?… manuscrit ?… Elle voulait dire : «Il n’y a pas de mots manuscrits cachés dans mon… manuscrit ?…»
Non, ça ne va pas, il vaut mieux qu’elle ne poursuive pas.
Dommage, son esprit la trahit. Il lui reste ses yeux et ses lèvres (fardées du rouge ensorcelant de Paloma), elle en profite, esquisse une révérence, avec œillade généreuse à la cantonnade et magnifique sourire au séducteur.
Dehors, elle se sent belle.
Belle comme elle ne l’est plus depuis longtemps.




Le lendemain, Vic dépose l’exemplaire chez MAS-TU-VU.
MAS-TU-VU ? Inconnu au bataillon… Elle ne se souvient pas de l’adresse exacte et pense : «la rue Lincoln est si petite… Il y aura certainement un panneau en cuivre à l’entrée.»
Elle commence à regretter le trajet lorsque de panonceau point, et surtout, le Bottin 1990 ne mentionne aucune maison d’édition à ce nom.
Elle va abandonner lorsqu’elle tente les renseignements qui, par bonheur, répondent : au cinq.

Au cinq, seule la check-list de la gardienne fait état de l’existence de la maison et s’il y a six plaques en cuivre à l’entrée de l’immeuble, aucune ne porte le nom MAS-TU-VU. Et les bureaux du rez-de-chaussée sont incapables de la renseigner :
— Les éditions MAS-TU-VU ?… Il faut demander à la concierge, vous êtes sûre que c’est ici ?
Au second, il s’agit plus d’un appartement bourgeois que d’une «Maison d’édition». La jeune fille qui ouvre la porte à Vic, très jeune, est familière. Douce, elle frôle l’amateurisme et la prévient :
— Nous avons beaucoup de retard. Nous recevons des floppées de manuscrits qui attendent, et nous ne sommes que deux…
Elle semble sincèrement désolée, lui propose de prendre le sien mais conseille la patience. Qu’est-ce que Vic a à perdre ? Les exemplaires reviennent vite et il en circule sept. Elle rassure :
— Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas aux pièces… J’ai TOUT mon temps, je n’ai pas besoin de mon livre pour vivre.
Et elle case l’internat, pour épater un peu.
La jeune fille va répondre au téléphone. Décroche, raccroche et revient. Vic la sent à la bourre et s’étonne de sa politesse :
— Sur onze livres édités cette année, il y a eu trois romans et huit essais. Nous publions de plus en plus d’essais.
Vic répond qu’elle préfère aussi écrire des essais et d’ailleurs, dans son Soleil Rose, si la première partie est de «pur style romanesque», la seconde —c’est un journal intime— est plus proche de l’essai (au fait, qu’est ce qu’un essai ?) Elle poursuit :
— Il s'agit de mon premier roman, et je pense que dans une petite maison, il aura plus de chances d’être accepté tel quel. Pour vous dire franchement (elle raconte tout en écrivant son nom, c’est sa tactique), j’ai été envoyée chez vous par Bellefontaine, avec lequel j’ai corrigé la première partie, mais j’ai coincé pour la seconde, parce qu’ils sont vraiment trop rigoureux, dans cette maison, ils cassent toute originalité. D’ailleurs, la maison Bellefontaine n’existe plus…
La fille s’étonne.
— Vous ne le saviez pas ? conspire Vic avec délice… Si, si, elle a été vendue !... A des Japonais !…
— Ah bon ?
— Oui, et ces corrections, c’est grave, tout de même, d’imposer à des écrivains des diktats de marketing, pour respecter «l’esprit de la maison»… C’est gravissime, n’est-ce pas ? Entre nous, voyez vous, Tallandier me propose de travailler avec Kundera. Dans quinze jours, nous reprenons le texte, alors évidemment, je suis tentée, pensez ! Le Grand Milan Kundera ! Ca ne se refuse pas !… Mais qu’ils me mangent le nez, non.
— Mais vous savez, lui répond la jeune fille, les corrections sont indispensables… Même les petites maisons les exigent.
— Ah bon.
Cette fois, c’est Vic qui reste pantoise.

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Ce soir, l’oiseau Coco est mort.

Un petit naufragé de la tempête qui avait atterri, par hasard ou par conviction, dans le salon.
Qu’est-ce que la mort ? Rien, sinon les larmes des autres.

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Victoire se demande pourquoi elle persiste à écrire.
Son nouveau livre avance, doucement, mais elle le juge moins joli que le Soleil Rose.
A l’hôpital, l’effort devient peu à peu surhumain : elle présente ses dossiers, au staff du mardi, sans enthousiasme. Elle type ses cryos comme on se brosse les dents, convaincue de la nécessité mais sans satisfaction.
Elle a hâte de rentrer taper ses nouvelles pages et ne supportent plus les urgences qui la retardent. L’entourage médical ne s’amuse plus de ses fredaines. Elle affiche un dédain profond pour ses plasmas, de plus en plus profond et qui, à la longue, exacerbe les collègues.

Un soir, la scène éclate, Vic manque de tomber la blouse, s’engueule avec le service entier et rentre à la maison les yeux gonflés de larmes.
Ydillia s’apitoie, et tandis que notre héroïne n’y croit plus, lui délivre le code, le numéro magique, celui qui pénètre chez Milan. Il faut sonner trois fois, raccrocher puis recommencer.
Victoire s’exécute, la chambre des enfants s’agglutine dans la confiture de fraise des gâteaux, qu’importe, elle n’a jamais sévi, l’ange venu du ciel est peut être cossard, mais il détient l’espoir, il vient de prononcer la formule magique :
— Allo ?
Une voix grave et slave répond :
— C’est quoi ?
— Bonsoir. Je m’appelle Victoire, je suis la cousine d’Ydillia (la bonne préfère la parenté)
— Ah ! s’exclame la voix soulagée, puis accueillante : «Bonsoir !»
— Eva ? Vous êtes Eva ?
— Véra. Vic respire un grand coup :
— Vous êtes madame Kundera ?
— Oui, Véra.
— Excusez-moi, Ydillia m’avait dit Eva…
— Ne vous excusez pas. En France, la… méprise est facile. Je suis habituée à ce genre de… Vic la laisse chercher… confusion… Je suis sincèrement désolée mais Milan a énormément de travail en ce moment. Il est en pleine traduction Ang… Anglaise. Elle s’applique :
— Il n’a pas encore eu le temps de lire le livre.
— Ouf ! J’aime mieux ça.
— Ah oui ! Je comprends maintenant votre impatience. Vous pensiez qu’il n’appelait pas parce qu’il n’aimait pas ? Non, non, mais votre livre est gros, il n’a pas eu le temps… Mais ?… Mademoiselle ?…
— Oui ?… Elle croit que Vic a disparu mais Vic la laisse parler. L’accent est prononcé et Véra cherche ses mots, lentement, et la jeune femme enregistre tout, même les blancs, avec un indicible plaisir :
— Oui, je suis là.
— Milan aussi, voulez-vous que je vous le passe ? Ce serait plus simple.
Victoire se pince. Elle s’attendait si peu à l’éventualité. Des nouvelles par sa femme lui auraient suffi mais puisque Véra propose… Elle patiente deux secondes, pas plus, et heureusement car son cœur palpite à tout rompre :
— Bonsoir, Mademazelle
Le timbre de la voix l’étonne. Elle n’imaginait pas un tel timbre. L’accent y est mais sans virilité. Une voix posée, douce, mais précieuse :
— Ecoutez, j’ai beaucoup de travail actuellement. Il répète ce qu’a dit Véra, avec la même lenteur :
— Je n’ai pas encore eu le loisir de lire votre livre. Je l’ai feuilleté, oui, je l’ai feuilleté, mais je n’ai pas encore eu le temps de le lire.
— C’est vrai ? Vous l’avez feuilleté ? Et déjà, vous avez une idée ?
— Non, je n’ai pas d’idée… Vous le savez comme moi, lorsqu’on écrit, c’est pour être lu et pas feuilleté.
— C’est exactement mon point de vue…
Et elle s’emballe, et parle, et parle :
— Et j’étais sûre que ce serait le vôtre… Je ne pouvais pas mieux tomber… Vous savez, j’ai lu tous vos livres, et je les ai tous aimés… Je n’arrête pas d’écrire, la nuit, le jour, et j’ai tellement besoin de votre avis ! C’est comme une maladie… J’écris depuis toujours mais en ce moment, c’est la panique, c’est trop !!!
— Ne soyez pas impatiente, la rassure-t-il. Je le lirai attentivement et je vous rencontrerai lorsque je serai prêt. Voulez-vous que je prévienne Ydillia ?
— Si vous préférez, je peux vous laisser mon numéro de téléphone à la maison. A moins que cela ne vous dérange, vous n’aurez qu’à m’appeler…
— Non, ça ne me dérange pas du tout. Attendez, je vais chercher un CRAILLON. Il articule sur ce dernier mot et Vic l’embrasserait bien. Revient aussitôt : elle donne son numéro personnel au grand Milan Kundera.
— Et je tombe sur vous ? s’enquiert-il.
— Oui, sur moi, ou sur mon mari… Et là, elle fait la moitié d’une gaffe : ou sur Ydillia… (moitié seulement puisqu’Ydillia sa cousine peut venir la voir souvent… Mais pourquoi décrocherait-elle ?
Parce que c’est comme sa sœur, c’est sa cousine !!!) Il dit :
— Sur votre mari ? Vous êtes Madame alors ? (le «sur Ydillia», avec un peu de chance, est passé inaperçu)
— Oui… (et elle n’ajoute rien : elle ne va pas aggraver son cas en avouant les enfants).
— Et moi je dis MADEMAZELLE, MADEMAZELLE, mais c’est madame qu’il faudrait dire ?
— Oui (la honte !)
Et Victoire finit en beauté :
— Je ne suis pas impatiente, j’ai tout mon temps vous savez. En ce moment, je tape un autre livre, je l’ai écrit ces dernières semaines et j’en suis à la page 33…
— Ah ! 33 ! C’est un beau chiffre ! C’est l’âge de la mort du Christ !…
— Au revoir Milan. Je suis si heureuse de vous avoir parlé !… J’attends votre appel…

Elle raccroche et s’arrache les ongles : groupie, groupie, groupie, elle s’est comportée en groupie, bavarde et prétentieuse… L’HORREUR !!!

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Samedi matin, Vic se réveille du mauvais pied : que n’accepterait-elle pas pour ce fichu piston ? Le filtre du lave-vaisselle est bouché —un miracle qu’il ait fonctionné cette nuit— le frigidaire est gorgé d’eau et les légumes flottent dans leur bac. L’aspirateur non plus n’aspire plus d’être plein. Elle effectue son travail ménager la rage au cœur, aurait préféré profiter des enfants. Evidemment, une fois l’ensemble propre, elle n’a plus qu’une envie : écrire, histoire de se défouler.

Mais Philippe ne l’entend pas de cette oreille : de sa chambre lui parviennent des bruits d’enfants qu’on habille. Il leur a proposé le zoo de Vincennes, depuis, les petits trépignent : «ai veu voi les zanimo, ai veu voi les néné fan… » Vic a juste le temps de se maquiller, d’enfiler jean’ et bottes, à peine celui de se demander si la tente de suivre la marmaille sous un vent pareil. A l’entrée, ils hésitent, claquent des dents mais les garçons insistent. Vic regrette un peu d’être là. Elle a voulu lancer un sujet de conversation en voiture et s’est entendue répondre :
— Qu’est-ce que tu nous la ramènes avec ton chauffeur de taxi et la décadence de la France ?… On s’en fout, on va au zoo avec les gosses !

Elle ne regrette qu’un peu d’avoir délaissé son cahier car elle tient à voir la réaction des enfants devant les animaux «en vrai». Et Philippe pourra dire ce qu’il voudra, elle s’en balance. Lorsqu’elle lui suggère qu’il ne devrait pas s’encombrer de la poussette, que David aime marcher en tenant la main, Philippe baragouine une réponse amère qu’elle n’entend plus très vite. Juste râle-t-elle à peine lorsqu’elle se retrouve derrière la poussette vide. Ils tiennent une heure. Par endroit, le soleil est chaud et les encourage, à d’autres, le vent si glacial pénètre les os.
Ils ont eu peur de l’éléphant, énorme, avec de grosses larmes épaisses et blanches, se sont attardés devant les manchots, mais ont raté la girafe, frileuse, et les singes car papa et maman ont rebroussé chemin.

Devant la voiture, Vic grelotte. Par bonheur, les pop-corns partagés avec David et Nico lui ont donné l’énergie jusque là. Elle laisse Philippe installer ses gamins (c’est sa voiture, il s’y connaît) et entend à travers le bruit de la portière qu’il claque :
— Pourrait pas bouger son cul, cette pétasse !
Elle croit rêver : quelle haine dans ces propos ! Les a-t-il prononcés pour lui ou à son intention ? Elle trouve qu’il exagère, attaque :
— Tu nous déposes et tu sors ? Il répond :
— Non, je rentre et je dors.
— Bon, insiste-t-elle, tu nous ramènes et tu dors ?
— Pourquoi ces agressions ? questionne-t-il obséquieux.
Vic croit rêver de nouveau : ne l’a-t-il pas traitée de pétasse ?… A-t-elle entendu des voix ? (ma pauvre fille, il serait temps de prendre des vacances) . Après trente bonne secondes d’hésitation, elle finit par murmurer :
— Pourrait pas bouger son cul, cette pétasse ?
Philippe verdit, perd sa belle assurance et devient tout mignon :
— On va tous manger chez Mac Do. Tu nous accompagnes, Bouboule ?… Allez, sois pas bête, tu vas pas faire la tête pour ça ?
— Non, je ne ferai pas la tête. A la limite, je m’en fiche… Tu me traites de pétasse alors que c’est le premier samedi depuis longtemps que nous sortons ensemble, je suis la reine des connes, je ne vois vraiment pas ce que nous faisons ensemble. Le soir passe encore, c’est court, mais les dimanches, les samedis, alors là non, j’ai l’impression que ce n’est plus possible…
— Mais c’est toi qui a commencé ! C’est toi qui m’empêche de vivre ma vie, et ça m’agace !
Peut-être lui reproche-t-il d’avoir émis l’hypothèse de partir plus tard, ou celle de laisser la poussette ? A moins qu’il ne digère pas les petits beurre, amenés par lui exprès, et que les enfants ont dédaignés à cause des pop corns achetés par maman ? (petits beurre qu’il a été le seul à manger, du coup, et elle s’en peine, à posteriori…) Bref, c’est bien ce qu’elle disait : ce n’est plus possible. Et la bonne volonté de Phil une fois son coup de gueule lancé ne change rien à l’affaire. Elle s’en fiche, elle ne le quittera pas, n’a pas même envie de bouder, mais sitôt arrivée place d’Italie, elle le somme de la l’y laisser. Ras-le-bol d’en entendre ! Ras-le-bol de sa compagnie, salut, elle déjeune seule, ailleurs…
De retour à la maison, elle a plutôt envie d’en rire.
D’en rire, plutôt que d’en pleurer.

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Qu’est-ce que l’amour entre un homme et une femme ?
Rien.
Cet amour-là n’existe pas.

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Quel temps de chien ! Il pleut à gros bouillons dans les rues parisiennes, par giboulées entrecoupées de faibles rayons de soleil, et si Vic a fini de bonne heure aujourd’hui, elle n’a pas pour autant envie de traîner. Elle s’est juste contentée de passer chez Marc Voisin récupérer son manuscrit. Elle a saoulé la secrétaire d’un flot de paroles : le Soleil Rose par çi, Bis Repetita par là, et Kundera au milieu de sa verve prolixe. Elle n’était pas fière en quittant les lieux : elle ne croit plus en rien, ni en son talent, ni au Soleil Rose, ni à Kundera. Elle a la funeste sensation de brasser de l’air pour pas un rond. A quoi bon déranger ces braves gens ? Et puis d’abord, qu’est-ce qui les interpelle ces braves gens ? Cette secrétaire, par exemple, avec son accent du midi et ses lunettes d’anarchiste, serait-elle émue par sa prose ? A qui s’adresse-t-elle, finalement ? Vic se sent comme un chien qui court après sa queue. Elle se retient de relancer Milan, pour être enfin comprise, une fois, et par quelqu’un de son monde.

Pourtant, la matinée hospitalière s’était déroulée à merveille. A huit jours de la fin du stage, les passions s’apaisaient, chacun sachant qu’il ne travaillerait bientôt plus avec l’autre. Marie-Prune, dès l’arrivée de Victoire, l’avait entraînée avec forces simagrées dans son bureau, pour lui dire au revoir et bonne chance et pour lui offrir son cadeau : le dernier best-seller de Kundera. Son geste ébranle Vic : Marie-Prune la touche beaucoup et elle a honte de la décevoir, un jour, honte de l’avoir bernée. Tallendier n’est qu’une supercherie et Marie-Prune, une femme qu’elle estime entre toutes, qui a compris plein de trucs, avec un courage à faire peur mais intelligemment managé, sans la moindre souffrance. Et Vic se sent médiocre à cet instant. Plus encore lorsqu’elle lit la dédicace : «Au Soleil Rose, à Kundera, à Toi.»
Médiocre et sans talent, même un Marc Voisin ne veut d’elle.



Le livre de Milan est à côté d’elle sur le lit. Elle a essayé de le commencer, mais sans succès. Elle ne veut plus entrer chez lui s’il refuse d’entrer chez elle. D’ailleurs, c’est simple : Victoire ne peut plus lire personne. Les recettes de cuisine, les articles à sensation, son horoscope passent, mais un roman, nenni. Son seul encouragement est devenu supplice. Pourtant, quand elle parvient à s’y astreindre, elle trouve que sa littérature ne vaut pas moins. Elle rumine. Les enfants crient dans leur chambre plutôt que d’y dormir. Elle s’ennuie... «Ecrivez pour vous», lui a conseillé la secrétaire de Marc Voisin, «il y en a beaucoup qui le font»… L’idée est astucieuse : écrire pour elle et retourner à ses potions magiques, ses plasmas et ses p’tites manips…

Philippe téléphone à 16 heures pour la prévenir qu’il ne rentrera qu’à 21 heures. Ces précautions ne sont pas dans ses habitudes, aussi en profite-t-elle pour lui glisser deux, trois phrases obscènes. Elle a toujours envie de faire l’amour l’après-midi, ça ne date pas d’hier, et elle adore les grivoiseries téléphoniques. Philippe marche à chaque fois, tout de suite, même en pleine réunion. S’il est écouté, il utilise un code et reste chaste tandis que Vic se permet le pire. Et c’est bien chaud, bien bon, comme si elle le violait un peu.

Le soir, à son retour, il est particulièrement enjoué. Vic a retrouvé le moral et pourtant, à table, la scène ne tarde pas à éclater :
— Tu t’rends compte : Marie-Prune m’a offert un cadeau pour mon départ !
— Hum, hum…
— C’est le bras droit de Dieuleveut et j’ai une cote monstrueuse avec …
— Hum, hum.
— Sans rire. Elle m’a fait tout un cinéma pour m’offrir «l’Immortalité» de Kundera… Je ne me suis plus sentie de la journée. Je me demande même si elle n’est pas un peu lesbienne sur les bords…
— Ta, ta, elle est mariée, et elle a des enfants : tu prends tes désirs pour des réalités ma vieille.
— Mais pas du tout, pas du tout… C’est la première fois qu’une femme m’attire ainsi. A chaque fois que j’ai un nouveau pull, ou une nouvelle robe, elle me fait enlever ma blouse pour me mater. Un jour, elle a même glissé un doigt dans mon décolleté pour réajuster mon col.
— Ta, ta, ta…
— Mais si, j’te dis !!! Ca existe, tu sais, et malgré les enfants… Je connais… Il l’interrompt :
— Pipeau, pipeau, du jamais vu !....
— Mais je connais…
— Une femme mariée avec des enfants !…
— Mais merde à la fin ! Qu’est-ce que tu en sais au juste, toi ?
— Ce que j’en sais ?
— Oui. Qu’est-ce-que tu as, à jamais vouloir me croire, à me contrarier tout le temps ??? J’en ai marre ! C’est dingue, on dirait que ça te bouffe que le bras droit de Dieuleveut s’intéresse à moi !…
— Pas du tout, pas…
— C’est dingue ! Faut toujours que tu me rabaisses !… C’est comme la fois où elles ne m’ont pas engueulée, alors que les autres si… T’as pas pu t’empêcher de dire que c’est parce que j’étais «spéciale», «un peu psy sur les bords», et ti et ta, alors que pas du tout… C’est comme le jour de Christine, quand tu m’as sorti qu’elle n’avait pas ouvert mon bouquin alors qu’elle l’avait dévoré en deux jours… Toujours en train de dénigrer, de cracher, moi j’en ai marre ! Ras-le-bol ! Je ne supportais plus les sorties avec toi, si les dîners sont infernaux, bonjour, salut, j’arrête !!!

Elle vidange. Flots de paroles tels des flots de mazout. Il essaie d’envoyer une phrase mais qui se noie très vite. Elle poursuit :
— J’en ai marre d’avoir un mec comme ça : t’es jaloux, c’est tout ce que t’es !… Jaloux parce que j’écris, jaloux parce qu’on me fait des cadeaux… T’es jaloux et j’en ai marre !!!

Il la stoppe soudain et pourtant elle avait fini, se jette sur elle :
— Tais-toi, tais-toi, tais-toi !… crie-t-il en enserrant son cou de ses deux mains. Il serre et Victoire s’abandonne, aspirée par le grand tourbillon de la démence, ferme les yeux tandis que peu à peu ses forces s’évanouissent. Le sang lui bat aux tempes, le visage lui chauffe, elle part. Philippe réalise et relâche l’étreinte. Victoire renaît, secouée.
Philippe devient adorable, l’embrasse, la caresse des mains et de la voix :
— Allez Bouboule, allez… C’est fini maintenant, tu vas voir… Tu sais, on peut faire pleins de trucs tous les deux, suffit d’un p’tit effort.
Elle l’écoute sans l’entendre, plane, ne comprend plus que ses gestes. Résiste comme par instinct.
— Allez Bouboule, continue-t-il, t’es bête. Tu sais très bien qu’on s’aime tous les deux…

Et il l’allonge sur le canapé, la déshabille doucement :
— Tu es belle, souffle-t-il. Tu es belle, tu es bonne et tu es à moi…

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C'est pas dans le livre mais :

« j'en peux plus de relire tout ça »

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L’appel est extraordinaire. La jeune fille des éditions MAS-TU-VU vient de téléphoner pour dire :
— Il me semble me souvenir que je vous avais conseillé de patienter longtemps à propos de votre manuscrit. Mais je l’ai lu et tant qu’à faire, puisque je peux vous répondre, j’en profite : voilà, il est très bien mais pour d’autres raisons, nous ne pouvons le publier… Alors si vous voulez récupérer votre exemplaire…
— Pour d’autres raisons ?… Vous savez, je peux encore patienter… Si c’est parce que vous êtes une petite maison qui démarrez, j’ai tout mon temps…
— Non, ce n’est pas la question… Elle est un peu gênée.
— Mais vous dites que vous l’avez lu ?… Et qu’il est bien ???
— D'abord, si je l’ai fini, parmi les nombreux manuscrits que nous recevons, c’est qu’il m’a accrochée… J’ai beaucoup aimé. Et quant au style, c’est le style… Si on le refuse, on refuse tout…
— Vrai ? Ca vous a plu ?
— Ah oui alors, sincèrement. J’ai été captivée, et puis il y a un ton, une émotion !… Il a une âme, ce livre !

Victoire est bouleversée, elle avoue sa nouvelle production.
— C’est un essai ?
— Non, un recueil de nouvelles… Il y en a sept, et le milieu médical m’a inspirée.
— Ah oui ? Ludivine s’intéresse, écoute, abonde, s’émeut. Lorsque Vic cite Kundera et ses espoirs fous, son interlocutrice applaudit :
— Vous aurez plus de chance avec lui qu’avec nous… D’ailleurs, moi-même, je pars à la fin du mois.
Elles discutent littérature comme deux copines, et Vic sent l’espoir revenir, Ludivine est la première professionnelle à croire en elle, et à l’appeller chez elle pour le lui dire. Milan suivra peut-être, s’il est honnête et ne la bâcle pas.
Peut-être a-t-elle du talent tous comptes faits. Peut-être suffit-il d’un rien, d’un coup de pouce, d’une opportunité. Il ne faut pas abandonner.








Vic a craqué : la négligence sur le ménage, d’accord, mais qu’on ne touche pas à ses gosses !
Ydillia s’est fait interpeller par les flics hier, elle n’avait pas de vignette, elle doit filer de toute urgence à la gendarmerie de l’angle, elle a déposé Nico à l’école, emmène David, laisse les clefs et sera revenue d’ici une heure. Il est neuf heures lundi matin et Vic émerge, elle ne comprend pas tout.
A 10 heures 15, Vic commence à s’impatienter (que vont-ils dire à l’hôpital si elle radine à midi ?). Coup de fil de la bombonne :
— Allo madame ? Alors voilà : Ydillia, elle a dû aller au garage… Je vais passer prendre les clefs si vous voulez…
— Au garage ? Quel garage ?… Et où est mon fils ?
— Et cet après-midi, il faut qu’elle aille à la police…
— Et David ?… Où est David ? Et Nico ? Qui ira chercher Nico à l’école ?

Le ton monte dangereusement. Soudain, c’est la colère : qu’est-ce-c’est que ce business ? Elle prend carrément son lundi, la bonne, et laisse son tout petit courir dans la nature !
— Ah ça va pas, dit-elle, ça va pas du tout, il faut que j’aille travailler, moi ! J’ai besoin d’Ydillia ! ET OU EST MON FILS ?
— David est avec moi… Et Ydillia sera revenue pour l’école.
— Sûr ? David est avec vous ? (Vic se rassure), mais cet après-midi ?… Elle est où cette police ?
— Dans le onzième.
— Et elle veut emmener mes deux fils dans le onzième ! En voiture ?… Mais pas question ! J’ai donné mon accord pour la police du treizième ! … J’avais compris la police du treizième, en poussette !
Victoire s’emballe, s’emballe, et bientôt elle ne parle plus, mais crie. La pauvre mère ne sait comment l’arrêter, parvient à placer tant bien que mal :
— Ils resteront avec moi, ne vous inquiétez pas, ils ne prendront pas la voiture…
— Bon, bon, bon (Victoire se calme). Venez chercher les clefs, je vous attends…
Elle raccroche, le sang retourné… Cette fille exagère ! Depuis moins de deux mois qu’elle est à son service, Ydillia s’est offert un lundi intégral, lui a déjà demandé trois après-midi, et aujourd’hui, elle lâche son fils dans la nature, sans même la prévenir ! Elle fulmine, il est la demi passée et elle va en prendre pour son grade à l’hôpital… Ah ! Ces employées de maison, quelle plaie !
Un quart d’heure plus tard, Victoire s’étonne d’ouvrir à madame mère, avec David dans les bras et Ydillia dans son sillage. Rouge de colère, celle-ci explose :
— C’est bien la première fois que ma patronne n’a pas confiance !!! Depuis cinq ans !… (elle montre ses doigts), depuis cinq ans !…
— Oui, oui, la confiance, répète sa mère.
— Ca ne va pas, ça ne va pas ! J’ai des choses à faire, aujourd’hui, moi, Madame ! continue la bonne véhémente, je dois y aller, à la POLICE !!!
— Mais moi aussi, je travaille Ydillia !… Et ils m’attendent à l’hôpital !
— Eh bien, vous pourriez me faire confiance, pour les enfants !… C’est la première fois, c’est la première fois !!!
— Vous comprenez ? essaie de convaincre la mère (elle doit penser, comme Vic, que sa fille ne devrait pas parler sur ce ton-là à la patronne). Et la patronne se rappelle que la petite a vingt ans et elle lui semble si effrayée par cette police… Elle amadouerait volontiers le ton. Mais la furie continue :
— Allez ! Tant pis ! Ca va pas ! Je m’en vais, je m’en vais ! Au revoir Madame, voilà, je n’ai plus de travail ! Allez, viens maman …
Tout ça si vite et si crié que Vic en perd un instant ses moyens. La bombonne resterait bien :
— Ydillia, ne sois pas stupide ! Elle sourit à la patronne. L’autre est déjà sur le palier :
— Allez, viens maman ! elle claque la porte au nez de David.

Furieuse, Vic appelle l’hôpital, tombe sur Gaétan, demande Camille, obtient Marie-Prune. Elle lui raconte l’histoire en détail, prévient qu’elle ne pourra pas venir, ni aujourd’hui, ni sans doute demain… Elle prend ses vacances mercredi, s’il lui était possible d’avancer la date ? Elle en profiterait pour chercher une autre nounou. A moins que les choses ne s’arrangent d’ici là…
— Tu vois, ajoute-t-elle pour rassurer, je ne serais pas étonnée qu’elle rapplique. Sa mère va probablement le lui conseiller, mais je m’interroge, j’avoue qu’une fille capable de me laisser tomber à 11 heures un lundi matin, comme ça, sur un coup de tête…
— De quelle origine est-elle ?
— Portugaise.
— Mais tu sais, ces gens-là n’aiment pas avoir affaire à la police, ça les stresse terriblement.
— Probable ; tu dois avoir raison, et puis elle est si jeune !

Sur le trajet de l’école, puisque c’est elle qui s’y colle, Vic se souvient de Brigitte et de ses malheurs : le jour où elle est arrivée sans dents ! Son dentier s’était cassé la veille au soir : le nombre d’après-midi qu’elle s’est offerts ! Un premier dentiste, un second dentiste car le premier prenait trop cher, et puis les démarches sécu… Vic avait été d’une patience rare : c’était trop pitié que de la voir leur offrir sa gencive édentée en cadeau chaque fois qu’elle était contente ! Lorsque son «mec» s’est sectionné deux doigts sur sa machine outil, elle n’a pas davantage râlé… Les visites sécurité sociale commençaient à bien faire mais bon, le pôvre, la pôvre, elle avait tellement de chance à côté d’eux, elle n’allait pas en rajouter… Voilà, Brigitte est partie, Ydillia l’a remplacée comme un ange venu du ciel, avec son petit cortège de problèmes : une mère étouffante, un grand-père qui vient de mourir et l’autre qui ne va pas tarder, et elle est si loin d’eux … Et la déclaration parce que son mari travaille au noir, et les papiers de la voiture, puisqu’elle vient d’avoir son permis. Ce ne sont pas les problèmes du Français idiot, mais ceux de l’émigré moyen, «bien intégré». Ils sont plus faciles à supporter psychologiquement même si au bout du compte, le résultat est le même : Victoire reste en carafe avec les gosses. Ceci dit, pourquoi pas ? Ydillia lui offre une journée à la maison avec ses fils.

Lorsque Vic récupère son bijou chéri, elle en est à la conclusion que ces soucis n’existent pas. Ydillia va passer repentie et l’incident sera aussitôt clos. Et la vie se poursuivra, sereine. Mais voilà que Nico s’exprime :
— Elle est partie Ydillia ?
— Oui, mais elle va revenir. Après un temps, Victoire reprend :
— C’est comme tu veux. Tu veux qu’elle revienne Ydillia ?
— Non.
— Tu ne veux pas qu’elle revienne ?
— Non.
— Tu préférais Brigitte ?
— Oui, Brigitte.
— Mais pourquoi, mon amour ? Elle est gentille Ydillia.
— Non ; elle est méchante avec moi. Elle gronde.
— Elle gronde beaucoup ?
— Oui.
— Plus ou autant que maman ?
— Plus.
La vérité ne sort pas toujours de la bouche des enfants, mais l’ange venu du ciel semble moins angélique soudain. Si elle crie sur ses fils comme elle l’a vue crier sur elle ce matin, Vic comprend son garçon.

Adieu Milan, adieu les Kundera, adieu le piston : Victoire, à 18 heures, engage Salima.

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Bien Kti, continue !! (si seulement le téléphone pouvait arreter de sonner quand je suis en pleine lecture !!!! te l'ai envoye paitre le dernier !!!!!!!)
Allez, j'attends la suite .......

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Merci Coui-Coui...

Sympa

Mr.Red

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Ben ........le "dernier téléphoneur " n'a pas dit pareil !!!!! pas sympa du tout !!!!!! rambo

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La machine à écrire est cassée !

David et Nico lui ont fait son affaire un jour que leur mère avait le dos tourné. En découvrant l’ignominie, Victoire s’est écroulée. Elle avait couru quinze jours pour trouver un ruban en vain, s’était finalement décidée à écrire à la maison mère, pour une commande de dix rouleaux (minimum exigé)… Elle attendait son colis avec impatience et pour ne pas perdre la main, comptait dès ce dimanche matin se mettre au rouge. La machine à écrire est cassée, c’est la CATASTROPHE !

Plus envie d’insister, soudain. Machine irréparable, évidemment. Vic entend encore le vendeur de la rue Arago, dans sa boutique d’électronique de luxe Canon :
— Une machine de 1983 ! Mais c’est très vieux pour une machine !
Avec ses yeux de bille et sa mine épatée, il lui avait flanqué la honte. Où trouver le courage, à présent, de la faire réparer ? Et quand bien même sa vieillerie qui ne faisait pas cling en bout de ligne, finirait-elle entre les doigts experts d’un antiquaire compatissant, dans quels délais la lui rendrait-il ?
Elle ne faisait pas cling en bout de ligne, mais Victoire l’aimait bien, cette machine, et avant ses partiels, dans son boucan d’enfer, elle courait comme une demoiselle sous ses ordres nerveux. Mais elle l’a laissée choir pour préparer ses sales écrits. Elle l’a abandonnée, perdue parmi ses cours étalés en tous sens. Elle voyait bien, du coin de l’œil, qu’elle s’encrassait sur la table de chevet, elle savait qu’ainsi découverte, elle l’exposait au risque des poussières et des monstres. Chaque fois, elle pensait : «Je devrais la ranger» mais elle n’avait jamais le temps : «Tout à l’heure, tout à l’heure je m’occuperai de toi». Elle se disait : «Si je la range et que j’ai l’occasion de taper un peu, je vais perdre de précieuses minutes à la réinstaller…» Alors sa p’tite chérie est restée treize longs jours et treize longues nuits sur la table de chevet, sans la moindre protection, et son pauvre vieux cœur de vieille machine à écrire a lâché.

Ce matin, celui de Vic a failli suivre. Plus envie d’insister, plus envie de se battre. Elle n’ira plus à l’hôpital, ne passera plus un partiel, elle restera assise à côté du cadavre à pleurer.
Les enfants s’agitent autour d’elle. David n’entend pas grand chose aux sanglots de maman, Nico regarde le dos sa mère se secouer dans un bruit de moteur qui ne démarre jamais :
«La machine est cassée ? La machine est cassée ?… Papa va réparer, réparer papa, la machine à maman ?»

Le pauvre s’inquiète d’autant que c’est lui que Vic a surpris un jour avec un petit bout de plastique noir en main. Un vulgaire petit bout de plastique arraché à sa pauvre machine. Sur l’instant elle avait grondé mais n’avait pas tout vu, elle n’avait pas remarqué la disparition du ressort, la fracture du taquet et le désengagement de la poulie. La marche arrière n’est plus possible. Et Nico souffre de son désespoir. Et Philippe se saisit des rennes :
— C’est pas grave, on va aller en acheter une autre…
— Une autre ? Tu rigoles ? c’est au moins 2000 francs et je suis à moins 3000 !
— C’est pas grave, je vais faire un remplacement.
— Y va acheter une autre, papa ? Une autre machine à maman ? se rassure le petit Nico.
— Oui mon chéri. C’est ouvert la FNAC le dimanche ? Bouboule, téléphone aux renseignements.
Vic s’exécute, vaguement réconfortée mais un dimanche 4 mai, il est plus optimiste de chercher du muguet.
Donc maman s’écroule de nouveau. Et papa sort sa dernière carte :
— Bon, je file chez ma cousine. Elle était secrétaire, je devrais pouvoir en trouver une…

Maman renaît à la vie, embrasse son mari et les deux fistons et tandis que tous trois s’engagent dans la chasse au trésor, se pose une seule petite question : son maigre talent impose-t-il un tel ramdam ? En d’autres termes, ne serait-il pas plus sage de redescendre ?
Aucun éditeur à ce jour, malgré la rencontre fortuite de René-Yves Bellefontaine, ne s’est intéressé à son cas. Pourquoi persiste-t-elle à se croire écrivain ? Pourquoi ne pas plutôt s’acharner sur sa thèse, tenter un possible avenir dans l’hygiène hospitalière (elle vient d’y commencer un stage) ? Pourquoi rêver encore à cet inaccessible souhait : la reconnaissance ?
A l’occasion de ce malencontreux incident, terrible même, Victoire s’écroule surtout devant l’amer constat : elle est plus douée en biologie qu’en littérature.

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Victoire a donc changé de service. Elle travaille à présent pour un patron charmant et dans un domaine qu’elle découvre : la santé publique. Elle peut laisser pousser ses ongles et les vernir, se vêtir comme bon lui semble puisque la blouse n’est plus de rigueur, dans les bureaux où elle calcule, à longueur de journée, des pourcentages.
Elle savoure le changement, l’intimité du lieu, où seules se côtoient cinq à six personnes. Elle savoure les horaires depuis que l’urgence ne lui est plus imposée.

Son patron est un beau garçon, intelligent et vif, qui possède aux yeux de Victoire deux atouts magistraux : il la flatte et il la lit. Chaque jour, il lui lance une fleur, sur sa tenue ou sur sa bouche, et chaque fois qu’elle lui laisse un texte, il le dévore. Victoire est réellement comblée, elle ne souffre plus de se lever le matin pour aller gagner le pain quotidien et si elle continue sa grande tournée des éditeurs, c’est maintenant par la poste qu’elle l’effectue. Les réponses négatives ne l’affectent plus guère, elle s’est habituée, persiste à écrire et à espérer.

Côté mari, le calme est relatif, un jour avec et un jour sans.
Au bureau, Victoire se sent belle et intelligente ; à la maison, incompétente, feignasse, grognasse et pourtant désirable.
Elle est enfin heureuse.

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Un matin, Vic reçoit son manuscrit accompagné d’une lettre :

«Chère madame,
J’ai bien reçu votre livre. Milan Kundera est en impossibilité de le lire et vous recommande de l’envoyer à une maison d’édition où il y a des lecteurs compétents pour ça.
Bien à vous.
Véra Kundera
PS. Je suis incapable de lire votre nom, c’est la raison pour laquelle je colle votre nom sur l’enveloppe.»


Voilà. La fabuleuse histoire de la chance de sa vie s’arrête ici.
Le dénuement de ce dénouement la laisse sans réaction. Juste imagine-t-elle un plateau de télévision, ou une inauguration littéraire, avec des petits fours, du champagne et des rondelles de saucisson. Alors, elle ira serrer la main du grand homme et de son épouse, alors, elle sera au faîte de sa gloire, belle, riche et adulée et elle se penchera sur le vieux couple avec une modestie toute feinte :
— Vous souvenez vous d’une jeune femme que vous avez refusée un jour ?… Si, si……… A propos d’un manuscrit : la patronne (à moitié cousine) de l’une de vos employées de maison…
Leur regard ne tiltera pas. Il y a longtemps qu’ils auront enterré l’histoire, avec la culpabilité de la mauvaise volonté et de la rancune, l’anecdote n’aura pas imprégné leur mémoire de géants…

Juste se réjouit-elle de ne plus travailler au laboratoire Dieuleveut. Comment Marie-Prune aurait-elle vécu la mauvaise nouvelle ?
Elle ne s’effondre pas, elle s’attendait au pire, elle n’en meurt pas, n’en parlons plus.
Le plus atteint reste son mari Philippe. A la vue de la carte postale (la Praha, et encore, il faudrait lire l’alphabet slave, donc une photo tchèque, avec une légende tchèque, histoire d’impressionner Victoire, comme s’ils étaient déjà repartis, et pourtant le tampon de la poste fait foi d’un envoi rue Littré, à Paris…)
Donc, disait-elle, son mari à la vue de la belle image a poussé une criante :
— Tu ferais mieux de chercher du boulot pour la rentrée, des gardes ou des vacations en laboratoire, plutôt que de t’obstiner…

Il est sorti le soir même. Puis le lendemain soir. Tandis que Vic, têtue, persistait dans l’erreur. A bossé comme jamais ce week-end, a enfin fini son second livre. Il ne lui reste plus que vingt pages à taper et dès la semaine prochaine, elle relance la tournée : Madame Le Buisson chez Julius Delta, Marie-Christine Roussillon chez Tallendier etc…

Elle jubile, elle jubile, tant et tant que ses histoires avec Philippe lui volent au-dessus de la tête. Leur couple est fini, ils en sont tous les deux conscients, toutefois, sans troisième personnage, il peut durer encore longtemps. Toutefois, si son livre sort, peut-être renaîtra-t-il de ses cendres.

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Philippe et Vic se sont encore fâchés.

La veille, il l’avait appelée à quinze heures, la bouche en cœur : «Allo ? Je vais en cours d'anatomie ce soir, je rentrerai tard…»
— Mais ton cours, c’est le mercredi d’habitude.
— Oui mais là, y'a changement, avait-il annoncé guilleret.
— Eh ben ça tombe drôlement mal.
— Pourquoi ?
— Parce que Salima m’a lâchée à 14 heures, que je me traîne les gosses depuis, avec le boulot que j’ai !!! Et puis j’aurais voulu passer chez Dechavanne (un ami de l’hôpital lui avait suggéré la balade : «Dechavanne, il aime les jolies filles et tout ce qui sort de l’ordinaire, il peut t’aider…»)
— Ben tu iras demain.
— Oui, mais «Ciel mon Mardi», c’est le mardi, et pas le mercredi.
— Ben tu iras mardi prochain.
— C’est ça, c’est ça…

Bref, il était rentré à deux heures, l’avait laissée dans le pétrin (depuis qu’elle s’est mis en tête de livrer son nouveau manuscrit aux éditeurs avant le 30 juin, elle travaille jour et nuit), et les gosses s’étaient excités (évidemment, elle tapait depuis son retour), et Nico avait fait caca dans sa culotte…
Ras-le-bol ! Ses pauvres enfants qu’elle martyrise, ses sales soirées derrière sa machine, son mari sorti toutes les nuits… Ras-le-bol !

Donc, ce mercredi soir-là, Philippe lui dit :
— Je voudrais tes dates d’examens, pour les vacances… Et le numéro de téléphone de la villa que nous avons loué l’an dernier, toujours pour les vacances. L’Ile-de-Ré, ça te dirait de rempiler ?
Victoire explose :
— Rien à foutre de l’Ile-de-Ré, des vacances et puis du reste !… Et puis mes examens, je ne sais même pas si je vais les passer… Et puis qu’est-ce que t’en as à foutre ?… Hein ?… Et pourquoi tu veux ces infos ce soir, alors que je DOIS finir mon livre (reste trois pages à taper), et que je me réveille à six heures demain (Vic part en séminaire de formation deux jours), et que je n’ai pas encore commencé ma valise ???
— Parce que j’hésite à accepter un remplacement en Province en août. Ca t’ennuierait, que je parte en août ?
— Mais dis-moi, mon p’tit pote, tu t’en vas si tu veux, tu ne me demandes pas mon avis d’habitude, qu’est-ce qu'il te prend ?
— Bon, le mois de juillet, pour les vacances, tu es OK alors ? Continue-t-il imperturbable.
— Août, juillet, septembre, je m’en balance. Les vacances, je m’en balance. L’Ile-de-Ré, je m’en balance, je ne suis même pas sûre de partir avec toi !!!
— Ah bon ?
— Non. Figure-toi que j’en ai MARRE de tout ça. Tes p’tites sorties, tes p’tits congrès (tes p’tites minettes)… Non mais tu as conscience de la vie qu’on mène ? On ne fait plus RIEN ensemble. PLUS RIEN !… Ni le soir, ni le samedi, ni le dimanche… On ne se parle même plus. Plus un mot. Quand j’essaie de l’ouvrir, je t’indispose et vice-versa… Et tu me chantes les vacances ?… Tu étais encore dehors hier mardi, jusqu’à deux heures du mat, alors que tu étais déjà sorti vendredi et samedi… Et tu me chantes les vacances ?… Mais mon bonhomme, réveille-toi… Tu as une maîtresse, un cours le mardi comme par hasard ?… Et la baise ?… Tu l’as vu notre baise depuis un mois ???
— Ma pauvre fille, tu travailles trop !
— Heureusement ! Heureusement que je travaille ! Parce que dis-donc, que deviendrais-je sinon ? Je m’emmerde à mourir dans cet appartement, sans les enfants, ce serait invivable… Tu ne réalises pas tout ça ?
Philippe écoute, blanc comme le linge.
— En tous cas, continue Vic, mon p’tit vieux, moi j’en ai marre. J’ai 30 ans, j’attends mieux !
— Ma pauvre fille, se contente-t-il de murmurer, tu es fatiguée…
— Peut-être, mais j’ai du taf, et je trouve ces discussions stériles, et depuis vingt minutes, je devrais déjà travailler !!!
Il sort de la chambre en claquant la porte.

Vic avance, ne prépare pas le dîner, Phil regarde la télé dans le salon. Puis à 22 heures 30, s’installe au lit. Victoire l’accueille fraîchement : «Tu fais vraiment comme bon te semble !»
Il tombe des nues. Elle explique :
— Monsieur est rentré à l’aube cette nuit, alors Monsieur, ce soir, se couche à l’heure des poules !!! Et je n’ai pas encore préparé ma valise.
— Mais je ne te demande rien connasse !
— Tu ne me demandes rien mais c’est kif-kif : tu te mets au lit et l’extinction des feux doit suivre… Et moi ? Comment je la fais, ma valise ?
— T’es vraiment la reine des connes !
— Trop facile, mon bonhomme : tu ne penses qu'à toi, tu mènes la vie que tu veux, tu rentres tel le célibataire : une nuit à 2 heures, l’autre à 22 heures, et moi j’dois m’adapter, et sans râler. La reine des connes peut-être, mais pas la reine des poires !!!
— T’es vraiment trop conne ! Insiste-t-il. Fais ta valise poufiasse, moi j’en ai rien à braire… Je t’ai rien demandé que je sache ?
— Oui mais parce que je devance…
— Allez, ça va, ferme-la ta gueule !

Bon, bon, bon, Victoire ne répond plus. Elle a juste le temps de boucler cette foutue valise si elle ne veut pas rater le sommeil de minuit.

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A 22 heures 45, quand elle se pointe devant l’immeuble de la SFP, Vic a tout faux : il est trop tard pour assister à l’émission, trop tôt pour bondir sur la sortie de l’artiste. Deux malabars la refoulent à l’entrée principale, barricadée. Ils indiquent la porte du garage, derrière, et d’un pas convaincu, Victoire s’y rend. Deux autres types, avec la même casquette mais d’un gabarit inférieur l’alpaguent :

— Vous cherchez quelque chose ?
— Oui : l’entrée, fait-elle avec une voix de mijaurée.
— C’est ici.
— Ah… Et on ne peut pas entrer ? Récidive-t-elle sur le même ton.
— Vous avez un carton ?
— Non.
— Alors je ne peux pas vous laisser passer, lui répond l’un des gars, poli mais déterminé. Elle ne se démonte pas :
— Euh… J’aurais voulu voir Monsieur Dechavanne…
— Oui, vous êtes nombreuses dans le cas…
— Peut-être, mais ce n’est pas après l’homme que j’en ai. Je compte sur lui pour m’aider… Et elle décolle le manuscrit de son ventre.
Le deuxième intervient :
— Vous voulez déposer un livre ?
— Oui, à monsieur Dechavanne.
— Mais, ma pauvre, l’émission est commencée maintenant… Et il ne se montrera plus avant une heure, voire deux…
— Parce qu’il sort par là ?
— Oui, mais pas avant une heure et demi…
— C’est rien une heure et demi !… Vous dites qu’ici, je ne peux pas le rater ?
— Non, non…
— Eh bien, c’est formidable ! Je vais aller manger un p’tit encas en attendant.
— Il parle de quoi votre livre ?
— Oh… C’est d’abord une histoire d’amour, et puis il y a la drogue, le sexe, et surtout le gâchis…
— Ah oui ?
— Oui : c’est l’histoire d’une très jeune fille qui a tous les talents et qui se fout en l’air…
— Ah Ah ! S’exclame-t-il… Et c’est la vôtre ?
— Oui… Et j’en ai bavé, croyez-moi…
— Mais c’est beau la souffrance ! Quelqu’un qui n’a jamais souffert ne peut pas savourer la vie… Plus on descend bas, plus on a de chances de remonter haut.
Vic lui jette un clin d’œil :
— On dirait que vous savez de quoi vous parlez… Pourtant, votre sourire ne laisse pas à penser que vous avez donné dans le mélo…
— Et pourtant si, eh si ! Répond-il avec le même grand sourire enfantin.
— Je vais aller dîner. Je reviens dans une heure. Je ne peux pas vous inviter à boire un verre ?
— Non, c’est gentil mais impossible… Je dois rester ici toute la nuit.
— Toute la nuit ?
— Jusqu’à sept heures demain.
— Eh bien bon courage. Je viens vous rejoindre bientôt.

Cinquante mètres plus loin, Vic se trouve un petit troquet et s’y assied, discrètement, dans un coin. Un premier type à moitié saoul se bouge du comptoir pour la baratiner. Le patron du lieu intervient. Cinq minutes plus tard, c’est un second mec qui s’assied à sa table. Celui-là, elle laisse faire, très intimidé, il lui semble net. Victoire apprend qu’il est artiste peintre, venu tout droit de sa province pour présenter ses œuvres à Dechavanne. Depuis son débarquement ce matin, il a déjà appelé trois fois le studio, on lui a passé Valérie, puis Sophie, puis Fabrice et il s’est finalement retrouvé comme un benêt, à côté d’elle, refoulé au parking.
Ensemble, ils tuent le temps. L’homme lui fait un brin de cour, il est marié et père près de Clermont-Ferrand, vaguement connu dans son village, il est venu tenter sa chance à Paris.
— Ce qui me rassure, ajoute-t-il, c’est que malgré votre «physique», vous n’ayez pas eu plus de chance que moi.

Victoire n’avait pas dit son dernier mot. A une heure, à peine arrivaient-ils au lieu sacré, le second malabar gabarit inférieur l’attrape par le bras et lui chuchote à elle :
— Ecoutez, je n’ai pas le droit en principe, mais plutôt que de vous faire attendre dehors, je vais vous montrer où vous pouvez le trouver… Il l’entraîne fermement et, déjà loin, Vic lance un dernier regard à son compagnon de galère, qui, le pauvre, n’a plus qu’à se trouver une chambre d’hôtel… La vie est bien injuste.

Le blond gémeau ascendant scorpion qui a beaucoup souffert dans sa jeunesse sans que ça se voit à première vue la guide dans un dédale de couloirs et la dépose devant la porte du plateau. Une floppée de jeunes en sort. Look étudiant bon chic bon genre pour la plupart ; quelques minettes, mais très jeunes.
Elle aperçoit Patrice Carmouze, hésite, puis se lance, histoire de prendre la température de l’atmosphère :
— Excusez-moi, l’aborde-t-elle avec son sourire qui tue, ce n’est pas vous que je suis venue voir, mais j’en profite quand même pour vous serrer la main et vous dire que j’aime bien ce que vous faites…
— Hmm, hmm, répond-il gêné.
Plus tard, c’est Renaud Rahard qu’elle entrevoit. Même scénario :
— Excusez-moi Renaud, ce n’est pas vous que je suis venue voir, mais j’en profite quand même pour vous serrer la main et vous dire que j’aime bien ce que vous faites.
— Hmm, hmm, répond-il gêné.

Vic pense : «ca va pas être de la tarte». Et Dechavanne n’apparaît point.… Et le plateau est maintenant vide : «Zut, zut, il a filé en douce», elle court vers la sortie et se reposte à la vigie.
— Alors ? La questionne le blond sur la brèche.
— Raté.
— Mais vous avez vu l’équipe ?
— Oui, les autres y étaient, mais l’équipe je m’en fiche, c’est Dechavanne que je veux ! Tant pis, je vais l’attendre ici. De quelle couleur est sa voiture ?
— Noire.
— Et il a un chauffeur ?
— Non, c’est lui qui conduit.
— Bon, je vais le guetter.

Cinq minutes passent tandis qu’ils conversent. Il s’appelle Harold et écrit lui aussi, il ne vit que pour ça.
— Pourquoi ne demandez-vous pas un coup de main à Dechavanne ?
— Parce que je ne suis pas prêt… Je sais ma prose trop hermétique, il faut la «purifier»… Mais j’y travaille, j’y travaille…
Et de nouveau, il l'a prend par la main :
— Venez, on va essayer autre chose.


Incroyable : il la pose carrément devant la loge du Maître !
Elle voit un fauteuil de metteur en scène, avec Lui assis dessus, et, autour, une bande de professionnels, relativement silencieuse.
— Allez, lui glisse Harold, foncez !

Vic inspire un grand coup :
— Bonsoir Christophe, bonsoir messieurs… (l’assemblée est quasi exclusivement masculine). Je suis venue vous voir, d’abord parce que j’aime ce que vous faites… et là, Il la regarde, avec des yeux très bleus, très clairs, Il lui accorde l’intégralité de son attention et la tombe sur le champ.
— Oui, je disais donc, si mon mari n’aime pas, moi, je ne rate pas une de vos émissions…
Le bruit de fond derrière dit : «Ah oui, ça oui, ça, les maris, ils n’aiment pas…»
Le Roi tourne la tête en direction de la rumeur, abonde et revient à Vic :
— Je suis médecin, j’aurai fini mes études en avril prochain, et ils veulent tous me mettre derrière un microscope, sous une petite blouse blanche de parfait biologiste, et moi je ne veux pas.
— C’est pourtant normal, répond Christophe.
— «Mal» répète la rumeur en écho.
— Alors, je vous ai apporté mon livre. Ce n’est jamais que le premier, mais il est très beau, et malgré tout, je ne trouve pas d’éditeur.

Christophe, qui lui a pris le bébé des mains, s’adresse à un mec assis derrière :
— Dis-donc Jacquot, c’est ton domaine ça, toi, non ? Tu vas le montrer à ton éditeur…
Vic esquisse un geste las, genre je m’en fous de Jacquot et continue :
— Je suis sûre que vous l'aimerez… Je suis un peu loufoque, un peu provoc, comme vous. Les éditeurs le refusent parce qu’il y a la drogue et le sexe dans les milieux hospitaliers. Ca les dérange, et mon style aussi les dérange…
Il l’écoute avec intérêt, l’encourage à poursuivre :
— C’est un beau livre, mais il faut le lire. Si vous prenez une ou deux pages au hasard, c’est nul… Mais l’ensemble a de la valeur.
— Rassurez-vous, le mien, c’est pareil, et elle se réjouit qu’il la soutienne.
— Quel est son titre ? lui demande-t-il
— Son titre est nul, je préfère ne pas vous le dire, mais je n’en ai pas trouvé d’autre.
— Ah, mais c’est pas terrible, ça ! Vous arrivez avec un livre, et le style est nul, le titre est nul… C’est pas comme ça qu’on présente un livre !
— Je sais, je sais, répond-elle calmement, comme s’il l’écoutait trop bien pour qu’elle se défende davantage, comme s’il était intéressé, de toutes façons et quoiqu’elle dise.
— Bon, on va faire ce que l’on pourra, on va le lire et on va changer de titre, ça vous va ?
— Bien sûr que ça me va ! Et elle ajoute :
— Même sans le livre, je serais contente, vous ne vous rendez pas compte !… Bien sûr, vous, vous devez avoir l’habitude des groupies, vous n’êtes plus impressionné lorsqu’elles se mettent à genoux.
— Jusque dans ma loge, si ! J’avoue, c’est pas tous les jours…
«Non, non», dit la rumeur.

Et Victoire croit soudain comprendre ce qui l’épate ainsi. Ce n’est pas la médecine, son premier roman, ses deux enfants de pères différents (sur le coup, elle a menti, mais c’était pour caser les enfants en ajoutant un point commun), son sourire ou sa minijupe noire, non, ce qui a l’air de lui en imposer, c’est qu’elle soit arrivée jusqu’ici, dans sa loge.
— En tous les cas, merci… Je suis très impressionnée… C’est bon !!!… Dix fois meilleur que la visite du grand patron…
— Merci, répond-il flatté.
— Et en plus, vous êtes beau.
Il baisse les yeux, modeste, puis les relève et regarde tellement droit dans les siens que Vic est gênée pour les autres : «OK. Le message est passé.»
— Eh bien, je n’ai plus qu’à vous saluer et à vous remercier encore.
— Non, non, c’est toujours agréable de rendre service à une jolie femme…

A cet instant, la rumeur qu’elle n’entendait plus s’éveille : «Oui, oui, jolie femme… femme, jolie…»
Le manuscrit vole au-dessus de sa tête jusqu’à la main tendue derrière. Christophe se lève à demi. Elle s’étonne de sa petite taille (mais déjà ses mains l’avaient surprise : belles mais minuscules, et la beauté de ses traits aussi, beaucoup plus doux qu’à la télé.)

Victoire s’éclipse, non sans avoir salué la foule qui lui répond, gentille.

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Madame,

Nous vous remercions de nous avoir permis de prendre connaissance de votre manuscrit.
Malheureusement, malgré l’intérêt qu’il présente, votre ouvrage n’entre pas dans le cadre de nos publications actuelles.
Nous le regrettons vivement et vous prions de croire à nos très sincères sentiments.

Le service littéraire




Chère mademoiselle,

Nous vous remercions de nous avoir fait parvenir votre manuscrit LE SOLEIL ROSE dont nous avons pris connaissance avec le plus vif intérêt.
Nous regrettons cependant de ne pouvoir assurer la publication de votre livre, qui ne correspond pas à l’état actuel de nos préoccupations éditoriales.
Nous serons toutefois attentifs à toute autre proposition que vous voudrez bien nous faire.
Votre manuscrit est à votre disposition dans nos bureaux. Nous ne pourrons le conserver plus d’un mois. Sans nouvelles de votre part dans ce délai, nous considèrerons que vous nous autorisez à nous en défaire.
Nous vous prions de croire, Chère Mademoiselle, à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.

Sophie Duvent
Conseiller littéraire





Madame,

Nous vous remercions de la confiance que vous nous avez témoignée en nous faisant parvenir votre manuscrit intitulé Le Soleil Rose.
C’est avec la plus grande attention que nous l’avons lu. La maîtrise de la composition narrative permet à ce roman au ton léger de traiter sans doute des graves problèmes de dépendance.
Nous ne pouvons malheureusement retenir cet ouvrage pour publication.
Nous n’éditons actuellement que peu de romans, nous orientant davantage vers la recherche théorique et les essais.
Avec nos regrets, veuillez agréer, Madame, l’expression de notre considération distinguée.

Pour Dessonges






Madame,

J’ai lu avec attention le manuscrit que vous m’avez fait parvenir. Vous savez que, si notre maison a pour vocation de publier des «coups de cœur», sa modeste production ne lui permet malheureusement pas de les publier tous.
Et votre texte n’a pu être retenu.
Néanmoins, je me tiens à votre disposition pour d’autres lectures, et je vous remercie de nous avoir témoigné votre confiance.

Je vous prie d’agréer, Madame, mes sincères salutations.


Pour le comité de lecture,
Véronique Dormeuil

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David et Nicolas passent leur week-end chez mamy pour laisser Vic réviser ses partiels de juin.

Dechavanne tardant à répondre, elle a rédigé une nouvelle qu’elle compte lui donner en main propre et grâce à la complicité d’Harold, le mardi de la dernière émission de la saison.

Samedi soir, Philippe est détendu, et Vic propose de l’accompagner boire un verre. Pierre et Hélène (le galbe d’enfer) sont de la partie et elle regrette bientôt l’initiative.
Sur le trajet aller-retour, les deux époux n’échangent pas un mot. Victoire n’a plus la force de lancer des sujets. Elle est pourtant excessivement bavarde, mais échaudée, elle se fait une raison : un couple de muets n’aurait-il pas le droit de s’aimer ?
Assise avec les autres, elle souffre le martyre. Elle note que Philippe ne porte plus son alliance et même s’il argumente sur son métier actuel (la radiologie vasculaire), Victoire s’interroge.
Elle remarque également ses regards à Hélène. Ses sourires. Depuis trois mois, elle n’a pas vu son homme ainsi sourire. Elle souffre. Philippe écoute les élucubrations d’Hélène avec une indulgence non feinte et rit franchement à chacune de ses pointes d’humour. Lorsque Victoire tente d’émettre un son, Philippe l’ignore ou son sourire se fige en un rictus désagréable. Elle souffre. Même s’ils restent ensemble, leur couple est devenu sinistre. Même s’il ne l’agresse pas, elle sait qu’il se tient sur ses gardes, qu’il évite tout échange, de crainte de déclencher la guerre. Elle s’ennuie. Pense aux yeux bleus de Dechavanne et à la gentillesse de son patron. Elle a hâte de rentrer.

Philippe lui fait l’amour, mais vite et mal, sans l’embrasser ni la caresser, comme s’il cherchait l’ivresse en méprisant le flacon.
Victoire est malheureuse à en mourir. Elle aime encore Philippe.

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Victoire regarde son mari debout de dos qui répète aux enfants qu’il est l’heure de dormir. Ce soir, elle n’a plus de peine. Malgré son somptueux repas, il l'a royalement ignorée. A juste articulé trois mots, et sur quel ton !

Phil ne s’est pas présenté à son examen de fin d’année, alors qu’il était rentré à une heure du mat la veille, soi-disant pour le réviser.
Il n’est pas fier, le pauvre, alors c’est elle qui trinque.
Elle se rappelle les sourires de samedi, adressés à Hélène.
Victoire n’est plus inquiète.

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Elle s'endort la conscience tranquille.

Très tôt, très vite, elle a sommeil.

Leur chemin se séparent et Victoire aime dormir.

Ron pich

Presqu'une liberté.

La liberté de pioncer.

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A une heure quinze du mat, Harold, fidèle au poste, réintroduit Victoire dans le milieu.
Debout dans sa loge, Dechavanne discute à bâtons rompus avec l’acteur Claude Brasseur, l’invité de ce soir. En jean’ et blouson crade (daim kaki de bonne marque mais avachi), il s’agite survolté. Victoire n’ose interrompre la conversation et attend, sacoche en main, qu’ils daignent lui jeter un regard. Christophe lui lance, à peine l’aperçoit-il :

— Encore vous !!! Mais vous êtes une récidiviste !… Sans la moindre indulgence de ton (et c’est peu dire).
Elle s’excuse du dérangement, tend son papier, timide : «C’est une nouvelle pour vous».
Il s’en empare d’un geste nerveux, la plie en deux (et Zina aurait voulu une couverture, ça fait plus propre…), l’enfourne dans sa mallette :
— Je vais la lire. Pas ce soir, mais je vais la lire…
— Je ne tiens pas à ce qu’elle soit lue ce soir, répond Vic avec morgue, il n’y a pas d’urgence, et sans quitter Brasseur des yeux (coquetterie, coquetterie…), elle ajoute : «j’aimerais seulement, et à tête reposée, que vous y jetiez un œil attentif.»
Et elle s’éclipse. L’idole est déjà reparti en discours, Claude n’a pas relevé et elle a tout simplement l’air de trop.
Elle file à la vigie mais Harold n’y est plus et le tour des évènements ne lui convient guère. Donc, remonte au filet mais cette fois, CD a disparu.

Patrice Carmouze, Michel Field et Claude Brasseur sirotent dans le bar de la SFP. Vic demande une coupe. Très naturelle —elle est au dessus de l’humiliation— tranquille, les bulles dans une main et la fumée dans l’autre, elle se pose là tandis que Claude s’envole, s’oublie, se gargarise…
Carmouze répond à son clin d’œil moqueur et l’encourage lorsqu'elle s'adresse à l'ex-prof :
— Je ne fais que passer, j’ai remis une nouvelle à Christophe…
— J’ai vu…
— Et je compte sur vous, s’il vous plaît, pour qu’il la lise…
— Entendu, entendu, répond Michel, qui tire sur sa pipe et boit les propos de l’acteur. Victoire insiste :
— Il FAUT qu’il la lise, elle est marrante, et en plus, vous êtes dedans…
— Même si ce n'était pas le cas, ajoute-t-il sans la regarder.
— Si, si, vous êtes dedans… Et en plus, il y a des idées pour votre émission…
Et Brasseur continue, comme si Victoire était une crotte de caniche, sur les faiblesses de ce scénario-ci :
— Vous comprenez ? Explique-t-il avec emphase, ils écrivent un roman, disons de trois cent pages, qui peut être lu d’un trait, ou par petits morceaux… Un film, ça n’a rien à voir…
Victoire s’acharne sur Patrice, à grands battements de paupières. Il ne sait plus où se mettre, le pôvre, et elle regrette d’avoir été moqueuse dans la nouvelle.

Elle se retrouve bientôt seule en face de Brasseur. Les autres se sont doucement enfuis, à la recherche de leur Roi.
Claude est intarissable :
— Vous comprenez, s’en prend-il maintenant à Vic, il ne faut pas écrire un scénario en fonction de l’acteur… Il n’y a plus de progression possible… Le scénariste doit savoir créer le contre-emploi…
Elle opine poliment. Aimerait surtout savoir où est passé CD et si elle peut se joindre au groupe (qui prévoyait un after quelque part). Se débarrasse de l’acteur, non sans scrupule (qui est-elle ???) et les retrouve : Renaud, auquel elle sert la main, très froid, Michel et Patrice, dans un réduit attenant à la loge du Maître. Ils sont en train de plier leur costume et elle surprend Carmouze aux petits soins pour son pantalon :
— Verriez-vous un inconvénient à ce que je vous suive où vous allez ?
Victoire n’a rien à perdre, se contre-fiche de ce beau monde puisque seul lui importe Christophe, son compte-rendu l’attend au retour (le troisième livre qu'elle a commencé) et elle pousse, elle pousse le bouchon, doit-elle le répéter, elle est au-dessus de l’humiliation.
— Oui, lui répond simplement Michel, avec le paternalisme type du professeur de philo qui vous rend un zéro : «C’est pas que la copie soit nulle, mais vous comprendrez, Ducreton, vous n’avez pas fait beaucoup d’efforts…» Oui, dit-il donc, c’est une réunion «entre nous»…
Patrice est encore dans son pli. Elle ose (doit-elle le répéter…) :
— Partagez-vous cet avis Patrice ?
— Oui, balbutie-t-il sans lever le nez, mais gêné comme un Ducreton, c’est une réunion «entre nous»…
— Je vous remercie, en tous les cas, je comprends bien… (Tu parles ! Mais doit-elle…) Et franches poignées de main :
— Merci Michel, merci Patrice, et vas-y Mademoiselle l’Inconnue, à bientôt peut-être…
Victoire sert au passage celle de Renaud (glaçon, glaçon, de tous, c’est probablement le pire) et elle s’en va se faire pendre ailleurs, peu fière, mais sans remords : au moins, elle aura tout essayé…

Voilà, sa nouvelle est pliée en deux au fond de la mallette du Dieu Christophe. Victoire l’a trop peu vu pour pester. A peine a-t-il eu le temps de l’engueuler :
— Faut dire bonjour quand on arrive !… Pressé, elle l’a déjà dit, à la limite de l’insolence mais bon, c’est Dechavanne, il vient encore de faire une performance, pour sa dernière, probable qu’il s’est trouvé minable, on peut lui pardonner…
Donc une remontrance limite, à laquelle Vic a répondu du tac au tac :
— C’est la froideur de l’accueil qui me gèle les moyens…
— Dites bonjour, déjà, et vous verrez comme tout ira mieux…
Elle s’est exécutée, a salué, remercié. De quoi ???


Devant son air contrit, les malabars rejoints à la vigie lui conseillent PPDA, bien plus humain, pour sûr !
Et Victoire rigole, tous comptes faits, comme elle l’a annoncé, du reste, à Claude Brasseur, un jour viendra, son heure viendra…

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Zina appelle sa fille surexcitée : elle vient de lire dans Match un article sur l’écrivain Jéromine Pasteur interviewée par le très séduisant PPDA :
— Ma fille, pourquoi ne tenterais-tu pas ta chance de ce côté ? Tu sais que Jéromine est ta cousine.
Vic n’est pas convaincue :
— Cousine éloignée maman.
— Pas du tout, vos deux grands-pères étaient frères. Je suis sûre qu’il y aurait une ouverture, si tu contactais le journaliste…

Pourquoi pas, après tout, Victoire n’est plus à une démarche près, «Bis Repetita» déposé dans quatre maisons, les examens passés (et ratés, à propos, mais à présent Victoire s’en fiche), Philippe en Province pour huit jours, histoire de payer leurs vacances, elle n’a plus d’autre prépondérance que de caser son foutu «Soleil Rose».
Elle commence par se bouger jusqu’à la rue Marbeuf, à l’heure du journal du soir. Cette fois, elle ne rencontre pas d’Harold pour l’introduire et se fait poliment jeter. Le lendemain, elle compose le numéro fourni par la télé. Echec, la secrétaire est ferme, cousine ou pas cousine, le grand PPDA n’a pas de temps à perdre. Donc Victoire se résoud à envoyer le manuscrit accompagné d’une lettre.
Quarante-huit heures plus tard, très étonnée de la promptitude, elle ouvre l’enveloppe à l’en-tête tricolore de TF1 :

Madame,

J’ai bien reçu votre courrier et vous en remercie. En me choisissant comme lecteur de votre manuscrit, vous m’honorez beaucoup. Mais je me suis fait une règle de ne jamais porter de jugement sur l’un deux. Il est si difficile d’être juge et parti…
Je vous souhaite bonne chance pour l’avenir (et pour le Soleil Rose, ajouté à la main d’une encre prune) et merci pour votre fidélité…

Chaleureusement (ajouté à la main d’une encre du même prune)

Patrick Poivre d’Arvor


Encore un plan bidon, conclut Victoire avec philosophie.

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Philippe remplace donc à Orléans, lorsqu’un appel tardif tire Vic de sa torpeur télévisuelle :

— Allo ? Bonsoir. C’est Samy, puis-je parler à Philippe Lévy ?
Une voix étrangère, quasi identique à celle de l’homosexuel Israélien qui est passé à l’hôpital ce matin, a raconté la guerre tout en sympathisant avec Victoire.
— Philippe est absent ce soir… Mais c’est David ?… C’est une blague ?…
— Non, non, Samy… J’ai rencontré Philippe en Israël.
— En Israël ? Mais il n’y a jamais mis les pieds !…
— Si, si, il y a cinq ou six mois… Insiste l’autre. C’est bien ici, Philippe Lévy, 48 avenue des rentiers ?
— Oui, il habite ici, mais quand dites-vous pour Israël ?
— En janvier exactement, deux ou trois jours avant le début de la guerre.
— Impossible ! s'exclame Vic avec conviction. Elle fait machine arrière : 12, 13 janvier, son mari skiait aux Deux Alpes, il ne pouvait pas être en Israël… C’est forcément une blague. Elle va raccrocher lorsque Samy ajoute :
— Et vous connaissez Pierre Cohen ?
— Oui, oui, bien sûr… répond-elle interloquée
— Parce qu’ils étaient ensemble quand je les ai rencontrés, mais c’est Philippe Lévy que je cherche à joindre.
— Je suis sa femme, je vous assure qu’il n’est pas là. Rappelez plus tard, Samy.

Et elle raccroche, sonnée. Telle l’automate, elle appelle Pierre. Sa mère lui dit qu’il est sorti.
— Je suis l'épouse de Philippe Lévy. Pourriez-vous avoir la bonté de me renseigner : Pierre était-il en Israël quelques jours avant la fin de l’ultimatum ?
— Oui, oui, invité au mariage de son cousin… D’ailleurs, il est resté bloqué à cause des évènements…

La pauvre femme ne comprend rien mais pour Victoire, le jour se lève : Adieu peau de phoque, grandes randonnées à ski, adieu refuges, adieu raclettes !… Son mari a joué les héros en Israël huit jours avant la guerre… Son mari a menti avant, pendant, et les quelques six mois qui ont suivi son retour !

Bravo ! Chapeau ! Joli coup !
Y-a-t’il quoique ce soit de vrai dans ce qu’il lui raconte ???

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Pour se consoler, Victoire s’offre le bracelet en or de ses rêves.
A crédit sur un an.

Elle n’aura pas le temps de payer toutes les traites.

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Ce 14 juillet 1991, Simon baptise son Raphaël de fils chez la vieille à Passy.

Vic n’est pas sûre d’être conviée : depuis quelques semaines, elle sèche les corvées familiales et ne sait si Philippe l’excuse et comment le supportent les beaux-parents. Mal, à en croire le grognement de Rachel dès qu’elle ouvre la porte :
— Jour…
— C’est vous qui avez la machine ? aboie la tante, les crocs au vent… Il FAUT me la rendre, j’en ai besoin.
Vic se tâte l’espace d’une seconde : rentrer et les planter ici ? Subir ?
Elle opte pour la seconde solution, Nico est déjà dans la cuisine, biscuit kacher en main et David juché sur les genoux d'Isabelle.

Elle n’a pas le courage d’encore défrayer les chroniques, attend qu’une âme compatissante la tire de là, lui serve une coupe par exemple. La vieille se dévoue et Vic lui en est reconnaissante. La vieille propose gentiment le fauteuil vacant et pose quelques questions sur le bouquin… Victoire, touchée, raconte le nouveau, tandis que Phil au loin ne la connaît plus.
Puis le salon se peuple, elle serre les mains du noyau dur, celles des mariages et des circoncisions, rencontre la nouvelle génération qui peu à peu s’étoffe, les ramifications de l’arbre de vie, et elle constate que la sève se mélange, les unions mixtes fleurissent et Victoire s’en réjouit.

Soudain, l’oncle Dédé qui a toujours été très affable avec elle, s’adresse à la jeune femme avec un air mystérieux :
— Savez vous que je sais tout ?
Vic écarquille les yeux.
— Oui !… Votre livre !… Alors comme ça on écrit ?… Et on a du talent ?… Et on le cache à l’oncle Dédé ?
— Oh ! comprend Vic, c’est vrai… Mais vous savez, je n’ai pas encore fait grand chose !…
— Tout de même : un premier roman, «Le Soleil Rose» n’est-ce pas ?… Puis le recueil de nouvelles…
— Comment êtes-vous au courant des nouvelles ? Je n’en ai pas parlé.
— Ah, Ah, répond-il avec un clin d’œil… J’ai mes sources, j’ai mes sources…

Victoire dissimule mal son émotion. Elle n’a pas encore avoué «Bis Repetita» et n’a même pas envie de le faire, du reste, puisqu’elle n’intéresse pas grand monde, chez les Lévy. Comment Dédé s’est-il donc informé ? Il tourne en riant autour d’elle. Attend les questions qu’elle brûle de poser et s’amuse à la faire tourner :
— J’ai mes sources, j’ai mes sources, répète-t-il jovial. Et elles ne viennent pas de la famille…
Samuel s’approche alors des deux larrons qui pouffent. Pas pour la joie, mais à cause du buffet. Son frère l’apostrophe : «Alors Samuel ? On a une belle-fille écrivain et on ne s’en vante pas ?»
Samuel, son canapé en main, ne relève pas, comme frappé d’une brutale surdité. Les deux larrons se regardent et vic hausse les épaules, laisse tomber Dédé, laisse tomber. Puis le jeu recommence :
— Alors, dites-moi : qui vous a parlé de moi ?
— Si je vous avouais, ma chère Victoire, que c’est l’un de mes clients…

— Un client que j’ai soigné la semaine dernière, pour une carie, et qui travaille chez Tallendier… Bravo Victoire, Bravo ! Il m’a dit que vous aviez du talent, et je suis sûr que ça va marcher…
Victoire est un peu ivre maintenant et le compliment s’exaspère, sonne et résonne tel l’angelus du clocher de Province, sonne et résonne tel l’écho des montagnes, Victoire a dû rêver… Non, elle ne rêve pas, Dédé la félicite bel et bien… Et cette sympathie la rassure. Elle a peut-être quelques alliés, tout de même… Et si Sophie, Simon l’ignorent copieusement, si le mari virevolte sans la regarder, si les beauxp’ l’interrompent lorsqu’elle tente une phrase : «Très bon, ce petit… D’où viennent les… Oui, Salima est très douce avec les…» si elle commence des phrases qu’elle n’a pas le temps de finir, car ils ont d’autres invités à servir, d’autres conversations en plan, d’autres jeunes mariés à embrasser… Vic sait qu’ils ne sont pas tous pourris. Et c’est tout ce qu’elle a besoin de savoir.



Au retour et pour ne pas changer, Philippe reste muet.
Lorsque Vic ose un commentaire, il marmonne de justesse un son type paléolithique.
Le lendemain, peut-être même la semaine suivante, elle obtiendra l’explication de son souverain mépris : il paraît que Sophie a failli perdre son bébé et que Vic aurait pu l’appeler, pour la réconforter, tandis qu’il trimait en Province pour la bonne cause (trimait, trimait, prouve-le !)
Mais comment Vic aurait-elle pu deviner l’hospitalisation de sa belle-sœur ? Et l’éclampsie, et l’accouchement d’urgence, puisqu’il ne lui dit jamais rien ???

Excuse, prétexte, quoiqu’elle fasse, Victoire aura toujours tout faux. Faux de venir, faux de s’abstenir… Son couple est une histoire de fous.

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Depuis que sa femme est partie une semaine chez son oncle pour y recharger sa batterie au soleil, Philippe n’a plus que le mot DIVORCE en bouche.

Soit il se vautre, des heures durant, dans son fauteuil, et lui envoie le message par l’intermédiaire d’œillades noires, soit il discute, des heures durant, pour la convaincre.

Car Victoire refuse le divorce. Elle n’a pas d’arguments valables, si ce n’est qu’elle juge les enfants trop petits, mais elle est persuadée d’avoir raison. Il faut laisser le temps au temps, leur couple traverse la crise des sept ans, il faut savoir la surmonter. Ils arrivent tous deux à la fin de leurs études, Vic sait depuis qu’elle le connaît Philippe ultra-sensible aux soucis financiers, elle sent le poids de son inquiétude, il n’a pas encore trouvé de poste malgré les remplacements et l’aboutissement de la thèse, il s’angoisse et s’angoisse.

Victoire, telle l’autruche, préfère s’imaginer qu’il l’aime encore mais qu’il se noie dans son verre de champagne.

Une nuit, au cours de l’une de ces séances de persuasion, Philippe la claque, si fort qu’elle ne réfléchit plus et boucle sa valise.
A genoux, le pauvre bougre implore mais Vic exaspérée s’enfuit dans la nature. Elle atterrit dans un bar des Champs Elysées, se saoule et pleure sur sa triste condition.

D’épouse que l’on refuse au point de la frapper, d’épouse qui continuerait bien si on lui rappelait le code. Mais elle a oublié le code et les clefs sont perdues.
A son retour, à deux heures du matin, Philippe l’accueille tendrement au creux du lit et lui fait l’amour comme avant. Du temps où il l’aimait. Elle en chiale de bonheur, d’orgasme et d’abus de cocktail.
Pourtant, dès le réveil, il relance son couplet.

Victoire décide de le laisser partir à l’Ile de Ré, avec les enfants mais sans elle.

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Trois jours avant le départ de Phil et des enfants, Maxime invite sa sœur au restaurant. Il passe prendre Victoire à la fin de son travail, visite les locaux de l'avenue Victoria, s’extasie sur la vue du cinquième étage (Dis donc ! Tu as la même que Chirac !), le fax (je pourrais t’envoyer des messages…) et le bureau du boss, sobre, confortable (ce doit être un mec bien.)

Toute à l’euphorie des retrouvailles (le Valpolicella aidant), Vic se livre à la confidence. Elle avoue la décrépitude de son couple et l’intérêt naissant qu’elle croit ressentir pour son patron.
Maxime la vilipende :
— Décidément !… Tu ne changeras jamais !… Maintenant que t’as des gosses, faut assurer ma vieille !…
Tandis qu’ils échangent les points de vue, un faux Italien vrai serveur tourne autour de leur table. Maxime lui a très vite proposé de trinquer avec eux et il emplit régulièrement son verre, que l’autre descend à petites gorgées entre deux va-et-vients. Au début, la présence de cet homme importune Vic, elle souhaite l’intimité. Lorsque Maxime claironne que la «jolie demoiselle» en face n’est jamais que sa sœur, elle le pincerait volontiers. A peine assise, elle a traduit les doux regards de l’Italien et à mesure que le temps passe, le beau brun se gène de moins en moins. A mesure que le temps passe, Victoire se gène de moins en moins de cette familiarité.
Il va jusqu’à leur proposer un petit tour en boîte que Maxime, fatigué, décline. Déçu, le brun insiste, puis glisse son numéro à Vic tandis que Max est aux toilettes.
— Bien branché le mec !… Fait remarquer la sœur au frère lorsqu’ils montent en voiture.
— Ouais, répond le frangin, de toutes façons, dans l’état où il était, toi ou une autre…
Il dénigre et ça n’étonne pas Vic. Philippe l’a habituée à de telles réactions.
— C’est parce qu’il est Italien… Les Italiens sont très dragueurs, continue-t-elle rêveuse.
— Italien de mes fesses, oui ! Tu parles qu’il est Italien ! Et puis qu’est-ce que vous faisiez quand je suis revenu des chiottes ?
Elle se creuse : en quoi cela le regarde-t-il ?
— Ouais, insiste Maxime… Faut tout le temps que tu dragues… C’est pas possible !!!
— Non mais dis-donc, s’énerve Vic, on n’est pas mariés que je sache ! Et tu l’as bien cherché bonhomme ! T’avais besoin de dire que j’étais ta sœurette ?… T’avais besoin de remplir son verre ?… Tu provoques les situations et après tu t’étonnes ?
Elle parle de plus en plus vite, de plus en plus fort. Elle se souvient de ses critiques sur le Soleil Rose, de ses reproches pendant le repas et elle le trouve coincé, étriqué, pudibond et jaloux. Victoire crie à présent :
— Et pis d’abord, qu’est-ce-que ça peut bien te foutre !… Quand bien même j’aurais envie de me le faire, ce type, qu’est-ce-que t’en as à foutre ???

Une seconde, un éclair, est-ce le vin et elle en oublie, ou l’hystérie collective, mais son frangin lui tape dessus. De grandes claques sur les bras et le dos qu’il excuse en disant : «Calme-toi, calme-toi !…»
Son seul réflexe : sortir de cette guimbarde. Au feu rouge, elle tente d’ouvrir sa portière, lui la retient par son bras gauche qu’il tord et lui refiche une claque.
— Dis-le que tu me prends pour une pute ! Vas-y, t’en crèves d’envie !… Sale petit con !… Tu frappes en plus ?… Sale petit mec reac et coincé !…
Elle parvient à s’extraire, s’enfuit, remonte la rue des Ecoles ivre de rage et de Valpollicella, peste en courant : «Sale petit con, sale petit con !!!» Elle pleure, cherche un taxi de ses yeux mouillés, elle répète ces trois mots mais ne se soulage pas, ne se débarrasse pas de la honte que Max lui a balancé dessus.
Elle ne pense même pas au serveur, elle a oublié le serveur. Non, c’est au patron qu’elle pense et elle regrette déjà, sans avoir commencé.
Retomber dans le marasme de la succession des bonshommes ? Merci ! Revivre leurs dragues ridicules, écouter leurs doux yeux mentir, subir l’impertinence de leur désir sexuel et savoir qu’au fond ils s’en fichent, merci !
Trop tranquille, d’être mariée !
Et si elle passe la moitié de la nuit à hurler d’angoisse dans la salle de bain, si elle pleure tout son saoul pour vaincre la douleur qui lui plie le ventre, c’est autant en souvenir des coups que son frère a osé porter sur elle, qu’en souvenir des années de galère… Une fois de plus, c’était une pute. Insulte subie de 7 à 24 ans et qu’elle n’entendait plus depuis Philippe. Sombre délit que d’attirer les hommes. Péché mortel. Peine capitale.

Et Vic comprend la mort sans cesse provoquée de 7 à 24 ans. Et elle comprend qu’il est HORS DE QUESTION de lâcher Philippe, de se retrouver seule, «en proie à l’aventure».
Philippe la protège. Des autres hommes et de leurs simagrées, de la pudibonderie assassine de ses proches, de ses «sales» penchants pour le sexe opposé, et de la culpabilité.
Victoire soigne le mâle par le mâle et peu à peu guérit.



Philippe prie sa femme d’aller hurler ailleurs, parce que depuis deux heures, les sanglots longs l’empêchent de dormir.

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Il y a des gens qui cherchent les coups, et ne les prennent jamais.
D’autres qui les reçoivent sans les avoir cherchés.
A moins que ce ne soit plus compliqué que ça.

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C’est la nuit de la Saint-Silvestre et Victoire a dix ans.


Rituellement, les parents, puisque c’est leur tour, ont invité famille etc…
Henri, le frère de Charles, est venu accompagné de sa femme Huguette. Il y a Simone et Bernard, amis d’enfance de Charles, et d’autres plus âgés qui n’étaient pas conviés la fois dernière et que Vic ne reverra plus. Victoire fait le clown, encouragée par les sourires flatteurs et les bravos de son public.

Zina couche bientôt les enfants, Maxime en bas et sa sœur au deuxième étage du lit gigogne. Les enfants ont collé leur chewing-gum sur l’échelle de fer et pouffent, à présent qu’ils sont seuls, et se moquent des vieux.
La lumière du couloir s’allume, le silence surgit dans la chambre au papier nounours. Plus un mot : maman risquerait de gronder…
Mais ce n’est pas maman qui pénètre dans la pièce, mais Henri.
Henri qui vérifie le sommeil du petit et s’adresse à la grande, doucement :
— Tu ne dors pas encore bébé ?… Victoire ne répond pas.
— Tu sais qu’il est l’heure de dormir… Je te fais un câlin si tu veux.
Et il pose ses lèvres sur celle de la gamine, qui, docile, ne crie pas, n’appelle pas, se laisse embrasser, caresser, par le frère de son père, de trente ans son aîné.


Bonne année ! bonne santé ! Charles et Zina emplissent les coupes.

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Il n'y a pas de redemption.

La Honte ne suffit pas.

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Si ce sont les enfants que Vic est venue rejoindre, c’est le mari qu’elle a retrouvé.
Dès la gare de la Rochelle, où elle attend Philippe, elle est fraîchement accueillie :
— Et la lettre des impôts ?… Tu y as pensé à cette lettre ?
— Je l’ai perdue
— C’est malin ! Et qui va payer le dépassement ?… T’es vraiment bonne à rien, ma pauv’fille !

Vic n’entend pas, elle n'a pas vu ses fils depuis huit jours et les regarde s’éclater au soleil, au comble du bonheur.
La maison louée par le mari est confortable, neuve, saine et proprette. Victoire savoure le calme du jardinet, décide de profiter du soleil sans tarder.
A peine la voit-il en string que Phil, plein à ras bord et tel le fauve, se jette sur sa femme qui, telle la levrette, se laisse manger.
Deux heures plus tard, il remet ça. Puis remet ça deux heures plus tard.
Victoire s’en félicite : elle sait qu’avec Philippe, la baise précède toujours la réconciliation. Elle est en rut aussi.

Elle ne s’est pas trompée : au fil des heures, au fil du temps, Philippe s’amadoue. La nuit, il la serre de nouveau contre lui, le jour, sans exagération, il est gentil. En tous cas pas méchant. Il est trop fier pour extérioriser mais Victoire connaît assez ses yeux pour déchiffrer leurs messages : soulagés qu’elle soit venue l’aider nourrir les enfants, les baigner et les promener ; brillants de gourmandise lorsqu’elle découpe la sole meunière ou décortique le homard ; allumés lorsqu’elle se déshabille.
Surtout, elle n’a pas emporté de stylo. La disponibilité de Philippe l’encourage, elle ne ressent pas même le besoin d’écrire.
Surtout, il la pelote à la moindre occasion, signe que la guerre est finie.

Deux nuages, cependant, assombrissent le ciel de l’espoir :
D’abord, s’il mitraille ses enfants, Philippe ne photographie pas sa femme. Pas un cliché d’elle n’a été prévu sur l’album des vacances d'été 1991.
Ensuite, lorsque Rachel téléphone, un soir, Phil ne dit pas que Victoire l’a rejoint. Répond à sa mère sur le ton du mari contrit, qui se nourrit, mais oui ne t’inquiète pas maman, qui surveille ses enfants, mais oui, ils vont très bien maman.
Victoire se moque de la photo, mais réagit vivement lorsque Philippe raccroche. Lui ne s’explique pas. N’explique pas pourquoi il a eu la même attitude la veille, avec son ami Pierre. Victoire profite de l’incident pour laver son linge sale : c’est à cause des amis, et surtout des parents, que leur couple s’effondre. Elle aimerait que Philippe la délaisse moins le soir, la dédaigne moins le dimanche. Les parents se permettent l’irrespect car leur fils ne les décourage pas, et Victoire ne supporte plus.
Philippe promet de faire quelques efforts. En échange, elle travaillera moins. Au pire, elle n’ira plus à Montmorency que lors des grandes occasions.

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Madame,

Merci de votre fidélité. C’est avec beaucoup de plaisir que nous avons reçu un second manuscrit de vous qui, nous voulons le croire, vient ainsi témoigner de la confiance que vous nous faites.
Vous savez quelles sont actuellement nos orientations éditoriales. Vers la recherche théorique et les essais. Nous ne sommes pas en mesure de publier de la fiction, quand bien même prend-elle la forme, plus politique, d’un témoignage.
Avec nos regrets, croyez, Madame, en l’assurance de notre sympathie.

Pour Dessonges



Madame,

Nous vous remercions d’avoir songé à nous soumettre votre manuscrit intitulé Bis repetita. Il ne nous est malheureusement pas possible de le publier. En effet, nous n’éditons pratiquement plus de recueils de textes séparés (nouvelles, contes, poèmes…) exception faite pour les auteurs déjà inscrits à notre catalogue.
Nous vous le faisons par conséquent retourner et nous vous prions de croire, Madame, à nos regrêts ainsi qu’à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.

Christophe Manufacture pour Lavil


Madame,

Notre comité de lecture a pris connaissance du manuscrit que vous avez bien voulu nous envoyer : Bis repetita.
Il ne nous sera malheureusement pas possible de le retenir pour nos prochaines publications. Les qualités littéraires de votre ouvrage ne correspondent en effet pas à nos critères de sélection.
C’est avec regret que nous tenons votre manuscrit à votre disposition.
Nous vous prions de croire, Madame, à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.


Pour le comité de lecture
Sophie Silva
Tallendier



Madame,

Nous avons bien reçu votre manuscrit et vous remercions d’avoir songé à notre maison.
Nous l’avons lu avec intérêt, malheureusement, après avis du comité de lecture, il ne correspond pas à ce que nous souhaitons éditer. Nous ne pouvons donc vous en proposer la publication.
Avec nos regrets et en vous remerciant de la confiance que vous avez bien voulu nous témoigner, veuillez croire, madame, à l’expression de nos meilleurs sentiments.

Le service littéraire
Julius Delta

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La paix ne dure que dix jours.

Pourtant, depuis leur retour de l'Ile-de-Ré, Vic n’écrit plus, ne s’éternise pas au bureau, concocte derrière ses fourneaux des plats raffinés et originaux et se prête volontiers aux jeux sexuels de son mari.
Elle n’a rien à se reprocher, en somme.

Le dixième soir, elle rentre angoissée et désespérée : le poste qu'elle briguait pour son prochain stage intéresse une autre interne, qui est peut-être mieux placée sur la liste des choix et qui l’a appelée ce matin. Victoire panique. Elle ne veut plus mettre un pied au laboratoire, ne veut plus toucher un plasma, ni flairer un pipi, ni revêtir de blouse. Elle s’épanche dans la cuisine et attend de Philippe qu’il la rassure, ou la console.
A sa seconde phrase, il branche l’aspirateur et noie dans le brouhaha de l’engin la fin de ses propos. Elle s’interrompt, déçue :
— Tu te fiches de mes soucis ?
— Mais non, mais la miette là, par terre, elle me gênait.
— Si ! insiste-t-elle, tu te fous de mes soucis… Tu ne m’écoutes même pas.
Phil se défend :
— Victoire, commence-t-il posément, je suis un gentil garçon, je suis un gentil mari, depuis le retour de vacances, je ne t’ai pas agressée, et c’est toi l’emmerdeuse… Tu ouvres la bouche et tu voudrais que la vie s’arrête !
— Non, le bruit de l’aspirateur seulement.
— Je rentre, continue-t-il en montant le son d’un cran, je suis de bonne humeur, et y faut qu’tu m'énerves !… C’est pas vrai cette nana !… Toujours à chercher la bagarre !… C’est pas vrai !… Je ne vois vraiment pas ce que je fiche avec une gonzesse pareille !!! Et le divorce de revenir sur le tapis.
Victoire s’emporte aussi :
— Eh bien vas-y, chez l’avocat, vas-y !… De toutes façons, tu peux toujours attendre pour le divorce… Tant que je n’aurai pas de quoi élever mes fils dans le confort, tu peux toujours courir pour que j’accepte !… La chambre de bonne, j’ai passé l’âge !…
— Elle m’énerve, elle m’énerve, Dieu que cette fille m’énerve… se défoule inlassablement Phil.
Victoire, ce soir-là, sort.

Le week-end suivant, Philippe qui boude toujours s’échappe chez sa mère en emmenant les enfants.

Lorsqu’il réapparaît, c’est pour déposer les enfants, car il s’échappe de nouveau, pour boire un verre dehors. Avec Christine. Et il ne rentre pas.
Christine est l’ex-fiancée de Pierre. Lorsqu’ils étaient ensemble, Vic la voyait souvent puisque Pierre l’invitait à ses dîners. Mais depuis leur rupture, Christine fréquente surtout Philippe. Plusieurs dimanche, ils sont allés au square ensemble et cet été, lorsque Victoire a proposé de passer le rejoindre quelques jours au soleil, Philippe s’est exclamé : «Alors plutôt en semaine, car Chris (il l’appelle Chris) risque de venir le week-end.»
«Chris» est une gentille fille, «elle», qui a bon caractère, «elle», et elle est très douce avec les enfants…
A présent, Phil et Christine se voient la nuit. Victoire le sait, lorsqu’elle a décroché à 22 heures, elle est tombée sur «Chris», qui lui a demandé Phil, puis elle a entendu «Bon, rendez-vous chez toi alors ?»

Le surlendemain, Victoire risque au réveil :
— A quelle heure rentres-tu ce soir ?
— Je sors, je ne rentre pas.
— Bon, il faudra le dire à Salima.
— Quoi ?
— Que je ne rentrerai, moi, qu’à 19 heures 30.
— Et pourquoi tu lui dirais pas ?
— Parce qu’elle commence à râler maintenant.
— Mais qu’est-ce-que tu m’emmerdes, comme ça, de bon matin ?
— Je t’emmerde pas ! Je veux que ce soit toi qui la préviennes, c’est tout.
— Mais qu’est-ce-que ça peut me foutre ?… Qu’est-ce-que tu m’prends la tête, comme ça, dès le réveil ???
Et le ton monte :
— Parce que rien que l’idée de ses yeux effarés, ce soir, à mon retour, ça m’énerve au réveil.
— Mais qu’est-ce-que c’est que cette CONNE qui m’emmerde au réveil !!!
— Evidemment, toi, t’es pas là, toi tu t’en fous…

Et bong ! Il lui envoie l’oreiller dans la figure :
— Arrête de m’emmerder, POUFFIASSE !!!!
Il part presqu’aussi sec et la laisse désemparée.

Elle téléphone à «Chris», très calmement :
— Philippe passe son temps à me faire des reproches. En revanche, il semble avoir beaucoup d’estime pour toi. Il parle beaucoup de toi, tu as un grand appartement, je ne vois pas d’inconvénient à ce que tu l’héberges un temps… Je suis une pétasse, une poufiasse, une dingue doublée d’une emmerdeuse, tu es une sainte et mes enfants t’adorent. Pourquoi n’essaies-tu pas mon homme plein temps ?
Christine s’offusque :
«Ce n’est qu’un ami… Il n’y a rien entre nous deux…»
— Ah bon… J’avais cru comprendre le contraire. Excuse-moi du dérangement.
Et Victoire raccroche soulagée.

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Je veux parler pour celles, si nombreuses, innombrables.......
qui croient que c'est de leur faute.

Et qui finissent par en crever, d'être ainsi maltraitées.

Je veux rappeler que c'est un engrenage qui commence dès l'enfance.
Et je veux dire aux mères, aux pères :
— Faites gaffes à vos gamines !

Un jour, ces gamines de gamines de gamines arracheront les couilles de leurs amants.

Avec leurs dents !

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La tension monte.


Vic a réalisé la veille qu’elle devait se rendre à Montmorency ce week-end. Pas tellement que son beau-frère Bernard et sa femme Isabelle soient à Paris, comme le lui a annoncé Phil, mais il a 31 ans aujourd’hui, Nico est né le 29, elle est convaincue que Madame Mère en profitera pour faire coup triple. Elle se doit d’être là, pour son fils et parce qu’«elle» n’est même pas venue à l’anniversaire de son mari.

Elle lance à Phil dans la soirée :
— Je dois aller à Montmorency dimanche.
— Pourquoi tu «dois» ?
Elle explique et voilà que monsieur s’y oppose :
— Non, tu ne viendras pas.
Comment ça : «je ne viendrai pas» ?
— Si tu viens, on va se fiche dessus.
— De toutes façons, quand je viens, on se fiche tout le temps dessus…
— Oui mais on s’est engueulés hier, tu vas me faire la tarza au retour, ça va rien arranger.
— Je DOIS y aller… Ou alors, les enfants n’y vont pas… Non seulement tu y passes quasi tous tes dimanches, avec eux, de 10 heures à 19 heure 30, mais en plus, je n’ai pas le droit de venir ?
— Une autre fois…
— Pas question ! Les anniversaires sont sacrés, si je n’y suis pas demain, je ne pourrai plus y aller du tout.

Philippe lui soutient que les anniversaires ne sont pas prévus, que seule importe la présence de Bernard et d’Isabelle. Vic ne veut rien entendre : elle DOIT y aller. Phil répète non.
— Bon, bon, OK, vas-y avec les gosses, mais ils n’iront plus qu’un dimanche sur deux dorénavant. Si je ne peux plus venir, eux n’iront pas davantage, un point c’est tout !

Le soir-même, il sort et dort dans le salon. Victoire cauchemarde :
Philippe, un briquet à la main, essaie de la brûler. Il lui brandit sa flemme sous le nez et curieusement, le feu ne prend pas, ni à ses vêtements, ni à ses cheveux, comme s’ils étaient ignifugés.

Le lendemain matin, dimanche donc, Phil ne la regarde pas. Victoire le provoque dans la cuisine :
— En tous cas, préviens bien ta mère : si elle s’imagine qu’elle reverra Nico la semaine prochaine pour son anniversaire, c’est tintin !
Alors monsieur change d’avis :
— D’accord, tu peux venir ! lui crie-t-il entre deux injures… Alors ?… Tu viens ou tu viens pas ?… Si tu viens pas, tu n’es qu’un trou du cul merdeux !!! Exprès, de toutes façons, que t’as proposé de venir le lendemain d’une scène, exprès pour me faire chier !!!
— Pas du tout, se défend Vic, c’est parce que j’ai réalisé la date…

Elle est sur le palier, cheveux gras, teint blafard, tandis qu’ils sont tous les trois prêts de pied en cape, il ne lui tente plus de se joindre au groupe :
— Maintenant, c’est trop tard !… J’ai plus envie de venir… Et puis TOUT est trop tard !… OK pour le divorce, OK…

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