Bledine 0 Posté(e) le 20 avril 2008 Elisabeth de Fontenay Ethique à l’ENS - avec le comité d’éthique de l’Inserm Les Ateliers éthiques de l’Ecole normale supérieure, en collaboration avec le Comité de l’éthique de l’INSERM : Nouvelles frontières en biologie, nouvelles frontières en éthique. Votre intérêt pour les animaux a-t-il été d'abord philosophique ou sentimental ? Elisabeth de Fontenay. Il est indiscutablement sentimental, lié à l'enfance. Pendant la guerre, j'ai passé toutes mes vacances dans une ferme, en Normandie. C'était une petite exploitation avec trois chevaux et dix vaches. Je m'occupais beaucoup des vaches. J'étais une petite fille très, très fière, de conduire un troupeau de dix vaches attachées à une corde, et de les ramener le soir. J'étais fière de ne pas avoir peur, et j'avais le sentiment d'avoir une communication avec ces vaches. Je suis d'une famille de chasseurs, bien entendu je n'ai jamais tiré à la chasse. Maintenant, je suis plus que réservée par rapport à la chasse, mais il est sûr que j'ai eu un apprentissage des bêtes que l'on chasse, et surtout des chiens. Il y a toujours eu des chiens dans ma famille, des chiens de chasse. J'ai un rapport très « franchouillard » aux animaux. Ce n'est pas du tout les animaux exotiques, c'est une enfance, et une adolescence « bien de chez nous ». Je me suis toujours intéressée à des différents sujets, mais pas à la philosophie au premier chef. J'avais commencé à travailler sur le corps, et de fil en aiguille j'ai compris qu'il y avait là, sur les animaux, l'animalité, un sujet extrêmement intéressant et peu travaillé. J'ai l'impression d'avoir été une pionnière, surtout en France, surtout dans la philosophie traditionnelle, la tradition métaphysique, qui est la philosophie, telle qu'on l'enseigne en France, dans les lycées. En travaillant sur l'animal, les animaux, l'animalité, j'avais de grande souffrance quant à l'abstraction de mon point de vue, de mon propos. J'ai beaucoup regardé des peintures, parce que je pense que les peintres sont ceux qui ont l'accès le plus véritable aux animaux. Que pensez-vous des comportements américains, genre David Servan-Schreiber, qui préconisent de s'occuper d'animaux pour soigner les maux psychiques ? Je ne connais pas la question, mais ça ne me semble pas du tout inintéressant. En particulier, je connais un peu les expériences avec les chevaux ou les chiens pour les enfants autistes. C'est quelque chose de très bouleversant, de voir que ces enfants, complètement enfermés en eux-mêmes, ont tout à coup des émotions. Qu'il y a une communication physique entre leur subjectivité mutilée et la subjectivité de l'animal. Je ne sais pas si on peut en faire une thérapeutique, mais je pense que c'est extrêmement positif, c'est une très belle démarche. Pourquoi appelle-t-on l'animal « animal », s'il n'a pas d'âme (anima) ? Animal est un mot qui est composé avec « anima », qui veut dire l'âme. Il est absolument évident que si les hommes ont des âmes les bêtes aussi, pour moi c'est une évidence, je dis cela d'une façon matérialiste. Mais parler par exemple, comme on le fait à propre de Descartes, de « l'animal machine » est une contradiction dans les termes, parce qu'une machine n'a pas d'âme. Quand vous critiquez la corrida, ne craignez-vous pas d'offenser tout un peuple, dont la corrida est comme un emblème identitaire ? C'est une question qui me touche beaucoup. J'ai toujours pris beaucoup de précaution, à cause de l'argument de Fabien. Il y a toute une pensée symbolique rituelle, on n'a pas envie que tous les hommes, tous les peuples deviennent pareils. On n'a pas envie d'un arasement culturel. Mais il y a énormément d'Espagnols qui sont contre la corrida, et j'ai écrit cet article contre la corrida dans Libé, parce que j'avais été hors de moi d'apprendre qu'on avait créé des écoles pour apprendre aux enfants à toréer. Franchement, je trouve que la coupe était pleine, c'est pour cela que je me suis mise à écrire cet article contre la corrida. C'était la première fois que j'écrivais un article contre la corrida. Mais maintenant, je suis engagée contre la corrida. Est-ce que l'opinion selon laquelle ceux qui aiment les animaux n'aiment pas tellement les hommes a un quelconque fondement ? J'ai bâti mon travail, depuis plus de dix ans, dans l'idée de dissiper ce malentendu. En particulier tout ce qu'on a pu dire sur Hitler et les nazis est faux. On dit qu'au moment même où ils faisaient des lois antisémites, ils faisaient dans le même temps une législation de protection des animaux, en fait c'est faux. Cette législation existait depuis bien avant le nazisme, et elle existait dans d'autres pays d'Europe, en Angleterre et, je crois, au Danemark. C'est une contre vérité d'aller chercher dans l'Histoire une justification selon laquelle ceux qui aiment les animaux, n'aiment pas les hommes. On peut dire exactement le contraire, l'apprentissage de la philanthropie s'exerce d'abord à travers la bienveillance envers les animaux, et je pense que la cruauté est un bloc. L'âme est-elle une chose que l'on a ou n'a pas ? N'est ce pas plutôt la dynamique même de la vie ? Oui, parfaitement, c'est exactement comme cela que je pense, avec Darwin bien sûr, et certains philosophes, comme Hans Jonas. Gandhi disait : « On peut juger de la grandeur d'une nation par la façon dont les animaux y sont traités. » Comme on pourrait dire pour l'homme ? Non, on juge la grandeur ou de civilisation d'une nation à la façon dont les faibles, les handicapés, les pauvres, les sans-papiers, y sont traité. Pensez-vous que la vivisection ne soit en aucun cas légitime ? Il y a des techniques de substitution, qu'on appelle les techniques alternatives, de culture de cellules, mais il est évident qu'on ne peut pas mettre fin à un minimum de vivisection. Il faut simplement lutter pour que l'on sacrifie un moindre grand nombre d'animaux, et pour qu'on leur épargne, dans la mesure du possible, traumatisme et souffrance. N'est-ce pas parce que l'homme se considère comme le seul détenteur d'une conscience qu'il traite ainsi les animaux ? Oui, tout ce que j'ai écrit l'atteste. Il y a une arrogance de la subjectivité humaine qui consiste à mettre à la disposition de l'homme tous les autres animaux, et en faire de purs instruments. Or, les éthologues, et les philosophes phénol-néologues s'accordent à dire qu'il y a un psychisme animal, et que les différences entre les psychismes sont pour une grande part, une question de degré. A partir de quand et de quoi peut-on dire que les droits des humains porte atteinte à ceux des animaux ? Je crois qu'il faut réfléchir sur le droit de propriété. Finalement, c'est énorme, infondé, exorbitant, d'avoir droit de vie et de mort sur un animal comme sur une voiture ou une maison. Il y a un problème radical qui est le droit à l'appropriation des animaux. Les animaux sont à la fois sensibles et appropriables. Ils sont sensibles comme des personnes et appropriables comme des biens, il y a là une contradiction fondamentale qu'on ne voit pas très bien comme on pourrait la surmonter, sauf à revenir au Paradis terrestre. Qu'est-ce qui empêche de créer un statut de « personne animale » ? Cela permettrait de sortir ces derniers du statut de « chose mobilière » et permettrait d'avoir une juste « gradation » entre un enfant à naitre encore considéré comme « res nullus » et des animaux anthropoïdes conscients, insuffisamment protégés par la loi ? Je pense qu'il faut accorder des droits aux animaux selon leurs espèces. Parlons en particulier des animaux de fermes, les droits des bovins ne sont pas les mêmes que les droits des poulets. On peut leur accorder des droits, parce que le droit permet d'en faire des sujets de droit. Ca n'est pas parce qu'ils ne parlent pas, parce qu'ils ne sont pas capables de passer des contrats, qu'on doit leur refuser des droits. Prenons un exemple: un enfant handicapé n'a pas moins de droit à hériter de ses parents que ses frères et sœurs non handicapés, ses droits sont défendus par un tuteur. Il faut penser le droit des animaux sur ce mode du tutorat. Maintenant, je suis complètement hostile à l'extension des droits de l'homme au chimpanzé, je m'y oppose, car c'est contre performant, ça braque les gens, au lieu de les persuader de se sentir responsable vis-à-vis des animaux. Je crois qu'il faut tout de même marquer une coupure entre le genre humain, le genre étant une catégorie politique et historique, et les espèces animales dont nous faisons bien sûr aussi partie. Nous sommes une espèce animale entre autre, mais nous nous déclarons historiquement et politiquement genre humain, et c'est là que nous instituons une coupure et c'est cette coupure qui doit solliciter l'appel à notre responsabilité. Enregistrement audio de la conférence Écouter format audio mp3 - 17.57 Mo De l’animal à l’humain Elisabeth de Fontenay Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Louve16 0 Posté(e) le 27 avril 2008 Bonne idée d'avoir mis cette interview, Blédine. Ca m'a permis d'en apprendre davantage sur cette philosophe, très très intéressante. Un de ses livres "Le silence des bêtes" semble mériter d'être lu (http://leportique.revues.org/document287.html). J'en aurai sûrment pas le courage (quoique... ça m'intéresse) mais elle me réconcilie presque avec la philosophie. En tous cas, sa philosophie, pleine de bon sens, j'y adhère. Quelques liens supplémentaires : http://www.flac-aquitania.org/article-13658809.html http://www.oedipe.org/fr/actualites/fontenay Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites