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Admin-eleveurcanin

en Russie, le chien est particulièrement aimé

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en Russie, le chien est particulièrement aimé
Depuis quelques jours, la rue des Novateurs, dans le quartier de Novye Tchiriomouchki, au sud-ouest de Moscou, est le théâtre d'une agitation peu coutumière. Au tribunal du quartier se tient un procès civil qui suscite les passions. On y juge Dmitri Khoudoiarov, tueur en série de chiens. L'homme, 42 ans, éducateur dans un foyer de jeunes filles des environs de la capitale, a reconnu en avoir tué une quarantaine avec un fusil à pompe au volant de son 4 × 4.

Aux abords de la salle d'audience, les défenseurs des animaux et les propriétaires des victimes ont du mal à contenir leur colère. L'accusé risque, au minimum, une amende et, au maximum, trois ans de prison avec sursis. C'est trop peu au regard du calvaire enduré. Assia Rodionova est venue à l'audience avec une photo de son chiot paralysé.

L'animal a survécu à l'agression, il se déplace désormais au moyen d'un chariot à roues qui sert de support à ses pattes de derrière. Devant les caméras de la première chaîne de télévision, venue filmer l'événement, elle dit sa peine.

Elena Ben Saïd a eu moins de chance, le sien est mort. "Il avait plus peur des gens que eux de lui", confie-t-elle. "Tirer dans les rues de Moscou au XXIe siècle, c'est quand même pas normal", conclut une jeune femme, excédée. Les journaux et la télévision en parlent, les militants pour la protection des animaux suivent l'affaire de près.

Les assassinats de chiens défraient régulièrement la chronique. En avril 2006, l'opinion publique s'était émue de la mort de Ryjyk ("rouquin"), un chien errant devenu la mascotte des habitués de la station de métro Konkovo. Ryjyk y coulait des jours tranquilles, nourri par les petits commerçants du coin, choyé par les passants, jusqu'à ce qu'un garde de sécurité pris de boisson ne le batte à mort, sous les yeux des voyageurs.

Grâce à la mobilisation des amis de Ryjyk, partis à la recherche des témoins, le coupable, l'agent de sécurité Boris Sourov, a finalement été jugé et condamné à trente-deux mois de prison avec sursis. Cinq ans plus tôt, un autre chien vagabond, Maltchik ("gamin"), fétiche des commerçants installés autour de la station de métro Mendeleevskaïa, était sauvagement assassiné par une jeune femme, apparemment perturbée mentalement. Jugée deux ans après les faits, elle a été condamnée à un an d'internement dans un hôpital psychiatrique.

L'affaire ne s'est pas arrêtée là. Le calvaire de Maltchik a tellement ému l'opinion qu'un groupe de chanteurs et d'écrivains en vogue s'est empressé d'organiser une collecte pour lui ériger un monument. En 2007, le monument, une sculpture de bronze à l'effigie de Maltchik, a été inauguré dans le hall de la station Mendeleevskaïa. "C'est une protestation contre toute forme de cruauté envers tout ce qui est vivant", explique fièrement Lana, qui habite juste à côté dans un trois pièces de 78 mètres carrés avec son mari... et leurs trois chiens.

C'est que, en Russie, le chien est particulièrement aimé. Pour s'en convaincre, il suffit de voir avec quel empressement les voyageurs, sur le quai de la station de métro Place-de-la-Révolution, caressent, en passant, la statue du chien de garde qui orne la station. Son museau a tellement été caressé qu'il a pris une couleur cuivre alors que le reste de la statue est noir.

Le chien est omniprésent dans la littérature. Il est une figure centrale de la nouvelle Mou-Mou, d'Ivan Tourgueniev ; il est l'énigme du poème pour enfants Bagage, de Sergueï Marchak ; il est le héros principal de Coeur de chien, conte fantastique de Mikhaïl Boulgakov. Coeur de chien raconte l'expérience inédite du professeur Filip Filipovitch Préobrajenski, qui greffe une hypophyse humaine sur le cerveau du chien vagabond Charik.

Le résultat est désastreux. Charik prend forme humaine, il devient Charikov, un odieux personnage, un ivrogne et un ingrat qui mène une vie impossible à son concepteur. Le professeur, obligé de reconnaître que le chien était meilleur que l'homme, retransforme Charikov en chien. Interdite en 1925, cette nouvelle, portée à l'écran en 1987, a connu un tel succès auprès du public qu'il n'est pas rare d'entendre un interlocuteur dire : "Ne fais pas ton Charikov !".

Un tel respect pour la race canine est une bonne chose. On aimerait simplement que cette sollicitude populaire, ce zèle de la justice à faire la lumière sur les assassinats de chiens s'exercent aussi à l'endroit des humains. "En Russie, il faut être un chien pour mériter une statue", ironise Andreï Mironov, de l'association Mémorial. Ni Anna Politkovskaïa, la journaliste assassinée dans le hall de son immeuble le 7 octobre 2006, ni Stanislav Markelov, l'avocat tué par balles en plein centre de Moscou le 19 janvier 2009, n'ont eu droit à un tel honneur.

L'apposition d'une plaque sur la façade de l'immeuble d'Anna Politkovskaïa a été refusée sous un prétexte futile par la municipalité. L'endroit où Stanislav Markelov a été assassiné - en même temps que la journaliste Anastasia Babourova, qui cheminait à ses côtés -, rue Pretchistenka, est, à intervalles réguliers, couvert de fleurs et de photos.

Ces hommages anonymes sont prestement enlevés par les balayeurs des rues, puis réapparaissent pour mieux être balayés à nouveau. Pour Andreï Mironov, "rendre hommage au chien est facile et sans danger. Le chien ne dénonce rien, n'entre pas en conflit avec les autorités. Manifester de la compassion pour cet animal est une chose permise, encouragée, tandis qu'il n'est pas admissible d'éprouver la même chose envers ceux que le pouvoir n'aime pas".


Marie Jégo
Courriel : jego@lemonde.fr
Source : http://www.lemonde.fr/opinions(...)

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