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Immunothérapie antivenimeuse

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IMMUNOTHÉRAPIE ANTIVENIMEUSE DES ENVENIMATIONS VIPÉRINES
POUR UNE APPROCHE PLUS RATIONNELLE D'UN TRAITEMENT EMPIRIQUE

Cassian BON - Unité des Venins
Institut Pasteur - PARIS

Résumé

L’immunothérapie antivenimeuse quoique plus que centenaire (sa découverte par Albert Calmette a été publiée en 1894) est encore utilisée de manière empirique. Cette note présente des études cliniques et expérimentales récentes, réalisées par l'Unité des Venins de l'Institut Pasteur, qui montrent comment une meilleure compréhension du mécanisme d'action de l'immunothérapie antivenimeuse permet de la rendre plus efficace et plus sûre.

1. Introduction

Les envenimations ophidiennes sont un important problème de santé, notamment dans les pays en voie de développement où il est recensé chaque année 5 millions d'envenimations et 40.000 décès [1, 2]. En France, les envenimations vipérines sont moins fréquentes (quelques milliers de cas par an) et moins graves en raison du faible danger que représentent les vipères européennes [3, 4].
Les venins sont constitués à 95% de protéines qui peuvent être classées en trois groupes : les toxines (neurotoxines, cardiotoxines, myotoxines, cytotoxines ...), les protéines non toxiques mais possédant une activité pharmacologique importante et les enzymes qui contribuent à la digestion des proies [5]. Ces protéines combinent leurs actions physiopathologiques et sont responsables de la plus grande part des symptômes observés au cours de l'envenimation. Ce sont donc elles qu'il faut neutraliser pour réduire la toxicité des venins [5].
La sérothérapie antivenimeuse découverte par Albert Calmette en 1894 [6], est le seul traitement spécifique des envenimations [7]. A l'origine la sérothérapie antivenimeuse consistait en l'injection de sérums d'animaux hyperimmunisés contre le venin, d'où son nom. De nos jours, le terme d'immunothérapie est préférable car les préparations antivenimeuses ne sont plus constituées de sérum mais d'immunoglobulines ou de fragments d'immunoglobulines purifiées. Pour définir ce type de préparation nous utiliserons le terme d'antivenin, plus général et introduit par Albert Calmette dès 1894 [6].

2. Étude clinique et biologique des envenimations vipérines en France

La gravité des envenimations vipérines varie d'une morsure à l'autre et, contrairement à plusieurs autres interprétations (venin plus ou moins toxique, injection du venin dans une veine …), ces différences pourraient dépendre de la quantité de venin injecté lors de la morsure. Pour tester cette hypothèse, nous avons mis au point un dosage ELISA permettant de mesurer la concentration du venin dans le sang des patients envenimés [8] et avons réalisé une étude clinique et biologique des envenimations vipérines en France [3, 4]. Les résultats de cette étude nous ont permis d'établir une gradation clinique des envenimations en quatre niveaux et de mettre en évidence une corrélation entre le grade maximal de l'envenimation et la concentration de venin dans le sang des patients (Tableau 1) [3, 4]. Ainsi, la dose de venin administrée lors de la morsure est le paramètre principal qui détermine la gravité de l'envenimation.
Compte tenu de la gravité des symptômes observés et de leur évolution défavorable malgré l'application de traitements symptomatiques appropriés, il est recommandé de pratiquer une immunothérapie antivenimeuse dans les cas d'envenimations graves (grades 2 et 3), pour lesquelles des quantités importantes de venin sont dosées dans le sang des patients (Tableau 1) [3, 4]. Par contre, un traitement symptomatique semble suffisant lors d'envenimations bénignes ou modérées (grades 0 et 1), en raison de la faible quantité de venin injecté [3, 4]. Cette étude montre également que le test ELISA possède un caractère pronostique car les symptômes de l'envenimation apparaissent tardivement (le grade maximum de l’envenimation peut être atteint 24 ou même 48 heures après la morsure) par rapport aux concentrations sanguines mesurées moins de 4 heures après l’accident [4].
Une étude comparable a été réalisée en Martinique dans le cas d'envenimations par le serpent Fer de Lance Bothrops lanceolatus [9, 10]. Il a également été observé une corrélation entre le grade de l'envenimation basé sur les symptômes cliniques et les concentrations de venin présentes dans le sang. Les auteurs émettent des conclusions analogues concernant l'immunothérapie antivenimeuse.

3. Approche expérimentale de l'immunothérapie antivenimeuse

Le dosage ELISA du venin dans le sang nous a permis aussi de suivre l'évolution du venin dans l'organisme au cours de l'envenimation. Une étude pharmacocinétique expérimentale réalisée chez le lapin indique que, si l'absorption du venin à partir du site d'injection est rapide (moins d'une heure), son passage dans le compartiment vasculaire est un phénomène lent comparativement à sa vitesse d'élimination [4]. Ceci contribue à maintenir un taux élevé de venin dans le compartiment central longtemps après le début de l'envenimation. Cette conclusion est en accord avec les observations cliniques qui montrent que les symptômes apparaissent lentement et se maintiennent durablement [4].
Cette étude a été poursuivie par l'analyse des effets de l'immunothérapie antivenimeuse sur la pharmacocinétique du venin [11, 12]. Dans ce cas, le venin radiomarqué à l'iode 125 est détecté à la fois par ELISA et par mesure de la radioactivité. Cette double détermination permet de mesurer par ELISA le venin libre (non complexé aux anticorps de l'antivenin) et par la radioactivité le venin total (qu'il soit libre ou complexé aux anticorps). Nous avons observé que l'antivenin, injecté par la voie intraveineuse, induit une redistribution du venin du compartiment extravasculaire vers le compartiment vasculaire (la mesure de la radioactivité indique que la concentration de venin total augmente dans le plasma) où il est immunocomplexé par l'antivenin puisque le dosage ELISA indique que sa concentration libre décroît jusqu'à une valeur nulle. Ce phénomène de redistribution des antigènes au cours d'une immunothérapie a été très bien étudié dans le cas d'intoxications dues aux digitaliques, à la colchicine et à la phencyclidine [13-16]. Les anticorps, qui se distribuent principalement dans le compartiment central, diminuent fortement la concentration des drogues libres dans le compartiment vasculaire, ce qui a pour effet d'établir un gradient de concentration entre les compartiments extravasculaires où sont distribuées les drogues, et le compartiment central (vasculaire) où elles sont attirées puis neutralisées par les anticorps. C’est ce mécanisme qui rend compte des phénomènes observés après injection intraveineuse d'antivenin dans le cas des envenimations par le venin de vipère [17].
Lorsque nous avons réalisé notre étude, la voie d'injection recommandée en France pour l'administration de l'antivenin était la voie intramusculaire. Nous avons donc comparé les effets d'injections intraveineuses ou intramusculaires sur la pharmacocinétique du venin. Notre étude a clairement montré que la voie intramusculaire est moins efficace que la voie intraveineuse. Non seulement l’effet de l’antivenin est moindre mais son action est retardée dans le temps de plusieurs heures [17]. Ceci est aisément explicable : injectés par voie intramusculaire les anticorps sont lentement absorbés vers le compartiment central et 50% d'entre eux seulement atteignent ce compartiment [18], tandis qu'après une injection intraveineuse leur biodisponibilité est de 100% et leur concentration plasmatique est immédiatement maximale. Cette observation a contribué de manière déterminante au remplacement de l'antivenin IPSER Europe®️, qui ne pouvait être utilisé que par voie intramusculaire, par le Viperfav®️ utilisable par voie intraveineuse.
Certains auteurs ayant recommandé l'utilisation de fragments monovalents F(ab) d'immunoglobulines de préférence aux fragments divalents F(ab')2 pour la préparation des antivenins, nous avons comparé la capacité des fragments Fab et F(ab')2 à neutraliser in vivo le venin de vipère. Il est apparu qu'après une injection bolus par la voie intraveineuse la neutralisation est incomplète et fugace avec les F(ab), tandis qu'elle est totale et durable avec les F(ab')2 [17]. Cette différence s'explique en comparant les pharmacocinétiques des F(ab) et des F(ab')2 : les Fab ont une vitesse d'élimination plus rapide que celle des F(ab')2 (quelques heures comparées à quelques jours) et ils sont donc éliminés de l'organisme plus rapidement que le venin de vipère, ce qui explique leur action fugace dans le traitement des envenimations vipérines en Suède [19, 20].
Une analyse cinétique de l'envenimation vipérine chez l'homme a aussi été réalisée en dosant les concentrations plasmatiques de venin par ELISA chez des patients modérément et sévèrement envenimés (grades 2 et 3) [4]. Comme dans le cas de l'étude expérimentale réalisée chez le lapin, le venin apparaît rapidement dans le compartiment vasculaire des patients. La concentration maximale de venin est atteinte trente minutes après l'envenimation. Le venin est ensuite éliminé lentement avec une demi-vie de plus de 8 heures tandis que les symptômes de l'envenimation n'atteindront leur développement maximum que 12 à 24 heures plus tard [4]. Ceci montre que la décision de pratiquer une immunothérapie doit être prise rapidement, même si les symptômes de l'envenimation n'ont pas atteint leur degré maximal.

4. Les antivenins : réduction de leurs effets secondaires

L'immunothérapie antivenimeuse peut entraîner des réactions secondaires graves dans 6 à 7% des cas [21, 22]. Ces réactions sont dues en grande partie aux protéines hétérologues présentes dans les antivenins peu purifiés et des efforts importants ont été réalisés au cours de ces dernières années, notamment en France, pour améliorer la qualité des antivenins. Ainsi l'IPSER Europe a-t-il été remplacé par le Viperfav®️ dont le processus de fabrication et de purification et l'étape de pasteurisation finale confèrent aux fragments F(ab')2 équins des niveaux de pureté élevée [23, 24]. Une étude récente montre qu'aucune complication modérée ou sévère imputable au Viperfav®️ n'a été observée dans une série de 48 patients traités avec cet antivenin [25].
D'autres auteurs ont proposé de produire les antivenins à partir d'autres animaux que le cheval. La chèvre et le mouton sont souvent suggérés car leurs immunoglobulines sont moins immunogènes que les immunoglobulines équines [26, 27]. Ainsi une étude multicentrique, réalisée dans le cas de 30 patients suédois, a démontré l'efficacité et l'absence d'effet secondaire d'une préparation de fragments F(ab) ovins spécifiques du venin de Vipera berus [19].

5. Contrôle de l'efficacité de l'immunothérapie antivenimeuse

Selon les recommandations de l'OMS [28], les antivenins doivent être testés in vitro pour leur capacité à neutraliser la toxicité des venins contre lesquels ils sont dirigés. Le venin et l'antivenin sont mis en contact dans un tube à essai, puis la solution est injectée à un animal pour déterminer la létalité résiduelle du mélange. Le pouvoir protecteur indique le nombre de doses létales 50 (DL50) du venin neutralisé par unité de volume (ou de masse) de l'antivenin [28]. En fait ce test permet de déterminer la capacité d'un antivenin à neutraliser un venin après que le complexe anticorps-antigène soit formé, mais il ne rend pas compte de la capacité de l'antivenin à neutraliser le venin in vivo, et notamment à réduire l'intensité des symptômes cliniques apparus au cours de l'envenimation. Il semble donc important de développer d'autres méthodes permettant de définir l'efficacité in vivo des antivenins.
Le dosage par ELISA de la concentration plasmatique de venin libre (non neutralisé par les anticorps) après immunothérapie devrait permettre une première évaluation in vivo de ce traitement. De fait, plusieurs études réalisées dans le cas d’envenimations par des serpents exotiques ont montré que les antigènes du venin sont indétectables par ELISA après injection d'une dose cliniquement efficace d'antivenin [29]. Ainsi il serait souhaitable qu’une étude comparable soit réalisée en France dans le cas des patients traités par ViperfavÔ pour s’assurer que la dose d’antivenin administrée est suffisante pour neutraliser efficacement le venin.
Une étude récente illustre également l'intérêt de l’utilisation des dosages ELISA du venin dans le sang des patients pour comparer l'efficacité de deux préparations d'antivenin, l'une composée de F(ab')2 (l'antivenin IPSER Africa) l'autre de Fab (l'antivenin EchiTab) dans le cas d'envenimations par Echis ocellatus [20]. Le dosage par ELISA du venin libre après traitement montre que la neutralisation du venin est de plus courte durée avec les Fab d'EchiTab qu'avec les F(ab')2 d'IPSER Africa, en bon accord avec la réapparition des symptômes cliniques observés chez les patients traités par EchiTab mais pas chez ceux traités par IPSER Africa [20].

6. Conclusion

Plusieurs voies de recherche complémentaires ont été explorées et devront être poursuivies de manière à optimiser l'utilisation de l'immunothérapie antivenimeuse. Les analyses pharmacocinétiques du venin et de l'antivenin injectés séparément ou combinés l'un à l'autre permettent de mieux comprendre les mécanismes de la neutralisation du venin in vivo au cours de l'immunothérapie. Elles doivent être généralisées à d'autres couples de venins (de cobra, de crotale, de scorpion …) et d'antivenins et être complétées par des études pharmacodynamiques.
Les dosages ELISA réalisés, soit au laboratoire au cours d'études rétrospectives, soit au chevet du patient au moyen de tests rapides, permettent un contrôle précis et adapté de l'efficacité de l'immunothérapie antivenimeuse. Ils devraient être généralisés, et sans doute aussi reconnus de manière formelle par l'OMS et les différentes instances nationales, comme un moyen commode et fiable pour la mise au point de tests d’évaluation biologique de l'efficacité des antivenins et de leur utilisation.
D'un autre point de vue, la réduction des effets secondaires dus à l'utilisation des antivenins semble pour l'avenir être liée à une meilleure purification des fragments Fab et/ou F(ab')2.

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