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Admin-lane

Droit des animaux : pourquoi ça coince en France

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DROIT DES ANIMAUX - Essayez d'aborder la question de la condition animale, à table, au hasard devant un steak-frite. Réaction garantie. On vous regarde du coin de l'oeil, on s'interroge...Encore un lecteur de 30 millions d'amis? Un fan d'Allain Bougrain-Dubourg? Pire... un végétalien? Si vous vouliez tuer l'ambiance, c'est gagné. Car en France, droits des animaux ou éthique animale, c'est motus et bouche cousue, sujet tabou.

Pourtant, avec plus de 60 millions d'animaux domestiques, les Français sont les champions d'Europe des animaux de compagnie. Sans surprise, quand on leur pose la question, les Français sont d'ailleurs sensibles à la cause animale. Un mois avant le premier tour de l'élection présidentielle de 2012, 81% d'entre eux estimaient que la protection des animaux est une cause importante. Mais si les droits des animaux ou la question du bien-être animal progressent dans les pays du nord de l'Europe ou encore en Suisse, d'après le Code civil français et malgré quelques progrès, les animaux sont toujours des objets.

 


Un paradoxe? Oui et non. En témoigne la publication le 2 mai de cet ouvrage dont le titre sonne autant comme une évidence: Les animaux ont des droits. Au programme des entretiens avec l'éthologue et neuropsychiatre Boris Cyrulnik, la philosophe Élisabeth de Fontenay, ou encore le bioéthicien britannique Peter Singer. Au-delà de ces utiles mises au point sur l'état de la réflexion aujourd'hui, l'ouvrage permet en filigrane de comprendre pourquoi la France a encore autant de mal à parler d'éthique animale. Une réticence aux racines profondes qui nous renvoient à notre histoire et donc à notre culture.

Remontons d'abord loin, très loin en arrière, avant le christianisme et ce bon vieux Jésus. Nous sommes en Palestine et comme le rappelle Élisabeth de Fontenay, des prescriptions hébraïques protègent alors les animaux. Les règles du Shabbat peuvent être transgressées pour sauver la vie d'un animal ou soulager sa souffrance, le bœuf doit y participer sans être muselé, la castration est d'ailleurs interdite, même l'animal qui appartient à l'ennemi doit être aidé s'il est menacé. Et quand on veut manger de la bidoche, on sacrifie l'animal selon un rituel religieux qui rejette sur l'ensemble de la communauté la responsabilité du meurtre. Dans la religion hébraïque, la dimension sacrificielle est d'ailleurs triple: hommes, animaux et même Dieu en sont l'objet, une manière de trinité.

Mais au début de notre histoire, un certain agneau de Dieu va bouleverser cet équilibre. "Le geste du Christ qui se laisse immoler, telle une brebis, pour racheter les péchés des hommes a transformé la nature du sacrifice qui est devenu un acte de pure intériorité et n'a plus rien de rituel," explique Élisabeth de Fontenay. Avec cet acte, tout change. Le sacrifice s'impose comme l'horizon intérieur de tous les croyants, l'animal est donc exclu de sa dimension symbolique. Voilà qu'il devient un objet, on peut le manger et le museler car il ne fait plus partie du sacré. "Dieu se soucie-t-il des boeufs?" se demandera alors saint Paul. Réponse douze siècle plus tard avec l'amour pour les bêtes d'un saint François d'Assises qui fera figure d'exception confirmant la règle.

Nous sommes au XVIIe siècle et le véritable drame, c'est maintenant. Un certain René Descartes découvre qu'il pense et donc qu'il est, notamment grâce au langage, ce qui ne simplifie pas la tâche des animaux qui peuvent penser, ressentir, mais ne rien exprimer. Descartes qui est un scientifique place la raison au coeur de toute réflexion, la sensibilité est exclue du raisonnement et les animaux de la pensée. Il développe alors une thèse, qui lui collera à la peau, celle de l'animal-machine.



Descartes aura beau affirmer qu'il n'a "jamais dénié ce que vulgairement on appelle vie, âme corporelle et sens organique" aux animaux, le mal est fait. L'un de ses disciples, Malebranche déclarera après avoir donné un coup de pied dans le ventre d'une chienne, "Ne savez-vous pas que cela ne sent point?", ce qui nous ferait bondir aujourd'hui. Alors pourquoi tant de haine? Selon Peter Singer, qui convoque un autre disciple de Descartes, le touche à tout Pierre Bayle, le concept de l'animal-machine a eu autant de succès en raison d'un problème théologique immense, l'existence du mal. "Si Dieu est bon et omnipotent, alors pourquoi laisse-t-il les animaux souffrir?" Enlevez-leur la souffrance et le problème est réglé.

Certains penseurs s'insurgeront contre la thèse de l'animal-machine. Ce sera le cas de noms profondément associés à la culture française comme Lafontaine, Voltaire ou encore Rousseau qui avait formulé une doctrine de la responsabilité morale des hommes envers les animaux, en vain. Pourtant, c'est bien le même tradition philosophique, humaniste et généreuse qui aboutira à l'abolition de l'esclavage ou à la déclaration des droits de l'Homme. Alors comment expliquer que la pensée française se soient finalement aussi peu souciée des bêtes? Pour le philosophe Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, auteur de L'Éthique animale (Puf), c'est justement l'humanisme français qui est en cause:

"Il est important de comprendre que l’humanisme, dont l’esprit français est imprégné depuis des siècles, n’est pas seulement la défense sympathique des droits de l’homme avec laquelle tout le monde est d’accord, mais aussi le fait de mettre l’homme au centre de tout, lui soumettre son environnement et réaliser en quelque sorte le projet cartésien de se rendre "comme maître et possesseur de la nature". On place alors les hommes et les animaux dans des vases communicants et l’on se convainc qu’accorder davantage de considération aux uns implique forcément moins de considération pour les autres."

La question de l'éthique animale ne verra donc pas le jour en France, ou en Allemagne, pays de tradition rationaliste et donc spéciste, mais bien en Grande-Bretagne. Car depuis le XVIIIe siècle, l'utilitarisme britannique, à l'image des thèses d'un Jeremy Bentham, met en balance les intérêts des êtres capables d'avoir des intérêts, sans se soucier de leur appartenance à une espèce ou à une autre. Trois siècles plus tard, pendant les années 1970, c'est bien à Oxford qu'un mouvement de libération animale a vu le jour sous l'impulsion du philosophe Peter Singer.



Témoignage du retard que la France accuse, il faut attendre 2011 pour que la question animale figure à l'épreuve de l'agrégation de philosophie. L'enseignement de l'éthique animale n'existe, pour sa part, toujours pas en tant que tel, à la différence de la Grande-Bretagne, des États-Unis ou encore de l'Espagne. Un véritable black-out que dénonce le philosophe Jean-Baptiste Jeangène Vilmer:

"Pour beaucoup d'enseignants, il y a encore des tabous. On veut bien parler de philosophie animale (sa nature, sa manière d'être au monde, sa différence avec l'humain), c'est-à-dire en rester au plan descriptif, mais il est beaucoup plus difficile de parler d'éthique animale (statut moral des animaux), c'est-à-dire d'avancer sur le plan normatif et de remettre en cause des habitudes bien ancrées, comme l'exploitation des animaux pour se nourrir, nous tenir compagnie, se divertir ou faire de la recherche."

Mais l'Hexagone est loin d'être peuplé de candidats à l'agrégation. Et si le discours sur les animaux a encore du mal à passer, c'est peut-être en raison de causes qui touchent à notre identité la plus profonde. Les bistrotiers ont beau nous servir des plats préparés, la France se perçoit toujours comme le berceau de la gastronomie, ce qu'elle a été, au point de voir le repas gastronomique à la française inscrit au patrimoine immatériel de l'Unesco.

Dans ces conditions, comment s'étonner qu'au pays du foie-gras et du saucisson, le droit des animaux nous reste en travers de la gorge? Et Peter Singer de déplorer "une sorte de réaction d'orgueil quasi nationaliste en vue de sauver la tradition culinaire française à base de viandes en sauce, elle-même perçue comme menacée." Dans sa préface à L'Éthique animale, le philosophe raconte d'ailleurs l'hostilité à laquelle il s'est heurté lors d'un voyage en France dans les années 1970:

"Contrairement à l’Angleterre, où les végétariens étaient encore inhabituels mais tolérés comme de simples originaux, en France notre demande de plats sans viande ni poisson était accueillie avec une hostilité ouverte. C’était, nous l’avons réalisé progressivement, parce que nous tournions le dos à ce que les Français regardent comme l’une des grandes gloires de leur culture : la cuisine. C’était comme si nous avions craché sur le drapeau tricolore."

"Cette tradition culinaire dérivée du caractère agricole de notre pays explique le sens que l'on donne à l'animalité" estime pour sa part le biologiste Georges Chapouthier. Un bon sens paysan pas toujours aimable avec les bêtes. Ses corollaires historiques? La chasse et la pêche, qui constituent encore des lobbies démesurément puissants en France, à l'image de l'agroalimentaire, le premier employeur de France, et dont la filière viande constitue la colonne vertébrale.

Le syndrome chasse, pêche, nature et tradition : Selon Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, avant juin 2012, les chasseurs qui ne représentent que 2% des Français étaient représentés par 27% des députés à l'Assemblée nationale, et 23% des sénateurs, les groupes parlementaires pro-chasse comptant alors 158 membres à l'Assemblée et 79 au Sénat, pour 1,3 millions de chasseurs. "Un record européen", estime le philosophe.

Témoignage discret mais probant de leur influence, en avril 2011, un projet de réforme du statut des animaux validé par le Conseil économique social et environnemental a finalement été stoppé net, à la suite de violentes tensions entre les naturalistes et les représentants des chasseurs, des pêcheurs et des agriculteurs. "La pression des lobbies a été si forte qu'elle a rendu tout débat impossible sur ce sujet éthique," regrettait alors Allain Bougrain-Dubourg.

À cela s'ajoutent certaines spécificités culturelles, à l'image de la corrida. Selonun sondage IFOPde mai 2010, deux tiers des Français sont favorables à son abolition, à l'image de la Catalogne. Malgré l'éventualité d'une interdiction en septembre 2012, la corrida est restée légale en France. Pour Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, ce sont les efforts des lobbys taurins et le soutien des membres du gouvernement, aficionados déclarés, qui ont eu raison d'une décision qui allait dans le sens de l'opinion.

HUFFINGTON POST 04/05/2013

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En matière de droit des animaux, jusqu'où faut-il aller? Si certains, comme Peter Singer estiment que les droits de l'Homme devraient symboliquement être étendus aux grands singes, d'autres s'y refusent. Distinguant par spécisme l'homme des autres espèces, la philosophe Élisabeth de Fontenay juge qu'accroître la protection et le bien être des animaux ne doit pas nécessairement passer par l'octroi de droits qui leur seraient spécifiques.

De leurs côtés, les sociétés avancent. En 2004, l'Autriche a adopté l'une des lois les plus protectrice de l'Union. L'année suivante, la Suisse a voté l'un des textes de protection des animaux les plus ambitieux. Depuis 2006, les animaux domestiques britanniques disposent d'un statut juridique qui leur est propre. L'année suivante, le Luxembourg a inscrit dans sa Constitution la protection du bien-être animal. Il y a cinq ans, l'Espagne, berceau de la corrida, adhérait au projet grands singes.



Côté législation, la France n'est pas nécessairement en reste, le Code rural reconnaît l'animal comme un "être sensible"", le Code pénal punit les sévices et la maltraitance, mais de la théorie à la pratique, le fossé est immense. D'où l'appel de nombreux défenseurs des droits des animaux à la création d'un Secrétariat d'État au droit animal.

Néanmoins, les défenseurs des droits des animaux s'accordent à dire que le vent semble tourner depuis cinq ans environ. Publications en hausse, intérêt médiatique, "de plus en plus d'ouvrages sur l'éthique animale répondent à une demande, ou au moins à une interrogation sociale," remarque Jean-Baptiste Jeangène Vilmer. Les prémices d'une véritable évolution de la société? "Le jour viendra où les responsables politiques comprendront qu’ils ont davantage à gagner qu’à perdre à faire des propositions en matière de protection animale," conclut le philosophe.

Cliquez sur le lien source, en bas à gauche, pour lire les réponses à certaines questions de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, enseignant-chercheur à la Faculté de droit de l'Université McGill (Canada).



HUFFINGTON POST 4/5/2013

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