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Admin-lane

Le crépuscule des éléphants

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Massacré à grande échelle, l’éléphant de forêt est aujourd’hui une espèce sérieusement menacée d’extinction. Si rien n’est fait pour endiguer ce phénomène qui paraît irréversible, il aura disparu du Cameroun d’ici cinq ans et du continent dans dix.

Cette fois, les tueurs ne sont pas arrivés à cheval comme en début d’année dernière quand ils ont déboulé dans le parc de Bouba Ndjida, au nord du pays. Une centaine de cavaliers et de fantassins, l’équivalent d’un petit escadron, venus du Tchad voisin après avoir écumé les environs. Dotés d’armes de guerre et de grenades, ils avaient, trois mois durant, impitoyablement et en toute impunité massacré des troupeaux entiers d’éléphants de forêt. Avant que l’État camerounais ne se décide enfin à envoyer l’armée et à stopper cet holocauste barbare. Les carcasses de trois cents pachydermes, sur une population locale estimée à 700 têtes, jonchaient le parc. Cauchemar tout droit sorti d’un tableau de Jérôme Bosch.

Des mâles adultes, des femelles pleines, des bébés encore reliés par un cordon gisaient en de macabres empilements. Tous atrocement mutilés. Leurs défenses et leurs têtes découpées à la machette alors qu’ils agonisaient, les tendons sectionnés pour les empêcher de fuir. Des actes d’une cruauté inouïe.


En novembre dernier, Michel Ballot a été le témoin d’un massacre perpétré dans une saline, près des chutes Nki, à la frontière avec le Congo. Photo Michel ballot


Depuis, le scénario se reproduit dans toutes les réserves naturelles, dans des proportions évidemment moindres mais avec une régularité dévastatrice et désespérante. Le braconnage industriel de ce début du XXIe siècle est sans rapport avec celui des siècles précédents et il ne laisse aucune chance à la nature.

D’après un rapport de la Wildlife Conservation Society, 62 % des éléphants de forêt auraient disparu ces dix dernières années. Si rien n’est fait pour inverser radicalement la tendance, cette espèce s’éteindra définitivement dans cinq ans, moins peut-être, au Cameroun et au Congo.

Le jeudi 18 juillet, c’est dans les profondeurs du parc national de la Lobéké, à la frontière avec la République, que les braconniers ont frappé. L’information a crépité sur la radio qui fonctionne en permanence dans le bureau des écogardes à Mambele, en lisière de la forêt, et aussitôt provoqué chez eux une agitation dans laquelle perçaient à la fois la colère et la résignation. La rumeur crachouillante disait que deux bêtes venaient d’être abattues à trois jours de marche de là. Deux de plus. Deux qui s’ajoutaient aux 28 dénombrées depuis le début de l’année.


Plus petit que l'éléphant de savane, l’éléphant de forêt est une espèce à part entière. Son ivoire est plus résistant que celui de savane et donc particulièrement recherché. Photo Michel Ballot


Comme à chaque fois, les braconniers ont utilisé des armes de guerre, découpé les défenses à la scie électrique et fumé une partie de la viande pour la vendre dans les villages voisins. Avant de repartir comme ils étaient venus, sans être inquiétés.

«Le combat est bien trop déséquilibré», explique Michel Ballot qui tente depuis plusieurs années d’attirer l’attention de l’opinion occidentale sur ce phénomène et prépare, avec le soutien du Comptoir Général, une vaste action de soutien.

«D’abord la demande d’ivoire du marché asiatique a complètement explosé et son prix est au plus haut (près de 800 euros le kilo à Pékin, NDLR). Pour des populations très pauvres, la tentation est trop grande. Et puis aujourd’hui on trouve une Kalach pour 50.000 francs CFA (environ 75 euros). Ça a changé l’ampleur du massacre. Les gardes sont dépassés.»


Le magnifique parc de la Lobéké, qui abrite une nature totalement sauvage, l’une des plus belles biosphères d’Afrique, ne compte ainsi qu’une quarantaine d’écogardes. Sans armes, ni véhicules, sans moyens de transmission ni salaires, ils ont pour mission de quadriller un territoire de 220.000 hectares. Impossible. Simplement armés de leur bonne volonté, ils consacrent leur énergie à refuser l’idée qu’il est trop tard.

Ce matin-là, six d’entre eux ont ainsi, en vain, tenté de rattraper les braconniers. Après avoir réussi à réquisitionner un pick-up et trouvé de quoi remplir le réservoir, ce qui n’est jamais gagné d’avance, ils ont roulé puis marché des heures avant de trouver les cadavres en voie de décomposition.

«On n’a pas eu ceux qui avaient tué les éléphants mais on en a attrapé d’autres», confie Lucien Abagui Iya, le regard éteint par les nuits de traque et qui dit pudiquement ces face-à-face, mains nues contre armes de guerre. «Il y a souvent des bagarres», souffle-t-il simplement. Parfois des morts aussi, souvent des blessés graves.

L’an dernier, un jeune écogarde de la brigade nommé Pierre-Achille Zomedel a ainsi été capturé, torturé et abattu par des trafiquants. Il avait 27 ans. C’est Lucien qui l’a trouvé, ligoté à un arbre, après plusieurs jours de marche dans la forêt. Il le pleure toujours.

Le menu d'un restaurant en plein centre de Yaoundé. Photo DNA – Pascal Coquis


Cette fois-ci, l’interpellation, musclée, n’a débouché sur aucun drame. «Nous avons entendu des coups de feu, ce qui nous a permis de les repérer», continue Lucien Abagui Iya. «Nous nous sommes dissimulés à un endroit où ils devaient passer. Une moto est arrivée, on lui a sauté dessus. Ils avaient tué un gorille, 12 céphalophes et trois singes. Nous avons vendu la viande aux enchères aux villageois, confisqué les armes, pris des photos des contrevenants avec leur butin pour que le tribunal ait une preuve et ils vont être jugés. Mais ils vont ressortir très vite.»

Car les éléphants ne sont pas la seule espèce à subir la pression de l’homme. Bien qu’interdit, le trafic de viande de brousse est lui aussi au plus haut sur tout le continent.

Tels des pantins désarticulés, singes, porcs-épics, pythons, boas, antilopes ou pangolins pendent pathétiquement sur des piquets au bord des routes du pays. En brousse, il n’en coûte que trois euros pour un singe et à peine plus pour un pangolin. Une fois à Yaoundé, le prix a quintuplé.

Au marché à la viande de Nkondongo, dans l’un des quartiers populaires de la capitale, toutes les espèces protégées envisageables sont offertes aux consommateurs. Illégal, ce marché se tient pourtant en plein air, à la vue de tous. Les animaux y arrivent vivants ou boucanés dans la nuit. Ils sont égorgés sur place puis rôtis à la flamme d’un bec de gaz ou ébouillantés par de jeunes employés payés à la journée. La terre sur laquelle sont jetés les viscères fumants se gorge progressivement de sang. C’est peut-être finalement ce qui lui donne sa couleur.


 
Dernières nouvelles d'Alsace 10/8/2013

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