Admin-lane 0 Posté(e) le 11 août 2013 ci, sur les hauts plateaux du nord de l'Ethiopie, tout le monde connaît l'Endod et sait où trouver cet arbuste dont les graines broyées servent de lessive traditionnelle. Quelques villageois, ceux qui écoutent la radio, savent que, même si l'endod est concurrencée par le savon industriel, cette plante a d'autres vertus qui intéressent l'Occident.Phytolacca dodecandra Photo : Erbe Alter Vista«C'est une plante miraculeuse», affirme pour sa part le docteur Legesse Wolde-Yohannes. Depuis plus de trente ans, ce botaniste éthiopien se consacre au [url=http://www.africa-plants.com/1_Phytolacca dodecandra.htm]Phytolacca dodecandra[/url], nom scientifique de l'arbuste, qui permettrait, entre autres, de lutter contre deux des maladies les plus dévastatrices d'Afrique, la bilharziose et le paludisme. Le miracle serait que l'endod soit enfin exploitée, et que cette exploitation bénéficie à l'Ethiopie.Après trente années de lutte, les conditions semblent aujourd'hui réunies. L'Ethiopie, soutenue notamment par la Banque mondiale, se lance dans un vaste programme de valorisation de ses extraordinaires ressources botaniques, en phase avec les critères du «développement durable». L'endod répond parfaitement à ces critères, mais, pour la valoriser, ses découvreurs éthiopiens ont dû se battre contre le manque d'intérêt pour les maladies du tiers-monde, et contre des Occidentaux tentés d'utiliser la découverte à leur profit en brevetant les molécules qu'elle contient. Phytolacca dodecandra1, branche feuillue avec inflorescence mâle, 2, fleur mâle, 3, fleur femelle; 4, fruit, 5, graine. Redessiné et adapté par Iskak SyamsudinUn jour de 1964, le docteur Aklilu Lemma, longeant une rivière du nord de l'Ethiopie, remarque une concentration inhabituelle de mollusques morts. En remontant le cours d'eau, il rencontre un groupe de femmes faisant leur lessive. Elles lui montrent une simple poudre issue des baies d'endod dont elles se servent en guise de savon. Comprenant que cette plante est un puissant tueur de mollusques, Aklilu Lemma pense aussitôt qu'elle pourrait être un moyen de lutte formidable contre la bilharziose, la maladie qu'il étudie.La bilharziose est, en effet, due à un parasite dont l'un des multiples stades larvaires se développe exclusivement dans des mollusques avant d'essaimer dans l'eau douce et de se transmettre à l'homme. Avec le développement des barrages et de l'irrigation, qui favorisent la prolifération des mollusques, la maladie ne cesse de s'étendre. Aujourd'hui, 300 millions de personnes en souffriraient. L'Organisation mondiale de la santé a longtemps prôné de traiter l'eau avec des pesticides chimiques. L'endod fait nettement moins de dégâts sur l'environnement, d'autant que, si elle tue mollusques et poissons, elle épargne leurs oeufs. Enfin, le traitement des cours d'eau peut être mené à bien par les paysans eux-mêmes.Fleurs d'Endod (Phytolacca dodecandra) Photo : Erbe Alter VistaPlante grimpante, qui peut atteindre 10 mètres de haut, l'endod est présente dans presque toute l'Afrique au-dessus de 600 mètres d'altitude, et commune sur les hauts plateaux éthiopiens au-dessus de 1.400 mètres. «Cela fait sans doute des milliers d'années, assure le docteur Legesse, que les Ethiopiens utilisent l'endod comme lessive, savon, shampooing ou détergent.» Traditionnellement, la plante sert aussi à tuer le ténia, les poux et les sangsues qui parasitent fréquemment le bétail, à soigner la syphilis ou des maladies de peau humaines et animales, à purger, à provoquer des avortements, à lutter contre la fatigue. En Afrique de l'Ouest, c'est aussi un poison, tandis qu'au sud du continent on en fait une cire.Pendant des décennies, les habitants du Zimbabwe ont utilisé les feuilles, les racines et les baies de la plante qu’ils appellent gopo (Endod) pour fabriquer des cires à planchers et des préparations thérapeutiques, Ils ne se doutaient pas que les baies de cet arbuste grimpant, scientifiquement connu sous le nom de Phytolacca dodecundra, contribueraient un jour à contrôler la schistosomiase, maladie qui afflige leur pays. Image : CRDI Explore 1991D'autres propriétés, apparemment inconnues des populations locales, ont été démontrées durant les trente années qui ont suivi la découverte d'Aklilu Lemma. Outre les mollusques, l'endod tue les larves d'insectes qui se développent dans l'eau, notamment celles des moustiques qui transmettent le paludisme. Elle peut également entrer dans la fabrication de contraceptifs, de pilules abortives, de parfum, de caoutchouc et... de béton léger.C'est d'abord contre la bilharziose que les docteurs Aklilu et Legesse essaient de mettre au point une application de l'endod : sélection des plantes les plus efficaces, système de production agricole, dosage combinant l'impact le plus fort sur les mollusques et le moins nocif pour le reste de l'environnement. Les chercheurs éthiopiens collaborent avec des universitaires étrangers, britanniques, japonais, américains. Mais, à trois reprises, ces derniers ont tenté de déposer des brevets en leur nom seul, dans le dos des docteurs Aklilu et Legesse. Phytolacca Decandra Photo www.viewgoods.com«Au départ, raconte ce dernier, nous ne voulions pas déposer de brevet pour ce que nous considérions comme une connaissance publique. La plante est largement connue et utilisée en Ethiopie et dans d'autres pays africains. De génération en génération, les populations locales ont expérimenté des dosages et des antidotes. Toutes mes suggestions sont basées sur des applications traditionnelles. C'est le gouvernement éthiopien qui devrait déposer un brevet pour le peuple éthiopien.» Mais, en trente ans de guerre et de famine, l'Ethiopie a eu d'autres priorités. L'utilisation de l'endod n'a pas été encouragée, la bilharziose et le paludisme ont continué leurs ravages. «Les maladies des pauvres n'intéressent pas les investisseurs occidentaux», constate le docteur Legesse. Un récent rapport des Nations unies rappelle que, sur plus de 1.200 médicaments mis sur le marché entre 1975 et 1996, seuls 13 soignent des maladies tropicales.En 1989, les docteurs Aklilu et Legesse reçoivent le Right Livelihood Award, plus connu sous son surnom de «prix Nobel alternatif». Cependant, si, depuis dix ans, des scientifiques américains s'intéressent davantage à l'endod, ce n'est pas pour la bilharziose, mais parce que les cours d'eau des Etats-Unis sont de plus en plus envahis par la moule zébrée, une espèce originaire d'Europe de l'Est qui endommage gravement les conduites d'eau.Phytolacca decandra : feuilles, fleurs, fruits - Image : Erbe AlterVistaCombattre ce mollusque à l'aide d'un pesticide chimique coûte plusieurs milliards de dollars chaque année. L'endod, plus respectueuse de l'environnement, pourrait constituer un marché de plus de 10 millions de dollars par an. Dès 1991, l'université de Toledo (Ohio) essaie de déposer un brevet. Dans le dos des chercheurs éthiopiens. L'année dernière, le ministère américain de l'Industrie manifeste le souhait de cultiver l'endod aux Etats-Unis. Le docteur Legesse refuse de collaborer : «Il serait injuste que les Américains prennent des connaissances et des ressources au peuple éthiopien pour les utiliser chez eux, et ensuite les revendre en Afrique !»Pour exploiter l'endod eux-mêmes, les Ethiopiens doivent néanmoins faire alliance avec une start-up pharmaceutique américaine. Celle-ci aura pour partenaire l'Ethio-Coffee and Tea, exportateur de café et de thé et filiale d'un groupe appartenant à un richissime cheikh éthio-saoudien. Ethio-Coffee and Tea, qui a embauché le docteur Legesse comme consultant, projette de commercialiser des plantes médicinales éthiopiennes, dont l'endod. La start-up américaine achètera les baies et mettra au point, en partenariat avec la société éthiopienne, des produits de traitement de l'eau, des savons et des détergents à base d'endod. Selon le docteur Legesse, les traitements seront vendus à moindre coût aux Etats africains, et pour les Occidentaux ils resteront de toute façon moins chers que s'ils étaient produits aux Etats-Unis.En Ethiopie, derrière l'endod, près d'un millier d'espèces végétales seraient utilisées par les guérisseurs. Les Ethiopiens souhaitent exploiter ces ressources eux-mêmes. Il y a urgence. Les savoirs et les plantes disparaissent rapidement, quand ils ne risquent pas de devenir, via des brevets, la propriété de l'industrie pharmaceutique...LE POINT août 2001 Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites