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"Terres nucléaires" : une histoire du plutonium

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Le documentaire de Kenichi Watanabe sera diffusé sur Arte le 29 septembre 2015 à 20 h 55. Sciences et Avenir l'a vu en exclusivité.

"Peut-on revenir du royaume de Pluton ? C’est la question à laquelle nous aurons tous à répondre un jour". C’est peu de dire que le commentaire écrit par Michael Ferrier qui clôt le film de Kenichi Watanabe "Terres nucléaires, une histoire du plutonium" (1), fait frissonner. 

 DocumentaireHDReportage 11/7/2014


Il promène à nouveau cette dernière en trois endroits-clé sur trois continents, trois lieux à l’apparence paisible mais assez infernaux pour faire déborder la colère :

- Rokkasho et son village de pêcheurs dans la péninsule de Shimokita, au nord de Honshu, l’île principale du Japon. 

- Hanford et son désert jaune balayé par le vent dans l’état de Washington, au nord-ouest des Etats-Unis.

- La Hague et ses aimables pâturages dans la presqu’île du Cotentin, en France. 

Dénominateur commun : un ailleurs lointain à la beauté flagrante, dénaturé par des usines qui sont venues se greffer, telles des verrues inquiétantes filmées au téléobjectif, portant au cœur le fameux Pu (lire encadré). 

La charge est virulente, médiée par des intervenants rageurs – on voit le consultant en énergie Mycle Schneider dénoncer "un système devenu fou" avec le retraitement du plutonium en "absurdité exceptionnelle de l’histoire". Quant à Hiraki Koide, chercheur en ingénierie nucléaire, il livre pour sa part une étonnante analyse sur "le Japon… pays en voie de développement" sur la question du nucléaire !

Hanford est une poubelle. Tous ceux qui se sont un peu intéressés au domaine savent cela - en particulier depuis la fin des années 1980 et la déclassification de nombreux dossiers remontant à la 2ème guerre mondiale et au projet Manhattan. C’est dans cette zone reculée que fut élaboré le plutonium de "Fat man" qui dévasta Nagasaki. Un des sites devenus les pires au monde pour la pollution radioactive, avec certains lieux de Russie d’ailleurs absents à l’image. 

La force du film, dont le physicien nucléaire Bernard Laponche a été le conseiller scientifique ? Obliger à ne pas oublier ce lieu perdu, malgré la tentation d’en effacer la trace - d’ailleurs "des milliers de bâtiments ont disparu". Rappeler que 200.000 personnes y vivent aujourd’hui du travail de décontamination. Que chaque année, ce travail coûte 2 milliards de dollars, soit 10.000 dollars par personne et par an. Que l’entreprise, telle celle de Sisyphe, va durer encore 40 ans… Ou, comme le fait remarquer l’avocat Tom Carpenter : "Le coût du nettoyage va dépasser le coût de ce qui a été produit". 

Nul doute que pour nombre de téléspectateurs, en particulier les plus jeunes, les images de Hanfordoù l’ennemi à abattre n’a plus pour nom Indien mais radioactivité, invisible et infiltrée, constitueront une découverte. D’autant que le film fait aussi ce retour sur l’impensable, le "Green Run", relâchement volontaire de produits de fission (notamment de l’iode 131) sur le site qui eut lieu les 2 et 3 décembre 1949. Ils se sont ensuite répandus sur les travailleurs des environs, comme en témoigne June, qui en tomba malade pour le reste de sa vie.

Par comparaison, Rokkasho la japonaise et La Hague (l'usine) la française sembleraient des lieux familiers. Des bords de mer sauvages en apparence seulement, car les humains ont habité, cultivé, chassé, pêché là depuis des siècles. 

On découvre Keihi, l’agriculteur bio qui a fui Fukushima ! et se retrouve à soutenir la dernière paysanne du coin ("jadis misérable", fait remarquer M. le maire), la seule à n’avoir pas voulu vendre sa terre à l’usine de retraitement - implantée dans cette péninsule éloignée de Tokyo avec l’aide technique française. Il trouve "atterrant ce qui se passe dans [son] pays"

Sur fond de sympathiques vaches laitières, il y a l’éleveur de La Hague, sur ce territoire où "on n’est pas causant", selon le député européen Didier Anger, et qui parle pourtant : "C’est pas terrible d’avoir ça [l’usine] à côté. Mais j’ai pas envie de quitter mon pays".

Alors, résignation pour les siècles des siècles ? Certains interviewés semblent prêts à passer à l’action. Après des prélèvements effectués par l’ACRO (association pour le contrôle de la radioactivité dans l’ouest) dans le ruisseau Sainte-Hélène, non loin de l’usine de La Hague et filmés, il a été constaté la présence avérée de plutonium par un laboratoire de Lausanne le 4 décembre 2014. "Je serais prête à soutenir qui voudrait déposer une plainte au pénal sur cette contamination", déclare alors Annie Thébaud-Mony, directrice de recherches honoraire à l’Inserm (3). Ici, la musique minimaliste et l’amour des paysages cèdent le pas. Le politique reprend le dessus sur le poétique.

1) A voir sur Arte, 29 septembre à 20 h 55. Kami productions et Nouvelle Vague Productions. Michael Ferrier est l’auteur de "Fukushima, récit d’un désastre, Gallimard, 2012

2) Lire cette note de blog.

3) Auteur de "la Science asservie", La Découverte, 2014.


C’est le chimiste américain Glenn Seaborg, prix Nobel 1951 pour ses travaux sur les éléments baptisés "transuraniens", qui a synthétisé le plutonium, dont le symbole chimique est Pu. On le retouve dans les images d’archives dans le film "Terres nucléaires" qui montrent les premiers 2,77 microgrammes obtenus en 1940 au laboratoire de Berkeley (Californie) de cet élément très dense, radioactif et extrêmement toxique.

Très peu présent à l’état naturel, il est devenu une signature claire de l’activité nucléaire : l’uranium frappé par un rayonnement de neutrons dans un réacteur nucléaire, en absorbe quelques-uns, donnant ainsi naissance à cet élément lourd. A l’instar de l’uranium 235, le plutonium 239 fissile sert à la fabrication des armes nucléaires. Depuis quelques décennies, le mélange baptisé MOX (uranium et plutonium) sert aussi à alimenter les réacteurs civils.




Sciences et avenir 26/9/2015

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