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Animal

La France a perdu son combat contre le ragondin

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12, Août 2005 17:51

La France a perdu son combat contre le ragondin


http://www.lefigaro.fr/sciences/20050813.FIG0091.html?203307

ESPÈCES INVASIVES L'éradication du rongeur venu d'Amérique du Sud a été
abandonnée

La France a perdu son combat contre le ragondin

On appelle «espèces invasives» les animaux et les végétaux qui viennent
d'autres continents et qui ont tendance à se développer de manière explosive
sur leur territoire nouvellement colonisé. Ce phénomène, qui s'est amplifié
avec la mondialisation, est considéré depuis plusieurs années comme un fléau
dans les pays anglo-saxons. Il reste encore largement méconnu dans notre
pays qui n'est pourtant pas épargné. Le Figaro poursuit sa série de cinq
reportages consacrée à ces espèces. Après l'algue Caulerpa, le varroa, un
parasite des abeilles, et le silure, un poisson du Danube, nous nous
intéressons aujourd'hui au ragondin. Cet adorable rongeur, cousin du castor
venu d'Amérique du Sud où il est couramment consommé, a longtemps été accusé
de tous les maux.
La Roche-sur-Yon (Vendée) : de notre envoyé spécial Julien Bourdet
[13 août 2005]

Le geste est précis. A l'aide d'une tige de fer, James Genais, piégeur
professionnel dans le canton de Luçon (Vendée), en plein Marais poitevin,
plaque l'animal en haut de la cage. Puis il l'assomme d'un coup de gourdin.
Etourdie, la bête est tuée par un second coup qui lui brise la nuque.
C'était une femelle ragondin d'environ cinq kilos. Elle rejoint les
dépouilles d'un jeune ragondin, d'un surmulot et de deux rats musqués, tous
les trois classés nuisibles, qui seront comptabilisées et envoyées à
l'équarrissage.

James Genais et son collègue Jacques Gillet sont tous les deux employés par
la Fédération de groupements de défense contre les ennemis des cultures
(FGDEC) de Vendée. Depuis 1998, ils sillonnent en quad le réseau de canaux
de la région. Chaque jour, ils posent chacun une cinquantaine de pièges
qu'ils relèvent le lendemain matin.


L'histoire du ragondin en France ne date pas d'hier. En 1882 apparaît en
Indre-et-Loire le premier élevage de ce rongeur aquatique originaire
d'Amérique du Sud recherché pour sa fourrure. Dans les années 20, la peau de
myocastor (le nom scientifique du ragondin) a la cote, et la facilité
d'élevage de l'animal assure de copieux revenus à ses éleveurs. Mais la fin
des années 30 est marquée par une chute spectaculaire de la valeur
commerciale du ragondin. Les propriétaires font faillite, ils relâchent
volontairement les animaux dans la nature ou laissent leur élevage à
l'abandon. En moins de quarante ans, les populations de ragondins
investissent l'ensemble de l'Hexagone, sauf l'extrême Nord-Est et les zones
montagneuses. L'espèce est particulièrement prolifique sur la façade
atlantique où elle trouve un milieu tempéré et où la nourriture ne manque
pas.


Les agriculteurs commencent à dénoncer le rongeur à partir des années 60. Il
est vrai qu'il n'est pas sans conséquence pour le milieu qu'il occupe.
Herbivore, il se montre friand des céréales qu'il peut trouver dans les
champs bordant les canaux ou les rivières. En France, les plaintes
concernent essentiellement les pertes infligées aux cultures. C'est
d'ailleurs pour cette raison que l'animal a été classé nuisible par l'arrêté
du 30 septembre 1988. On l'accuse également de faire disparaître certains
systèmes naturels comme les frayères ou les roselières en mangeant trop de
plantes aquatiques. Mais le phénomène semble assez anecdotique. On sait
aussi qu'il est vecteur de maladies comme la leptospirose, transmissible à
l'homme et mortelle dans très peu de cas. Là encore, il faut relativiser :
de nombreux autres animaux comme le surmulot sont porteurs de la maladie.


Ce sont en fait les dégâts sur les voies d'eau et sur les ouvrages
hydrauliques qui occasionnent le plus de dépenses. Le rongeur vit en effet
dans un terrier qu'il creuse dans les berges, dont beaucoup ont été
façonnées par les hommes. En 1995, certains avaient ainsi désigné le
ragondin comme le principal responsable des crues du Rhône, en Camargue. On
l'accusait alors d'avoir fait céder les digues en les transformant en un
véritable gruyère. Mais c'était avant tout le manque d'entretien de ces
digues par les riverains qui était en cause.


Dans la lutte contre le ragondin, aucune méthode n'est laissée de côté :
fusil, déterrage, piégeage et lutte chimique qui consiste à disposer des
appâts empoisonnés (à la bromadiolone surtout) sur des radeaux flottants.
Cette dernière pratique fait l'objet d'un encadrement strict, mais elle est
potentiellement dangereuse : pollution des eaux, intoxication des animaux
qui consomment un cadavre empoisonné. En 2003, un arrêté interministériel
demande aux responsables de la lutte de changer leurs méthodes en
privilégiant le piégeage sélectif. Depuis deux ans, la plupart des
départements ont cessé d'utiliser la bromadiolone, qui devrait être
définitivement interdite l'année prochaine. Seuls quelques départements
comme la Charente ou la Gironde continuent actuellement de l'utiliser.


Pour les responsables départementaux, la décision marque un tournant.
«Avant, on menait deux fois par an une campagne d'empoisonnement ponctuelle
sur une vaste zone, en coordination avec tous les acteurs de la lutte. Cela
permettait de tuer un grand nombre de ragondins dont les populations avaient
déjà baissé au sortir de l'hiver», explique Jean-Luc Pérocheau.
Heureusement, certaines régions, à commencer par le Marais poitevin,
précurseur en la matière, ont pris de l'avance en mettant en place depuis
une dizaine d'années un réseau de piégeurs. «C'est la seule solution si on
veut réguler les populations de ragondins, estime Xavier Baron, un des
initiateurs du piégeage en France. C'est une méthode efficace et acceptable
pour peu qu'on s'en donne les moyens.»


Et c'est là que le bât blesse. Pour Xavier Barron, c'est sûr, il n'y a pas
suffisamment de piégeurs professionnels dans l'Hexagone. «Il va falloir
pérenniser les emplois, notamment les emplois jeunes créés dans le nord de
la Vendée, poursuit Jean-Luc Pérocheau. Le métier de piégeur est très
exigeant et demande une grande connaissance du milieu.» Mais la France
semble ne pas trop savoir quoi faire en matière de lutte contre le ragondin.
Selon l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, il n'y a pas eu
encore d'étude écologique du ragondin. S'ajoute à cela le fait que
l'organisation de la lutte ne se fait pas au niveau national mais est
confiée à chaque département, chacun décidant quel budget y consacrer. Une
situation qui tranche avec le cas de l'Angleterre. Le pays a réussi à
éradiquer le rongeur dans les années 70 uniquement par le piégeage.


En France, l'objectif est plus modeste : il s'agit de stabiliser les
populations. Force est de reconnaître d'ailleurs que le piégeage donne de
bons résultats partout où il a été adopté. En Vendée, par exemple, les
effectifs ont baissé depuis dix ans. Et si justement le myocastor n'était
pas l'envahisseur tant redouté des agriculteurs ? Et s'il avait trouvé sa
place dans les zones humides qu'il a colonisées ?

C'est en tout cas l'avis de Christophe Verheyden, ancien chercheur au CNRS
et coauteur à l'époque d'un livre complet sur le ragondin (1). Pour la
première fois, on y décrivait une méthode (par piégeage) de recensement des
populations pour prendre réellement la mesure de l'«invasion». Une pratique
exigée par l'arrêté de 2003 et qui commence tout juste à être mise en place.
«La lutte n'est parfois pas du tout justifiée», affirme Christophe
Verheyden, qui milite pour une protection des cultures en laissant une bande
non cultivée d'une vingtaine de mètres entre le canal et le champ et celle
des berges par la replantation de haies. «Le «rat», comme on l'appelle dans
le Marais poitevin, a surtout une très mauvaise image.» Il serait peut-être
temps qu'elle disparaisse. Car le ragondin a aussi le statut de gibier
depuis 1983. Il se déguste déjà en pâté ou en civet, mais de manière
confidentielle. Avis aux restaurateurs.

(1) Le Ragondin, biologie et méthodes de limitation des populations, Ed.
Acta.

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