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Mouvement de libération des animaux: un moment clé?

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Mouvement de libération des animaux: un moment clé?

Jean-Marc Flükiger
10 juin 2006

La Grande-Bretage a été ces derniers mois le théâtre de nombreux incidents
liés au mouvement de libération des animaux: fermeture de la ferme de Darley
Oaks (après un siège de plusieurs mois qui avait culminé dans la profanation
de la tombe et le vol des restes de Gladys Hammond, la défunte mère de l'un
des propriétaires de la ferme), condamnation à 12 ans de réclusion des
activistes responsables de ce vol, bataille juridique autour de la
publication sur Internet des noms d'actionnaires de GlaxoSmithKline (un
géant pharmaceutique anglais qui travaille avec Huntingdon Life Science, une
entreprise spécialisée dans les expériences sur les animaux et qui est
depuis plusieurs années la cible principales d'activistes du mouvement de
libération des animaux), limitation des possibilités de manifestation aux
abords de l'université d' Oxford qui accueillera prochainement un
laboratoire d'expérimentation, volonté affichée de Tony Blair de soutenir
les scientifiques qui pratiquent des expériences sur les animaux. Il
semblerait que nous assistions à un tournant crucial pour le mouvement:
alors que jusqu'ici l'opinion publique semble avoir été favorable,
différents sondages présentés dans le quotidien anglais The Daily Telegraph
révèlent que l'opinion publique britannique a retiré son soutien aux
activistes du mouvement de libération des animaux.


Source de l'illustration: www.nocompromise.org
Les personnes interrogées devaient répondre à différentes questions ayant
trait aux expérimentations sur les animaux ou aux incidents de ces derniers
mois: plus de 70 % des sondés se sont déclarés en faveur de
l'expérimentation de nouveaux médicaments sur les animaux avant leur usage
sur les humains (fait qui avait toujours été contesté par les défenseurs des
animaux).

Concernant les incidents de ces derniers mois et en particulier les peines
de 12 ans de réclusion prononcées à l'égard des auteurs de la profanation de
la tombe de Gladys Hammond - la défunte mère de l'un des propriétaires de la
ferme de Darley Oaks, spécialisée dans l'élevage d'animaux de laboratoire -
45 % des personnes interrogées estimaient ces peines comme «correctes»,
alors que 40 % les trouvaient trop légères. Plus généralement, 77% des
personnes interrogées pensent que les extrémistes doivent être qualifiés de
«terroristes». Selon Alistair Currie, de l'Union britannique pour
l'abolition de la vivisection (BUAV), l'extrémisme de certains membres de la
mouvance de libération des animaux s'est retournée contre l'ensemble de la
cause animale.

Il faut cependant relever que, même si le grand public rejette effectivement
les formes d'activités les plus violentes, celui-ci ne rejette pas le fait
de manifester de manière légale: ainsi dans le sondage, 93 % considèrent que
les activistes ont le droit de manifester et de tenir des pancartes (88%).

Un moment de crise?

Il s'agit incontestablement d'un moment de crise pour le mouvement de
libération des animaux: en effet, les éléments les plus radicaux semblaient
avoir bénéficié jusqu'ici de la magnanimité du public. Qui plus est, le
mouvement avait enregistré un certain nombre de succès ces dernières années
(comme par exemple la fermeture de la ferme de Darley Oaks, Huntingdon Life
Science - leader sur le marché de l'expérimentation animale et cible de
nombreux activistes - a également été abandonné par de nombreux
actionnaires). Ce changement d'opinion, ainsi qu'un renforcement possible
des peines d'emprisonnement, vont probablement provoquer un certain
découragement dans les franges violentes et une hausse du taux d'abandon au
sein du mouvement.

L'histoire de la violence politique a cependant également démontré que c'est
justement dans ces moments de crise que certains éléments, convaincus du
bien-fondé de leur cause, peuvent se radicaliser. Même s'il ne s'agit que
d'une supposition basée sur l'expérience faite avec d'autres mouvements
politiques, la probabilité de prochains actes de violence léthale dirigée
contre des être humains n'est donc pas à exclure.

De l'autre côté de l'Atlantique...

Il semblerait que le mouvement de libération des animaux - mais également le
mouvement de libération de la terre - soit confronté à une situation
similaire aux Etats-Unis.
Ainsi, malgré la courageuse tentative du journaliste Hal Bernton
(Terrorisme.net a également soulevé cette question légitime) de discuter le
qualificatif «d'éco-terrorisme» attribué aux franges violentes des
mouvements de la libération des animaux (et de la terre) dans le Seattle
Times du 7 mai 2006, le journal a corrigé son propos dans un éditorial
intitulé «L'éco-terrorisme est réel» («Eco-terrorism is real», 23 mai 2006).

Certains activistes sont parfaitement conscients qu'il s'agit ici d'un
moment-clé de l'histoire du mouvement: ainsi, Jeffrey Luers, condamné à 22
ans de prison pour avoir incendié trois SUV («sports utility vehicle»),
déclare dans une interview que le mouvement écologiste radical (il faut
comprendre ici les mouvements de libération de la terre et des animaux) est
probablement arrivé à un moment-charnière de son histoire et qu'un certain
nombre de personnes ont effectivement été intimidées par les lourdes peines
de prison infligées aux activistes (son cas étant paradigmatique).

Le sentiment de la perte de soutien populaire par les activistes aux
Etats-Unis se manifeste de différentes manières: d'une part, d'aucuns
n'hésitent pas à comparer les efforts investis à l'heure actuelle par le
gouvernement américain avec les efforts de ce même gouvernement contre la
gauche ou l'extrême gauche dans les années 1940-1970. Ainsi, dans sa
dernière édition, le magazine militant No Compromise n'hésite pas à
qualifier la traque actuelle du gouvernement américain contre les mouvements
de libération des animaux et de la terre, de «Peur du Vert» («The Green
Scare», p. 14-19) sur le modèle de la «Peur du Rouge» qui avait profondément
marqué l'Amérique entre 1940 et 1960 (et dont la chasse aux sorcières du
sénateur McCarthy constitue l'un des épisodes les plus sombres).

D'autre part, dans un ordre de réflexion similaire, certains activistes et
médias comparent ouvertement les méthodes utilisées actuellement par le FBI
(opération «Backfire») au Counter Intelligence Programm (COINTELPRO), lancé
par J. Edgar Hoover en 1956 (qui prit fin en 1971) et qui visait à
«neutraliser» les groupes considérés comme une menace (on pense notamment
aux Black Panthers) pour la sécurité nationale par le FBI par des moyens
souvent illégaux (comme l'assassinat). L'opération « Backfire» visait à
enquêter sur différents actes criminels liés aux franges violentes des
mouvements de libération des animaux et de la terre et a mené à
l'arrestation de 11 activistes impliqués dans différents «actes de
terrorisme».

Arrestations et condamnations

Le sentiment de persécution éprouvé par les activistes est également le
résultat de plusieurs arrestations et procès actuellement en cours ou ayant
eu lieu:

* Le 13 juin 2006, six activistes de Stop Huntingon Animal Cruelty (SHAC)
seront probablement condamnés à des peines assez lourdes (ceux-ci étaient
responsables de la coordination et de l'entretien d'un site Internet qui
incitait à des actes violents et à des manifestations contre l'entreprise
Huntingdon Life Science et ses partenaires d'affaires). Trois des inculpés
pourraient être condamnés à 23 ans de prison.


Les activistes arrêté dans le cadre de l'opération Backfire étaient
notamment responsables d'un incencie criminel dans la station de sports
d'hiver de Vail (Colorado), qui avait causé des dégâts évalués à 12 millions
de dollars (source: FBI).
* Au mois de janvier 2006, un groupe de 11 activistes (le nombre s'élève
depuis à 13) qui s'auto-nommaient «la famille» a été arrêté et inculpé
(fruit des investigations menées lors de l'opération Backfire). Ce groupe
serait responsable de 17 actions illégales perpétrées entre 1996 et 2001 et
revendiquées «ALF» (Animal Liberation Front) ou «ELF» (Earth Liberation
Front).

* Voici plus d'une année, Jeffrey Luers était condamné à 22 ans de prison
pour avoir incendié trois SUV.

* En décembre 2005, Chris Mac Intosh, un activiste qui avait revendiqué
l'incendie d'un Mc Donald's comme une action conjointe de l'ALF et de l'ELF
a été condamné à 8 ans de prison.

Dissensions au sein du mouvement

D'un point de vue idéologique, on assiste également à des dissensions au
sein du mouvement. Ainsi, dans un entretien accordé à l'émission de CBS 60
Minutes, le docteur Jerry Vlasak, porte-parole du North American Animal
Liberation Press Office, déclare: «les personnes qui torturent des êtres
innocents devraient être stoppées. Et si elles ne s'arrêtent pas lorsque
vous leur demandez poliment, et si elles ne s'arrêtent pas lorsque vous leur
démontrez que ce qu'elles font n'est pas correct, dans ce cas, elles
devraient être stoppées par tous les moyens nécessaires».

Les déclarations de Vlasak qui semble justifier le meurtre d'êtres humains
pratiquant des expériences sur les animaux ou travaillant dans des abattoirs
font l'objet d'une controverse dans la dernière édition du magazine militant
No Compromise. Ainsi le Comité de rédaction du magazine se demande dans
quelle mesure le docteur Vlasak peut parler au nom de l'Animal Liberation
Front, «qui évite les actes de violence contre la vie en général» (p. 18).
Se distançant des propos de Vlasak, le Comité le prie de ne plus «commenter
publiquement les actions perpétrées par l'Animal Liberation Front ou tout de
groupe de libération des animaux qui refuse expressement l'usage de la
violence comme tactique» (p.19).

Dans sa réponse, Vlasak rappelle à juste titre qu'il n'est pas le premier à
avoir défendu la violence contre des personnes (il cite ici les propos
d'anciens porte-paroles de l'ALF). De plus contrairement au Comité de No
Compromise, celui-ci est parfaitement conscient que, même perpétré contre
des choses, les actions perpétrées par l'ALF constituent des actes violents,
mais que, comme dans toutes les grandes causes, la violence peut constituer
une étape indispensable à l'obtention d'une cause juste (p. 19).

Conclusion

Les dissensions au sein du mouvement de libération des animaux ne sont,
comme le montre le Dr. Vlasak, pas nouvelles. Ainsi Ronnie Lee, le fondateur
de l'ALF avait déjà défendu la violence pratiquée contre les êtres humains.
Cependant à un moment comme celui-là où le mouvement a) ne semble plus
bénéficier d'un soutien populaire et b) est en proie à des pressions
toujours plus fortes de la part des autorités, de telles dissensions
pourraient amener de nouveaux développements, inconnus jusqu'ici...

Affaire à suivre.


Jean-Marc Flükiger

http://www.terrorisme.net/p/article_207.shtml

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