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Animal

Mauvaise foi

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Mauvaise foi Rolling Eyes

Le foie gras deviendra illégal en Californie à partir de 2012.
Photo : Arnaud H. Licence Creative Commons.


Comme la majorité de mes compatriotes, je considère le foie gras comme une nourriture quasi-divine. Ma passion pour ce mets délicieux m’a même coûté une liaison — certes brève — avec une végétalienne san-franciscaine qui s’indignait des conditions nécessaires à la production de cette spécialité (il est cependant possible que mon dédain fortement affiché pour l’utilisation du tofu comme substitut à la viande soit également en partie responsable de cette rupture qui, de toute évidence, était gastronomiquement inévitable).


Mais revenons à nos canards. J’estime personnellement que le sacrifice de certains d’entre vous, chers palmipèdes, est nécessaire pour le bien vivre de l’humanité. Malheureusement, les législateurs californiens ne semblent pas de cet avis. Sous la pression des militants pour les droits des animaux, la production et la vente de foie gras en Californie sera interdite à partir de 2012, suite à une loi signée par le gouverneur Schwarzenegger en septembre 2004. Le texte SB 1520, déjà vieux de deux ans, doit interdire à terme le gavage d’oiseaux (la loi ne dit rien sur le gavage d’autres types animaux), et la vente dudit foie gras résultant d’un gavage. La loi n’interdit cependant pas l’importation de foie gras pour consommation personnelle. Voilà un trou juridique que je serai le premier à exploiter.

L’État de New York, qui héberge le seul autre producteur de foie gras américain, Hudson Valley Foie Gras, semble sur le point de suivre la voie californienne. Plusieurs tentatives d’interdiction ont jusqu’ici échoué, mais les défenseurs des droits des oies ne baissent cependant pas les bras. Un sondage Zogby International auprès d’inscrits sur les listes électorales de l’État de New York (PDF) montrait en mai de cette année que 48% des sondés n’y avaient jamais goûté, et 34% n’en avaient jamais même entendu parler. Après une description décrivant la cruauté du gavage et son interdiction en Californie et dans plusieurs états européens, les sondés se voyaient demander s’ils étaient en faveur d’une prohibition similaire dans l’État. 77% d’entre eux répondèrent « oui ». Bah voyons.

Le sondage Zogby, commandé par les partisans de l’interdiction, ne manque pas de décrire dans presque les mêmes termes le foie gras comme une nourriture « chère souvent servie dans les restaurants luxueux », certains ne manquant pas de mentionner l’origine française de la spécialité (une façon à peine voilée de profiter du sentiment anti-français encore vivace aux États-Unis). Les termes utilisés sont presque exactement ceux de la propagande pour la prohibition du mets en Californie, pour une raison toute simple : les mêmes organisations sont à l’origine de ces différentes campagnes, et visent à l’interdiction progressive du foie gras au niveau national.

Quelques semaines auparavant à peine, le conseil municipal de Chicago votait pour interdire la vente de foie gras, là encore présenté par ses détracteurs comme une nourriture de riche que la plupart des habitants de la ville (pourtant gourmands de bœuf) n’ont de toutes façons pas les moyens de s’offrir 1. Sait-on jamais. Peut-être que l’absence soudaine de foie gras au menu des quatre restaurants qui le servaient contribuera à la baisse du taux d’obésité parmi les enfants de la ville (23% des enfants scolarisés dans les écoles maternelles de Chicago sont obèses, contre 10% au niveau national, selon une étude de 2003 (PDF)).

L’outrage que suscite le gavage des oies et canards chez une majorité de Californiens (dont la plupart n’ont même jamais goûté le mets, ni visité une ferme en produisant) relève de l’hypocrisie la plus spectaculaire au vu des conditions déplorables dans lesquelles sont élevés nombre d’animaux destinés à la consommation humaine ou animale dans l’État même qui a voté sa disparition progressive. Prenons la pratique de l’élevage en batterie, qui reste la méthode largement dominante pour la volaille aux États-Unis. C’est seulement l’année dernière que l’association des producteurs d’œufs américains a annoncé l’interdiction du plumage forcé des poules, pratiqué jusqu’ici à très grande échelle pour augmenter le rendement des gallinacés. Les conditions de vie de la plupart des volailles restent cependant désastreuses, nourries selon un régime minimal ne leur permettant aucune activité physique si ce n’est la ponte, et l’injection d’antibiotiques est monnaie courante. Et c’est bien leur chair qui est destinée à finir entre deux moitiés de brioche dans les restaurants de nombre de chaînes de fast-food.


L’élevage géant de Harris Ranch, surnommé « Cowschwitz », en bordure de l’Interstate 5.
Photo : basykes. Licence Creative Commons.Un autre bel exemple de l’hypocrisie des législateurs californiens peut être illustré par l’exploitation Harris Ranch, qui côtoit l’Interstate 5 entre San Francisco et Los Angeles (KML, KMZ). La puanteur générée par cet élevage gigantesque et le triste spectacle de ces bovidés piétinant dans leur bouse en attendant une mort certaine lui a valu le surnom peu politiquement correct de « Cowschwitz » 2.

John C. Harris, le propriétaire de l’exploitation (et d’un restaurant associé, qui sert notamment à Coalinga des mountain oysters, ou « huîtres de montagne », une métaphore poétique pour désigner des testicules de bœuf frites), ne risque cependant pas grand chose de la part des législateurs californiens ou fédéraux, qu’il arrose généreusement de donations pour leurs campagnes politiques respectives. Harris Ranch, le plus gros producteur de viande de bœuf de l’État et employant quelque 1500 personnes dans la région de Fresno, soigne son image et se targue de n’avoir jamais été épinglé par les autorités en matière d’hygiène alimentaire. Mais les 120 000 têtes de bétail se bousculant sur quelque 225 hectares, même si nourries de grain de qualité (une bonne partie de la production de Harris Ranch porte le label « organic », l’équivalent de l’appellation « biologique » en France), inspirent davantage la pitié que l’appétit — la puissante odeur de bouse y est pour beaucoup.

Si la condition animale émeut les députés et sénateurs du congrès californien, pourquoi donc s’en être pris au foie gras, et pas au bœuf de Harris Ranch ? Au moins, les oies et canards destinés à faire le bonheur des gastronomes ont l’avantage d’évoluer en liberté, attendant leur mort certaine dans un petit éden périgordin ou alsacien pour la plus grande joie des touristes en quête de clichés pittoresques. Mais les Américains ont tendance à ne pas manger les animaux à l’apparence sympathique ou émouvante, d’où la répulsion de nombre d’entre eux à goûter au lapin, au canard et, tabou suprême, à la viande de cheval, qu’ils préfèrent voir recyclée en pâté pour chiens.

Je ne blâme pas seulement les militants américains des droits des animaux pour cette demi-mesure. Voilà des décennies qu’ils s’acharnent à dénoncer les pratiques de certains éleveurs, souvent à raison, à commencer par ceux qui comme John C. Harris incarnent l’abattage d’animaux à grande échelle. Mais s’il n’en tenait qu’aux membres de People for the Ethical Treatment of Animals 3, les États-Unis subiraient un coup d’État pour voir la mise en place d’un nouveau régime : le végétarisme 4.

S’en prendre aux deux uniques producteurs de foie gras américains et aux entreprises qui en font commerce relève du militantisme anecdotique. La prohibition du foie gras en Californie est une victoire pathétique et qui en dit long sur la corruption du financement politique américain. Guillermo et Junny Gonzalez, les propriétaires de Sonoma Foie Gras, n’ont pas eu les moyens de faire pression sur leurs élus pour empêcher la prohibition annoncée de leur spécialité. Mais la même année, les géants de la malbouffe industrielle, de leur côté, sont parvenus à faire voter une loi fédérale les exemptant de toute responsabilité civile en matière de nutrition (je ne soutiens nullement la possibilité pour des clients obèses de McDonald’s ou Pizza Hut de leur faire un procès sur le modèle de ceux qu’ont subi les industriels de la cigarette — il faudrait là aussi une certaine hypocrisie pour permettre de telles poursuites, alors même que les dangers de la junk food sont très largement mis en avant dans les médias).

Au-delà d’un sens des priorités franchement douteux, il y a une profonde ironie à voir des corps législatifs interdire un mets consommé par une minorité d’Américains seulement une ou deux fois par an, alors que les mêmes élus semblent incapables d’enrayer les excès de la machine agro-alimentaire d’une part (par exemple le scandale du lait produit par l’utilisation d’hormones synthétisées par Monsanto, que Fox tenta d’étouffer pour garder la société comme annonceur), et d’autre part l’« épidémie d’obésité enfantine » 5 qui touche le pays (et qui gagne désormais les autres pays qui adoptent lentement le mode de vie américain). Seulement voilà, comme l’a si bien dit Bismarck, « les lois sont comme les saucisses : il est préférable de ne pas savoir comment elles sont faites » 6.


La bernache du Canada est une espèce protégée aux États-Unis. À la belle saison, quelque 2000 d’entre elles peuplent les rives du Lac Merritt à Oakland, produisant près d’une tonne d’excréments par jour. Photo : Gwen. Licence Creative Commons.Je suis cependant prêt à aider les palmipédophiles à réorganiser leurs priorités. Voilà quelques années que la population de bernaches du Canada autour du Lac Merritt, à Oakland, a augmenté de façon spectaculaire. Cette oie, qui pèse entre 4 à 8 kilos à l’âge adulte, est protégée aux États-Unis et au Canada, mais la colonie locale se porte plutôt bien. Trop bien, même. Chaque bernache du Canada produit près d’un demi-kilo d’excréments par jour. Multipliez par deux mille, la population estimée en été, et vous obtenez pas loin d’une tonne de guano pondue quotidiennement sur les pelouses du lac. Inutile de préciser que les pique-niques bucoliques ne sont plus franchement de mise dans ce quartier d’Oakland. Les oies sont mêmes devenues un danger pour l’aéroport voisin, et les services de sécurité obtiennent même de temps à autre une dérogation pour chasser les bernaches — l’histoire ne dit pas ce qu’ils font des oies plombées, mais je doute qu’elles finissent dans une fosse commune.

Ma suggestion aux militants californiens des droits des animaux est donc la suivante : amis des anatidés, au lieu de vous en prendre aux deux malheureux producteurs de foie gras américains, venez donc vous rendre utiles à Oakland. Vous pourrez faire une démonstration beaucoup plus concrète et efficace de votre amour des oiseaux en ramassant leur merde.

http://siliconvalleyfrogs.com/wordpress/2006/09/18/mauvaise-foi.html#more-178

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