Animal 0 Posté(e) le 12 février 2007 Fauves en liberté Le meilleur ami de l’homme peut devenir le pire cauchemar de votre enfant PAR JIM HUTCHISON -------------------------------------------------------------------------------- En mai 1999, Zack Pichor, quatre ans, joue dehors avec un camarade, tandis que son père, Randy, répare la terrasse de leur maison. Arrive le chien d’un voisin, qui commence à lui lécher la figure. Quand Zack tente de le repousser, l’animal, un croisement de husky, le renverse par terre et, à cheval au-dessus de lui, referme ses puissantes mâchoires sur son crâne et se met à secouer le garçon comme une poupée de chiffon. L’enfant hurle, mais son père ne l’entend pas. C’est une voisine, témoin de l’attaque, qui force le chien à lâcher prise. «Vite! Appelez le 911, crie-t-elle au père. Votre fils a la tête à moitié arrachée!» Randy laisse tomber ses outils et se précipite vers l’enfant couvert de sang. Zack n’a pas perdu connaissance, mais il a subi 14 morsures qui nécessiteront de multiples points de suture aux urgences de Squamish, en Colombie-Britannique. Sans compter une chirurgie plastique pour reconstruire son oreille droite, presque complètement arrachée. L’attaque n’a pourtant duré que quelques secondes. Le chien a été euthanasié, mais les Pichor ont réclamé des dommages et intérêts: ce n’était pas la première fois que l’animal s’échappait de l’enclos de ses propriétaires. On dispose de peu de statistiques sur les morsures de chiens au Canada. Toutefois, un sondage national commandé par Reader’s Digest montre que, sur 1211 répondants, environ 29 pour 100 ont déjà été mordus ou connaissent des enfants qui l’ont été. Une enquête de Santé Canada auprès des urgences des hôpitaux canadiens a révélé que 57 pour 100 des victimes de morsures avaient moins de 10 ans. Une étude, plus restreinte mais plus détaillée, a établi que 71 pour 100 d’entre elles connaissaient l’animal et que 26 pour 100 vivaient avec lui. Selon les Centres américains de prévention des maladies (CDC), le problème semble aller en s’aggravant. Entre 1986 et 1996, les morsures de chiens nécessitant un traitement médical ont augmenté de 37 pour 100 aux Etats-Unis. Et, si l’on en croit Michael O’Sullivan, directeur de la Société protectrice des animaux et de l’environnement du Canada, les chiffres seraient comparables chez nous. Steve Noonan, un vétérinaire de la Nouvelle-Ecosse, soupçonne cette recrudescence d’être liée à la popularité actuelle des gros chiens: «Ce n’est pas que les petits mordent moins, mais ils ne sont pas capables d’infliger des blessures aussi graves qu’un berger allemand ou un golden retriever.» Laissés en liberté autour de jeunes enfants, des chiens potentiellement agressifs comme les pitbulls, rottweilers et dobermans sont des bombes en puissance. «Le nombre de pitbulls a beaucoup augmenté dans notre quartier, constate une mère de Colombie-Britannique. Les gens qui les achètent sont souvent inconscients du danger qu’ils représentent.» Son fils de cinq ans s’est fait mordre en septembre 1998 par un pitbull sans muselière qu’il avait voulu caresser. Steve Noonan pense que la seule solution est d’imposer un plus grand sens des responsabilités aux propriétaires et de mieux mettre en garde les enfants. Il donne l’exemple en allant enseigner la meilleure manière de ne pas se faire mordre dans les écoles de la région de Halifax. Eduquer les maîtres… et les enfants Dans son rapport de 1999 sur la mort de la petite Dariane Blouin, tuée par un husky, le coroner Pierre Brochu rappelait que 65 pour 100 des 117 000 personnes mordues par des chiens chaque année au Québec sont des enfants de moins de 10 ans. Pour enrayer ce fléau, il formulait un certain nombre de recommandations : 1. Aux municipalités, il demandait d’harmoniser la réglementation sur la surveillance des animaux domestiques et d’affecter une partie des revenus provenant des frais d’enregistrement des chiens à l’éducation des propriétaires et à celle des enfants (dans les garderies, les terrains de jeux, etc.). 2. Il incitait vivement le ministère de l’Education à enseigner aux enfants, dès la maternelle, les règles de base à suivre en présence d’un chien (ne jamais le flatter avant d’en avoir demandé la permission à son maître, se rappeler que la gueule de l’animal est à la hauteur du visage de l’enfant, etc.). 3. Aux responsables de la santé publique et des services sociaux, il demandait de poursuivre leur travail de prévention auprès des enfants et de mettre sur pied des programmes d’éducation pour les propriétaires de chiens, les éleveurs et la population en général. Source: Bureau du coroner «La grande majorité des quatre millions de chiens du Canada n’ont jamais fait de mal à personne, et la plupart des morsures auraient pu être évitées», reconnaît Michael O’Sullivan. Mais il met en garde les propriétaires «qui s’imaginent qu’un chien affectueux avec eux le sera obligatoirement aussi avec les autres». Pour les parents, affirme-t-il, la règle numéro un est de ne jamais laisser un chien sans surveillance en compagnie de bébés ou de jeunes enfants. En visite chez une amie en 1996, Christine Hunter, de Rockland en Ontario, n’a quitté son fils des yeux que quelques secondes. Le temps pour Jamie, un enfant de cinq ans élevé avec un labrador, de se précipiter vers le dalmatien de la maison pour lui offrir un os. L’animal lui a attrapé l’oreille et l’a mordu jusqu’au sang. «Nous avons eu de la chance, dit Christine. Cela aurait pu être aussi bien au visage.» «C’est effrayant de voir comment les gens laissent leurs enfants caresser ou prendre dans leurs bras un chien qu’ils ne connaissent pas, dit Steve Noonan. Mordre est la seule défense d’un animal qui se sent menacé. Il faut toujours faire très attention, même avec son propre chien.» Le 30 janvier 1999, Andrea Buckett fait une sieste dans la maison de ses parents, à Toronto. Son bébé, Cameron, qui n’a que 14 jours, dort dans une autre pièce. Soudain, les hurlements de sa tante la réveillent en sursaut. Elle bondit de son lit, court vers son bébé et manque de s’évanouir en le voyant la tête meurtrie et couverte de sang. Son propre chien et celui de ses parents, tous les deux des bergers allemands, s’étaient introduits dans la chambre par la porte laissée ouverte et s’en étaient pris à l’enfant. Cameron ne doit la vie qu’aux six heures de travail acharné des médecins de l’Hôpital pour enfants de Toronto. Les deux chiens ont été euthanasiés, et le bébé est maintenant totalement remis de ses blessures. Mais Andrea a un conseil à donner aux autres parents: «Ne laissez jamais de jeunes enfants seuls avec un chien, quel qu’il soit. Nous avions une confiance totale en ces deux bêtes.» Les attaques de chiens du genre pitbulls ne sont pas les plus fréquentes, mais ce sont souvent les plus graves. Le 11 janvier 1999, Jeff Comeau, de l’Ontario, retrouve son fils de cinq ans, Thomas, gisant devant la maison dans un banc de neige rougi par le sang. Deux rottweilers viennent de l’attaquer. Son corps presque nu est couvert de morsures, et son bras gauche ne tient plus que par quelques lambeaux de chair. Six médecins de l’Hôpital pour enfants de l’ouest de l’Ontario mettront près de huit heures à suturer ses blessures. Accusés de négligence, les propriétaires ont fini par admettre que leurs chiens réussissaient parfois à se débarrasser de leurs colliers pour aller vagabonder dans le quartier. Ils seront acquittés après une journée de délibérations, sous prétexte que, le jour du drame, ils avaient laissé les chiens dans un hangar fermé et que les deux rottweilers n’avaient jusque-là jamais mordu personne. Un de leurs amis avait laissé s’échapper les deux bêtes par inadvertance. Une autre affaire a soulevé l’indignation publique: en mai 1998, à Oshawa, en Ontario, Dale Howie, un garçon de 12 ans, est attaqué par le chien de son voisin, un rottweiler de 45 kilos. Le chien lui enfonce les dents dans le bras et le traîne dans la rue. L’enfant parvient à s’échapper, mais, deux semaines plus tard, l’animal le renverse à nouveau et le mord cette fois à l’intérieur de la cuisse. Dale hurle au secours en essayant de se protéger le visage et le cou. «Il voulait me tuer, dit-il. Si un voisin n’était pas intervenu, je serais mort.» Le propriétaire du chien, David Cooke, qui a refusé de faire tuer l’animal, reçoit l’ordre de le garder muselé en public. Il n’acceptera de faire euthanasier le rottweiler qu’après que Dale eut dû se sauver dans un bois pour échapper à une nouvelle attaque. «On ne peut pas accepter de voir errer dans les rues des chiens dangereux qui attaquent nos enfants, dit David Howie, le père du jeune garçon. Le pire, c’est que rien n’empêche David Cooke de se procurer un autre chien.» La fourrière de Vancouver, comme plusieurs autres au Canada, a constaté une augmentation des ramassages de chiens dangereux. «Ce n’est pas étonnant s’ils sont si nombreux à devenir méchants, dit Barbara Fellnermayr. Leurs maîtres les dressent à l’attaque, les négligent, leur infligent de mauvais traitements et les laissent seuls, enfermés dans une cour, eux qui sont par nature des animaux hautement sociables.» Conseils aux parents Ne laissez pas vos enfants chahuter ou jouer à des jeux violents avec un chien. Surveillez-les quand ils sont en compagnie d’un chien. Apprenez-leur à ne pas s’approcher d’un chien inconnu, à ne pas déranger un animal qui mange, dort ou a des petits. Dites-leur de ne pas caresser un chien avant d’avoir demandé la permission à son maître. Apprenez-leur à ne pas agacer les chiens, à ne pas les surprendre, ni à s’en approcher soudainement. Dites-leur de rester immobiles quand un chien inconnu s’approche d’eux, de ne pas le fixer dans les yeux, de ne pas crier ni de partir en courant. Si l’animal les attaque, ils peuvent se mettre en boule, les mains sur les oreilles, ou essayer de le distraire à l’aide d’un objet. A noter : ce sont les mâles non castrés qui risquent le plus de mordre. En janvier 1995, à Kitchener, un pitbull en liberté attaque sauvagement et tue un labrador à 300 mètres de deux écoles. Les policiers le poursuivent dans les rues sur une distance de 10 kilomètres et tirent 15 fois avant de réussir à l’abattre. Pour le conseiller municipal Berry Vrbanovic, témoin de la terreur grandissante que font régner les pitbulls dans son district, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Il lance une campagne pour les faire bannir des villes de Kitchener et de Waterloo. Il a le public de son côté. L’un des premiers décrets d’interdiction en Ontario d’une race de chiens spécifique (avec des conditions très strictes à respecter pour les pitbulls existants) a été adopté à Kitchener en 1997. «Durant les deux années précédant l’interdiction, nous avons eu 18 attaques de pitbulls, dit Jamie Laflamme, de la SPCA de Kitchener-Waterloo. Depuis, seulement quatre incidents ont été recensés.» Barbara Fellnermayr, quant à elle, voudrait qu’on interdise les usines à chiots «qui vendent leurs chiens au marché noir 300 $ chacun. Elles ne sont là que pour le profit, pratiquent la consanguinité entre frères et sœurs, font des croisements risqués et produisent des chiens instables qui peuvent devenir très dangereux.» Les Pichor ont été horrifiés d’apprendre que le husky qui avait attaqué leur fils comptait des loups parmi ses ancêtres et que d’autres chiots de la même portée avaient été vendus dans le voisinage. Si vous décidez d’adopter un chien dans un refuge, évitez les animaux ayant des antécédents d’agressivité. Quand Sharon Appler a choisi un animal de cinq ans, issu d’un croisement avec un berger allemand, dans un refuge de Winnipeg, un employé l’a prévenue que ses anciens maîtres s’en étaient débarrassés parce qu’il avait mordu un jeune enfant. Mais l’animal semblait tellement affectueux qu’elle a pensé que tout irait bien, d’autant plus que ses propres enfants étaient déjà grands. Une semaine plus tard, Carly, sa fille de 12 ans, jouait avec le chien dans le salon quand il l’a soudain mordue à la cuisse. Quelques jours après, l’animal plantait ses dents dans le bras de son mari. Le jour où il s’est mis à grogner contre sa fille aînée, Sharon a dû se rendre à l’évidence. Les Appler ont ramené le chien au refuge et l’ont échangé contre un colley. Le 29 avril 1998, la mort à Toronto de Courtney Trempe, tué par le bullmastiff de 54 kilos d’un voisin, a soulevé une telle indignation qu’à la fin de l’enquête le jury a formulé 36 recommandations qu’il souhaitait voir adopter partout au Canada. On y retrouvait, entre autres, l’obligation pour les maîtres de prendre un cours sur les responsabilités qui leur incombent, la création de programmes de prévention dans les écoles et l’établissement d’un centre provincial de recensement des morsures de chiens. De tout cela, rien n’a encore été fait. Agé maintenant de huit ans, Zack Pichor fait encore des cauchemars et doit suivre une thérapie. «Ses cheveux ont repoussé sur ses cicatrices, mais les séquelles psychologiques sont toujours là, dit sa mère. Oui, nous devons apprendre à nos enfants que tous les chiens ne sont pas gentils et affectueux, mais les propriétaires doivent aussi prendre leurs responsabilités. Un seul enfant mordu, c’est déjà un de trop.» PHOTO: PIERRE LOUIS MONGEAU http://www.selection.ca/mag/2003/02/fauves.html Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites