Nous arrivons chez le vétérinaire. Je me gare, et je laisse Tibout seul, le temps de m’annoncer chez le véto. - Bonjour. Il est dans la voiture, il ne peut plus marcher. J’aimerai éviter de venir par l’entrée principale. - Si vous voulez, vous pouvez attendre derrière. Nous sommes en retard, trop de monde, mais on fait tout notre possible. Je vous ouvre dès que possible. - Merci, pas de souci. Prenez votre temps, on sera derrière. Je retourne à mon véhicule. Tibout m’attend là, couché, tranquille. Je lui mets son harnais et l’extrait de la voiture. Puis je le mets debout, en le retenant par le harnais. En l’aidant, il arrive à marcher, difficilement, avec dérapages, entrain et motivation. Il manque de tomber, mais je le retiens. Si je le lâchais, il tomberait, essayerai de se lever encore, tomberai encore, et ainsi de suite… Mais là, je le retiens. Avec sa démarche d’ivrogne combinée avec mon aide, ça fonctionne, il peut avancer. Il semble content ! Nous nous dirigeons vers un petit pan d’herbes surplombé d’un buisson. Je le laisse me guider. Là, il gère ses affaires. Aussitôt fait, il s’attarde avec un mélange d’insistance et de délectation à renifler le buisson, en plantant sans hésiter sa truffe en plein dedans. Il sait ? Feint-il ? Je dois vous dire que les visites chez le véto sont toutes plus folkloriques les unes que les autres. Ah, ça, il n’aime pas. Le trouillomètre explose à chaque fois. Les feintes visant à planter la truffe dans toute sorte de buisson pour retarder le moment du véto sont courantes et ingénieuses chez lui. On fait semblant de faire ses besoins, on s’attarde sur un reniflement, tentant de débusquer le truc de fou qui n’existe pas entre deux herbes en espérant que le véto, et surtout le maître vont oublier le but de la visite !!! Faut que je fasse ! Trop envi ! Attend encore s’te plait !!! Là, attend, bouge pas, j’ai vu un truc vachement cool… ! Imaginez le prix que coûte l’acquisition d’un trouillomètre à chaque visite chez le véto !!! Une ruine ! Mais là, c’est sa dernière sortie. On en profite tous les deux. Moi et mon copain. Près d’une heure passe en reniflements de tous genres. Je joue le jeu. Puis la porte arrière s’ouvre. Nous nous dirigeons vers cette pièce un peu particulière. Les derniers mètres, je dois porter Tibout. Il me lèche le visage, peut-être pour dire merci. En tout cas, au bout de 18 ans de vie commune avec un chien affectueux, têtu et hyper dynamique mais peu démonstratif en termes d’affection et de câlins, c’est ainsi que j’interprète. Un berger des Pyrénées peut aimer jusqu’à sacrifier sa vie. Mais ce n’est pas avec des léchouilles qu’il va manifester ses sentiments. Ce sera autrement… C’est pas un truc qu’il fait souvent. Et en bon Berger de Pyrénées, non seulement il est avare en câlins et bisous, mais plus on lui en demande, plus il refusera. Têtu, buté, jusqu’au bout. Et c'est trés bien, car il a son caractère, mais il donnera beaucoup plus si on apprend à l'observer, à l'écouter, à respecter sa nature plutôt que de tenter de le transformer en être humain. Nous arrivons dans cette pièce pas vraiment inhospitalière, mais pleine d’odeurs étranges, le genre d’odeurs qui ne se reniflent pas qu’avec le nez, le genre de pièce qui en a vu d’autres et à qui on ne la fait pas. La stagiaire me donne une couverture qu’elle étale délicatement sur la table de travail puis nous laisse seul. J’y dépose avec encore plus d’attention mon chien. Son regard est vif, lucide. Il sait, c’est certain……………..mais il sait quoi ??? Y a un truc qui cloche. Sa maitresse (ma mère) qui a éclaté en sanglots, son maître (votre narrateur) qui n’est pas comme d’habitude………….y a un truc de louche ! Nos regards se croisent, et pour la première fois, il n’évite pas mon regard. Au contraire, ses yeux se plantent droit dans les miens, avec une affection extraordinaire. J’en ai la chair de poule. Il essaye de se lever, mais retombe aussitôt. Qu’importe, son regard reste vif, curieux, intelligent. Si je ne le stoppe pas, il essayera encore et encore. IL veut vivre ! Il tousse beaucoup entre deux halètements. Ca dure depuis longtemps. Souffre-t-il ? Comment en être certain, il ne se plaint pas, il n'a pas le regard triste, au contraire. Je commence à le caresser derrière l’oreille. Il adore. Au bout d’un moment, il cache sa tête sous mon bras, et semble se rassurer. Sa respiration haletante se fait plus calme. Il cherche les câlins, il me demande de rester. Ca aussi c'est nouveau. Normalement, il choisira le jeu pour communiquer avec moi. Je recule pour le regarder, et il semble me sourire. Je tente de m’éloigner et aussitôt il respire plus fort, et semble angoisser un peu. Il me cherche. Le moindre bruit dans la pièce à côté le met sur ses gardes. Je me rapproche, sa queue remue, il tend la tête. Il se calme et met sa tête dans ma main. Là je le prends dans mes bras. Il semble rassuré, tranquille. Il me lèche la joue et retourne mettre sa tête dans mes mains. En même temps, il semble fatigué, il baille, mais semble déterminé à rester éveillé, à profiter de ce moment. On est des copains, c'est indéniable. Une demi-heure d’intimité entre lui et moi, forte en pleins de choses qui en font un moment qui me marquera toujours et que je garderai jalousement pour moi. Mais durant ce moment, il affichait une sérénité émouvante et marquante. Un échange partagé entre deux copains ou chacun est content d’être avec l’autre. Puis le véto arrive. Tibout halète normalement, la tête droite, les yeux vifs pendant que le véto me parle. Puis au bout d’un moment, il cherche à nouveau ma main. Je la lui donne et il y repose sa tête, cherchant une caresse. Je la lui donne avec plaisir. Et douleur. Il ne s’est pas rendu compte de la première piqure. Mais au bout d’une minute, il semble se rendre compte que quelque chose se passe à l’intérieur. Sa respiration devient plus forte. Il me cherche des yeux. Je le prends dans mes bras, puis, sans le quitter des yeux, je me rapproche encore de lui et le couche délicatement sur le côté. Sa tête vient se poser encore sur ma main, et là il semble rassuré. Il me lèche le visage. Il me regarde à nouveau. A ce moment, il n’y a plus aucune inquiétude dans ses yeux. Il semble paisible, réagit tranquillement à mes gestes. Petit à petit, ses toux laissent place à un ronflement léger, attendrissant. Il essaye de lécher la couverture pendant qu’il s’endort, comme un reflex inconscient. Au bout de 10 minutes, il dort. Là, je vois les poils de son corps brûlés par ses incontinences trop fréquentes, son dos trop arrondi, et sa tête vive et lucide d’un chien de 3 ans. Et je me rends compte qu’il y a un problème entre ce corps et sa tête, que l’un ne colle pas avec l’autre. Mais à ce moment aussi, je me rends compte que ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu dormir aussi bien, aussi profondément. Là je réalise qu’il souffrait vraiment. Un vrai sommeil sans douleur, sans toux, sans gémissement, un vrai repos. Il dort tranquillement, toujours ce ronflement léger. Je rentre doucement sa langue restée dehors et lui ferme le museau. Juste parce que ça fait mal de le voir ainsi. Juste parce que là je le vois tel qu'il sera dans quelques minutes. Mignon et attendrissant et en même temps fatal. Le vétérinaire vient délicatement faire pénétrer la seconde seringue dans la veine de sa patte avant. Au bout d’une minute, sa respiration cesse. Je ne peux retenir mes larmes malgré tous les efforts du monde. Là, ça fait mal. Je laisse encore un instant ma main sous sa tête, puis la retire doucement. Putain que c’est dur. Notre compagnon est parti au bout de 18 ans, et je me dis que c’est moi qui ai choisi de sa vie et de sa mort. Il avait 1 jour lorsque ma mère et moi l’avons récupéré. J’avais 24 ans, et j’étais jeune. J’en ai 42 aujourd’hui et je me rends compte qu’il va me manquer, que les larmes coulent sans que je puisse les arrêter quoi que je fasse. Mais ca va passer, c’est toujours comme ça que ça se passe. Moi, je suis content d’avoir eu la force de rester avec lui jusqu’au bout, de ne pas l’avoir abandonné, d’avoir eu le cran de l’accompagner jusqu’au bout, d’avoir été là. Et je suis content d’avoir pu dire sans mentir à ma mère qu’il est parti tranquillement, sans souffrir, que ses derniers instants étaient remplis d’amour et d’affection. C’est avec elle qu’il vivait et à cause de mon travail, elle avait la lourde tâche de s’occuper de tibout les derniers jours de sa vie, chose pas facile quand on n’a pas la santé. Pourtant mon compagnon est parti et je me sens seul tout d’un coup. Regrets, questions, si j’avais su…..etc………….mais en même temps, tous ces moments sympas……. C’est con, car ce sont ceux qui restent qui souffrent, mais en même temps, l’inverse serait insoutenable. Dans ces conditions, je veux bien verser quelques larmes pour celui qui a partagé un bout de chemin, un bout de notre vie avec nous, sans jamais se plaindre, sans jamais faillir à sa fidélité, à son amour, sans jamais baisser les pattes, en restant celui qu’il était jusqu’au bout. Quel courage ! Je tenais à laisser une trace par ici, un petit hommage pour un compagnon qui jusqu’au bout aura laissé des moments forts. J’espère juste qu’on aura été à la hauteur en retour. Quel fossé entre ce qui nous entoure et ce qui est en nous. En effet, si je regarde autour de moi, il ne reste rien de lui. Il est parti comme s’il n’avait jamais existé. Pourtant, il vit et vivra toujours dans mon cœur. Mais qu’elle en est l’utilité au final ? Que deviendrons tous ces moments de bonheur lorsque nous ne serons plus ? Pourtant il m’a marqué à jamais. En moi, il reste bien vivant . 18 ans de vie commune, presque un quart de siècle, de l'adolescence à l'age adulte. Bye mon pote. Je ne pensais pas que tu me manquerai autant. Mais no problemo, tu peux y aller en paix.