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cavanna a écrit : MORT D’UN ROI Lui ? C’était le roi Toubo. Son royaume ? À Bornéo, la grande île. Ou à Sumatra, peut-être bien. En tout cas, dans la forêt profonde où vivait son peuple. Mais la forêt profonde n’était plus assez profonde pour les mettre à l’abri, lui et son peuple. Les ravageurs étaient venus, qui jetaient à bas les arbres énormes pour en faire des dominos. Des dominos de luxe. Et ces ravageurs-là, ou d’autres tout semblables, avaient pris le roi Toubo, ses sujets, ses femmes et ses enfants pour les mettre dans des cages où les parents menaient leurs enfants sages afin de leur faire admirer la nature si noble et les grimaces des singes, si drôles. Car, sachez-le, le roi Toubo était ce qu’il est convenu d’appeler un Orang-Outan. Il régnait sur le peuple des Orangs-Outans, peuple, à vrai dire, réduit à peu de chose, qui vivait en exil sur une partie du sol du Jardin des Plantes, à Paris. Sol sacré. Les Orangs-Outans sont des êtres d’une très grande beauté. Le roi Toubo était le plus beau de tous. Pas fier, il se laissait admirer par les femelles des hommes et leur donnait des baisers sur la bouche à travers la vitre. Car il y avait une vitre, eh oui. Cela réjouissait les petits enfants mais agaçait les papas. Allez savoir pourquoi… Mais celle qu’il bisait par-dessus toute autre — si je ne vous l’ai pas encore dit, je vous le dis maintenant —, c’était Virginie, la petite, oui. Je connaissais personnellement le roi Toubo depuis très longtemps. En fait, depuis avant qu’il n’eût fait son entrée dans le monde, puisqu’il dormait alors, le pouce dans la bouche, dans le ventre splendide de la reine Nénette, sa mère, une très bonne amie à moi. Je l’avais vu naître et puis croître en force et en beauté pendant toutes ces années. Oui, il vaut mieux que je vous dise franchement : le roi Toubo n’est pas né dans la forêt profonde. Pas vraiment. Sa mère, la reine Nénette, elle, oui. Enlevée par des ravageurs. Pas le roi Toubo. Le jour où j’ai vu la reine Nénette dans sa gloire, son petit Toubo triomphalement blotti sur son ventre de bénédictions, je tombai à genoux, et fus bien près de croire au petit Jésus. On ne connaissait pas notre bonheur. Pleurez, hommes, pleurez, nature, le roi Toubo n’est plus. Toubo, le roi Toubo, est mort l’autre nuit. Rien n’a pu le sauver. Pneumonie et diverses autres saloperies. J’ai toujours dit qu’août pue la mort. Cette chronique tient de plus en plus de l’oraison funèbre. Ohé, les vieux machins, les résidus, les acharnés dont la vie, comme la mienne, ne tient plus qu’à un fil, cramponnons-nous ! Septembre est en vue ! Cap dessus, mon gars, et rame ! Le roi est mort ! Vive le roi ? CAVANNA Charlie hebdo N°1000, 17/08/2011
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MORT D’UN ROI Lui ? C’était le roi Toubo. Son royaume ? À Bornéo, la grande île. Ou à Sumatra, peut-être bien. En tout cas, dans la forêt profonde où vivait son peuple. Mais la forêt profonde n’était plus assez profonde pour les mettre à l’abri, lui et son peuple. Les ravageurs étaient venus, qui jetaient à bas les arbres énormes pour en faire des dominos. Des dominos de luxe. Et ces ravageurs-là, ou d’autres tout semblables, avaient pris le roi Toubo, ses sujets, ses femmes et ses enfants pour les mettre dans des cages où les parents menaient leurs enfants sages afin de leur faire admirer la nature si noble et les grimaces des singes, si drôles. Car, sachez-le, le roi Toubo était ce qu’il est convenu d’appeler un Orang-Outan. Il régnait sur le peuple des Orangs-Outans, peuple, à vrai dire, réduit à peu de chose, qui vivait en exil sur une partie du sol du Jardin des Plantes, à Paris. Sol sacré. Les Orangs-Outans sont des êtres d’une très grande beauté. Le roi Toubo était le plus beau de tous. Pas fier, il se laissait admirer par les femelles des hommes et leur donnait des baisers sur la bouche à travers la vitre. Car il y avait une vitre, eh oui. Cela réjouissait les petits enfants mais agaçait les papas. Allez savoir pourquoi… Mais celle qu’il bisait par-dessus toute autre — si je ne vous l’ai pas encore dit, je vous le dis maintenant —, c’était Virginie, la petite, oui. Je connaissais personnellement le roi Toubo depuis très longtemps. En fait, depuis avant qu’il n’eût fait son entrée dans le monde, puisqu’il dormait alors, le pouce dans la bouche, dans le ventre splendide de la reine Nénette, sa mère, une très bonne amie à moi. Je l’avais vu naître et puis croître en force et en beauté pendant toutes ces années. Oui, il vaut mieux que je vous dise franchement : le roi Toubo n’est pas né dans la forêt profonde. Pas vraiment. Sa mère, la reine Nénette, elle, oui. Enlevée par des ravageurs. Pas le roi Toubo. Le jour où j’ai vu la reine Nénette dans sa gloire, son petit Toubo triomphalement blotti sur son ventre de bénédictions, je tombai à genoux, et fus bien près de croire au petit Jésus. On ne connaissait pas notre bonheur. Pleurez, hommes, pleurez, nature, le roi Toubo n’est plus. Toubo, le roi Toubo, est mort l’autre nuit. Rien n’a pu le sauver. Pneumonie et diverses autres saloperies. J’ai toujours dit qu’août pue la mort. Cette chronique tient de plus en plus de l’oraison funèbre. Ohé, les vieux machins, les résidus, les acharnés dont la vie, comme la mienne, ne tient plus qu’à un fil, cramponnons-nous ! Septembre est en vue ! Cap dessus, mon gars, et rame ! Le roi est mort ! Vive le roi ? Charlie hebdo N°1000, 17/08/2011