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Christian Vélot, profession : lanceur d'alerte

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LE MONDE | 14.05.08 | 15h12 . Mis à jour le 14.05.08 | 15h12

La voix est posée. Les mains robustes. Les épaules solides. La mâchoire,
dessinée par un collier de barbe poivre et sel, volontaire. Derrière des
montures carrées, le regard ne cille pas. On sent de la ténacité. De
l'opiniâtreté même.

Aussi loin qu'il s'en souvienne, Christian Vélot ne s'est jamais coulé
dans le moule. Neuvième d'une famille de dix enfants de paysans sarthois,
il occupe ses journées - quand ses grands frères transpirent aux champs -
à ramasser des graines et des plantes sur lesquelles il expérimente des
croisements. Il sera le seul de la fratrie à passer son bac. Une première
année de médecine où il se sent déplacé -* "J'étais attiré par l'aspect
humain, je me suis retrouvé dans une usine à gaz"* - se termine par un
esclandre avec l'examinatrice.

Refusant d'être à la charge de ses parents, il décide de reprendre ses
études le jour où il pourra les financer. Enchaîne les petits boulots,
jardinier, chauffeur livreur, manoeuvre, maçon, peintre en bâtiment,
postier. S'inscrit enfin, à 24 ans, en première année de biologie. Un
cursus tardif qui, lorsqu'il soutiendra sa thèse sur le métabolisme
respiratoire de la levure de boulanger, le rendra *"plus mûr et plus
intéressant que les autres étudiants"*, se souvient un membre du jury.

Après cinq ans de stage post-doctoral à Dallas, il obtient du Centre
national de la recherche scientifique (CNRS) les moyens de monter sa
propre équipe. Et entame une double vie. Devant la paillasse, il étudie
les mécanismes génétiques d'adaptation d'un champignon microscopique
impliqué dans le cycle du carbone. Le soir, il se transforme en activiste
anti-OGM, multipliant les conférences de vulgarisation et témoignant, pour
la défense, aux procès des Faucheurs volontaires.

*"Mettre dans nos assiettes des organismes génétiquement modifiés ou les
disséminer dans l'environnement,** c'est irresponsable"*, plaide-t-il sans
relâche. Voilà trente ans que les biologistes utilisent des OGM en
laboratoire et ils ont toujours des surprises. *"Ce sont des technologies
totalement aléatoires. Nous ne maîtrisons rien." *Il n'est pas le seul à
le penser. Mais lui le dit tout haut. *"Si, en tant que scientifique, on
n'a plus le droit de critiquer la science, alors ce n'est plus la science
mais une religion."*

Entre le chercheur et l'institution, le conflit est aujourd'hui à vif. On
l'a menacé, rapporte-t-il, de déménager son équipe *"manu militari"*. En
fait, c'est lui-même qui a opposé à sa direction qu'il ne partirait que
sous la contrainte, et elle s'est dite prête à le prendre au mot. Les
invectives fusent, *"harcèlement moral"* d'un côté, *"délire de
persécution"* de l'autre.

Christian Vélot, maître de conférences en génétique moléculaire à
l'université Paris-Sud et responsable d'une équipe de recherche à
l'Institut de génétique et microbiologie d'Orsay, n'a pas une âme de
héros. Encore moins une vocation de victime. Simplement des convictions
chevillées au corps. Et une certaine idée de son métier de chercheur, qui
n'est pas celle des institutions. Dans un monde académique où, trop
souvent, la libre parole - sinon la libre pensée - s'arrête aux portes des
amphithéâtres et des laboratoires, il joue les trublions. Les empêcheurs
de cultiver les OGM en paix.

Il n'est bien sûr pas sans reproches et le sait, qui pratique volontiers
le mélange des genres. Est-il chercheur militant ? Ou militant chercheur ?
Mais il assume cette dualité. La revendique même. Refuse d'être coupé en
deux, de faire taire le citoyen chez le biologiste. Science sans
conscience*... "Je suis payé sur les deniers publics. C'est mon devoir de
contribuer à l'information du public", *défend-il*. *De donner à chacun
des clés pour participer au débat sur des sujets - OGM, nanotechnologies,
clonage - *"qu'on nous présente comme de simples avancées technologiques
mais qui constituent en fait des choix de société"*.

Depuis un an, les ennuis s'accumulent. Remontrances de sa direction
soucieuse de tenir l'Institut de génétique à l'écart de sa croisade.
Reliquat de crédits envolé. Evaluation médiocre. Stagiaire se désistant à
la dernière minute pour rejoindre l'équipe de la directrice. Ordre de
changer de locaux. Pour finir, exclusion du prochain contrat quadriennal.
Cela signifie que fin 2009 son équipe de quatre personnes sera dissoute et
qu'il devra trouver un nouveau point de chute.

*"C'est clair, Christian dérange, *commente l'un de ses collègues*.* Il a
des positions tranchées, qu'il défend avec passion. Mais sur le plan
professionnel, il n'a rien à se reprocher. La vérité est que tout est fait
pour l'évincer." Résultat : *"Sa thématique de recherche, sur laquelle son
labo est le seul à travailler en France, va disparaître."*

La direction de l'Institut de génétique préfère aujourd'hui se taire.
Mais, au CNRS, on récuse toute idée de chasse aux sorcières. Les prises de
position de Christian Vélot ne seraient pas en cause. Sa mise à l'écart
serait le résultat d'une faible productivité scientifique : un seul
article publié depuis quatre ans, dans un journal de second rang.

Prétexte, vient à sa rescousse le biologiste Jacques Testart, qui sait ce
qu'il en coûte de sortir du rang, pour avoir été lui-même *"viré"* de son
labo, voilà vingt ans, parce qu'il refusait de travailler sur le tri
d'embryons. *"Il y a toujours des hauts et des bas dans la production d'un
chercheur. Ceux qui lui cherchent des poux dans la tonsure font preuve de
beaucoup de mauvaise foi,* pense-t-il*. Ce qu'ils veulent, c'est lui
ruiner le moral. Mais avec Christian, ils auront du mal."*

A coup sûr, on ne le changera pas, lui qui a gardé un faible pour les
films de cape et d'épée et qui a fait le choix, avec sa compagne, de ne
pas avoir d'enfants, parce qu'il aurait voulu leur offrir un monde
meilleur que *"cette société où tout, la vie, la mort, la planète, est
traité comme une marchandise"*.

Aux côtés de son ami Jacques Testart, il bataille aujourd'hui, au sein de
la Fondation sciences citoyennes, pour une protection des lanceurs
d'alerte, ces chercheurs ou simples citoyens qui pointent du doigt un
risque sanitaire ou environnemental. En prenant le risque d'être exclus du
système, ou de s'en exclure eux-mêmes. Aux Etats-Unis et en Angleterre
existent des lois pour les prémunir contre les mesures de rétorsion,
sanctions ou procès. En France rien. Le Grenelle de l'environnement a
pourtant conclu à la nécessité d'un statut reconnaissant leur rôle.
Christian Vélot n'a pas tout perdu. Une pétition de soutien a recueilli
plus de 40 000 signatures. *"Certains matins, *dit-il, c'est bon de sentir
que l'on n'est pas seul."

*Pierre Le Hir*
------------------------------
*Parcours*

*1964. *Naissance à Parennes (Sarthe).

*1995. *Thèse sur la génétique du métabolisme respiratoire de la levure de
boulanger.

*2000. *Enseignant-chercheur à l'Institut de génétique et microbiologie
d'Orsay.

*2007. *Son équipe est exclue du prochain contrat quadriennal de recherche.

*2008. *Le Grenelle de l'environnement inscrit dans ses conclusions la
proposition d'une loi instituant la protection des lanceurs d'alerte.

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