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Le village qui vise l'autarcie énergétique

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LE MONDE | 23.06.08 | 15h00 . Mis à jour le 23.06.08 | 15h00
BECKERICH (LUXEMBOURG) ENVOYÉ SPÉCIAL

"Mir hunn energie !" Le slogan - "On a l'énergie !" - est partout, à
Beckerich. Sur les façades, sur les documents officiels, dans la tête des
concitoyens de Camille Gira, le député-maire écologiste. Ce quinquagénaire
bouillonnant d'idées et de projets a fixé un objectif à sa commune rurale,
dans l'ouest du grand-duché de Luxembourg : l'autarcie énergétique.

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Donner aux 2 700 habitants la maîtrise de leur approvisionnement "au lieu de
dépendre des cheiks arabes", comme il le dit ? Il y a un quart de siècle que
cet homme chaleureux, direct et patient y travaille, depuis qu'il est devenu
le premier échevin (adjoint au maire), puis le bourgmestre de ce bourg
rural, situé à un jet de pierre de la frontière belge.

En ces temps de forte hausse des prix de l'énergie, avec le litre de gasoil
de chauffage qui au Grand-Duché atteint 0,90 euro - contre 0,30 euro il y a
cinq ans -, Camille Gira n'est pas du genre à jubiler. Mais il sait qu'il a
eu raison de développer, entre autres, un système de chauffage urbain à
partir de la biométhanisation. Quelque 90 % des ménages de Beckerich y sont
désormais connectés et économisent, chaque année, 500 euros par rapport à
une consommation moyenne de gasoil.

"L'argent n'est évidemment pas le seul élément à prendre en compte, souligne
le maire. Je suis soucieux des questions environnementales et sociales, mais
j'ai appris à utiliser d'abord des arguments concrets. Puis à faire en sorte
qu'une fois qu'ils ont adhéré, les citoyens n'aient plus aucun souci
pratique." Ainsi, s'ils signent un contrat de copropriété pour l'une des
installations photovoltaïques des bâtiments communaux mises gratuitement à
leur disposition, ils n'auront plus à se soucier de rien. Une régie publique
gérera les intérêts et les formalités de ces petits producteurs indépendants
d'énergie solaire.

Sur les hauteurs de la commune, Constant Kieffer n'est peu pas fier de
montrer ce qu'il appelle "l'estomac de la vache". Sourire en coin et oeil
malicieux, le gérant de Biogaz n'aime rien plus qu'observer la tête des
visiteurs lorsqu'ils découvrent, au travers d'un oeilleton, l'action des
bactéries dans son digesteur. Lisier, déchets végétaux et huiles végétales
sont versés dans cette énorme cuve couverte d'un dôme, un milieu porté à 38
oC et privé d'oxygène. Au bout de quarante jours, il en ressort du biogaz
qui, brûlé, produira de l'électricité pour 700 ménages et de l'eau chaude
pour le réseau de chauffage. Soit, 24 kilomètres de tuyaux qui entrent dans
la maison et alimentent radiateurs et chauffe-eau. Les résidus serviront
d'engrais.

Pour réaliser ce projet, Camille Gira a convaincu 19 agriculteurs de fonder
une coopérative et d'investir 5 millions d'euros. Certains sont allés
jusqu'à hypothéquer leur ferme, mais aucun ne formule de regret : le succès
a dépassé leurs espérances. "Quand ils ont vu cette unité sortir de terre,
les gens ont vraiment adhéré à nos projets", dit Camille Gira.

Aujourd'hui, la demande dans la commune est telle que Biogaz ne suffit plus.
Alors, un peu plus loin, une équipe d'ouvriers venus d'Autriche monte une
chaudière haute de 30 mètres. Au mois d'octobre, elle brûlera des copeaux de
bois qui fourniront de la chaleur. Le bois viendra des 700 hectares de
forêts communales, dont 400 hectares appartenant à quelque 260 propriétaires
privés. La mairie leur a proposé de vendre leurs terrains, ou de les
échanger. Elle a aussi décidé d'instaurer des contrats de quinze ans, fondés
sur le troc : les propriétaires pourront choisir de fournir du bois en
échange d'une réduction proportionnelle de leur facture énergétique.

Christian Seidel, un habitant du village, a été l'un des premiers à croire
aux projets d'énergie verte du maire. Il a payé 2 300 euros et troqué sa
chaudière au gasoil contre un boîtier d'un mètre sur un dans lequel se fait
l'échange entre l'eau chaude qui entre et l'eau froide qui sort. "Le réseau
passait devant chez moi, le système ne nécessite ni entretien d'une
chaudière ni nettoyage de la cheminée, et j'économise quelque 400 euros par
an", explique-t-il. Depuis, M. Seidel a, comme 10 % des habitants, installé
des panneaux solaires aussi sur son toit.

"C'est vrai qu'on a cessé de nous prendre pour des fous", commente
discrètement Camille Gira. En 1995, adhérant au projet international
Alliance pour le climat, il s'était engagé à réduire, à Beckerich, les
émissions de gaz à effet de serre de 50 % à l'horizon 2010. L'objectif sera
atteint. Et l'autarcie ? "2020, peut-être, mais l'important c'est
l'objectif, pas la date", soutient le maire. Il connaît les règles du
marketing, et sait qu'en fixant un tel but à ses concitoyens, il entretient
leur mobilisation.

Dans les années à venir, il leur promet un recours à l'énergie éolienne. Il
les incite, à coups de primes, à renouveler leurs équipements ménagers - 38
euros pour l'achat d'un réfrigérateur basse consommation -, à rénover leurs
habitations en les isolant mieux, à récupérer l'eau de pluie, etc. La
consommation électrique des ménages de Beckerich a, en tout cas, baissé de 7
% par an depuis 1994, alors qu'elle augmente de 2 % à 3% dans le reste du
pays.

Parce qu'elle sait qu'il faut, encore et toujours, donner l'exemple, la
mairie applique partout ce qu'elle prône. A l'école d'Oberpallen, où les
peintures sont minérales et les câbles électriques sans PVC. Au hall
sportif, isolé grâce à un bois traité thermiquement pour le rendre durable.
Dans la zone économique, où le bâtiment principal possède une ossature en
bois, un triple vitrage et un puits canadien, système géothermique de
chauffage et de ventilation. Au centre Dillendapp, qui accueille, hors des
heures d'école, des enfants scolarisés pour permettre à leur mère de
travailler librement, l'éclairage se règle automatiquement et l'air est
constamment renouvelé.

D'une fenêtre de ce magnifique bâtiment, Camille Gira montre une autre de
ses réalisations : un pan de forêt dégagé pour permettre à des hirondelles
troglodytes, une espèce menacée, de continuer à nicher au sol. "Peut-être
avons-nous tous déjà raté le train du changement climatique. Mais au moins
aurai-je démontré qu'on peut changer une société, même si elle est réputée
conservatrice", conclut-il.

Jean-Pierre Stroobants

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