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les oubliés du climat perdu

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Les oubliés du climat perdu

La Presse

Collaboration spéciale

Jean Lemire

On aime les ours polaires de l'Arctique, tout comme les drôles de manchots
de l'Antarctique. On s'inquiète devant les conséquences des changements
climatiques aux pôles, ces avant-postes qui nous renseignent sur la gravité
des bouleversements climatiques en cours.

Les grands mammifères comme l'ours polaire, le caribou ou certaines espèces
de baleines qui vivent en Arctique suscitent la fascination, voire même une
certaine admiration du public. Le phénomène est identique en Antarctique
avec les manchots.

Si je vous apprenais que les rats de nos villes étaient menacés par les
changements climatiques, votre réaction serait sans doute tout autre. Il y
en aurait même pour encenser les changements climatiques, tellement leur
appréhension pour ce petit rongeur est presque viscérale.

Nous ressentons tous une émotion particulière si un bel oiseau heurte
mortellement une fenêtre de notre maison. Nous réagissons unanimement pour
sauver une bande de dauphins qui s'échoue sur une plage. Les comportements
kamikazes d'un groupe d'araignées ou de couleuvres sur notre balcon risquent
de susciter une réaction de dégoût ou, à tout le moins, d'indifférence. Nous
sommes sélectifs dans nos émotions et dans nos sentiments.

Si je vous parle des conséquences des changements climatiques sur les
éponges de mer, les poissons de glace ou encore les étoiles de mer, ça passe
encore. Mais si je vous dis que des espèces comme les ascidies, les
arthropodes, les échinodermes, les bryozoaires, les cnidaires ou les vers de
mer sont menacées, vous ne pleurerez pas toutes les larmes de votre corps.
Ces espèces déclenchent rarement un élan de compassion déraisonnée. Et
pourtant...

L'ensemble de la vie marine est régi par un principe établi depuis très,
très longtemps: la stabilité de l'habitat. En Antarctique, par exemple,
certaines espèces disparaîtront sans doute rapidement dans le calendrier
planétaire. En mer, la hausse récente observée de la température de l'eau de
surface atteint déjà 1°C, ce qui représente un changement important pour la
majorité des organismes qui vivent dans un habitat d'une grande stabilité.

En laboratoire, certains organismes marins montrent d'importantes
difficultés d'adaptation à partir d'une augmentation de 2°C. Si la tendance
se maintient, le seuil thermal de survie de ces animaux pourrait bien être
atteint d'ici une cinquantaine d'années. Vous n'allez sans doute pas pleurer
pour ce pauvre ver marin ou cet isopode aux allures de pou géant. Mais
souvenez-vous que chaque organisme fait partie d'une grande chaîne où tout
est finement lié, imbriqué, du plus petit au plus grand, du plus laid au
plus beau.

Les animaux que l'on aime, que l'on filme et que l'on trouve charmants
dépendent bien souvent des moins connus, des plus laids, des oubliés. Quand
le crustacé planctonique étouffe sous une chaleur nouvelle et qu'il voit ses
populations diminuer, personne ne s'en inquiète trop. Après tout, ce n'est
pas très émouvant comme scène. Mais si une pauvre baleine est retrouvée
morte, amaigrie, flottant en surface, on alerte aussitôt l'opinion publique.
Pourtant, la situation du plus petit explique bien souvent celle du plus
grand. L'absence du krill, ce petit crustacé planctonique qui constitue la
nourriture préférée de plusieurs mammifères marins, pourrait bien être à
l'origine de la mort de la baleine.

J'ai souvenir encore d'une plage recouverte de carcasses de jeunes manchots
papous. Les journaux ont rapidement rapporté l'incident, photos à l'appui.
La nouvelle a fait le tour du monde. Cette même année, un chercheur
américain publiait ses conclusions sur l'impact des changements climatiques
sur la production de krill, nourriture essentielle aux manchots, aux
baleines, aux phoques et à toute une communauté d'organismes marins.

Il établissait une corrélation directe entre la mort de ces manchots et
cette inquiétante diminution de krill. Les manchots étaient morts de faim et
d'épuisement, incapables de trouver leur nourriture à proximité de leur
colonie. Mais la véritable histoire, la plus importante, celle qui aurait dû
susciter une réelle mobilisation, reposait sur ce déclin inquiétant d'une
sorte de crustacés miniatures.

Personne n'en a parlé, à part quelques revues scientifiques spécialisées.

Le drame avec les changements climatiques repose, en grande partie, sur la
perception que nous avons de la problématique. Si un ours polaire meurt sur
une banquise en déclin, on publie en première page, à condition que la photo
soit belle et puissante. Il s'en suit souvent une dérive de l'information,
alimentée par une machine médiatique qui recherche la nouvelle à sensation.

Vous ne verrez pas de photo de vers marins dans cette chronique. Mon iceberg
est beaucoup plus beau et accrocheur. Mais souvenez-vous quand même
qu'au-delà des apparences, les véritables victimes des changements
climatiques sont souvent ces animaux que l'on ne voit pas, ceux qui
représentent la base de la grande pyramide de la vie, les premiers maillons
d'une chaîne alimentaire qui permet aux animaux que nous connaissons et
aimons de survivre dans un monde de grand bouleversement climatique.

On en parle peu, mais ce sont les oubliés du climat perdu.

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Réf.-chasse au phoque 2008


« Cette année, il ne s'agit plus de savoir qui a tort ou qui a raison. Cette année, un drapeau blanc flotte sur la banquise. Pas parce que les convictions des uns ou des autres ont changé, mais plutôt parce que la nature est venue s'interposer dans l'annuel combat des idées. Par respect, une trêve est nécessaire. Au nom des familles de ces marins disparus, je vous le demande: opposants à la chasse aux phoques, rentrez chez vous! Il y a d'autres façons d'exprimer votre point de vue, de combattre ce que vous croyez être une noble cause. Malgré une mécanique bien huilée et des investissements importants dans votre campagne annuelle de lutte pour le droit des animaux, respectez le deuil, en silence, et pliez bagage. »


Son article n'est malheureusement plus en ligne, mais ce paragraphe en dit quand-même long sur l'auteur .... http://www.cyberpresse.ca/article/20080406/CPENVIRONNEMENT/804060328/6108/CPENVIRONNEMENT

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