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terrienne

article journal "libération"

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Ci-dessous un article de Libération + interview de Florence Burgat, parus
hier mardi. C'est dans le cadre d'une série de l'été, "Duels", dont le thème
du jour était "Carnivore/Végétarien".
S'étalent sur 3 pages, illustrés notamment d'une photo de salade et d'une de
poulets accrochés par les pattes dans un abattoir.
(je ne crois pas que ces 2 articles soient accessibles gratuitement en
ligne).
Antoine

Liberation - mardi 12 août 2008 - pages 25-26-27 Carnivore - Végétarien Une
arête dans le bifteck Deux conceptions de la vie et du respect de
l'environnement autour de la table.Votre purée, vous la prendrez avec ou
sans viande? Et si l'arbitrage ne se faisait plus entre le haricot vert et
la frite, s'il se jouait entre l'animal mort et le vivant, le steak de veau
ou de soja. Attention, on vous voit, avec votre sourire sardonique à moquer
le non-mangeur de viande. Et à convoquer le stéréotype éculé du végétarien
anémié, grand suceur de glaçons et peine-à-jouir de la table.

Sûr que face à l'épicurien gouailleur, adepte du gigot rôti,
l'ovo-lacto-végétarien – qui a renoncé à la viande et au poisson – fait pâle
figure. Pourtant, la cause végétarienne s'est trouvé des porte-drapeaux de
belle facture. Leur maître à tous ? Paul McCartney. L'ex-Beatle trimballe sa
notoriété au service de la cause animale, et impose un régime végétalien
[*sans aucun sous-produit animal, ndlr*] aux équipes de ses tournées, qui
tirent la tronche, il faut le dire. Le cinéma est un grand pourvoyeur de
stars *meat free*. A Hollywood, la cité des anges viciés, les actrices
appétissantes (Naomi Watts, Natalie Portman…) comme les comédiens à croquer
(Casey Affleck, Joaquin Phoenix…) peuvent militer sans rougir. Pas en
France, où il ne faudrait pas écorner son image. Et puis, que serait *la
Grande Bouffe*sans chair animale? Et sans gigot dominical, quelle saveur
aurait eu le coup de sang de Michel Piccoli dans *Vincent, François, Paul…
et les autres ? *

Laissons de côté le végétarisme passif, dicté par la religion (hindouisme et
bouddhisme) ou culturellement hérité pour nous intéresser au végétarisme
actif, critique, apparu au plus fort du carnivorisme humain aux XIXe et XXe
siècles. Une inflexion illogique, si l'on se réfère à l'évolution d'*Homo
sapiens* au fil des millénaires. «*Depuis l'aube de l'humanité, en période
d'abondance, les hommes ont augmenté leur consommation de produits animaux :
viande, graisse, produits laitiers. Il s'agissait de stocker des réserves
pour les périodes de disette*», explique Annie Hubert, anthropologue et
directrice de recherches au CNRS (1). «*Aucun argument sérieux ne peut
contester que l'homme est un omnivore*», conclut JeanMichel Lecerf. «*Les
humains font partie de la chaîne trophique, qu'ils le veuillent ou non,
c'est le mode de fonctionnement du monde du vivant*», confirme Annie Hubert.


*La solitude du mangeur de graines *

Avec 2,4 % de Français avouant suivre un régime sans viande ni poisson, on
peut dire sans exagérer que le végétarien est minoritaire. Alexandre qui
tient une épicerie à Toulouse pointe l'ostracisme dont il est victime.
«*J'ai arrêté la viande il y a plusieurs années, suite à un long séjour au
Sri Lanka où je souffrais le martyre à bouffer de la viande aux côtés de
végétariens. Or, depuis, je souffre le martyre en France… à la cantine du
collège où je travaillais, on m'appelait "l'herbivore", non sans moquerie.
Mes oncles vendéens m'ont demandé si j'avais rejoint une secte. Partout à
table, je suis le casse-couilles à qui il faut servir un plat différent.*»

Aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, où la population
*veggie*(végétarienne) représente de 7 % à 10 % des mangeurs, les plats
végétariens sont légion et l'ovo-lacto n'est pas un emmerdeur mais un client
au régime différent. En France, non. Voilà pourquoi en diverses occasions,
comme le barbecue entre amis par exemple, le non-carnivore se nourrit de
sandwichs au pain. Surtout, c'est un mal compris par l'omnivore qui se vit
comme un «*chasseur primitif, ayant des millions d'années de traque et de
steaks crus ou cuits dans les gènes*». Et pour ceux qui ne sont pas
contents, ils n'ont qu'à sucer des cailloux.

Pour les deux tiers des végétariens, la santé est l'argument choc.
«*Lorsqu'il est conçu et appliqué correctement, le régime végétarien est
équilibré. Les protéines de la viande y sont en effet remplacées par
d'autres protéines animales *[oeufs et produits laitiers, ndlr]* et par les
protéines végétales *», analyse Jean-Michel Lecerf, médecin et chef du
service de nutrition à l'institut Pasteur de Lille. A l'inverse, un régime
végétalien, qui exclut tout produit et sous-produit d'origine animale, y
compris les oeufs, le lait et même le miel peut être source de carences. En
étudiant l'état de santé d'une importante communauté végétarienne aux
Etats-Unis, les adventistes, les épidémiologistes ont établi que ces groupes
étaient même moins sujets aux maladies. «*De la simple constipation aux
cancers du colon, du rectum ou du sein, en passant par l'obésité, le
diabète, l'ostéoporose, les études épidémiologiques sont formelles : les
végétariens ont moins de pathologies*», explique Nathalie Uytterhaegen,
diététicienne à l'institut Pasteur de Lille.
Bémol du Centre d'information des viandes (CIV) : «*Les études
épidémiologiques ne prouvent pas de lien de cause à effet, au mieux, elles
mettent en lumière un facteur, en l'occurrence le facteur alimentaire, entre
un environnement et une maladie*», précise la chargée du programme nutrition
au CIV [qui préfère rester anonyme, ndlr]. Un végétarien alcoolique et
fumeur, qui roule à vélo dans Pékin ne peut se prévaloir d'une meilleure
santé qu'un omnivore vivant sainement.

N'empêche, on consomme de la viande. «*Beaucoup trop*» , selon la
diététicienne. «*Pas vrai*», s'énerve le CIV qui se fonde sur les études du
Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie
(Crédoc) pour évaluer à 110 grammes la consommation de charcuterie, viande
et volaille quotidienne. «*La viande a un intérêt nutritionnel, *confirme le
CIV*, mais on ne va pas promouvoir une consommation excessive.*» Sauf que le
CIV ne nous dit pas à partir de combien de jarrets, on frise l'excès.
Toujours est-il qu'en France, on aime faire bonne «chair». C'est même
recommandé par le programme national nutrition-santé qui préconise un
aliment du groupe viande-volailles-poissons-oeufs, une à deux fois par jour.
En restauration, rarissimes mais hardis sont ceux qui ont éliminé la viande
de leurs cartes.

* Consommation réfléchie *

Alain Passard, chef de l'Arpège à Paris, une ancienne rôtisserie, a cessé
d'être inspiré au début des années 2000 quand il a compris qu'il travaillait
des cadavres.
«*Ma créativité a été brisée, la vue du tissu animal ne traduisait plus
rien. L'animal mort ne m'inspirait plus*», raconte-t-il.
Sans engagement écolo, il s'est éloigné de la viande pour embrasser le
légume et en a payé le prix en perdant une partie de sa clientèle. Ceci
étant, il a récemment réintroduit une volaille ancienne à sa carte, « *un
chef-d'oeuvre élevé six mois en basse-cour*» …

Mais le chef-d'oeuvre a un impact. Imaginez : en matière de climat, les
troupeaux de vaches sont plus dévastateurs que les flots de bagnoles. Avec
18 % des émissions de gaz à effet de serre, les élevages contribuent plus à
la détérioration du climat que les voitures. A moins de renouer avec la
traction animale – un autre dossier–, il faudrait donc lever le pied sur le
bifteck. Sans compter que 38 % des céréales cultivées à la surface de la
planète sont destinées aux bestiaux. Et si on court-circuitait l'animal pour
nourrir l'homme? Sur un hectare, on peut produire 500 kilos de soja et 26
kilos de boeuf… Il y a les intentions, puis les projections. D'après les
estimations de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et
l'agriculture (FAO), la production mondiale de viande devrait plus que
doubler, passant de 229 millions de tonnes en 2001 à 465 millions de tonnes
en 2050. «*Ce qui induit des risques sanitaires supplémentaires, *estime
Jean-Luc Angot, directeur général adjoint de l'Organisation mondiale de la
santé animale (OIE)*, car les produits circuleront plus vite que les temps
d'incubation des maladies.*»

Sauf si les consommations animales sont modérées et réfléchies. Les mangeurs
peuvent choisir des viandes issues d'élevages herbagers. «*Ce type d'élevage
est majoritaire en France, et ils ont des impacts positifs sur
l'environnement (qualité de l'eau, stockage de carbone, prévention de
l'érosion), l'aménagement du territoire et les paysages*», explique Barbara
Redlingshöfer, chercheuse en écotrophologie *[étude de l'impact de
l'alimentation sur l'environnement, ndlr]* à l'Institut national de la
recherche agronomique (Inra). Et Danielle Nierenberg, auteure d'un rapport
sur le sujet pour le Worldwatch Institute (un *think tank* écolo américain)
de conclure: «*Ce n'est pas à moi de préconiser tel ou tel régime
alimentaire. Mais ce que je peux dire, c'est que les gens concernés par la
défense de l'environnement ont là un levier d'action formidable, et qui
demande, somme toute, peu d'effort.*» Dont acte.

Pour réconcilier tout le monde, disons que l'on fait ce que l'on veut. Ce
que l'on met dans son assiette étant aussi intime que ce que l'on met dans
son lit. On fait ce qu'on veut mais en faisant gaffe: aux autres – animaux
compris –, à la planète, à son corps et au plaisir.

LAURE NOUALHAT

(1) «Les omnivores deviendront-ils herbivores ?», les Cahiers de
l'Observatoire Cniel des habitudes alimentaires (Ocha), n°12.

---------
«Un droit bien lâche de disposer du monde animal» Florence Burgat,
directrice de recherche à l'Inra.

*Pour ou contre la viande ?*

* *Le partage se fait entre ceux qui, au nom d'une «éminente dignité
métaphysique», considèrent que les animaux sont à la disposition de
l'humanité pour satisfaire ses besoins comme ses désirs, et ceux qui, au nom
de la capacité à souffrir, partagée par l'homme et par les animaux, estiment
injustifiables l'assujettissement et l'exploitation violente des animaux. Il
n'y a alors que des cas de légitime défense qui peuvent justifier le recours
à la violence. Or, la consommation de viande n'entre pas dans ce cas. Que
l'humanité s'offre un pur plaisir en faisant payer un tel prix aux animaux
est particulièrement contestable.

*Comment l'homme peut-il infliger de tels traitements aux animaux ?
*

Se reconnaître tous les droits sur les animaux ne conduit guère à
s'interroger sur la manière dont ces droits sont exercés. Certains estiment,
au mieux, que les «cruautés inutiles» doivent être proscrites, car l'homme
avilit ainsi sa propre humanité.

*Pourquoi autant de blocages – intellectuels, intimes, culturels,
philoso­phiques et historiques – à l'encontre du végétarisme ?*

* *L'hostilité à l'égard de ce régime est profonde. Elle ne se résume pas à
une crainte de voir disparaître du paysage gastronomique cette bonne chère
si française, elle exprime aussi une inquiétude de voir l'homme se déprendre
d'un droit absolu, ancestral et bien lâche, disons-le, à disposer du monde
animal de manière violente. Et si, tout à coup, l'homme devait cesser de se
faire plaisir en tuant, en enfermant, en martyrisant les animaux? On peut
voir dans la domination sur le monde animal une décision immémoriale et
identitaire: l'humanité se pose face au monde animal en se l'appropriant, ce
qui est une manière de s'en distinguer.

*Certes, mais quand on allume un barbecue, on ne pense pas à tout ça…
*

Bien sûr, parce que le propre du culturel est d'être intégré à nos manières
de faire et de penser. Ainsi, manger de la viande semble aller de soi, alors
qu'il s'agit d'un choix discutable.
Recueilli par LAURE NOUALHAT

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