terrienne 0 Posté(e) le 19 août 2008 Ci-dessous un article de Libération + interview de Florence Burgat, parus hier mardi. C'est dans le cadre d'une série de l'été, "Duels", dont le thème du jour était "Carnivore/Végétarien". S'étalent sur 3 pages, illustrés notamment d'une photo de salade et d'une de poulets accrochés par les pattes dans un abattoir. (je ne crois pas que ces 2 articles soient accessibles gratuitement en ligne). Antoine Liberation - mardi 12 août 2008 - pages 25-26-27 Carnivore - Végétarien Une arête dans le bifteck Deux conceptions de la vie et du respect de l'environnement autour de la table.Votre purée, vous la prendrez avec ou sans viande? Et si l'arbitrage ne se faisait plus entre le haricot vert et la frite, s'il se jouait entre l'animal mort et le vivant, le steak de veau ou de soja. Attention, on vous voit, avec votre sourire sardonique à moquer le non-mangeur de viande. Et à convoquer le stéréotype éculé du végétarien anémié, grand suceur de glaçons et peine-à-jouir de la table. Sûr que face à l'épicurien gouailleur, adepte du gigot rôti, l'ovo-lacto-végétarien – qui a renoncé à la viande et au poisson – fait pâle figure. Pourtant, la cause végétarienne s'est trouvé des porte-drapeaux de belle facture. Leur maître à tous ? Paul McCartney. L'ex-Beatle trimballe sa notoriété au service de la cause animale, et impose un régime végétalien [*sans aucun sous-produit animal, ndlr*] aux équipes de ses tournées, qui tirent la tronche, il faut le dire. Le cinéma est un grand pourvoyeur de stars *meat free*. A Hollywood, la cité des anges viciés, les actrices appétissantes (Naomi Watts, Natalie Portman…) comme les comédiens à croquer (Casey Affleck, Joaquin Phoenix…) peuvent militer sans rougir. Pas en France, où il ne faudrait pas écorner son image. Et puis, que serait *la Grande Bouffe*sans chair animale? Et sans gigot dominical, quelle saveur aurait eu le coup de sang de Michel Piccoli dans *Vincent, François, Paul… et les autres ? * Laissons de côté le végétarisme passif, dicté par la religion (hindouisme et bouddhisme) ou culturellement hérité pour nous intéresser au végétarisme actif, critique, apparu au plus fort du carnivorisme humain aux XIXe et XXe siècles. Une inflexion illogique, si l'on se réfère à l'évolution d'*Homo sapiens* au fil des millénaires. «*Depuis l'aube de l'humanité, en période d'abondance, les hommes ont augmenté leur consommation de produits animaux : viande, graisse, produits laitiers. Il s'agissait de stocker des réserves pour les périodes de disette*», explique Annie Hubert, anthropologue et directrice de recherches au CNRS (1). «*Aucun argument sérieux ne peut contester que l'homme est un omnivore*», conclut JeanMichel Lecerf. «*Les humains font partie de la chaîne trophique, qu'ils le veuillent ou non, c'est le mode de fonctionnement du monde du vivant*», confirme Annie Hubert. *La solitude du mangeur de graines * Avec 2,4 % de Français avouant suivre un régime sans viande ni poisson, on peut dire sans exagérer que le végétarien est minoritaire. Alexandre qui tient une épicerie à Toulouse pointe l'ostracisme dont il est victime. «*J'ai arrêté la viande il y a plusieurs années, suite à un long séjour au Sri Lanka où je souffrais le martyre à bouffer de la viande aux côtés de végétariens. Or, depuis, je souffre le martyre en France… à la cantine du collège où je travaillais, on m'appelait "l'herbivore", non sans moquerie. Mes oncles vendéens m'ont demandé si j'avais rejoint une secte. Partout à table, je suis le casse-couilles à qui il faut servir un plat différent.*» Aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, où la population *veggie*(végétarienne) représente de 7 % à 10 % des mangeurs, les plats végétariens sont légion et l'ovo-lacto n'est pas un emmerdeur mais un client au régime différent. En France, non. Voilà pourquoi en diverses occasions, comme le barbecue entre amis par exemple, le non-carnivore se nourrit de sandwichs au pain. Surtout, c'est un mal compris par l'omnivore qui se vit comme un «*chasseur primitif, ayant des millions d'années de traque et de steaks crus ou cuits dans les gènes*». Et pour ceux qui ne sont pas contents, ils n'ont qu'à sucer des cailloux. Pour les deux tiers des végétariens, la santé est l'argument choc. «*Lorsqu'il est conçu et appliqué correctement, le régime végétarien est équilibré. Les protéines de la viande y sont en effet remplacées par d'autres protéines animales *[oeufs et produits laitiers, ndlr]* et par les protéines végétales *», analyse Jean-Michel Lecerf, médecin et chef du service de nutrition à l'institut Pasteur de Lille. A l'inverse, un régime végétalien, qui exclut tout produit et sous-produit d'origine animale, y compris les oeufs, le lait et même le miel peut être source de carences. En étudiant l'état de santé d'une importante communauté végétarienne aux Etats-Unis, les adventistes, les épidémiologistes ont établi que ces groupes étaient même moins sujets aux maladies. «*De la simple constipation aux cancers du colon, du rectum ou du sein, en passant par l'obésité, le diabète, l'ostéoporose, les études épidémiologiques sont formelles : les végétariens ont moins de pathologies*», explique Nathalie Uytterhaegen, diététicienne à l'institut Pasteur de Lille. Bémol du Centre d'information des viandes (CIV) : «*Les études épidémiologiques ne prouvent pas de lien de cause à effet, au mieux, elles mettent en lumière un facteur, en l'occurrence le facteur alimentaire, entre un environnement et une maladie*», précise la chargée du programme nutrition au CIV [qui préfère rester anonyme, ndlr]. Un végétarien alcoolique et fumeur, qui roule à vélo dans Pékin ne peut se prévaloir d'une meilleure santé qu'un omnivore vivant sainement. N'empêche, on consomme de la viande. «*Beaucoup trop*» , selon la diététicienne. «*Pas vrai*», s'énerve le CIV qui se fonde sur les études du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) pour évaluer à 110 grammes la consommation de charcuterie, viande et volaille quotidienne. «*La viande a un intérêt nutritionnel, *confirme le CIV*, mais on ne va pas promouvoir une consommation excessive.*» Sauf que le CIV ne nous dit pas à partir de combien de jarrets, on frise l'excès. Toujours est-il qu'en France, on aime faire bonne «chair». C'est même recommandé par le programme national nutrition-santé qui préconise un aliment du groupe viande-volailles-poissons-oeufs, une à deux fois par jour. En restauration, rarissimes mais hardis sont ceux qui ont éliminé la viande de leurs cartes. * Consommation réfléchie * Alain Passard, chef de l'Arpège à Paris, une ancienne rôtisserie, a cessé d'être inspiré au début des années 2000 quand il a compris qu'il travaillait des cadavres. «*Ma créativité a été brisée, la vue du tissu animal ne traduisait plus rien. L'animal mort ne m'inspirait plus*», raconte-t-il. Sans engagement écolo, il s'est éloigné de la viande pour embrasser le légume et en a payé le prix en perdant une partie de sa clientèle. Ceci étant, il a récemment réintroduit une volaille ancienne à sa carte, « *un chef-d'oeuvre élevé six mois en basse-cour*» … Mais le chef-d'oeuvre a un impact. Imaginez : en matière de climat, les troupeaux de vaches sont plus dévastateurs que les flots de bagnoles. Avec 18 % des émissions de gaz à effet de serre, les élevages contribuent plus à la détérioration du climat que les voitures. A moins de renouer avec la traction animale – un autre dossier–, il faudrait donc lever le pied sur le bifteck. Sans compter que 38 % des céréales cultivées à la surface de la planète sont destinées aux bestiaux. Et si on court-circuitait l'animal pour nourrir l'homme? Sur un hectare, on peut produire 500 kilos de soja et 26 kilos de boeuf… Il y a les intentions, puis les projections. D'après les estimations de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la production mondiale de viande devrait plus que doubler, passant de 229 millions de tonnes en 2001 à 465 millions de tonnes en 2050. «*Ce qui induit des risques sanitaires supplémentaires, *estime Jean-Luc Angot, directeur général adjoint de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE)*, car les produits circuleront plus vite que les temps d'incubation des maladies.*» Sauf si les consommations animales sont modérées et réfléchies. Les mangeurs peuvent choisir des viandes issues d'élevages herbagers. «*Ce type d'élevage est majoritaire en France, et ils ont des impacts positifs sur l'environnement (qualité de l'eau, stockage de carbone, prévention de l'érosion), l'aménagement du territoire et les paysages*», explique Barbara Redlingshöfer, chercheuse en écotrophologie *[étude de l'impact de l'alimentation sur l'environnement, ndlr]* à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). Et Danielle Nierenberg, auteure d'un rapport sur le sujet pour le Worldwatch Institute (un *think tank* écolo américain) de conclure: «*Ce n'est pas à moi de préconiser tel ou tel régime alimentaire. Mais ce que je peux dire, c'est que les gens concernés par la défense de l'environnement ont là un levier d'action formidable, et qui demande, somme toute, peu d'effort.*» Dont acte. Pour réconcilier tout le monde, disons que l'on fait ce que l'on veut. Ce que l'on met dans son assiette étant aussi intime que ce que l'on met dans son lit. On fait ce qu'on veut mais en faisant gaffe: aux autres – animaux compris –, à la planète, à son corps et au plaisir. LAURE NOUALHAT (1) «Les omnivores deviendront-ils herbivores ?», les Cahiers de l'Observatoire Cniel des habitudes alimentaires (Ocha), n°12. --------- «Un droit bien lâche de disposer du monde animal» Florence Burgat, directrice de recherche à l'Inra. *Pour ou contre la viande ?* * *Le partage se fait entre ceux qui, au nom d'une «éminente dignité métaphysique», considèrent que les animaux sont à la disposition de l'humanité pour satisfaire ses besoins comme ses désirs, et ceux qui, au nom de la capacité à souffrir, partagée par l'homme et par les animaux, estiment injustifiables l'assujettissement et l'exploitation violente des animaux. Il n'y a alors que des cas de légitime défense qui peuvent justifier le recours à la violence. Or, la consommation de viande n'entre pas dans ce cas. Que l'humanité s'offre un pur plaisir en faisant payer un tel prix aux animaux est particulièrement contestable. *Comment l'homme peut-il infliger de tels traitements aux animaux ? * Se reconnaître tous les droits sur les animaux ne conduit guère à s'interroger sur la manière dont ces droits sont exercés. Certains estiment, au mieux, que les «cruautés inutiles» doivent être proscrites, car l'homme avilit ainsi sa propre humanité. *Pourquoi autant de blocages – intellectuels, intimes, culturels, philosophiques et historiques – à l'encontre du végétarisme ?* * *L'hostilité à l'égard de ce régime est profonde. Elle ne se résume pas à une crainte de voir disparaître du paysage gastronomique cette bonne chère si française, elle exprime aussi une inquiétude de voir l'homme se déprendre d'un droit absolu, ancestral et bien lâche, disons-le, à disposer du monde animal de manière violente. Et si, tout à coup, l'homme devait cesser de se faire plaisir en tuant, en enfermant, en martyrisant les animaux? On peut voir dans la domination sur le monde animal une décision immémoriale et identitaire: l'humanité se pose face au monde animal en se l'appropriant, ce qui est une manière de s'en distinguer. *Certes, mais quand on allume un barbecue, on ne pense pas à tout ça… * Bien sûr, parce que le propre du culturel est d'être intégré à nos manières de faire et de penser. Ainsi, manger de la viande semble aller de soi, alors qu'il s'agit d'un choix discutable. Recueilli par LAURE NOUALHAT Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites