terrienne 0 Posté(e) le 12 novembre 2009 Ame. Il semble qu'on ait oublié la leçon de la langue. Un animal, c'est un être animé, et être animé c'est avoir une âme. Une âme, c'est-à-dire le principe vital qui fait qu'un individu peut se mouvoir et s'émouvoir. Au temps de la biologie moléculaire, l'âme animale, comme du reste l'âme humaine, peut sembler une vieillerie risible. Pourtant, il faut bien accepter, pour résister aux dérives scientistes, qu'il y ait plusieurs ordres de discours. C'est en quelque sorte le déni d'âme qui entraîne une chosification de l'animal, le transforme en bête machine et facilite son appropriation sans foi ni loi. Bétail. On en est venu à ne plus pouvoir prononcer ce mot sans penser aux massacres à grande échelle qui furent perpétrés, il y a quelques années, au titre du principe de précaution. En jetant des milliers de bêtes, parfois vivantes, dans des bûchers, n'a-t-on pas définitivement rompu le contrat naturel tacite, cette sorte d'arrangement entre les animaux et leurs éleveurs, qui avait été scellé au néolithique ? Compagnie. Se promener dans la campagne avec un chien, monter un cheval en forêt par un petit matin brumeux, écrire, et voir un chat installé sur la table au milieu des feuillets... Oui, mais il ne faudrait pas que l'enchantement de la présence animale occulte la condition des autres animaux. Droit. Jeremy Bentham, au XIXe siècle, a déclaré : "La question n'est pas : peuvent-ils raisonner, ni peuvent-ils parler, mais peuvent-ils souffrir ?" C'est dans son sillage que certains demandent aujourd'hui qu'on substitue une charte des droits du vivant à la Déclaration des droits de l'homme, ou que d'autres réclament l'extension des droits de l'homme aux chimpanzés. Si cette demande paraît trop radicale, la question d'un droit animalier ne disparaît pas pour autant. Elle n'a jamais été davantage à l'ordre du jour. Expérimentation. Elle devrait se régler sur la déontologie dite des trois R. Le remplacement, quand il est possible, qui consiste à substituer à des espèces sensibles des espèces non sensibles, ou à mener des expériences in vitro ; la réduction, à défaut de remplacement, qui tend à limiter le nombre des expériences sur les animaux sensibles aux seules expériences considérées comme indispensable ; le raffinement, qui vise à diminuer, autant que faire se peut, la souffrance infligée. Férocité. Elle n'est pas l'apanage des tigres ; férocité des réveillons où l'on mange du foie malade issu du gavage des oies et des canards, férocité des safaris et des carnages de cétacés. Génétique. Le séquençage du génome du chimpanzé a fait apparaître plus de 99 % de gènes en commun avec l'homme. Il nous appartient dès lors de demander ce que nous avons fait et ce que nous ferons du 1 % restant. Homme. "Différence" zoo-anthropologique, "propre" de l'homme... Pourquoi cet acharnement à répéter que ce que nous faisons, aucun animal ne saurait le faire, alors que les acquis scientifiques ne cessent de démentir cette auto-glorification ? Il importe, malgré tout, de maintenir disjointes des interrogations hétérogènes, celles qui portent sur l'origine de l'homme et sa parenté avec les autres espèces, d'une part, et celles qui touchent à la signification de l'humain, de l'autre. Industrialisation. Barbarie de l'élevage et de l'abattage devenus techniques agroalimentaires. La nécessité biologique de la chaîne alimentaire est une chose, le profit mercantile de la filière viande en est une autre. Je. Il y a des "sujets" qui ne peuvent pas dire "je". Les animaux, disons les vertébrés, ne sont pas des êtres de la nature mais des individus situés dans un environnement avec lequel ils interagissent ; ils ne sont pas des parties du monde, mais chaque espèce, et peut-être même chaque animal, a un certain rapport particulier au monde, une spontanéité, une subjectivité. Kyrie eleison. En grec, "Seigneur ayez pitié" ! Si les animaux maltraités adressaient cette supplication au maître et possesseur de la nature, l'entendrions-nous ? Langage. Les singes supérieurs communiquent avec les hommes par la langue des signes et par ordinateur. Quelle différence alors avec "nous" ? Réponse : "Un chien qui meurt et qui sait qu'il meurt comme un chien et qui peut dire qu'il sait qu'il meurt comme un chien est un homme." Métempsychose. La croyance à la réincarnation, à la transmigration des âmes, permet de nier la mort et d'affirmer que la différence entre les animaux et les hommes n'est que provisoire. Mais si des âmes humaines habitent des corps de bêtes, comment s'assurer que le mangeur de viande n'est pas un cannibale ? Nazisme. De toutes les contrevérités destinées à accabler les défenseurs des bêtes, celle qui consiste à répéter qu'Hitler et les hitlériens protégeaient d'autant plus les animaux qu'ils exterminaient les juifs est sans doute la plus méprisable. Oies. Malgré les rigueurs du siège de Rome par les Gaulois, les assiégés avaient gardé en vie les oies sacrées du Capitole. Lorsque, une nuit, l'ennemi tenta de s'emparer de la place forte par surprise, les sentinelles épuisées ne les entendirent pas, mais les oies se mirent à jacasser et ce sont elles qui donnèrent l'alerte. A partir de 1943, il y eut des troupeaux d'oies au camp de Sobibor (Pologne), dont les criailleries couvraient d'autres cris, ceux d'êtres humains qui comprenaient qu'on les avait amenés là pour les assassiner. Primates. On répertorie actuellement trois menaces pesant sur les grands singes. D'abord, la destruction de leur habitat forestier dans le but d'augmenter les surfaces agricoles. Ensuite, le virus Ebola qui frappe les chimpanzés et les gorilles. Enfin, les populations rurales qui les chassent dans un but alimentaire et braconnent en vue de vendre de jeunes singes. Allons-nous accepter la disparition de nos cousins ? Quasi. "Presque", "comme si", "comme s'ils comprenaient ce qu'on dit", "comme s'ils savaient ce qui les attend"... Nous mettre à leur place ne saurait nuire, si nous le faisons avec modération. Regard. Aucun animal n'aurait de regard... Les bêtes ne feraient jamais que scruter, épier, guetter. Mais les philosophes qui exaltent ce propre-là de l'homme ont-ils seulement regardé un chimpanzé, les yeux dans les yeux, n'ont-ils jamais vu ce regard dont les expérimentateurs eux-mêmes avouent qu'il les bouleverse ? Spécisme. C'est le mot par lequel les "animalistes" qualifient les "humanistes". Construit sur le modèle de "racisme" et de "sexisme", il permettrait de condamner l'humanité, cette espèce parmi les espèces, qui se considère abusivement comme différente et jouissant d'un droit sans limite sur les "animaux non humains". Cette terminologie est abusive, car elle traite comme une évidence naturelle la prétendue égalité de droits entre les hommes et les autres vivants. Nous, les hommes, ne sommes pas "spécistes", nous sommes parfois inhumains. Tuer. Pour se nourrir (abattage), pour se distraire (chasse), pour participer à une fête (corrida), pour contenter Dieu ou les dieux (sacrifice). Tuer toujours. User, abuser. Une séparation fondamentale du droit interdit de rapprocher le statut des choses ou des biens de celui des personnes. Mais où placer les animaux ? Tenus pour des êtres vivants, ils constituent pourtant des objets de transaction : appropriables mais sensibles, ils apparaissent comme les seuls êtres au monde à ne pouvoir être traités ni comme des sujets ni comme des objets. Victimes. Martyrs, ces vertébrés, ces mammifères nés, élevés et tués pour être mangés. Et, si l'on songe à ces choses au moment d'"attaquer" un morceau de viande, cette pensée fait-elle forcément de nous des végétariens ? Wagons. Transportant des chevaux d'Europe de l'Est, bétaillères que nous doublons sur la route, transports d'animaux entassés, assoiffés, blessés, terrorisés. C'est ce qu'on appelle "la viande sur pieds". Xénogreffes. Transplantation d'un greffon quand le donneur est d'une espèce biologique différente de celle du receveur. Le porc est l'un des meilleurs animaux donneurs d'organes pour l'humain. Des recherches ont été entreprises sur des porcs transgéniques, qui pourraient fournir des organes "humanisés". Leurs coeurs remplaceraient un jour nos tissus défaillants. S'il n'y avait pas tant de manipulations génétiques préalables, on pourrait s'en réjouir. Ypérite. Qui pense encore à ces chevaux, à ces compagnons de combat que montaient des cavaliers munis de masques à gaz, et à ces mulets et à ces chiens qui, pendant la Grande Guerre, furent asphyxiés, eux aussi, par le gaz moutarde qu'on nomme ypérite à cause des batailles qui eurent lieu à Ypres ? Zoophilie. On peut aimer certains récits de métamorphoses, ces fables mythiques d'unions charnelles entre mortels et dieux changés en animaux, on peut savoir que ces pratiques ont toujours existé chez tous les peuples et, en même temps, se sentir accablé par la pornographie zoophile qui, dit-on, se répand sur Internet. Faut-il rappeler que la loi du 9 mars 2004 incrimine les sévices sexuels exercés sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité ? Elisabeth de Fontenay, philosophe Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites