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Tnerolf-chuchoteur

Chapitre 2 "Premiers pas"

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Les cow-boys appellent ça être à "l'écoute", et ce petit mot tout simple a engendré toute une mystification. A en entendre certains, si vous n'êtes pas dans l'élevage depuis trois générations, c'est sans espoir. Et quand bien même vous auriez su monter avant de savoir marcher, ces gens-là attendront toujours de vous que vous écoutiez docilement un vieux sage vous transmettre son savoir_ tel Luke Skywalker face à Maître Yoda.

Ca n'a pas été mon cas. J'ai grandi à St. Catharine dans l'Ontario, sur la petite langue de terre qui sépare les lacs Ontario et Erié. Nous vivions entourés de vergers, d'eau et ce cités industrielles. Difficile d'imaginer un lieu plus éloigné des vastes plaines et des collines que l'on a coutume d'associer aux ranches et aux cow-boys. A en croire ma mère, quand j'étais petit, j'étais fou de Monsieur Ed, le cheval qui parle, à la télé. Personnellement, je n'en garde aucun souvenir et cela n'a sans doute pas grande importance. Comme sport, je pratiquais l'aviron. Mes mentors? J'ai appris au contact de nombreuses personnes, mais le plus souvent par l'observation, l'action et la réflexion. "L'écoute", en faite, ça s'acquiert, ça ne se transmet pas. J'en suis la preuve vivante.

Un beau jour, mes parents ont décidé de partir vivre à Swift Current, dans la Saskatchewan_ à l'ouest de L'Ontario. Swift Current se situe à la pointe sud-ouest de la province, c'est le pays des ranches, j'y ai connu mon premier cheval. Celui-ci appartenait à une copine de classe que j'aimais beaucoup voir évoluer sur sa monture. Peut-être avais-je seulement le béguin pour elle? Toujours est-il que le cheval n'était pas encore mon grand dada, à l'époque. Intéressant, sans plus. Mais quand même moins exitant que les filles, les sorties entre potes et la guitare. Mes grandes passions.

Le temps a passé, nous avons quitté le lycée, certains de mes copains sont partis chercher du travail_ dans l'industrie pétrolière de l'Alberta, pour la plupart. D'autres se sont inscrits en fac et ont passé quatre années supplémentaires à se former à des métiers. Allez savoir pourquoi, aucune de ces voies ne m'intéressait. Par conséquent, un jour de 1978, j'ai pris la seule décision logique qui s'offrait à moi: monter une petite caravane pliante à l'arrière d'un vieux pick-up, puis partir pour les montagnes. J'ai passé l'hiver suivant à écumer les stations de sports d'hiver, à relever tous les défis qui se présentaient, à tenter ma chance auprès de toutes les beautés que je croisais. A la fin de la saison, je me suis retrouvé du coté de Whistler, en Colombie-Britannique. Hésitant sur la suite à donner à mon expédition, j'ai franchi la frontière direction Seattle. Là, mû par un mélange de curiosité et d'envie de vivre au contact des chevaux, je me suis rendu au champ de courses de Longacres, à la recherche d'un boulot.

Sans rien connaître aux chevaux, j'ai tout de même réussi à trouver du travail, celui auquel personne n'échappe, en début de carrière, dans ce métier: palefrenier. Je vivais avec les chevaux, dans une stalle aménagée sommairement. En m'endormant, j'entendais leurs hennissements; à mon réveil, j'avais les narines pleines de leurs odeurs. Vous comprendrez facilement que, mes premières leçons équines, je les ai apprises là , en nettoyant ces petits box qui abritaient d'énormes pur-sang nerveux.

Première évidence: ces créatures ont leurs propres personnalité et humeur. Certaines sont devenues des amies, d'autres sont restées des ennemies durant l'intégralité de mon séjour là-bas. Mais surtout, toutes semblaient me craindre davantage que je ne les craignais moi-même. Un jour, un de ces chevaux m'a dit une chose que je n'ai comprise que des années plus tard: quand j'exerçais une pression sur lui, il détournait la tête, puis la ramenait dans ma direction par un mouvement rotatif arrière, pour surveiller que je m'éloignais de lui. Nous y reviendrons plus tard car c'est un point important pour qui veut comprendre les chevaux.

Quoi qu'il en soit, je me suis découvert une sorte de goût pour ce travail exigeant et salissant. L'héritage de mes années d'aviron, peut-être: peu de sports demandent autant de persévérance et d'efforts intenses que l'aviron de compétition. Mais je me suis surtout découvert un amour pour les chevaux_ les bruits qu'ils font lorsqu'ils mangent, le bonheur d'approcher un animal doux, affectueux et décidé à passer un peu de temps avec vous. Je comprenais vite, les dresseurs s'en sont rendu compte. Bientôt, ils me laissaient promener les chevaux pour les calmer après l'entrainement, puis les panser. Par la suite, je me suis vu offrir une place d'assistant dresseur chez un éleveur. J'y ai approfondi mes connaissances en matière de soins et de nutrition. Je me suis aussi formé à d'autres tâches indispensables, comme construire une bonne clôture.

L'hiver revenu, j'ai plié bagage et je suis reparti skier_ fin du premier apprentissage. Mais les chevaux n'ont pas tardé à me manquer. Je me suis donc mis en quête d'un travail qui me permettrait de les retrouver aussi l'hiver. Et en 1981, épaulé par la chance et l'audace de mes vingt ans, j'ai réussi à décrocher le boulot dont je rêvais: à Whistler, je suis parvenu à persuader le propriétaire d'un attelage de chevaux de trait_ qu'il utilisait pour promener les touristes dans les environs_ de me laisser m'occuper de ses animaux. Après m'avoir appris à les atteler au chariot, il m'a laissé les mains libres. En dehors des rares fois ou le chariot aura basculé dans un fossé, ou tel cheval m'aura échappé, cet hiver s'est plutôt bien déroulé. J'apprenais à conduire et à monter.

L'hiver suivant, je suis parti rendre visite à un ami qui travaillait au lac Tahoe, dans le Nevada, dans le ranch central d'un vaste complexe comprenant quantité de manèges et de structures pour touristes. Ils possédaient des centaines de chevaux, et je leur ai donné la main quelque temps. Vous vous en doutez, ils m'ont proposé une place. Avant d'accepter, j'ai laissé passer quelques mois, et c'est là que tout à réellement commencé.

Dans le Nevada, je travaillais douze heures par jour, en pension complète, et on me versait cent dollars par semaine au noir. J'étais apprenti. Mon boulot consistait à nourrir, panser, seller, brider et monter les chevaux. Je le reconnais sans peine, à cette époque-là tout n'était pas toujours rose entre eux et moi. Je ne connaissais alors que trois choses: quand patienter, quand me montrer ferme, quand reculer. J'avais les mains douces, c'était un bon point. Elles me venaient peut-être de la pratique de la guitare, mais en fait, j'ai toujours eu cette faculté de toucher le bon endroit en douceur_ de même que certains savent placer l'aiguille d'un tourne-disque directement sur le sillon, tandis que d'autres tâtonnent davantage.

L'activité principale du ranch consistait à dresser de jeunes chevaux à la balade. La plupart de mes collègues avaient certes une grande adresse, mais ils appliquaient les leçons de l'ancienne école, très dure envers les animaux. Heureusement, parmi eux se trouvait un maréchal-ferrant qui m'a énormément appris. John Barnes ne savait ni lire ni écrire_ chaque fois qu'il avait posé un fer, il faisait une entaille dans un bâton si bien que, à la fin de la journée, il savait à quoi s'en tenir_, mais il savait comment s'y prendre avec les chevaux et il me glissait quelques conseils précieux à l'occasion.

Au nombre de ses aphorismes: "Un cheval doit aller de l'avant, même pour reculer", "Quand le cheval fait ce que tu lui demandes, arrête de demander". John a été le premier à me dire de ne pas me planter devant un cheval, mais de le laisser respirer. C'est lui qui m'a expliqué qu'un cheval exprime son irrespect en vous tournant le dos. Aujourd'hui encore, chaque fois que je donne des cours, j'emploie les mots de John.

Cet automne-là, j'ai eu un accident qui a modifié mon approche des chevaux. Je montais beaucoup, souvent à bride abattue sur des terrains difficiles. Un jour pendant une de ces courses, je me suis retourné, hilare, pour regarder le cavalier qui me suivait_ mon cheval a trébuché, nous sommes tombés. Résultat: treize fractures à une jambe, trois côtes cassées et une fracture du crâne. En conséquence, j'ai passé l'essentiel de l'automne à l'hôpital, et tout l'hiver suivant en rééducation. Le cheval avec lequel j'ai chuté n'était pas un méchant, c'est moi qui avais manqué d'attention. Au printemps, lorsque je suis retourné travailler, j'ai tâché de mieux observer les chevaux. Mon accident m'avait bien calmé, je ne cherchais plus la vitesse à tout prix, j'avais donc d'avantage de temps pour réfléchir. Je me demandais s'il serait possible de travailler un peu plus avant de monter, de façon à rassurer l'animal, à le tranquilliser. Leçon importante.

J'ai passé quatre ans dans ce ranch. L'hiver, je skiais; le reste du temps, je m'occupais des poulains. Je vivais littéralement pari les chevaux, ma caravane pliante parquée derrière les corrals. Je les "travaillais" jour et nuit: assis sur une botte de foin, à les observer. Les animaux que je côtoyais avant étaient gardés dans des box; là, au ranch, tous vivaient ensemble. Parfois, lorsque je devais aller chercher un cheval au milieu de cent autres dans un grand enclos, et qu'il refusait de se laisser prendre, je devais tenter de l'isoler. Sauf que, quand un cheval commence à s'agiter, les autres ne tardent pas à l'imiter, et vous vous retrouvez très vite dans un tourbillon de poussière et de sabots. Avec le temps, j'ai appris à pressentir ce genre de situation. Je prêtais attention aux interactions entre les chevaux. Je commençais à comprendre les dynamiques du troupeau, sa hiérarchie naturelle. Au terme de ces quatre années_ la durée moyenne des études universitaires, soit dit en passant_, j'avais développé un certain sens de "l'écoute". Mon approche était encore bien trop agressive et violente, mais je m'améliorais.

C'est alors que le ranch a fermé ses portes. J'ai rassemble mes économies et je me suis lancé seul dans le commerce et le dressage des jeunes chevaux. Cela a duré jusque vers 1989, année ou j'ai ouvert un petit ranch pour touristes. Pas de chance pour moi, la hausse des primes d'assurance, au milieu des années 1980, a achevé d'ôter toute rentabilité à l'exercice, et j'ai dû fermer mon établissement. A nouveau, j'ai rassemblé mes économies et je me suis lancé seul dans le métier de dresseur free-lance. Très vite , je suis tombé amoureux d'une de mes premières clientes.

Robin était un vrai coeur. Les chevaux, elle les connaissait mais elle manquait un peu de pratique. En revanche, les forces de la nature, elle savait bien les manier. Robin, était propriétaire d'une petite affaire de voile sur le lac Tahoe. Elle-même naviguait. La journée, pendant que je montais mes poulains, elle offrait aux touristes des expériences inoubliables sur les eaux du lac.

Nous nous retrouvions après le travail. Parfois, elle me donnait des leçons de voile; la plupart du temps, elle venait s'occuper de sa jeune jument croisée arabe-quarter avec moi. Le mariage ne s'est pas fait attendre.

Par la suite, avec l'aide d'un ami commun, nous avons ouvert un ranch au coeur des Pine Nut Mountains du Nevada. Nous ne pouvions recevoir que dix personnes à la fois. les installations étaient superbes, les pistes de randonnée époustouflantes. Mon travail consistait principalement à assurer l'entretient de la plomberie, à emmener nos clients en balade, ainsi qu'à acheter des poulains, commencer leur dressage, puis les vendre.

Le temps aidant, nous avons développé n os activités: nous accueillions alors jusqu'à deux cents personnes pour des excursions comprenant promenades en chariot, pose de fers et barbecues. Il m'arrivait même de monter sur scène, guitare en bandoulière, et de pousser la chansonnette pour nos clients.

Cela ne dura pas plus de quelques années. Robin n'appréciait pas plus que moi de gérer ces flux de touristes. En outre, le Canada me manquait. Je l'avait quitté depuis près de dix ans. Pire que tout, je commençais à me rendre compte que mon amour pour Robin n'était pas aussi profond que je le croyais.

Enfin, comme notre partenaire n'assurait pas toute sa part du travail, la situation ne convenait plus à personne. Notre chance aura été que le succès du ranch attira un acheteur assez rapidement.

Je me suis ensuite de nouveau consacré aux poulains, et Robin s'est lancée dans une nouvelle carrière. Je travaillais alors quatorze heures par jour, sept jours sur sept, pour éviter d'assister au naufrage de notre couple. Robin et moi n'avons pas mis longtemps à profiter de la législation souple et relativement indolore du Nevada en matière de divorce.

Vous vous doutez bien que, cette expérience passée, je me suis plongé corps et âme dans le travail. Dans la région, tout le monde possédait un enclos rond dans son jardin. On y faisait faire leurs premiers pas aux poulains pour éviter qu'ils prennent l'habitude de se réfugier dans un coin du corral. Pour ma part, j'ai commencé à utiliser mon enclos comme lieu d'expérience, ou je pouvais faire travailler un cheval et lui apprendre les bonnes manières. Je ne pensais pas encore en termes d'unité et de communication entre l'animal et l'homme. Tout ce qui m'intéressait, c'était de le faire travailler jusqu'à ce qu'il n'ait plus envie de fuir_ essayer d'appliquer ce que j'avais appris dans mon premier ranch.

Dans les environs, les gens commençaient à savoir que j'étais quelqu'un de compétent pour ce qui était des premières étapes du dressage et de rendre un cheval fiable. Un jour qu'un sellier de la région me regardais travailler avec un animal, il m'a demandé si j'avais déjà entendu parler d'un certain Ray Hunt. En ce temps-là, Hunt était l'une des grandes figures de notre profession, mais sa renommée restait confinée aux seul cow-boys. Je ne le connaissait pas personnellement. Hunt effectuait des démonstrations à quelques kilomètres de chez moi, je suis donc allé le voir à l'oeuvre, et j'ai compris que nous suivions les mêmes principes. En fin de journée, on m'a présenté à lui_ le jeune du coin qui avait une certaine adresse auprès des chevaux. Je ne reculais devant rien. Hunt m'a demandé si j'avais appris quelque chose en l'observant. Ma réponse: "Et comment. J'ai appris que je devrais moi aussi faire des démonstrations." Ce grand homme a eu la noblesse d'éclater d'un rire franc, ponctué d'un: "Grand bien te fasse!".

C'est l'un des aspects du métier que je préfère: les gens sont directs, ils ne mâchent pas leurs mots et apprécient ces mêmes qualités chez ceux qu'ils rencontrent. Cela leur vient peut-être du contact des chevaux.Autre point tout aussi important, j'ai découvert que d'autres suivaient la même démarche que moi, préférant créer un lien avec l'animal plutôt que le rudoyer. Qui plus est, cette méthode était baptisée d'un nom charmant: le dressage sans résistance. Moi, J'appelais ça "jouer au cheval".

Toujours est-il que tout allait bien pour moi. Pas mal de gens me confiaient des chevaux à dresser. De jeunes animaux et des plus âgés. Je les faisais travailler en vue de l'attelage, de la monte (western ou anglaise) et du dressage. Et le meilleur restait à venir.

Un jour, lors d'une exhibition, une jeune femme est venue me trouver, accompagnée d'un cheval quelque peu rétif. Anita Zdancewiecz était dresseur professionnel, mais son animal refusait de regagner son van. Je me suis donc mis à "travailler le cheval", tandis qu'Anita m'interrogeait sur mes techniques. Personne ne l'avait fait avant elle. D'ordinaire, je travaillais seul, et plus ou moins à l'instinct. Pour la première fois de ma carrière, je me retrouvais à devoir m'expliquer. Anita me demandais "Tu fais quoi?", "Comment as-tu su qu'il fallait arrêter?" ou "Comment as-tu fait pour anticiper ça ?", etc.

Elle s'y connaissait bien, en chevaux_ davantage que moi. Anita ne ratait pas une seule journée de travail, elle m'observait. Très vite, je me suis mis à commenter non-stop ce qui se passait: "Regarde, il va se détendre et s'étirer" ou " Regarde, je crois qu'il s'apprête à se lécher les lèvres." Après toutes ces années de travail, et les centaines de chevaux qui étaient passés entre mes mains, je savais comment leur parler et les écouter, mais Anita m'obligeait à rationaliser les choses puis à les lui expliquer_ d'abord à elle seule, par la suite à des connaissances à elle, qui montaient à l'anglaise. Pour la première fois, je commençais à comprendre ce que je faisais. Une petite futée, cette Anita. Pas question de la laisser filer. Nous nous sommes mariés quelques temps plus tard.

Voilà plus ou moins l'histoire de mon apprentissage des bases de ce que l'on appelle aujourd'hui le dressage par murmures. Les subtilités de cette méthode me demanderaient encore pas mal de travail. J'en apprend encore chaque jour. Concernant la monte, tout commence par l'observation, l'écoute (des gens et des chevaux) et l'expérience, parfois douloureuse (je me suis cassé une trentaine d'os pour apprendre). Je suis également allé glaner l'inspiration ailleurs qu'auprès des chevaux. L'aviron m'avait ainsi enseigné la discipline indispensable au travail dur et m'avait donné ce sens de l'équilibre centré sans lequel un cavalier n'est rien. La guitare m'avait donné des mains douces. Le ski m'avait appris à travailler avec les forces de la nature, et non contre elles.

Au début des années 1990, j'ai senti que se développait quelque chose de plus important que la simple "adresse" vis-à-vis des chevaux. Professionnellement, j'allais de succès en succès. J'avais remporté dix-huit championnats d'Amérique avec des mustangs sauvages, en monte comme en attelage. L'adorable petite jument que j'avais dressée était la coqueluche de toutes les exhibitions, nationales et régionales, du Nevada. Cerise sur le gâteau, je m'étais forgé une bonne réputation auprès de toute la profession, du personnel de Calgary Stampede jusqu'au célèbre dresseur Willy Arts. Mais grâce à Anita, j'ambitionnais désormais de devenir professeur.

Quiconque a jamais enseigné sait que l'exercice vous oblige à réfléchir plus profondément à ce que vous transmettez. Je n'ai pas fait exception à la règle. Seul au milieu d'un enclos rond, entouré d'un ballet de chevaux qui formaient comme un cercle sacré plein de vie, de souffle et de bruit, je n'avais pas beaucoup de temps pour réfléchir à chacun de mes gestes, à leur sens, aux effets qu'ils produisaient sur moi.

Tout petit déjà, j'étais du genre rêveur et replié sur moi-même. A la maison, tout n'était pas rose. Un de mes parents était alcoolique, il aimait bien me rabaisser et me taper dessus. Entouré de mensonges et de dérobades, habitué à vivre avec la douleur, je me suis longtemps interrogé sur les notions d'intégrité, d'authenticité et de valeur.

Enfant, pour trouver des réponses, je me suis d'abord tourné vers les scouts. J'adorais leurs rituels et leurs traditions, cette dévotion envers l'honneur et le don du meilleur de soi. Et c'est au cours de sorties avec eux que j'ai découvert la nature. Je suis devenu le chef de notre section locale. Je repense à une coupure de journal sur laquelle on me voit à la tête de ma troupe lors d'une cérémonie du 11 Novembre. Les autres enfants ont l'air distraits, pas à ce qu'ils font; contrairement à moi, bien droit, concentré sur la cérémonie et sa signification.

Hélas, mon passage chez les scouts s'est terminé bien tristement le jour où l'on a découvert qu'un prêtre lié au mouvement en profitait pour abuser un jeune garçon. Ces rituels que j'aimais tant ne faisaient que dissimuler mensonges et abus, j'ai choisi de partir.

Pour m'orienter vers le sport. L'aviron était la discipline n)1 à St.Catharine's, et c'est ma quête de sens qui m'a poussé à m'y donner à fond. Au point que, avec l'équipage de la ville, nous avons remporté la régate Royal Canadian Henley, l'un des grands rendez-vous de l'aviron chez nous. Au moment de recevoir ma médaille, sur le podium, face à des milliers de spectateurs en transe, j'ai fondu en larmes. J'avais ma médaille d'or et mes quinze minutes de gloire, et ensuite? Le vide n'avait pas disparu.

Les doutes subsistaient encore quand ma famille a emménagé à Swift Current. Personne ne m'aidait vraiment_ je passais pour une espèce de cinglé aux yeux de ma famille, si je leur posais trop de questions; quand ils ne me conseillaient pas carrément d'oublier ces problèmes et de me trouver du boulot. Je lisais beaucoup. Je me suis fait baptiser, j'ai même subi une expérience de renaissance. Sans pour autant trouver de réponse.

Une époque difficile. Malgré la musique, ma copine et mes copains, je me sentais cabossé, épuisé. Pour paraphraser Jack Kerouac, j'étais au fond de mon âme, le regard tourné vers le ciel.

Enfin, vers l'âge de 19ans, j'ai passé quelques semaines dans un monastère de la Saskatchewan. Discuter avec ces hommes bons et sages m'a permis de comprendre que mon chemin me mènerait vers la nature, à la recherche d'une forme de guérison et d'un avenir plus radieux grâce au travail.

Je n'ai pas fait autre chose le jour où je suis parti pour les montagnes avec ma petite caravane. Je ne faisais pas autre chose quand j'ai commencé à dresser les chevaux. Et je ne fais toujours pas autre chose aujourd'hui, chaque jour de ma vie.
A l'époque de mes premières leçons, j'avais déjà constaté que mon travail auprès des chevaux_ ces merveilleux émissaire du monde naturel_ m'avait fait découvrir, en moi, des qualités £que j'étais ravi de rencontrer. Au bout du compte, je me suis aperçu que ce que je faisais dans l'enclos était lié à ce que je faisais dans ma vie. Et ce raisonnement a bientôt trouvé ses applications concrètes. J'ai établi des comparaisons, prêté davantage attention aux paroles et au vécu des gens, et je crois que c'est ainsi que j'ai commencé à saisir la signification réelle de mes actes. A l'instar de mes chevaux, mes pensées dansaient en ballet dans ma tête.

J'y reviendrai. Le moment est venu de parler des chevaux



Suite au chapitre 3 prochainement ^^

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Invité
Merci d'avoir mis le chapitre 2 il y a combien de chapitre en tout ?

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