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Le crapaud de Kihansi

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Les petits crapauds tanzaniens (Nectophrynoides asperginis) en tragique disparition.


Comment sauver une espèce dont l’écosystème est détruit à jamais ?
C’est le problème que posent les derniers crapauds de Kihansi, aujourd’hui hébergés par des zoos américains.


Nectophrynoides asperginis (crapaud de Kihansi)


Dans le zoo du Bronx, après la salle des serpents et ses pythons gigantesques, se trouve une pièce isolée au taux d’humidité très élevé et au plafond très bas. Cinq petits terrariums abritent 159 amphibiens de couleur moutarde, à peine plus gros qu’un ongle (environ 20 mm), et qui sont sans doute les derniers représentants de leur espèce.

Douze mille huit cents kilomètres séparent ces crapauds vivipares de leur habitat naturel, à savoir les gorges de Kihansi, situées dans les montagnes d’Udzungwa, en Tanzanie.


Cascades de Kihansi en Tanzanie


Depuis des millions d’années, une cascade gigantesque répandait sur ces gorges un crachin constant et y soufflait un vent perpétuel, créant ainsi un environnement très spécifique où vivaient ces crapauds en compagnie d’autres créatures endémiques. En 2000, un barrage hydroélectrique a diminué le débit de la chute d’eau de 90% et l’écosystème humide des gorges a disparu. Depuis, des scientifiques de toutes les disciplines se sont succédé afin d’imaginer des moyens sophistiqués et inédits pour sauver le crapaud et son monde perdu.
L'histoire qui sa suivre, montre à quel point il est facile pour l’homme de perturber la nature, et que même les meilleurs scientifiques ne sont pas toujours capables de réparer les dégâts.

Les hautes montagnes d’Udzungwa dominent une mer de savane sèche et font partie de l’arc montagneux de l’Est africain, un archipel en forme de croissant qui regroupe neuf chaînes de montagnes. On y trouve les forêts vierges les plus anciennes de la planète.

Grâce à leur isolement et à la stabilité du climat, la flore et la faune de cette région ont eu 10 millions d’années pour évoluer tranquillement. Des milliers d’espèces spécifiques de plantes et d’animaux vivent dans ces neuf chaînes de montagnes. Certaines limitent leur habitat à une seule chaîne, voire à un endroit très localisé. Le crapaud de Kihansi (Nectophrynoides asperginis) est le vertébré qui dispose du territoire le plus petit : 2 hectares seulement. Et, selon certains biologistes, il vit dans ces gorges ou à proximité depuis au moins 10 millions d’années. Les gorges commencent à l’endroit où le fleuve Kihansi chute d’une hauteur de 100 mètres puis de 750 mètres, et poursuit son cours sur 4 kilomètres de méandres et de cascades. Le débit du fleuve reste constant toute l’année, alors que les autres cours d’eau de la région disparaissent à la saison sèche. Les falaises à pic et les eaux tumultueuses ont longtemps dissuadé les humains de pénétrer dans ce sanctuaire, permettant ainsi à ces créatures de la bruine de vivre à l’écart du monde des vivants.

Mais la forte déclivité du terrain et le débit constant du cours d’eau forment également des conditions idéales pour les centrales hydrauliques. En 1983, des ingénieurs ont donc imaginé de dévier le cours du fleuve via un barrage érigé au-dessus des gorges vers un tunnel équipé d’une turbine. D’après une étude sur ce réservoir de 20 hectares, l’impact écologique de ce projet de 270 millions de dollars, financé à l’origine par des prêts de la Banque mondiale, devait être bénin.


“Cette population était vouée à disparaître”

En 1994, les travaux commencèrent. Des banques de développement norvégiennes, suédoises et allemandes vinrent par la suite participer au projet, en insistant sur le respect de la faune et de la flore. C’est pourquoi, en 1996, alors que la construction du barrage était déjà très avancée, on permit aux biologistes, et notamment au spécialiste en herpétologie Kim Howell, de l’université de Dar es-Salaam, d’aller explorer les gorges. Ils y découvrirent environ 50.000 représentants des fameux crapauds, dissimulés dans d’épais tapis de mousse.

Les biologistes comprirent tout de suite qu’il y avait peu d’espoir de sauver le batracien. “Des que nous avons découvert l’endroit, nous avons su que cette population était vouée à disparaître”, explique un consultant étranger, qui, comme beaucoup d’autres, a tenu à garder l’anonymat du fait des tensions politiques engendrées par le barrage. Les biologistes cherchèrent alors d’autres sites pour y transplanter les crapauds. Sans succès. Ils conseillèrent alors de ne dévier que la moitie du débit du fleuve, mais cette recommandation resta lettre morte.

En 1999, des journaux européens eurent vent de ces études jamais publiées et de l’existence du Nectophrynoides asperginis, ce crapaud en voie de disparition. Craignant l’extinction de l’espèce, le gouvernement tanzanien a permis à la Wildlife Conservation Society (institution américaine de protection et de conservation des animaux et des écosystèmes, basée a New York, dans le parc zoologique du Bronx) de prélever 500 crapauds afin de les élever en captivité dans une demi-douzaine de zoos américains.


Mais les amphibiens souffraient en captivité et furent rapidement victimes de problèmes pulmonaires, d’infections, de problèmes osseux, de parasites intestinaux et de carences nutritionnelles. Toute reproduction semblait exclue. Au printemps 2004, les zoos du Bronx et de Toledo (dans l’Ohio) ne comptaient plus que 70 survivants. Mais, en 2005, les crapauds ressuscitèrent. Les vétérinaires du zoo avaient prescrit des traitements efficaces et avaient découvert que l’éclairage ultraviolet du zoo était trop fort : les crapauds préféraient la lumière tamisée d’ampoules de 12 volts. Ils recommencèrent alors rapidement à se reproduire et il y a désormais 300 crapauds répartis entre les deux zoos.

Un spécimen de Nectophrynoides asperginis avec un juvénile, de couleur violet, sur son dos



L’environnement des gorges ne peut être restauré

Pendant ce temps-la, à Kihansi, la situation a commencé par s’améliorer. Grâce à un système d’irrigation par aspersion installé début 2001 (de l’eau envoyée sous pression retombe en fine pluie artificielle), les plantes des marécages ont doucement récupéré. Durement touchée, la population des proies du crapaud, comme l’insecte endémique Ortheziola, a également augmenté, explique Peter Hawkes, un entomologiste consultant de Pretoria, en Afrique du Sud. Encore plus encourageant, d’après des rapports internes de juin 2003, environ 20.000 crapauds ont à nouveau peuple la zone.

Mais, un mois plus tard, cette population s’effondrait à nouveau. On n’en comptait plus que 40 en août 2003, et seulement 5 en janvier 2004. Depuis, ils ont sans doute tous disparu.

Pour les biologistes, il y a plusieurs coupables. La cause première est sans doute un champignon, la chytridiomycose, une infection mortelle de la peau, qui fait des ravages chez les amphibiens du monde entier. D’après les données recueillies, le champignon n’était pas encore présent au début des travaux. Les systèmes d’aspersion pourraient avoir propagé le virus, tout comme les bottes des dizaines de scientifiques venus des quatre continents.

D’autres remarquent que cet effondrement de 2003 coïncide avec la brève ouverture des vannes du barrage destinée à éliminer les sédiments. D’après des analyses, ces sédiments étaient gorgés de pesticides utilisés en amont par un nombre croissant de cultivateurs de maïs, et ces fortes concentrations toxiques auraient pu tuer les crapauds.

Mais il ne s’agit là que des causes immédiates. Pour de nombreux scientifiques, l’environnement des gorges a été irrémédiablement altéré et ne peut être restauré : les changements ont affaibli les crapauds, et les produits chimiques ou les maladies n’ont fait que les achever. Par exemple, la bruine produite par la cascade recouvrait le sol de limon fertile, alors que l’arrosage artificiel se contente de vaporiser de l’eau qui laisse les sols friables et sensibles à l’érosion. La force des chutes d’eau provoque également un vent incessant, dont le rôle dans cet écosystème demeure inconnu. “On ignore jusqu’a quel point ce système artificiel est adéquat”, explique l’ingénieur en ressources hydrauliques John Gerstle, de Hydrosphere Ressources Consultants, à Boulder, dans le Colorado, qui a supervisé jusqu’en 2004 une grande partie des travaux de restauration dans les gorges. “Il est difficile de reproduire une situation que l’on ne comprend pas parfaitement.”

Source: naturendanger.canalblog.com

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