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Contre les algues vertes: transformer une pollution en source d'énergie

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Les algues vertes qui pourrissent sur les plages bretonnes deviennent une véritable menace sanitaire. Pour lutter en amont contre ce fléau, et éviter que le lisier pollue l'eau de ses nitrates, des agriculteurs bretons ont monté une usine de méthanisation.

Une expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) parue le 6 septembre confirme que les sangliers retrouvés morts cet été sur les plages de Côtes d’Armor ont bien été victimes de l’hydrogène sulfuré émis par la décomposition des marées d’algues vertes. L’Ineris a de son côté mesuré des teneurs mortelles de ce gaz sur les plages et estime qu’un accident mortel n’est pas à écarter. Durant tout l’été 2011, 53.000 tonnes d’algues vertes ont été collectées.

Pollution agricole


L’origine agricole de ce phénomène n’est plus à prouver. Les plans régionaux peinent toujours à réduire les teneurs en nitrate qui part dans les rivières et nourrit in fine les ulves. La réduction de la taille des élevages, l’arrêt des épandages d’engrais chimiques, une évolution du modèle intensif breton vers une agriculture moins spécialisée dans la production animale à bas coût restent les solutions les plus pérennes. La méthanisation peut également permettre de réduire les pressions sur l’environnement. Le 7 juillet 2011, en visite en Bretagne, le Président de la République s’est déclaré favorable à l’installation d’unités de méthanisation au plus près des élevages.
En Côtes d’Armor, les agriculteurs de la communauté de communes de Mené ont inauguré en juin la première usine de ce type.

Produire du biogaz

A Mené, à une trentaine de kilomètres de Lamballe, les 35 agriculteurs qui se sont échinés sur ces terres granitiques pas très généreuses n’auraient jamais pu tenir sans l’élevage hors sol des porcs : «j’élève 150 truies sur 6 hectares de terre», témoigne ainsi Jean-Luc Gueguen, éleveur local. Soit très peu de terrains pour épandre les déjections animales. Or, ici, c’est la tête de bassin. Toutes les eaux de pluies réceptionnées s’écoulent vers la baie de Saint Brieuc, là où les sangliers sont morts cet été: «nous sommes bien responsables de la prolifération de ces algues qui envahissent le littoral» reconnaît Jackie Aignel, maire de Saint-Gouëno et ancien agriculteur.

Au détour des années 90, les porcs rapportent de moins en moins et les atteintes à l’environnement sont de plus en plus visibles. De ce marasme, naît en 1995 Mené Initiative Rurale (MIR), une association dédiée à la revitalisation de la région. On y discute de la mauvaise image environnementale de l’agriculture, de la désertification rurale, de la crise énergétique qui s’annonce. L’idée de la méthanisation émerge ainsi. En mettant le lisier dans des digesteurs montés à température idéale de 35°C pour accélérer la fermentation des matières organiques par des bactéries, on produit d’énormes quantités de biogaz que l’on peut brûler pour produire de la vapeur, actionner une turbine et ainsi produire de l’électricité. Le résidu de l’opération constitue un excellent compost qui peut être exporté comme engrais. C’est une idée magnifique qui n’a pour de petits agriculteurs qu’un seul inconvénient : c’est un procédé industriel, techniquement pas simple à monter, financièrement onéreux: «on n’a pas arrêté d’entendre des gens qui nous disaient que ça ne marcherait jamais », rigole Dominique Rocaboy.

L’inauguration de l’usine Géotexia le 18 juin 2011, constitue donc une sorte de revanche. Entre les premières études en 1998 et ce jour de 2011, il a fallu treize ans et beaucoup de patience pour faire sortir au milieu des champs de Saint-Gilles du Mené une unité de méthanisation de 15 millions d’euros plutôt imposante avec ses énormes réservoirs à lisier, la forme bombée des digesteurs, l’alternateur de grande taille. Géotexia est une structure à trois parts égales: une Coopérative d’Utilisation du Matériel Agricole (CUMA), Idex, société de gestion industrielle de l’énergie, et la Caisse des dépôts et consignations, prêteur des fonds. Les 35 agriculteurs membres de la CUMA actionnaire d’un tiers du capital de l’usine, apporteront 35.000 tonnes de lisiers par an. Ces effluents seront mélangés à 40.000 tonnes de déchets agroalimentaires d’une usine voisine d’abattage et de découpage de viande de porc.

Une usine de proximité


La production attendue est de 13 millions de kWh d’électricité, de 4 millions de kWh de chaleur pour des serres voisines et 6000 tonnes d’engrais azotés secs qui ont déjà trouvés preneurs auprès de céréaliers du Loiret pour remplacer le nitrate d’ammonium chimique. Pour un cadre d’une grande entreprise de gestion de l’eau, cette réussite mérite d’être méditée: «c’est un projet à la dimension de son territoire où les agriculteurs ont donné des gages à leurs concitoyens, comme celui de ne pas profiter de l’usine de traitement pour augmenter la taille de leur élevage. Ils ont joué la proximité et mis en valeur l’intérêt pour les riverains de voir ce projet aboutir». La Bretagne n’oublie pas en effet les énormes projets industriels de méthanisation, tous abandonnés devant les oppositions des riverains comme des associations de défense de l’environnement : trop grands, avec un bassin de collecte trop vaste obligeant à des milliers de kilomètres annuels de collecte de lisiers par de gros camions citernes et surtout d’énormes digesteurs de méthane inquiétants pour les riverains. Ici, la CUMA a investi dans un seul camion citerne de collecte et c’est un enfant du pays qui le conduit.

Produire son propre carburant

Toujours en CUMA, les agriculteurs de Mené ont aussi créé leur huilerie alimentée par leur colza. Menergol produit suffisamment d’huile végétale pure pour alimenter les 120 tracteurs répertoriés dans la région: «nos engins agricoles consomment du pétrole dont on nous dit qu’il va être de plus en plus cher et rare, s’inquiète Jackie Aignel. Or, pour faire pousser des plantes et élever des bêtes, il faut beaucoup d’énergie. Nous avons donc désormais notre propre source locale de carburant dont le prix ne dépend pas de cours mondiaux décidés loin d’ici ». Les maires se sont aussi engagés. Deux chaufferies au bois ont été construites à Saint Gouëno et Le Gouray. Le prix garanti est de 60 euros la tonne: «la plupart des salariés ici travaillent à l’usine d’agroalimentaire où les salaires sont très bas, assure Jean-Pascal Guillouët, actuel président de la Communauté de communes. Ces personnes seront les premières touchées par l’augmentation des prix de chauffage au fuel. Le bois garantit des prix stables ». A Saint-Gouëno, le toit de la chaudière collective accueille par ailleurs des panneaux photovoltaïques.

Avec tous ces investissements très souvent subventionnés par la Région, le Département et l’Europe, la Communauté de communes de Menée atteint aujourd’hui 24% de production d’énergie renouvelable, soit sensiblement l’objectif assigné à la France par l’Europe pour 2020. Or, à cette échéance, Mené entend bien avoir atteint les 100%! Pour cela les idées ne manquent pas. Les élus comptent évidemment sur la création de nouvelles unités de méthanisation plus modestes à l’échelle d’exploitations, sur l’installation de panneaux solaires et l’extension des chaudières collectives à bois, mais entend aussi financer grâce à l’épargne des habitants, un parc éolien.

Loïc Chauveau Sciences et Avenir 09/09/2011

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