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Les plathelminthes tueurs de lombrics

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Ils commencent à défrayer la chronique, mais ils sont parmi nous depuis plusieurs années : les plathelminthes dévoreurs de vers de terre sont apparus dans certains départements français et sont tristement connus outre-Manche. Jean-Lou Justine, du Muséum national d’histoire naturelle, qui suit l’affaire de près, nous décrit ces envahisseurs. Heureusement, l’hiver arrive…

Tout a commencé timidement par des remarques d’amoureux de la nature, des jardiniers ou des pêcheurs qui cherchaient désespérément des vers de terre. Des interrogations sur d’étranges vers, de quelques centimètres de long en général, ont vu le jour sur des forums Internet. C’est d’ailleurs ainsi que Pierre Gros, de Cagnes-sur-Mer, est entré en contact avec un spécialiste du Muséum national d’histoire naturelle, Jean-Lou Justine, du laboratoire Systématique, Adaptation, Évolution (SAE, UPMC, MNHN).

  La carte des observations de plathelminthes invasifs, établie le 2 octobre 2013 par Jean-Lou Justine pour les quatre espèces actuellement repérées et numérotées ici de 1 à 4. Deux ont pu être formellement identifiées : Kontikia ventrolineata (2), de couleur noire avec une discrète ligne claire sur le dos, observée dans le Finistère et dans les Pyrénées-Atlantiques, et Bipalium kewense (4), au corps plus long et fin, dans les Pyrénées. ©️ Jean-Lou Justine

L’animal, manifestement, était un plathelminthes , un de ces « vers plats » dont beaucoup d’espèces sont parasites, à l’instar du ver solitaire ou de la douve du foie. D’autres sont libres, appartenant au groupe des turbellariés (comme la planaire), certains vivent dans le sol. « J’étais très étonné, se souvient Jean-Lou Justine. Il n’y a pas de tels plathelminthes en France. »

Passionné par le sujet, le zoologiste rassemble les informations des observateurs occasionnels, acceptant toutes les méthodes possibles (mail, tweets et même téléphone), qu’il centralise sur son site personnel, devenu le lieu d'échange sur les plathelminthes en France. En retour, il y détaille les explications, diffuse des photographies et il annonce également toutes les nouvelles, à un rythme pluriquotidien, sur Twitter (@plathelminthe4).

  Le premier plathelminthe invasif à avoir éveillé les soupçons en France. Pour l'instant, l'espèce n'a pas été identifiée. Les plathelminthes, hermaphrodites, se reproduisent par voie sexuée, mais aussi de manière asexuée, en se séparant de la partie terminale de leur corps, laquelle redonnera un individu entier. De cette manière, quelques vers peuvent rapidement envahir un territoire. ©️ Pierre Gros

Même si leur symétrie est bilatérale comme la plupart des animaux que nous côtoyons ordinairement, la morphologie de ces plathelminthes a de quoi étonner. « La bouche est sous le ventre, précise le professeur. Et des centaines d'yeux sont répartis le long du corps. » Carnivore, l’animal s’attaque aux vers de terre, s’enroule autour de sa proie, produit un abondant mucus (« peut-être toxique »), déchire le tégument du ver et « le digère par l’extérieur ».

Les témoignages se sont ensuite multipliés, démontrant qu'il s'agit bien d'espèces invasives. En Bretagne, notamment, les populations sont même si abondantes qu’elles font le désespoir des jardiniers, et au fil des photographies qu’a reçues le professeur, il est apparu qu’il n’y avait pas une, mais trois, puis quatre espèces. « Elles ont chacune une histoire indépendante », insiste Jean-Lou Justine. Leur moyen de transport doit cependant être similaire : le commerce des plantes en pots. « En Bretagne, ces vers ont dû arriver avec les plantes achetées chez des horticulteurs britanniques. »

  Kontikia ventrolineata, un plathelminthe déjà bien connu en Grande-Bretagne. Ces plathelminthes trouvent un milieu favorable en Europe : leurs prédateurs habituels sont absents et l'évolution n'a pas enseigné à leurs proies, les vers de terre, comment parer à leurs attaques. ©️ Jean-Lou Justine

La Grande-Bretagne, en effet, est atteinte depuis de nombreuses années. Les dégâts sur les populations de lombrics (qui aèrent le sol, faut-il le rappeler) semblent conséquents. Les premiers à découvrir leur ampleur furent les pêcheurs anglais qui ne trouvaient plus d'annélides aux endroits habituels. Une étude établit qu’en Irlande, en considérant de vastes surfaces, la baisse du nombre de lombrics est de 20 %.

D’où viennent ces envahisseurs ? On remarque que ces plathelminthes du sol sont très abondants en Nouvelle-Zélande. « Là-bas, il y a environ 800 espèces. Quelques-unes seulement sont parvenues à s’implanter en Europe. » Le climat de cet archipel du Pacifique sud est très varié et finalement assez proche de l’environnement européen. Les vers plats qui ont fait le voyage peuvent donc, au moins pour certains, trouver la région vivable. « Une espèce, Arthurdendyus triangulatus, s’est fortement implantée en Écosse et l’on en trouve jusqu’aux îles Féroé. »

  Repéré en France, ce plathelminthe n'a pas encore été identifié. ©️ Jean-Lou Justine

Cette espèce-là n’est pas – encore ? – connue en France. Parmi les quatre repérées, seules deux ont pu être identifiées : Kontikia ventrolineata, installée en Grande-Bretagne mais aussi en France, en particulier dans le Finistère, et Bipalium kewense, une espèce bien plus grande (jusqu’à 40 cm) et qui n’aime pas le froid. Cette dernière a été vue à La Bastide-de-Sérou, une commune de l’Ariège. Les enfants de la maternelle ont été très surpris de découvrir des « serpents » dans la pelouse. Devant ces étranges animaux, les enseignants ont prudemment renoncé à leur projet de réalisation d’un cadeau pour les parents et qui consistait à préparer… des plantes en pots. Cette espèce, connue dans les pays à climat tropical, n’est peut-être pas réellement invasive car il n'est pas certain qu'elle résiste à l’hiver.

Les autres espèces, en revanche, se sont manifestement bien accoutumées au climat français. Car si l’on s'intéresse à ces plathelminthes depuis cette année, « c’est parce que j’en parle », plaisante Jean-Lou Justine. Ces vers sont en fait présents depuis plusieurs années en France. Ils résistent donc à l’hiver, même quand il est froid comme le fut celui de 2012-2013. D'ailleurs, ce mardi 15 octobre, Jean-Lou Justine a découvert dans un envoi venu de Guiclan, dans le Finistère, un cocon de ponte, vraisemblablement de Kontikia ventrolineata. Les vers de l'échantillon étaient morts mais de tels cocons, eux, permettront aux descendants de naître l'an prochain.

  Un cocon de ponte de plathelminthe venu du Finistère, apte à résister au froid de l'hiver (les carrés mesurent 5 mm de côté). Il en sortira un nouveau ver, probablement un Kontikia ventrolineata. ©️ Jean-Lou Justine

La mauvaise saison arrivant, les témoignages vont se raréfier : « Je passe beaucoup de temps actuellement avec ces plathelminthes, mais je sais que cela ne va pas durer », confie le professeur. Le rendez-vous est pris au printemps prochain…


FUTURA SCIENCES 16/10/2013

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