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BelleMuezza

Des baleines friandes d'anguilles ?

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L’incroyable voyage de trois balises prouve que les anguilles se font manger par les baleines quand elles tentent de rejoindre leur aire de ponte dans la mer des Sargasses.

L'Université du Danemark Sud vient de trouver un nouvel ennemi pour Anguilla anguilla qui déjà n’en manquait pas. Les chercheurs ont désormais la certitude que des baleines sont des prédateurs des anguilles argentées lors de leur migration vers la mer des Sargasses. Les cétacés n’étaient pas spécialement visés comme des menaces pour l’espèce dans la mesure où les anguilles se déplacent dans l’Océan à plus de 700 mètres de profondeur. Elles s’y font pourtant manger, et ce sont des balises qui en ont apporté la preuve.

 Anguille européenne AFP

 En 2009 et 2010 en effet, une équipe européenne regroupant des scientifiques suédois, danois, irlandais et français s’est lancé dans le programme «Eeliad» qui s’est achevé en 2012. L’expérience a consisté à équiper de balises émettrices (cf image ci-contre) 156 anguilles femelles (elles sont plus grosses et plus résistantes que les mâles) afin de tenter de les suivre dans leur migration en mer.

Si l’expérience a pu conclure que le réchauffement climatique et les changements océanographiques ne semblent pas perturber le cycle de l’espèce, elle a cependant échoué à résoudre le mystère de la migration.

« Les spécimens lâchés à hauteur de la Suède ont contourné l’Ecosse avant de disparaître et celles parties d’Irlande et de France ont toutes pris la route des Açores, mais les émissions se sont arrêtées juste après cet archipel, alors qu’il leur restait les 2/3 de la distance à parcourir pour arriver dans les Sargasses » raconte Eric Feunteun, chercheur au Muséum d’histoire naturelle et partenaire du programme Eeliad. Que sont devenues les anguilles ? Mystère.

 Le trajet suivi par les anguilles. L'étoile matérialise l'endroit où elles ont été relâchées après pose de la balise, et le point, l'endroit où elles ont disparu.

Sauf que trois balises, de petits émetteurs de 30 grammes environ comprenant des enregistreurs de températures et de pression, ont été retrouvés par chance par des promeneurs sur les rivages de Bindal en Norvège et de l’île de Coll en Ecosse, la première 25 jours après le relâchage des anguilles en Irlande et en France, la dernière 236 jours plus tard. Les chercheurs danois se sont ainsi retrouvés avec des enregistrements de grande valeur. Les données ont permis de reconstituer une histoire stupéfiante parue dans Oceanographic research papers.

A environ 600 mètres de profondeur, les instruments ont enregistré une hausse brutale de température de 10°C à 36°C, indiquant sans aucun doute que la balise avait quitté le milieu marin pour visiter l’appareil digestif d’un mammifère marin pouvant plonger à cette profondeur.

 Les données du capteur de l'une des anguilles montrent (courbe en noir) les fluctuations de profondeur, ainsi que les variations de température (courbe rouge). Le pic correspond au moment de la prédation.

La température a cependant continué à osciller: «nous pensons que cela correspond au moment où l’animal a avalé d’autres proies, faisant ainsi entrer de l’eau froide » estime Magnus Wahlberg, principal auteur de l’article.

Deux des balises ont suffisamment bien fonctionné pour donner des détails sur l’activité du prédateur. Elles ont enregistré au total 91 plongeons à des profondeurs de 250 à 860m, durant de 11 à 12 minutes avec des intervalles en surface pour la respiration de 5 à 7 minutes. Plus des 2/3 des descentes ont atteints les 600 à 700 mètres, là où nagent les anguilles. Après avoir été engloutis, les instruments ont donc suivi le transit intestinal, ont été rejetés dans les déjections des animaux et on flotté en surface jusqu’à la côte. Au vu de leurs performances, les chercheurs pensent que les prédateurs sont des baleines pilotes (Globicephala macrorhynchus).

Outre le suivi par balise d’anguilles argentées qui n’a pas donné le résultat escompté, une autre méthode consiste à rechercher des reproductrices en mer des Sargasses. Le 19 mars dernier, l’Université Technique du Danemark a annoncé que son navire de recherche océanographique Dana était arrivé sur sa zone de traque des reproducteurs d’anguilles.

Globicephala macrorhynchus. Crédit Gérard Soury / Biosphoto

Il s’agit de la 101ème expédition des Danois à la recherche d’une anguille en train de se reproduire. C’est en effet en 1913 qu’a eu lieu la première campagne menée par le biologiste danois Johannes Schmidt, qui le premier a suggéré que les Sargasses pouvaient être le lieu de reproduction de l’anguille. Mais à ce jour, aucune n’a été capturée dans ces eaux et la preuve reste donc à faire.

Ces programmes onéreux pourraient être considérés comme futiles. Ils ont pourtant des visées économiques importantes. Il s’agit en effet de mieux comprendre la biologie de ce poisson pour pouvoir l’élever en fermes aquacoles et ainsi répondre à une forte demande des consommateurs, autant en Europe qu’en Asie et Extrême-Orient.

Sciences et avenir 5/4/2014

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