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BelleMuezza

Les peuples indigènes sont les meilleurs protecteurs de la nature

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À travers le monde, des politiques de conservation de zones naturelles sont souvent un alibi pour accaparer les terres et exploiter les forêts. Il est temps de repenser la « conservation », en l’associant aux peuples indigènes qui restent les meilleurs défenseurs du monde naturel.

Citation : « La guerre la plus juste de toutes est certainement la guerre contre les sauvages, même s’il se pourrait bien que ce soit aussi la plus terrible et la plus inhumaine. Le rude et fier colon qui arrache le sauvage à sa terre s’acquitte d’une dette envers l’homme civilisé... Il est d’une importance capitale que l’Amérique, l’Australie et la Sibérie sortent des mains des propriétaires indigènes rouges, noirs et jaunes, et qu’elles deviennent le ferment des races qui dominent le monde », Theodore Roosevelt, The Winning of the West : Book IV (1896).





Depuis son origine, la "conservation de la nature" a toujours privilégié la protection de l’environnement naturel contre une activité humaine prétendument destructrice. Cet acharnement s’est matérialisé par la création d’espaces protégés dans le monde entier.

Qu’il s’agisse des parcs naturels de Yosemite et Yellowstone aux Etats-Unis au XIXème siècle ou encore des nombreuses aires protégées actuelles, cette volonté de préserver sous cloche une "nature sauvage" a provoqué l’expulsion d’un grand nombre de populations. Parmi elles, les peuples indigènes, qui payent très cher cette volonté de rendre les espaces protégés vierges de toute présence humaine. Pourtant, la diversité humaine et la diversité biologique sont loin d’être incompatibles.

Les peuples indigènes sont étroitement liés à l’environnement et au territoire dont ils dépendent, dont ils prennent soin et dont ils tirent tous leurs moyens de subsistance depuis d’innombrables générations. Lorsqu’ils en sont séparés, toutes leurs traditions, leurs savoirs, leurs croyances et par-là même leur identité disparaissent.

Dans la plupart des cas, la conservation, telle qu’elle est pensée aujourd’hui, ne fonctionne pas : non seulement elle ne parvient pas à protéger l’environnement mais elle nuit aux peuples. Son échec s’explique par le fait que l’image positive qu’elle véhicule dans les pays industrialisés est loin de correspondre à celle qui est perçue sur le terrain : au niveau local, elle est simplement vue comme une autre forme de colonialisme, qui tire avantage de l’accaparement des terres, du tourisme de masse (commercialisé sous un label "éco"), de la chasse aux trophées, de la production de biocarburants, et même de l’exploitation forestière et minière.



Au Cameroun, les "Pygmées" baka qui sont expulsés de leurs terres au nom de la conservation sont réprimés en tant que braconniers sur leurs propres terres et victimes de graves abus de la part de gardes forestiers qui bénéficient du soutien financier d’une grande organisation de conservation.

  Survival International 14/2/2014

Notes :

. Compas, [url=http://www.compasnet.org/blog/wp-content/uploads/2010/11/Policy brief_17_A4.pdf]Sacred Natural Sites : Conservation of Biological and Cultural Diversity[/url] ;
. G. Oviedo & L. Maffi, Indigenous and Traditional Peoples of the World and Ecoregion Conservation (WWF & Terralingua, 2000).
. C. Nolte et al.[/size], "Governance regime and location influence avoided deforestation success of protected areas in the Brazilian Amazon",PNAS, 2013.
. D. Nepstad et al., “Inhibition of Amazon Deforestation and Fire by Parks and Indigenous Lands”, Conservation Biology, 2006.
. G. Oviedo, "Community Conserved Areas in South America Parks",International Journal for Protected Area Management, 2006.



ReporTerre 17/1/2015 - Photos / images : [url=ww.survivalfrance.org]Survival International[/url]

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Entretien avec Philippe Descola. Les Indiens Achuar montrent qu’une autre relation à la nature est possible. Pour l’anthropologue Philippe Descola, il est temps de penser un monde qui n’exclut pas l’eau, l’air, les animaux, les plantes...  Il  faut parfois partir, quitter son monde, pour mieux en cerner les contours. Il y a quarante ans, l'anthropologue Philippe Descola, aujourd'hui professeur au Collège de France, a laissé derrière lui Paris, la France et l'Europe pour une immersion de trois ans chez les Indiens Achuar, en Amazonie.

 Philippe Descola à l'époque où il étudiait les Achuar, entre 1976 et 1979. Successeur de Claude Levi-Strauss, il est titulaire d'une chaire d'anthropologie de la nature au Collège de France. ©️ DR

L'aventure intellectuelle du jeune philosophe gauchiste faisait soudainement un « pas de côté » : elle allait conduire Descola dans les méandres d'une réflexion fascinante sur la façon dont les sociétés humaines conçoivent les relations entre humains et non-humains et « composent » ainsi leurs mondes. Car il n'existe pas, malgré les apparences, un monde donné qui serait le même pour tous, mais des mondes, dont chaque être (humain ou non humain), ou chaque collectivité, a une vision et un usage particuliers, liés à son histoire et à ses aptitudes physiques.

Ces mondes se recoupent, se superposent ou se différencient. Etudier les principes de leur « composition », c'est tout l'art de l'anthropologue ! Neuf ans après son chef-d'œuvre – Par-delà nature et culture –, Descola revient, dans un livre d'entretiens – La Composition des mondes –, sur le grand arc parcouru. Et jamais le « pas de côté » initial n'a semblé aussi pertinent pour affronter les grands problèmes contemporains.

Quand vous étiez jeune, aviez-vous déjà l’idée de cette diversité des mondes ?

Non
, elle m'est venue progressivement. Avant de partir sur le terrain, j'étais, comme beaucoup de jeunes de ma génération, un militant d'extrême gauche pour qui le problème immédiat était la révolution, pas la diversité des façons de vivre. Les questions écologiques étaient secondaires, voire « réactionnaires », car elles détournaient du combat véritable : la fin de la domination capitaliste.

 Les Achuar, peuple d'Amazonie sont animistes, ils pensent que les plantes et les animaux sont dotés d'une âme. ©️ James MORGAN/PANOS-REA

Pourtant, j'avais conscience qu'il existait des mondes différents du mien. C'est d'ailleurs ce qui m'a fait quitter la philosophie universitaire, qui, à mes yeux, se posait trop de questions sur elle-même et reprenait inlassablement les mêmes problèmes depuis l'Antiquité grecque. Il m'a tout d'un coup semblé préférable d'examiner comment certains peuples répondaient, dans leurs modes de vie, plutôt que dans un discours théorique, aux questions que nous nous posons tous.

Quel rôle ont joué dans votre décision de partir, les menaces qui pesaient sur l’environnement ?

Dans les années 60 et 70, on ne parlait pas du tout du climat, de l'érosion ou de la biodiversité : le nucléaire était le point de fixation des questions environnementales.
Or, ce que je vais découvrir en Amazonie, c'est le processus de destruction des environnements que l'on qualifie de « naturels »... mais qui sont en partie le produit d'actions humaines, comme l'ont montré mes travaux et ceux d'autres anthropologues.

 ©️ James MORGAN/PANOS-REA


Depuis des millénaires, en effet, les Amérindiens modifient la composition de la forêt. Ils l'ont transformée en macro-jardin, en plantant un peu partout des espèces utiles aux humains. Du coup, lorsqu'ils déforestent, les grands propriétaires terriens dévastent l'Amazonie sur plusieurs plans : ils anéantissent les conditions de vie des peuples locaux ; ils réduisent la biodiversité ; ils détruisent les sols privés du couvert forestier (ce qui entraîne des conséquences en chaîne sur le climat local) ; et ils mettent fin à un système de fabrication de l'environnement tout à fait original.

L'enquête ethnographique, c'est un saut dans l'inconnu, tellement excitant. Etre transporté dans un monde ou rien n'est familier – ni l'environnement, ni le langage, ni les techniques – est un privilège extraordinaire. On se dépouille de ses oripeaux, on endosse la vie des autres... 

J'ai rejoint une population qui avait longtemps refusé tout contact pacifique avec l'extérieur et n'avait croisé les premiers missionnaires que peu de temps avant mon arrivée (les ethnologues arrivent toujours après les missionnaires !). Dans ce type d'enquête, on ne sait jamais pour combien de temps on part, on espère juste rester le plus longtemps possible, parce que c'est indispensable pour comprendre les gens qu'on va étudier. Moi, il m'a fallu trois ans, de 1976 à 1979.

Qu’apportiez-vous dans vos bagages ?

Nous – c'est-à-dire mon épouse et moi, car nous avons fait une grande partie de cette expérience en couple – avions avec nous une petite marmite et 2 kilos de riz,
de quoi tenir trois jours une fois que notre guide nous aurait lâchés. Et quelques cadeaux : des choses utiles, hameçons, cotonnades, fil à pêche... et des perles de verre. Des collègues « amazonistes » – et Claude Lévi-Strauss lui-même – m'avaient averti que les perles remportaient un grand succès. Le premier contact effectué, nous nous sommes établis dans un village – où l'habitat était d'ailleurs très dispersé – avant d'élargir notre périmètre.

Qui étiez-vous, pour les Achuar ?

Ils avaient très peu de contacts avec l'extérieur, n'avaient jamais voyagé, et ne possédaient évidemment pas de télévision. Les Blancs avec lesquels ils avaient eu à traiter étaient des militaires, des commerçants itinérants, ou bien des missionnaires. Mon épouse et moi appartenions à une nouvelle « catégorie », et les Achuar ne savaient pas vraiment, au début, où nous ranger. Ils voyaient les Blancs comme des tribus analogues à la leur, mais disséminées dans la forêt, un peu plus loin que celles avec lesquelles ils avaient l'habitude d'échanger – ou de se battre.

 «Ce que j'ai d'abord considéré comme une croyance était en réalité une manière d'être au monde» dit Philippe Descola à propos de l'animisme des Achuar. ©️ James MORGAN/PANOS-REA

Ces tribus étaient caractérisées par leurs tenues et leurs coiffures, comme les militaires équatoriens (en uniforme) et les missionnaires américains (en chemisette à manches courtes et jean). Comme nous portions les mêmes Pataugas, des sacs à dos de la même couleur et des Opinel identiques – tous achetés au Vieux Campeur, à Paris –, cela faisait de ma femme et moi les membres d'une même tribu aux yeux des Achuar... Avec le recul, je crois que nous avons été bien reçus par ces derniers parce que nous leur fournissions une distraction. Ils nous posaient plus de questions que nous ne leur en posions !

Comment définir l’animisme, qui, selon vous, caractérise la relation des Achuar avec la nature ?

L'animisme est la propension à détecter chez les non-humains – animés ou non animés, c'est-à-dire les oiseaux comme les arbres – une présence, une « âme » si vous voulez, qui permet dans certaines circonstances de communiquer avec eux.


Pour les Achuar, les plantes, les animaux partagent avec nous une « intériorité ». Il est donc possible de communiquer avec eux dans nos rêves ou par des incantations magiques qu'ils chantent mentalement toute la journée. A ceci s'ajoute que chaque catégorie d'être, dans l'animisme, compose son monde en fonction de ses dispositions corporelles : un poisson n'aura pas le même genre de vie qu'un oiseau, un insecte ou un humain. C'est l'association de ces deux caractéristiques, « intériorité » et « dispositions naturelles », qui fondent l'animisme.

Vous voilà fort éloigné de votre boîte à outils européenne... Chez nous, en effet, seuls les humains ont une intériorité, eux seuls ont la capacité de communiquer avec des symboles. En revanche, côté physique, tous les êtres – humains comme non humains – sont régis par des lois physiques universelles identiques : nous habitons le même « monde », les lois de la nature sont les mêmes pour tous, que l'on soit homme, insecte ou poisson. Entre les Achuar et moi s'exprimaient donc deux façons totalement différentes de considérer les continuités et discontinuités entre l'homme et son environnement.

 ©️ James MORGAN/PANOS-REA


Quelles sont les conséquences concrètes de cette conception du monde pour les Achuar ?

Les femmes Achuar traitent les plantes comme si c'étaient des enfants. Et les chasseurs traitent les animaux comme si c'étaient leurs beaux-frères.
Dans cette société, ce ne sont pas les classes sociales ou les catégories de métiers qui distinguent les êtres entre eux, mais leurs liens de parenté, et plus précisément la distinction entre parents consanguins et parents par alliance.

 Pachamama (Equateur) Fondation 23/5/2012: la force ancestrale des Achuars

J'entends déjà les rires : « On ne va tout de même pas faire siéger des singes au Parlement ? » Mais il ne s'agit pas de cela. Il nous faut simplement concevoir des collectifs dans lesquels les non-humains ne seraient plus exclus. Reconceptualiser le social et le politique est indispensable pour y parvenir. C'est un des projets dans lesquels je souhaite m'engager.

Au final, ce « pas de côté » auprès des Achuar vous a mené loin... On dit toujours : la première vertu des philosophes, c'est leur capacité d'étonnement, et c'est vrai. Mais, pour s'étonner des évidences et sortir du sens commun, un gros travail sur soi est nécessaire. Mon expérience auprès des Achuar a eu ceci de miraculeux qu'elle a changé ma façon de « composer » le monde – et finalement toute ma vie.



Télérama 18/1/2015

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