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L'Auvergne veut enrayer le déclin de l'abeille noire

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Au-delà des pesticides et parasites, l’économie apicole dans son ensemble menace l'abeille noire dans son berceau ouest européen. Des Combrailles à la Méditerranée, le projet Beehope (Pdf en anglais) tentera de sauver ce patrimoine.

C’est l’espèce la mieux adaptée à nos milieux naturels. Et pourtant, il n’y a plus guère que les conservatoires pour perpétuer, en Europe occidentale, des populations d’abeilles noires au patrimoine génétique quasi intact. Jamais il n’a été aussi menacé par le transfert de gènes d’autres espèces !

 Une abeille noire (Apis mellifera mellifera) ouvrière dans le nourrisseur, vue de face. SuperManu CC BY-SA3.0

Ce mode de transfert génomique a un nom : l’introgression. Et il pourrait bien avoir raison d’un patrimoine qui remonte à cent millions d’années. Après avoir survécu à deux glaciations, l’Apis mellifera mellifera, est menacée par les mutations de l’apiculture contemporaine, qui fait massivement appel à des abeilles importées.

1. L’abeille noire. L’abeille domestique est l’une des plus anciennes espèces animales domestiquées par l’homme. Son aire de répartition naturelle va de l’Europe au Proche Orient en passant par l’Afrique. On y dénombre 26 sous-espèces, dont deux pour l’Europe occidentale : l’abeille noire (Apis mellifera mellifera) et l’abeille ibérique (Apis mellifera iberensis).

 Naissance d'une abeille noire (Apis mellifera mellifera). Emmanuel.boutet / domaine public

Lors de la dernière glaciation, l’abeille noire a sauvé son patrimoine génétique depuis un refuge espagnol à partir duquel elle a recolonisé tout le territoire ouest européen. « C’est la mieux adaptée à nos climats où elle se débrouille seule. On la trouve encore à 1.300 mètres d’altitude. Économe en hiver, elle sait réguler sa population pour affronter les aléas. C’est une abeille toutes fleurs, qui plus est très performante sur nos floraisons tardives », explique Noël Mallet, responsable du Conservatoire de Pontaumur. « C’est aussi une abeille peu agressive et plutôt douce ».

Elle tend pourtant à céder le pas devant les abeilles importées et n’appartenant pas à la même lignée ouest méditerranéenne. Ces importations sont passées de 5 à 48 % entre 2007 et 2012. En Ile-de-France, le taux a même grimpé à 80 % en 2014. En résulte une hybridation génétique naturelle qui s’accélère au détriment du patrimoine génétique adapté et résistant que portait l’abeille noire.

2. Un rapport avec le déclin des colonies d’abeilles mellifères ? Les premières inquiétudes et le constat d’une surmortalité des abeilles domestiques remontent au début des années 1990, en France. Alors que la mortalité naturelle connue était de l’ordre de 5 à 10 %, les pertes dépassent les 25 %, et les 80 % dans certaines régions.

Parasites et pesticides ont été largement mis en cause pour expliquer ce phénomène. Mais le manque de données prospectives limite les certitudes sur ce terrain. En revanche, les initiateurs du projet Beehope invitent à explorer une nouvelle piste en s’intéressant aux abeilles sauvages et à l’impact de l’importation.

« On a créé des combinaisons de gènes que la sélection naturelle élimine. Il faut donc se demander si les pertes ne sont pas aussi liées à des pratiques apicoles qui amènent une moins bonne adaptation des colonies à l’environnement », estime David Biron, chercheur CNRS/université Blaise-Pascal, et co-coordinateur du projet Beehope.

3. L’impact d’un brassage génétique qui s’accélère. Pour comprendre, il faut remonter au début des années 1930. La ruche carrée et mobile, bref moderne, marque le début d’une nouvelle phase de domestication : la production ne dépendra plus d’abeilles en milieu sauvage, mais de colonies que l’on sait installer et élever. Progrès technologiques, évolution de l’offre et de la demande sur le marché : le brassage génétique n’a plus qu’à s’emballer.

L’ouverture de l’espace Schengen favorise l’importation de reines. Elles arrivent d’Italie, puis du Caucase, des Balkans… C’est maintenant la buckfast, une espèce multi-hybrides sélectionnée qui inonde le marché… et donc le berceau naturel de l’abeille noire !

4. Le cercle vicieux. Des colonies d’abeilles domestiques qui pouvaient survivre presque sans l’intervention de l’homme sont de plus en plus souvent remplacées par des insectes plus fragiles et dépendants de l’homme, pour leur entretien et leur alimentation.

« On est entre 30 et 40 % de mortalité en moyenne dans les colonies, mais on considère cela comme normal ! », se désole notamment Lionel Garnery, maître de conférence à l’université de Versailles, généticien évolutionniste spécialiste des populations d’abeilles, et coordinateur du projet Beehope.

Et le pire reste à venir si l’on ne s’y intéresse pas : quand bien même des apiculteurs éclairés voudraient travailler avec des abeilles noires au patrimoine génétique préservé, il est de plus en plus difficile de se procurer des couvains !

 Une abeille noire sur une fleur de Scabiosa atropurpurea à Sète. Christian Ferrer CC BY-SA 4.0

« Si l’on ne fait rien, d’ici dix ans, on perdra ce patrimoine génétique. C’est un vrai problème écologique qui est posé : soit on "domestique" tout à fait l’abeille et nous aurons des abeilles mellifères qui ne pourront plus se passer de l’homme ; soit on conserve une abeille qui peut survivre seule ».

Beehope : un projet en Auvergne et à l'échelle européenne...

Le lycée agricole des Combrailles à Saint-Gervais-d’Auvergne et le laboratoire micro-organismes génome environnement (UMR CNRS/université Blaise-Pascal/UDA 6023) sont partenaires d’un vaste programme européen dédié à l’apiculture durable en général et à la préservation et valorisation des abeilles domestiques noire et ibérique.

Avec eux, le projet Beehope réunit cinq partenaires sur un axe nord-sud : le laboratoire Évolution génome comportement et écologie de Gif-sur-Yvette, le centre d’études biologique de Chizé (CNRS), le centre Inra Poitou-Charentes, l’université basque d’Espagne et l’Institut polytechnique de Braganca (Portugal), les partenaires auvergnats.

Ils ont décroché un budget européen de 476.000 € sur trois ans pour ouvrir le dialogue et mettre en place l’union de conservatoires. Beehope a aussi pour vocation de créer une dynamique entre les citoyens, les apiculteurs, les élus, les scientifiques et les formateurs.

Ce vaste projet a été présenté jeudi 5 mars à 13 heures, au lycée agricole des Combrailles, qui offre une formation apicole depuis 1984 et qui conserve le patrimoine génétique de l’abeille noire en Auvergne. Il aura cinq objectifs principaux :

1. Caractériser la diversité génétique et éco-éthologique de la lignée d’Europe occidentale.

2. Protéger, préserver la diversité génétique de ces populations.

3. Constituer une réserve de diversité utilisable par l’industrie apicole et les apiculteurs.

4. Étudier l’impact des colonies d’abeille mellifère domestiquées dans l’entretien de la diversité floristique locale.

5. Pouvoir employer l’abeille comme bio-collecteur et comme indicateur biologique de qualité environnementale.



LaMontagne 5/3/2015

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