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#Biodiversité : doit-on éradiquer certaines espèces pour en protéger d'autres ?

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Le fait de lutter contre certaines espèces animales qui se multiplient, en déciment d'autres et deviennent néfastes pour notre écosystème fait débat.

 Le Vacher à tête brune (Molothrus ater) est une espèce d'oiseau de la famille des Icteridae. Cette espèce pratique le parasitisme de couvée, c'est-à-dire que la femelle pond ses œufs dans les nids d'autres espèces d'oiseaux. Cet oiseau grégaire d'Amérique du Nord, à l'origine inféodé aux grands troupeaux de bisons du Middle West, a connu un fort accroissement de population aux 19ème et 20ème siècle. Il fait, au début du 21ème siècle, l'objet d'une campagne d'éradication controversée dans certaines zones des États-Unis, ayant pour but de préserver certaines espèces d'oiseaux en danger qui sont victimes de son parasitisme. Bear golden retriever / Flickr / ccby-sa2.0

L'abattage en masse d'animaux pour en préserver d'autres n'en est pas à son coup d'essai. Dans les années 70 déjà, des milliers de vachers à tête brune ont été éradiqués dans le Michigan afin de les empêcher d'envahir les nids de parulines de Kirtland, espèces en voie d'extinction.

 La Paruline de Kirtland (Setophaga kirtlandii, anciennement Dendroica kirtlandii) est une espèce de passereaux de la famille des Parulidae. Cette paruline ne niche qu'en Ontario et aux États-Unis et hiverne dans les Bahamas. La Paruline de Kirtland niche près du sol, au sein des denses broussailles sous les jeunes forêts de pins gris. Dominic Sherony / Flickr / ccby-sa2.0

De même, dans les états de Washington et de l'Oregon, les chouettes rayées ont été tuées pour protéger les chouettes tachetées. Face à la menace que certains prédateurs représentent pour les animaux, écarter une espèce pour en sauver une autre est une idée, pour certains scientifiques, inévitable, mais de nombreuses associations de défense des animaux jugent ces actions des plus immorales

 La Chouette rayée (Strix varia) est une espèce de rapace nocturne appartenant à la famille des Strigidae. Les lieux de reproduction de la Chouette rayée sont les forêts denses du Canada, de l'est des États-Unis et du sud de l'Amérique centrale. Au cours des dernières années, la Chouette rayée s'est propagée à l'ouest des États-Unis. Des études récentes montrent que les quartiers de banlieue sont un habitat idéal pour les Chouettes rayées. En utilisant des émetteurs, les scientifiques ont constaté que les populations ont augmenté plus rapidement dans les banlieues que dans les forêts primaires. Mdf ccby-sa3.0

Est-il légitimement acceptable de chasser un animal pour en préserver d'autres ? Les réponses de Franck Courchamp, écologue et directeur de Recherche au CNRS, à l'Institut National d’Écologie et Environnement.

 La Chouette tachetée (Strix occidentalis) est une espèce de chouette. Elle réside dans les forêts de l'ouest de l'Amérique du Nord, où elle niche dans des trous d'arbres, les vieux nids de rapaces, ou les crevasses. Les populations du Nord et du Sud des chouettes tachetées sont inscrites comme étant menacées aux États-Unis en vertu de l'Endangered Species Act, qui est administré par le département américain des Poissons et de la Vie sauvage (USFWS). Hollingsworth, John and Karen USFS / domaine public

Selon Franck Courchamp « le problème provient surtout des espèces invasives qui sont introduites, volontairement ou non, dans un écosystème exogène et qui sont nuisibles à la biodiversité autochtone. Il s'agit même de la deuxième cause de perte de la biodiversité. 

Certaines espèces, comme les chats ou les rats, colonisent des îles, perdues dans le Pacifique par exemple, et détruisent la biodiversité locale. Lorsqu'il est impossible de faire rapatrier les individus sur un continent à proximité, éradiquer la population invasive demeure, à ce jour, la solution la plus efficace que les scientifiques ont trouvé pour permettre la survie de milliers d'autres espèces. Ainsi, les espèces dites envahissantes sont capturées puis euthanasiées sur place, ce qui, éthiquement, est très difficile à accepter pour beaucoup d'entre-nous. »

 Un chat haret, ou chat errant, est un chat retourné à l'état sauvage. Il peut avoir connu la vie auprès des êtres humains ou bien être né dans la nature, il n'en reste pas moins un Chat domestique (Felis silvestris catus). La différence entre le chat domestique proprement dit et le chat haret est donc uniquement éthologique. Le chat haret ne doit notamment pas être confondu avec les chats sauvages, qui forment plusieurs espèces différentes. Dans certains pays, où le chat n'est pas une espèce d'origine indigène, les populations de chats harets ont proliféré ; ils représentent en Australie une population évaluée à 18 millions de chats, qui pose de graves problèmes environnementaux. Chats harets à Istanbul (Turquie). Alexxx Malev / Flickr / ccby-sa2.0

Pour d'autres scientifiques défenseurs des droits des animaux, abattre des milliers d'oiseaux pour assurer la sauvegarde des bébés saumons « chinook » et de « truites arc-en-ciel » sauvages par exemple ne semble pas être le plan d'action le plus pertinent. Et d'argumenter que, comme tous les êtres vivants présents sur Terre, chaque animal a un rôle prépondérant dans notre écosystème. Ils préconisent alors de distinguer le véritable problème, de comprendre le pourquoi, avant de décimer la moitié d'une espèce animale.

D'après une étude de 2013, publiée dans la revue britannique Nature Communications, aux États-Unis, les  chats, sauvages ou domestiques, causent la mort de milliards d'oiseaux et mammifères. Tous les ans, ce sont entre 1,4 et 3,7 milliards d'oiseaux et entre 6,9 et 20,7 milliards de mammifères qui sont tués par ces félins. Les chercheurs américains planchent sur l'urgence de la mise en place de solutions efficaces pour préserver la faune sauvage de ces prédateurs, sans pour autant les éliminer. Même si ce sont principalement les chats errants qui attaquent les autres espèces, l'une des mesures à adopter est d'ores et déjà de responsabiliser les propriétaires de chats domestiques, c'est à dire garder à l’œil leur animal.

Dans certaines régions du globe, la présence des chats est également très problématique : « Lorsqu'on sait que les chats sont présents sur près de 80% de groupes insulaires, même sur des îles non-habitées, la question de les éradiquer, puisqu'ils menacent nettement les populations locales, trouve moralement tout son sens, assure Franck Courchamp. Dans certains cas, il n'existe pas d'alternative, il faut éliminer l'intégralité de la population pour sauver des espèces entières de l’extinction. On n'est jamais confrontés au choix entre deux espèces, heureusement. C'est ainsi que nous justifions les campagnes d'empoisonnement et de capture. 

 Le dingo (Canis lupus dingo) ou warrigal est un chien sauvage de la famille des Canidés, provenant probablement d'une population de chiens (Canis lupus familiaris) retournés à l'état sauvage et ayant ainsi formé une sous-espèce, plutôt qu'une espèce distincte. Ces chiens domestiques ont été introduits par l'homme il y a environ quatre mille ans. Leur aire de répartition se situe en Asie du Sud-Est d'où il est originaire et il est donc également présent en Australie. Quartl ccby-sa3.0

Évidemment, il ne s'agit pas de tuer pour tuer, s'il existe une autre solution, elle est bien sûr envisagée. Par exemple, en Australie, la barrière à dingos, la plus longue clôture construite au monde, est destinée à protéger certaines populations locales des chiens sauvages. Mais ces alternatives représentent des coûts très élevés et ne peuvent pas toujours être réalisées. »

L'an dernier, à Dallas, le droit d'aller tuer en Namibie un rhinocéros noir, trop vieux pour se reproduire, a été vendu aux enchères, avec l'accord préalable du gouvernement namibien. La vente fut organisée par le Safari Club, un lobby américain luttant contre toute restriction au droit à la chasse, y compris dans les parcs naturels, y compris les espèces protégées. Les fonds récoltés (350 000 dollars) ont été partiellement reversés à la Game Products Trust Fund (GPTF) censée financer le recensement des espèces animales menacées. Malgré les pétitions et la fureur d'associations de protection des animaux, les biologistes namibiens affirmaient que cette somme servirait de financement pour la préservation des rhinocéros et des réserves naturelles, ce qui semble avoir été le cas en effet.

 Les rhinocéros sont des mammifères herbivores appartenant à la famille des Rhinocerotidae, ordre des périssodactyles. Toutes les espèces de rhinocéros sont actuellement menacées de disparition. Le rhinocéros fait localement l'objet d'une protection et de projets de réintroduction. Ils sont très utiles pour fertiliser le sol. La plus grande menace qui pèse sur les rhinocéros est le braconnage. Ces mastodontes sont tués pour leur corne à laquelle la médecine traditionnelle asiatique lui confère des vertus... Or ces cornes sont composées de kératine : la même que celle de nos ongles ou cheveux ! Yathin S Krishnappa ccby-sa3.0

Selon notre écologue, « qualifier une espèce de « rare » peut précipiter son extinction, c'est ce qu'on appelle « l'effet de rareté », souvent trop valorisé : plus l'espèce est rare, plus cette dernière est prisée, rentable et donc exploitée. Certains sont prêts à payer très cher pour cette rareté, par conséquent, le prix des espèces rares augmente parallèlement à son extinction. Et indéniablement, une extinction d'espèces est définitive ». 

Il ajoute toutefois : « Même s'il s'agit d'une population extrêmement fragile et menacée par le braconnage, qui augmente sans cesse, retirer ces mâles peut permettre d'accroître la natalité de l'espèce ». Le directeur général du Safari Club le confirme de son côté : « Ces animaux ne contribuent plus à la croissance de la population. Les rhinocéros mâles âgés sont très agressifs et tuent régulièrement les espèces les plus jeunes ou reproductrices ». Enfin, les organisateurs de l'enchère tentent encore aujourd'hui de rassurer les réfractaires à ces initiatives en expliquant que chaque rhinocéros est identifié par une entaille à l'oreille, permettant ainsi de déceler l'âge et le statut reproductif de l'animal. Impossible, selon eux, de se tromper pendant la chasse...


Certains chasseurs ou gouvernements s'accordent pour dire qu'une espèce animale ouverte à la chasse est davantage protégée qu'une autre car elle est plus étroitement surveillée. C'est ainsi que des pays comme la Namibie, le Zimbabwe ou l'Afrique du Sud autorisent une chasse encadrée, conforme aux règles internationales ou encore le Danemark, qui tolère la chasse à l'ours blanc.

Franck Courchamp note quant à lui que « le cas des chasses aux trophées qui brassent beaucoup d'argent, représentent une véritable menace pour la biodiversité. De nombreuses chasses aux trophées sont corrompues et les fonds levés ne sont pas toujours destinés à la sauvegarde de certaines espèces animales. Ce type de chasse est un outil potentiellement intéressant dans certains programmes de conservation mais elle implique la mise en place de contrôles minutieux et une totale transparence. Malheureusement, ce n'est pas souvent le cas de ces marchés économiques ».


Le Parisien 17/11/2015

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