terrienne 0 Posté(e) le 7 avril 2005 je voudrais vous entretenir aujourd'hui d'une publication scientifique qui va bouleverser profondément les questions de sécurité du travail, de sécurité alimentaire, de toxicologie humaine... C'est plus exactement parce qu'en une dizaine de pages, elle vient ouvrir des perspectives nouvelles pour le mouvement qui s'oppose au pouvoir absolu des semenciers et des agro-industriels sur l'alimentation de la planète. Et parce qu'elle souligne des responsabilités nouvelles et écrasantes pour toutes nos commissions de sécurité alimentaire, et nos responsables d'Etat. De quoi s'agit-il ? Un article publié fin février dans une grande revue scientifique d'environnement : Environnemental Health Perspectives, 25 février 2005. Une revue du National Institute of Health des Etats-Unis, ce qui nous permets donc de lire cet article de libre-diffusion dans le monde entier : http://ehp.niehs.nih.gov/docs/2005/7728/abstract.html Le titre ne fait pas glamour (Differential effects of glyphosate and Roundup on human placental cells and aromatase, par Richard S, Moslemi S, Sipahutar H, Benachour N, Seralini GE. 2005.), et ne laisse pas présager de la révolution que je vous annonce. Alors décryptons. Il s'agit d'une étude sur la toxicité du RoundUp, le principal herbicide répandu dans le monde, produit par Monsanto, première transnationale de l'agro-chimie. Une grande partie des OGM commercialisés sont dits “RoundUp ready”, c'est-à-dire tolérants à cet herbicide. Une telle tolérance permet justement d'utiliser à dose encore plus massives et par diffusion large (souvent par avion) cet herbicide, sans abimer les cultures de maïs ou de soja modifiées. L'article étudie la toxicité de cet herbicide sur des cellules du placenta, et démontre qu'il s'agit d'un perturbateur endocrinien, ce qui pourrait expliquer les cas de fausse-couches sur les paysannes aux Etats-Unis. Elle montre aussi que ces effets sont rencontrés avec des concentrations inférieures à celles qui sont préconisées dans l'agriculture. Mais surtout, l'article compare les effets toxicologiques du RoundUp et de son principe actif, le glyphosate. Et c'est de là que vient la découverte révolutionnaire que je vous annonçais : Le RoundUp est bien plus toxique que son composant principal. L'adjuvant qui est ajouté pour rendre le glyphosate utilisable (facilité à se disperser, dilution,...) provoquerait un accroissement de ses effets toxiques. Dans les demandes de mise sur le marché, les agro-chimistes étudient la toxicité du composant principal, et non pas celle de l'ensemble du produit (principe actif + adjuvant). Or l'article montre que loin d'être se simples produits de dilution, les adjuvants multiplient les effets toxiques du principe actif. Et ce qui est vrai ici pour le RoundUp devrait se manifester aussi pour tous les autres produits. Dans ces conditions, l'ensemble des études de toxicité des produits phytosanitaires doivent être ré-évaluées. On ne peut plus se contenter de l'évaluation des principes actifs, mais bien des produits tels qu'ils sont commercialisés. On doit être en train de se creuser les méninges à la Commission Européenne pour reconsidérer la directive d'évaluation des produits phytosanitaires, afin de mieux évaluer les adjuvants en mélange, comme l'avait indiqué le Commissaire Byrne qui avait eu les résultats sous presse, en réponse à la question du parlementaire Paul Lannoye. Quant aux mouvements écologistes, ils trouvent ici une caution scientifique irréfutable pour leurs craintes : les produits diffusés largement dans la nature ont des effets toxiques importants, mais de surcroîts qui ne sont pas évalués dans les conditions réelles d'exploitation. C'est d'ailleurs étonnant de la part d'entreprises qui plantent les OGM dans les champs, tels des savants fous, pour soi-disant tester les effets dans la nature globale. Ce double langage, qui consiste à ne pas expérimenter précisément les effets toxiques des produits tels qu'ils sont et à clamer que les plantations seraient des “études”, nous oblige aussi à redéfinir le caractère “scientifique” des prétentions des agro-industriels. Que disent les ministres de la Santé et ceux de l'Agriculture à la suite d'une publication scientifique de ce type ? Presque un mois de silence, c'est beaucoup ! Leurs responsabilités sont maintenant engagées : ils ne pourront plus dire “on ne savait pas”. On sait maintenant, grâce à cet article, que les produits tels qu'ils sont diffusés dans le commerce n'ont pas été évalués proportionnellement à leurs risques pour la santé. Il convient que les études de mise sur le marché soient maintenant remises entièrement sur la table. Il est nécessaire que ce soient les produits complets qui soient évalués, et pas seulement leurs principes actifs. Et il convient que tous les citoyens prennent conscience des enjeux de cette question, afin d'éviter qu'elle ne soit rapidement recouverte de silence. Plus généralement, il apparaît aussi clairement qu'il y a deux approches scientifiques dans l'évaluation des dangers des produits chimiques qui sont largement répandus sur la terre depuis un demi-siècle : l'une vise à minimiser les risques, et donc à étudier séparément les composants, et une autre vise à comprendre le monde réel, avec les interactions systémiques de tous les composants. Même s'il faut pour cela démonter les “secrets de fabrique” qui président à la composition globale des produits. Comment une étude de toxicité d'un produit, une publication scientifique d'une dizaine de pages, nous amène à réfléchir sur l'ensemble des méthodes de l'agro-industrie. Et à remettre en cause largement l'efficacité des études toxicologiques pour l'évaluation des produits tels qu'ils existent. Ajoutons aussi que la libre-diffusion sur internet de la connaissance contenue dans cet article essentiel est un atout pour les mouvements écologistes et des paysans du monde qui veulent la sécurité alimentaire et refusent de faire dépendre les cultures des projets industriels et profitables des transnationales de l'agro-chimie. Finissons par une réflexion sur l'évaluation des articles scientifiques. Les chercheurs sont évalués par ceux qui partagent en général le même point de vue (leur “communauté scientifique”). Or de plus en plus de recherches, une fois validées au sein d'une communauté donnée, connaissent une autre forme de validation, sociale celle-ci, quand d'autres s'en emparent pour éclairer le fonctionnement global du monde (scientifique, écologique, économique, social,...). Cette forme de “validation sociale” pourrait devenir un élément dans l'évaluation des publications scientifiques, une manière de créer une “science citoyenne”. En écrivant ce papier de vulgarisation et d'interpellation, je m'inscris dans cette nouvelle opportunité de redéfinir les objectifs et les méthodes de la science. Pour la rapprocher des besoins de compréhension du monde réel, systèmique, global, humain... Caen, le 11 mars 2005 Hervé Le Crosnier Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites