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Animal

Le martyre de l'éleveur de cochons d'Inde

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Royaume-Uni

Le martyre de l'éleveur de cochons d'Inde

Une famille d'éleveurs de cobayes est harcelée depuis des années par des extrémistes de la cause animale. Lettres anonymes, menaces sur leur entourage, bombes dans leur village... Les Hall ont fini par jeter l'éponge. Après la profanation de la tombe d'une parente et le vol de son cadavre.

Par Armelle THORAVAL

lundi 10 octobre 2005 (Liberation - 06:00)

Burton-upon-Trent, Newchurch envoyée spéciale




Janet Tomlinson ?» Chemise orange vif, pantalon et tee-shirt noirs, cheveux blancs coupés court, regard bleu glacial, la dame nie son identité avec la plus vive énergie. «Non, ce n'est pas moi.» Puis admet et s'énerve : «Vous faites partie de la presse provivisection !» Agée de 62 ans, Janet Tomlinson vient à peine de sortir du tribunal de Burton-upon-Trent, petite ville au nord de Birmingham, dans le comté de Stafford, où elle est allée soutenir quatre militants de la cause des «droits animaux», trois hommes et une femme, accusés d'avoir menacé une famille de riches fermiers de Newchurch, un hameau des environs. Une bataille dont Janet Tomlinson est une figure centrale .

Durant six longues années, David Hall, le père, Christopher et John, les fils, Margaret, l'épouse de Christopher, leurs employés, leurs locataires, leurs fournisseurs, leurs relations, leurs amis, leurs enfants, les amis de leurs enfants, les voisins ont fait l'objet d'un harcèlement méthodique pour les contraindre à arrêter leur principale activité, l'élevage de cochons d'Inde, cobayes destinés à la recherche pharmaceutique, et notamment au puissant laboratoire Huntingdon Life Sciences (HLS). Leur propriété, Darley Oaks Farm, est devenue le lieu d'un siège sans merci. Le plus féroce moment de la campagne a eu lieu en octobre 2004. La mère de Margaret, Gladys Hammond, morte en 1997 à l'âge de 82 ans, reposait dans le paisible cimetière de Yoxall, l'un des villages voisins de la ferme. Le 6 octobre au matin, les paroissiens découvraient que la tombe avait été profanée, et la dépouille de la vieille dame volée. Christopher et son frère John avaient jusque-là résisté à tout, les manifestations bruyantes sous leurs fenêtres, les insultes, les lettres de menace anonymes. Ils ont encore essayé de tenir bon mais fin août, ils ont annoncé qu'ils jetaient l'éponge, abandonnant leur élevage de cobayes pour retourner à une agriculture plus classique. Dans l'espoir qu'enfin les ossements de Gladys leur soient rendus. Janet Tomlinson, l'une des militantes les plus actives, a gagné des galons au cours de cette bataille. Arrêtée dans le cadre de l'enquête sur la profanation de la tombe, elle a été relâchée faute de preuves. Mais sa hargne lui a valu d'être surnommée «la voleuse de tombe».

Assiégés dans leur ferme

«Il y a toujours des cochons d'Inde dans leur ferme, ils n'ont pas arrêté», vitupère la virago, qui ne manifeste aucune intention de cesser cette campagne Save the Newchurch guinea pigs. Elle montre son sein gauche amputé, sous son tee-shirt noir : «Vous croyez que j'aurais un cancer si la recherche sur les animaux était utile? C'est parce qu'on dépense tout cet argent depuis trente ans pour rien que j'ai un cancer.» A Newborough et Yoxall, les deux villages les plus proches de Darley Oaks Farm, Janet Tomlinson est redoutée. Les habitants ont espéré que sa mauvaise santé entamerait son militantisme. Qu'entre pureté du combat procochons d'Inde et nécessité d'accepter un traitement chimiothérapique (dont les produits sont testés sur des animaux), elle finirait par abandonner la partie. Elle sait qu'on la soupçonne d'avoir participé au rapt du corps de Gladys Hammond, hausse les épaules : «Nous ne recherchons pas de la mauvaise publicité. Allez plutôt chercher du côté de la police, ou des firmes pharmaceutiques ou des Hall. Ils voulaient nous faire arrêter nos actions...»

Le long de la route qui mène à Darley Oaks Farm, c'est un paysage tout en courbes, avec des demeures opulentes aux rideaux de dentelle, des jardins entretenus, des chevaux dans les champs, qui fleurent la compétition soutenue entre les villages pour gagner le titre de communauté «la mieux entretenue». Ecurie, étables, hangars, la ferme des Hall compte de nombreux bâtiments disposés autour d'une confortable demeure en brique rouge. Les bâtiments sont déserts. Les Hall, assiégés, ne parlent plus.

«Les extrémistes de la cause animale instaurent un climat de peur, ils sont très habiles, connaissent la loi, savent que nous avons besoin de preuves pour remonter à la source des lettres anonymes», explique le porte-parole de la Nectu (1), unité de la police nationale montée l'an dernier pour mieux faire face à la menace. Les labels varient : il y a l'historique et violent Animal Liberation Front (ALF), le Front de libération des animaux, l'Animal Rights Militia, la Milice des droits animaux, Band of Mercy, le Groupe de la pitié, nom choisi en écho à un groupe fondé au XIXe siècle et qui serait le plus radical de tous. Les végétaliens leur sont un relais précieux. Sous ces étiquettes variées, les policiers estiment que se dissimulent les mêmes militants, agissant par cellules, changeant d'identité. Attaques de pharmacies, siège d'Huntingdon Life Sciences et dernièrement bataille frontale contre l'université d'Oxford, et son projet de laboratoire de recherche scientifique avec des primates : les faits d'armes de ces groupes sont multiples. «Mais dans l'affaire de Stafford, ils ont attaqué tout le monde, même ceux qui n'avaient aucun lien avec la recherche ou la science, ou même la famille», note un policier.

Interdits de pub, de journaux et de golf

La lecture des journaux avec le thé le matin, une pinte de bière au pub le soir, une partie de golf de temps à autre : Jonathan Hall et son frère Christopher ont dû progressivement renoncer à tout ce qui rythmait leur vie. L'an dernier, peu avant le saccage de la tombe, une lettre anonyme a envahi les boîtes aux lettres dans la rue principale de Yoxall. «Une lettre très menaçante mais subtile qui rappelait à tous que l'épicerie où nous allions chercher nos journaux était aussi le fournisseur des Hall, autrement dit que l'on risquait d'être harcelé si l'on continuait de s'y fournir», explique un habitant de la rue. Le marchand de journaux confirme. Il était l'objet de menaces permanentes. Les Hall ne font plus partie de ses clients : «Mais je n'ai pas décidé d'arrêter moi-même. John Hall est venu me voir en me disant que ce n'était pas mon combat.»

Les Hall faisaient partie des habitués du Red Lion de Newborough. On y sert de la Pedigree, une bière à l'ancienne produite par les brasseries Wolverhampton and Dudley. Début 2004, les défenseurs des cochons d'Inde ont harcelé Keith et Kate, les tenanciers du pub, pour qu'ils cessent de servir ces clients. Devant leur refus, ils ont menacé Wolverhampton and Dudley, les propriétaires. Et les gérants du pub se sont fait virer. Prudent, le nouveau gérant, un affable barbu écossais, feint de tout ignorer de l'histoire. Accoudée au comptoir, une cliente se souvient de «l'écoeurement» du village. De temps à autre, John allait s'offrir quelques greens au golf de Branston. Harcelé, le club l'a prié d'aller jouer ailleurs. Au départ, en 1999, la campagne des activistes était relativement pacifique : défilés, banderoles, trompettes, sifflets et slogans. Puis les installations abritant les cochons d'Inde ont été dévastées. Et l'escalade a continué.

Méfiants, marqués, terrorisés, les voisins de la famille ne se laissent pas facilement aller à la confidence, ni aux signes de solidarité. «Qui veut voir sa maison taguée, sa voiture bombardée de peinture, être réveillé en pleine nuit par une explosion dans son jardin, devoir quitter son travail ? s'insurge Janet Lister, prêtre en charge des âmes de l'église anglicane de Yoxall. Les gens sont très solidaires mais ils ont peur de devenir les nouvelles victimes». Après la profanation de la tombe de Gladys Hammond, le révérend a organisé un service religieux pour «ramener un peu de paix dans la communauté». Mais la crainte ne s'est pas envolée. «Les "antis", comme on les appelle, sont des terroristes, organisés, militarisés qui agissent en réseau. Pendant des années, ils ont fait exploser des petites bombes à retardement dans les bois, devant les maisons, poussé à bout tous les gens qui avaient une relation avec la famille Hall», maugrée Peter Clamp, un conseiller local qui résiste et est devenu le porte-parole des villages martyrisés. Il cite John Wright, bientôt 60 ans, conducteur de camion et employé de la ferme, dont le domicile a été encerclé de chaînes et qui a démissionné ; le fournisseur d'essence qui a rompu son contrat, quand des accusations de pédophilie ont commencé à courir sur son compte ; et May Hudson. La femme de ménage des Hall a tenu bon pendant cinq ans : briques jetées contre ses fenêtres, bombe artisanale, mannequin pendu avec une corde dans son jardin, voitures de ses enfants taguées. Elle a rendu son tablier quand les corbeaux-écolo-végétaliens ont suggéré qu'ils pourraient s'attaquer à la tombe de son mari. Petit à petit, tous les liens sociaux, économiques, amicaux des Hall ont été rompus.

«Une victoire déplorable»

«C'est de la persécution collective. Mais la loi est de leur côté. Ils peuvent nous assiéger, venir tambouriner sous nos fenêtres, nous réveiller en pleine nuit. Mais si l'on s'en prend à eux, on se retrouve au poste de police», raconte une habitante de Newborough. Droit de manifester contre droit de vivre en paix : il a fallu que le nombre d'agressions augmente fortement depuis 2002 pour que le gouvernement britannique s'engage dans le vote d'une loi, adoptée juste avant les dernières élections, qui donne plus de moyens à la police pour stopper les fous des animaux, quitte à restreindre la «freedom of speech». «On s'est battu pour obtenir une injonction judiciaire leur interdisant de s'approcher de nos maisons et de la ferme. On a juste obtenu une zone d'exclusion aux abords de Darley Oaks Farm, et encore pas le dimanche, où ils continuent de manifester», se lamente Peter Clamp. Et la loi ne peut empêcher les mauvaises farces. En mai, un communiqué tombait, signé de la Milice des droits animaux et adressé à la presse locale. Il signalait qu'un «sixième» des restes du corps de Gladys se trouvait enterré dans un bois proche de la ferme, dans un sac en plastique. Anonymes, mais coopératifs, les signataires proposaient de faciliter le travail de la police en donnant des coordonnées GPS. Trois jours de fouille furent entrepris, pour rien.

«L'arrêt de l'élevage des cochons d'Inde est une victoire massive pour ces activistes, c'est déplorable», regrette Peter Clamp, placé sous protection policière. Ayant cédé, les Hall vont-ils retrouver leur tranquillité, leurs veaux et leurs vaches ? Pas sûr. Robin Webb, porte-parole d'ALF, trace les perspectives avec une feinte et courtoise distance : «Dans la production laitière "les bêtes" sont usées par les vêlages chaque année pour pouvoir produire.» Prendre des bêtes à cornes pour des vaches à lait, c'est interdit au paradis d'ALF. Les Hall «restent donc une cible légitime».

(1) National extremism tactical coordination unit : Unité nationale de coordination tactique de lutte contre l'extrémisme.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=329776

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