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Scouby

Mémoires de la chatte Ardoise

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Chapitre 46 : FENIL ET SILVER TABBY

Et voilà, je reviens de mon week-end pascal et je m’en remets à grand-peine ! Je suis FATIGUEE, vous ne pouvez vous imaginer combien !

« Pourquoi cela ? « me demanderez-vous.
Eh bien, parce que j’ai été obligée de SURVEILLER un monde fou ! Orca, Daniel, Scouby, Olivier, Nathalie et autres bestioles qui venaient flairer ma maison et mon jardin !

Orca, c’est devenu assez facile : il ne bouge pas. A la limite, c’est même assez frustrant de surveiller un chat comme ça… C’est monotone. Mais les autres… C’est tout le contraire !

Daniel et Olivier, armés de scies, de clous, de marteaux, travaillaient à la future salle de bains, alors que Scouby et Nathalie étaient soit à la cuisine, soit à la salle à manger. .. ce qui faisait que la pauvre petite Ardoise devait se trouver partout à la fois !

- Tu es toute excitée, mon Ardoise ! Tu aimes bien les week-ends à la campagne, hein ? dit Scouby qui ne se doute pas de la complexité de mon problème.
Effectivement, je courais partout sans savoir où donner de la tête ! L’Orca, lui, me contemplait benoîtement, allongé sur une armoire non loin du feu. Il se la coule douce, l’Orca !

Comme Nathalie a une peur bleue de certain chat noir et blanc au look patibulaire, nous, les félins, avons passé la nuit au rez de chaussée, avec Daniel qui n’aime pas nous abandonner à notre sort… à moins qu’il ne se méfie de ma vive imagination ?
Orca s’est pelotonné à ses pieds, sur la couverture, et n’a plus bougé. Moi, encore trop survoltée pour dormir, j’ai résolu de réaliser un vieux rêve injustement contrarié : explorer le fenil !

Au cas où ça vous intéresserait, les amis, voici comment procéder : d’abord, vous attendez que tout le monde soit profondément endormi.
Vous, vous êtes déjà sur place : vous avez affecté de choisir, pour votre lieu de repos, l’une des chaises de jardin qui se trouvent (quelle coïncidence !) dans la petite pièce qui jouxte cet intéressant fenil.
Quand plus rien ne bouge, vous descendez silencieusement de la chaise où vous avez fait mine de vous assoupir… Enfin, quand je dis « silencieusement », c’est façon de parler. Ca fait « POUM ! » quand vous atteignez le sol, mais, par chance, personne ne l’entend.
Vous vous dirigez vers la porte du lieu de tous les délices et vous agrippez de la patte la corde qui permet de l’ouvrir… Vous tirez, doucement.
- Grouîîîîîîîîîîn ! fait la porte.
Vous vous immobilisez. Heureusement, l’ouverture est juste assez large pour livrer passage à une chatte grise un peu grassouillette : vous !
Ah, l’ivresse de la liberté !

Qu’est-ce que je me suis amusée ! Je suis allée partout où on me défend d’aller : sur le tas de bois, sous les matériaux de fer qui attendent d’être utiles à quelque chose (et qui attendront longtemps), sur la dalle vétuste qui masque un vieux puits désaffecté… Mon exploration a duré des heures !
Et toutes ces délicieuses odeurs, vieilles de deux siècles ! J’ai voluptueusement empli mes narines de ces effluves que ma mémoire, ensuite, va soigneusement me restituer pour que je puisse les disséquer et les analyser à loisir. Des petits bruits exquis nourrissaient mon imagination : piétinements de souris ? Craquements de vieux bois ? Frôlement de fantômes ?

La nuit était bien avancée quand j’ai regagné mon fauteuil de jardin, les pattes molles de fatigue. Quels bons moments j’avais passés, vraiment !

Scouby m’a trouvée là, au matin, profondément endormie, la porte du fenil juste entrouverte assez pour permettre passage à une chatte grise (devinez laquelle…). J’aurais pu la repousser, cette porte, personne n’aurait jamais rien su. Je n’y ai pas pensé.
Et puis, faut dire qu’en plus, des toiles d’araignée ornaient de manière artistique les pointes de mes oreilles… Des toiles « made in fenil » !

- Mon Ardoise ! Tu aurais pu avoir un accident !
- Meuh non ! Je suis un chat, quoi qu’on en dise ! C’est souple, un chat ! C’est adroit, un chat !
- Oui, sauf quand tu rates ton saut et que tu te retrouves sur la figure !
Admettons, cela m’est déjà arrivé, mais justement pas cette nuit, alors !... Personne n’a le pouvoir de ternir ma joie !

J’aurais quand même dû penser à repousser cette porte : maintenant, Scouby met la corde hors de ma portée. J’ai déjà essayé de tirer le panneau vers moi, avec mes pattes, mais c’est beaucoup plus dur… Il va falloir que je me muscle un peu, mais j’y arriverai, j’y arriverai !

- Comme je suis quand même occupé à refaire ce mur, dit Daniel de l’air inspiré du Grand-Constructeur-qui-a-bâti-le-Monde, je me demande si je ne vais pas remplacer cette vieille porte de fenil par l’ancienne porte d’entrée de notre appartement, celle qui est bien solide…
Sans commentaires…

Le lundi soir, au moment de repartir, j’étais sur les rotules. Scouby et moi sommes rentrées seules à Bruxelles, dans la voiture d’Olivier : Daniel, lui, avait congé et restait à la campagne avec l’incontournable Orca.
Sitôt rentrée dans mon appartement, je me suis précipitée dans l’ex-chambre d’Olivier, sur son fauteuil de bureau et j’ai dormi… dormi… pendant trois jours !

Scouby ronchonnait : « Ayez un petit animal fidèle qui vous tiendra compagnie aux moments de solitude ! La seule personne qu’on ne voit jamais, qu’on ne risque pas de rencontrer, c’est bien le petit animal fidèle ! Tout ce qu’on voit, c’est la gamelle qui se vide régulièrement ! »
- Et alors ? Faut que je reprenne des forces : je suis CREVEE ! soupiré-je quand elle se penche au-dessus de mon fauteuil, un peu inquiète malgré tout (Et si le petit animal fidèle avait oublié de respirer ?).
Elle s’adoucit. S’aventure dans les méandres de ma personnalité profonde.
- Ce qu’il y a avec toi, mon Ardoise, c’est que tu prends les choses trop à cœur ! Tu t’impliques et tu dépenses trop d’énergie !
- Demain, ça ira mieux !
- Peut-être, mais demain c’est moi qui repars à la campagne pour le week-end du 1er mai et j’y resterai jusque mercredi !
Je ronchonne : « Ayez un humain fidèle et affectueux ! Quand vous vous réveillez après une grosse, grosse fatigue, la personne que vous ne risquez pas de voir, c’est l’humain fidèle !... »
Bon, il paraît qu’Olivier va venir me nourrir et s’efforcer de me distraire. Il peut bien : parce que si je suis tellement fatiguée, c’est en partie de sa faute. J’ai eu trop de monde à surveiller le week-end de Pâques !

Et Scouby est repartie sans remords et sans état d’âme. Sur l’armoire de cuisine étaient posées en évidence une quantité astronomique de boîtes de nourriture pour chat. Mon bac était bien propre. J’étais nommée « gardienne du foyer ».

J’ai profité de ces quelques jours pour me retaper complètement et, le mercredi 3 mai au soir, j’ai accueilli Scouby avec des transports d’allégresse.
- Oh, mine de rien, tu m’as manqué ! Je suis bien contente de te revoir !
- Mais moi aussi, mon Ardoise !
Embrassades, nez contre petit museau. Toute la soirée, je suis restée vissée sur ses genoux, à me frotter la tête contre sa main. C’est quand même chouette, la famille !

- Au moins, tu pourrais faire montre d’un peu de dignité ! dit une voix désapprobatrice à mon oreille.
- Tiens ! Bonjour Vot’Seigneurie !
Elle apparaît à mes côtés, luisant de toute sa fourrure beige et brune. Parfois, ça me plairait bien d’être un siamois aux yeux bleus… mais il paraît qu’ils ont un fichu caractère, alors, peut-être que je ferais mieux de rester petite Ardoise aux yeux verts, finalement…
- Je te l’ai déjà dit, pourtant ! soupire mon mentor. Allons, réfléchis : Scouby t’a froidement abandonnée pendant quatre jours et toi, dès qu’elle arrive, au lieu de lui faire sentir à quel point tu es vexée, tu te précipites pour te rouler sur ses genoux !
- Mais… Mais… J’suis pas vexée, Seigneurie ! Je me suis bien reposée ! Et l’ancien Grand-Amour-de-ma-Vie est venu me soigner et me faire la conversation !
- Si tu n’es pas vexée, au moins, fais semblant ! Ah, les choses n’étaient pas ainsi de mon temps ! De mon temps, on RESPECTAIT le chat de la maison (Moi !). Evidemment, tout dépend du chat…
Je baisse la tête : « Je ferai des efforts, Seigneurie… »
Elle ne me croit pas. Elle a raison. Jamais, jamais je n’arriverai à être un chat RESPECTABLE !

Et l’Orca, lui, est-il un chat respectable ? Lui, on le quitte toutes les semaines pour cinq jours, et il n’est jamais fâché ! Donc, l’Orca est encore moins respectable que moi… Il est vrai aussi que s’il n’était pas si gentil (là, je reprends les paroles de Scouby et Daniel, ce n’est pas moi, Ardoise, qui irai jusqu’à dire que l’Orca est gentil, même si…), il ne serait pas devenu le chat attitré de notre maison de campagne. Parce que, au fond, il n’a que sa personnalité pour s’imposer… La beauté, n’en parlons pas.

Je suis en train de philosopher ainsi, tandis que Scouby est allée rendre visite à l’une de ses tantes, une adorable petite dame très âgée. D’ailleurs, si vous lisez mes mémoires en ce moment, c’est justement grâce à cette petite tantine : un beau jour, j’ai commencé, par jeu, à lui écrire, je lui ai envoyé une lettre de quinze pages tous les mois, cela lui a tellement plu que j’ai continué, et voilà !
Scouby rentre, toute contente : « Regarde, ma petite Ardoise, ce que tante Germaine nous a offert, à toi et à moi ! »
Elle pose un grand sac sur la table. Moi, bien sûr, j’y plonge tête la première : j’adore les sacs ! Je ne peux pas en voir un sans m’y enfouir toute entière !
- Le contenu est pour toi, le contenant pour moi ! dis-je péremptoire, en m’installant confortablement au fond du contenant, tandis que Scouby en tire le contenu.
- Viens voir, c’est intéressant ! dit-elle.
Naturellement curieuse, je sors de mon emballage-cadeau. Scouby est en train de feuilleter un gros livre luxueusement illustré : une encyclopédie des chats !
Il y a plein de photos ! Nous regardons où je peux me trouver.
- Je n’y suis pas, dis-je, bouleversée, reprise par tous mes doutes (chat ou pas chat ?).
- Mais si, tu y es ! rétorque Scouby en me montrant une page sur laquelle on peut admirer un superbe chat tigré.
Comme ma physionomie naturelle est trop mobile, nous étalons une de mes photos sur la table pour comparer.

Entre parenthèses, vous n’avez pas idée du nombre de photos sur lesquelles je figure ! On me mitraille constamment ! Clic ! clic ! Je crois bien que mon press-book est encore plus important que celui de Lady Di…

- Il y a une indéniable ressemblance… la couleur brique du museau est pareille…
- Voui, mais j’ai moins de rayures…
- Par contre, tu portes bien sur le front le « M » caractéristique des chats de la race Tabby !
- La race Tabby ?
Mon « M », ressemblant au sigle des restaurants MacDonald, est moins prononcé que sur l’image, mais il existe, il n’y a pas de doute !
- En ce qui te concerne, Silver Tabby ! Tu es un chat Silver Tabby !

Nous sommes enchantées. Je n’en reviens pas : tout ce qu’on peut apprendre dans les livres, c’est incroyable ! Même comment on s’appelle, dites donc !
- De plus, continue ma mère d’adoption, une de tes ancêtres a dû batifoler avec un chat bleu, puisque tu as peu de rayures. Lis : « Il arrive que l’on croise des chats Tabby avec des chats bleus, pour une amélioration de la race… »
Rejeton d’une race améliorée, je me gonfle et m’épanouis. D’orgueil.

Après ça, je ne vois vraiment pas ce que l’Orca va pouvoir raconter d’intéressant !

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[Chapitre 47 : LE CHEF DE MEUTE A SES PRINCIPES



Pour moi, ça roule ! Je suis toujours le même, pas beau mais sympa. Heureusement, les chattes du coin ont décrété que j’ai un physique, non pas « horrible » (dixit cette peste de Petite-Goulaffe), mais bien « intéressant », et ne se détournent pas en glapissant quand je fais ma promenade dans la rue principale de notre village. Faut dire que la rue est large, je suis petit, et quand on me voit de loin et que je marche vite, j’ai l’air plus ou moins normal. Je ressemble à un chat, quoi !

Il n’y a que la chère Ardoise qui fronce le nez lorsque j’apparais dans son champ de vision. Ces chattes des villes, ça n’a pas vu grand-chose, c’est vite dégoûté… Pourtant, si j’ai bien compris son histoire, cette chatte-ci a fait les poubelles quand elle était petite… Que voulez-vous ? Mademoiselle ne s’en souvient plus ! Elle a pris quelque part l’idée que son « de Gouttière » est un titre de noblesse et elle y croit dur comme fer ! Maintenant, elle se donne des airs d’adjudant et, évidemment, les bidasses, c’est moi et Petite-Goulaffe ! Ou plutôt, moi tout seul, parce que Petite-Goulaffe fait semblant, elle rigole… Elle trouve tout ça très amusant, la Petite-Goulaffe !

Il faut la voir quand elle s’introduit chez moi avec son faux air penché ! Même moi, je pourrais m’y laisser prendre et pourtant, vous savez comme je connais le bestiau !
Sitôt le museau apparu dans l’entrouverture de la porte, la chérubine lance un coup d’œil aigu sur le siège où la chère Ardoise a l’habitude de trôner, tout près du poêle à bois.

Si le « chef de meute » est présent, Petite-Goulaffe prend une attitude effacée, un petit air entre deux airs qui veut dire : « C’est moi, mais faites comme si je n’étais pas là, je ne suis qu’une ombre qui passe… J’ai juste un tout petit peu faim ! » et, d’une démarche aérienne, elle se dirige vers les gamelles. Lorsqu’elle a tout vidé, elle s’esquive vers le salon avec, à l’attention de la noble « de Gouttière », un petit sourire d’excuse, style : « Maintenant faut que je fasse une petite sieste, mais ne vous en formalisez pas. Je serai à peine visible, tout juste un soupçon de chat dans du tissu à fleurs ! »
D’un bond léger, elle saute sur son fauteuil préféré, se met en boule et s’endort.

Quand, d’aventure, la belle Ardoise se met en idée de « vérifier » la présence de ses troupes et se dirige vers ledit fauteuil, l’Attila en fourrure la suit attentivement du regard sans en avoir l’air. Après avoir donné un léger coup de patte sur l’oreille du soi-disant « soupçon de chat », l’air de dire « Votre conduite est satisfaisante mais n’oubliez surtout pas que vous êtes ici chez moi ! », la générale en chef fait demi-tour et va se réinstaller dans la cuisine en me gratifiant d’un coup d’œil sévère : « Vous, la forte tête, j’vous ai dans le collimateur ! Pas de faux pas, Sinon… »

Si, par un heureux hasard, il n’y a pas trace d’un chef de meute à l’horizon quand la Petite-Goulaffe se pointe, finis les airs sournois ! L’animal respire d’abord un bon coup pour déterminer si aucun effluve « ardoisien » ne flotte dans l’air puis, rassuré, fait irruption dans ma cuisine d’un pas martial. Après s’être précipitée, sans état d’âme (ni aucun mot d’excuse) sur mon assiette, elle fait le tour du salon à toute allure pour se vautrer finalement, soit dans son fauteuil (avec toutefois infiniment moins de discrétion que lorsque la maîtresse des lieux est présente), soit sur les genoux de Scouby (tout à fait interdit en temps ordinaire).

Ce que je pense, moi ? On s’en fiche !
- Petite-Goulaffe, dis-je, en l’absence de la chère Ardoise, c’est moi le chef de meute intérimaire ! Il faut m’obéir !
- Hi hi, z’êtes comique quand vous prenez cet air-là , M’sieur Orca ! s’esclaffe la meute.
Je devrais être découragé, mais je suis opiniâtre : je n’ai pas perdu l’espoir d’améliorer les déplorables manières du chaton que le monde entier m’envie…
- Petite-Goulaffe, je suis très mécontent !
- Ah ? Et pourquoi ça, M’sieur Orca ? s’enquiert l’infâme animal sans la moindre nuance d’inquiétude dans le ton.
- Le respect dû aux aînés se perd ! constaté-je d’une voix lugubre.
- Oh, M’sieur Orca, comme c’est beau ce que vous dites là ! Mais c’est quoi le respect du « Oh-zéné », M’sieur Orca ?
- L’autre jour, tu te trouvais avec ta maman (ma chère Gourmande !) et j’ai cru entendre… comme un grognement de ta part ! Ca ne se fait pas, grogner sur sa maman, Petite-Goulaffe !
- J’ai pas le choix, M’sieur Orca ! Vous savez, M’man est bien gentille, mais elle n’a pas tellement la fibre maternelle…
Ca, j’avais remarqué.
- Alors, quand elle a plongé la tête dans une assiette, faut bien que je la rappelle un peu à l’ordre ! J’ai le droit de manger, moi aussi !
- Oui, mais de là à grogner…
- Quand elle se remplit l’estomac, c’est le seul langage qu’elle comprenne, M’sieur Orca !
Je bats en retraite. Comment avoir le dernier mot avec cette engeance ? Sans compter que, si on y réfléchit, la Petite-Goulaffe n’a pas tort à 100 %. Plutôt à 95 %, je dirais…

Le dernier week-end, elle a grogné une fois de trop…
La chère Ardoise était présente et la Petite-Goulaffe, ayant accompli tous les salamalecs décrits plus haut, s’est dirigée vers son fauteuil préféré pour la sieste rituelle.
Subitement, elle a changé d’idée : et si elle passait à la phase 2 de son plan de conquête ?
Elle s’est entortillée autour des chevilles de Scouby en poussant de grands miaulements roucoulants : « Rrrrrrrrrrrrrrmiou ! Rrrrrrrrrrrrrrrrmiou ! Yèèèèèèk ! »
Et de faire des petites mines ! Et de balancer langoureusement sa superbe queue d’écureuil !
- Pas vrai, M’dame Scouby, que vous allez m’adopter ? Je pourrai rester ici, hein, M’dame Scouby ? Dites oui ! Dites oui !
Mais M’dame Scouby, après avoir jeté un petit coup d’œil précautionneux vers la cuisine où la chère Ardoise se repose sur sa chaise sans avoir la moindre idée de ce qui se trame derrière son dos, se contente de caresser le faux chaton (mais vraie chatte) et de le déposer sur un autre fauteuil… gentiment mais sans avoir prononcé le « oui » tellement attendu !

Désappointée, Petite-Goulaffe se pose des questions : « Mais pourquoi la phase 1 de mon plan a tellement bien marché et pas la phase 2 ? J’ai pourtant tout calculé ! Bien réfléchi ! »
Obligeant, j’y mets mon grain de sel : « Ca n’a rien à voir avec toi, Petite-Goulaffe ! Tes plans sont sûrement bien ficelés, mais Scouby ne souhaite pas adopter un troisième chat pour le moment, voilà tout ! »
- Mais je ne suis pas un quelconque troisième chat ! Je suis la grande Petite-Goulaffe !
- Et puis, Petite-Goulaffe, tu as déjà une maison ! Et tu ne te prives pas de venir ici en visite ! Qu’est-ce que cela t’apporterait de plus ?
Elle fait la tête.
Impossible de la raisonner ! J’y renonce.

Sur ces entrefaites, Ardoise se réveille, s’étire et, consciencieuse comme de coutume, décide de passer la revue de son cheptel. Après m’avoir flairé d’un air distrait, elle se dirige nonchalamment vers le fauteuil où la Petite-Goulaffe remâche sa déconvenue.
Comme la générale en chef tend le nez pour vérifier si c’est bien sa Petite-Goulaffe à elle qui se trouve là et non une autre entrée par inadvertance, ne voilà-t-il pas que l’ignoble chaton fait entendre un grognement rageur !

Pauvre Ardoise ! Elle en reste sidérée, les yeux emplis d’un douloureux étonnement. Comment est-ce possible ? La moitié de sa meute se rebellerait contre son autorité ? Sans mot dire, elle fait dignement demi-tour et retourne se pelotonner sur son siège, les idées visiblement en déroute.

Evidemment, brave type comme toujours, j’entreprends de la consoler.
- Vous bilez pas, chère Ardoise ! Petite-Goulaffe a ses têtes, ça lui passera ! Je vous avais bien dit qu’il ne fallait pas lui faire confiance !
Bon ! J’aurais dû savoir qu’en cas de problème, c’est toujours celui qui entonne le grand air du « Je-l’avais-bien-dit » qui est le plus haï.
- Vous, la paix ! J’vous ai pas sonné ! me jette ma supérieure hiérarchique avec un regard furibond.
Et elle retourne à ses sombres pensées, tandis que je n’ose plus bouger un poil.

Dans le salon, Scouby est en train de morigéner la Petite-Goulaffe qui sent bien qu’elle a fait un pas de travers.
- Petite-Goulaffe, ce n’est pas gentil de grogner sur Ardoise qui est si conciliante avec toi ! Si tu recommences, tu ne pourras plus entrer ici ! D’ailleurs, il est temps que tu rentres chez toi, la nuit tombe.
Catastrophée, la Petite-Goulaffe fait la morte. Elle n’a pas du tout envie de quitter ce bon fauteuil bien moelleux.

- La pauvre, elle dort, dit Dan qui a un faible pour l’infernal chaton. Tu ne vas pas la réveiller maintenant, attends que nous allions au lit !
Il détourne les yeux de Petite-Goulaffe qui, d’un regard soudain bien vif, l’épie étroitement, pressentant un renfort inattendu.
- Mais non, elle ne dort pas ! dit Scouby.
Dan regarde une nouvelle fois la créature qui, roulée en boule, semble enfoncée dans un profond sommeil. A peine l’a-t-il quittée des yeux que Petite-Goulaffe, sans se rendre compte que Scouby l’observe sans en avoir l’air, relève la tête.
- Retourne-toi, Daniel, c’est vraiment trop drôle !
Il obtempère : Petite-Goulaffe dort à pattes fermées, un air d’innocence répandu sur toute sa personne. Qui aurait le cœur de mettre à la porte cette malheureuse petite bête ?

C’est pourtant ce à quoi il faut se résoudre, quand sonne l’heure du couvre-feu.
En grande cérémonie, Scouby raccompagne sur le seuil de la porte notre Attila qui gémit à fendre le cœur.
- Pourquoi moi je dois sortir et eux pas ? C’est pas juste…
Tiens, ce refrain éveille certains échos dans ma mémoire… N’ai-je pas tenu les même propos, il y a déjà deux ans de cela ?
- M’dame Scouby, z’imaginez pas tous les dangers qui guettent un innocent chaton, dans l’obscurité ! Si vous saviez, vous me laisseriez pas sortir !
- Voyons, arrête ton cinéma, Petite-Goulaffe ! dis-je sans pitié inutile tandis que la chère Ardoise regarde ostensiblement ailleurs, montrant bien par là qu’elle est toujours vexée.
- Vous avez pas de cœur, M’sieur Orca !
- Petite-Goulaffe, tu as une maison et une famille ! dit Scouby pour mettre les choses au point. Rentre chez toi, tu n’as que la longueur de la rue à traverser !
- Oui, mais j’aime mieux cette maison-ci ! Dans ma famille, il y a M’man ! Et où-s’kya M’man, c’est la ruine ! Elle mange tout ! Ici, je suis plus tranquille…
Elle continue à se lamenter en quittant notre terrasse pour regagner son bercail.
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, je me sens doublement heureux d’être moi !

La douce Ardoise serait-elle rancunière ?
Ce dernier dimanche, comme le temps était au beau fixe, Scouby s’était installée sur la terrasse, dans son fauteuil de jardin, pour prendre le soleil. Ardoise, bien étalée sur ses genoux, jouissait elle aussi de la douceur de l’air.
Moi j’étais, comme d’habitude, collé contre le poêle ronronnant. Depuis que j’ai maigri, j’ai plus souvent froid qu’avant.
Une petite forme a traversé la haie et s’est humblement avancée, jetant un regard craintif à la despotique créature à quatre pattes qui se bronzait le dos au soleil d’avril.
Petite-Goulaffe, bien sûr ! Toute douce, toute repentante, prête à tout pour se faire pardonner un grognement intempestif et regagner le terrain perdu.
- Noble demoiselle Ardoise, c’est moi…
La chère et tendre n’a pas bougé, mais elle a entamé l’un des processus de transformation dont elle a le secret.
Elle vous a sûrement raconté comme elle peut, à volonté, se métamorphoser en petit chat de peluche, tout attendrissant ? Eh bien, figurez-vous qu’avec la même facilité, elle a la faculté de se muer en serpent venimeux ! C’est Petite-Goulaffe qui en a fait les frais.

Les oreilles de la chère Ardoise se sont aplaties, son pelage est devenu d’argent au soleil tandis que ses yeux, habituellement couleur de feuille tendre, se sont faits d’ambre jaune, avec les pupilles réduites à deux fentes minces… En une seconde, Petite-Goulaffe a cru se trouver face à un boa constrictor. Et ce boa la fixait, la fixait…
Après deux ou trois petits tours hésitants sur la terrasse, histoire de ne pas perdre la face, la Petite-Goulaffe a préféré se retirer. Elle reviendra quand la rancune du chef de la meute se sera diluée dans l’oubli… D’ici une semaine peut-être.

Dès son départ, les oreilles de la tendre Ardoise ont retrouvé leur position normale. Le boa si terrifiant est redevenu une chatte grise paisible, prenant un bain de soleil.
Elle n’est même plus fâchée : c’est pour le principe.
Ardoise est une bête à principes.

Vous vous souvenez certainement que, durant les mois d’hiver, le chef de meute et moi avons passé le temps sur deux chaises, devant le feu. Mais Scouby commençait à trouver encombrants ces meubles conçus pour des humains adultes et non pour des créatures félines hautes comme trois pommes. Elle les a remplacés par deux petites chaises d’enfant en plastique rouge.

Naturellement, la puérile Ardoise s’est empressée d’essayer ces deux petites chaises, l’une après l’autre. Moi, j’hésitais.
- Une chaise de bébé pour moi, l’Orca Maître-Chat ? N’est-ce pas un peu ridicule ? Mon prestige…
- Quel prestige ? s’enquiert l’Ardoise, piétinant joyeusement mon amour-propre. C’est vous qui êtes ridicule ! Elles sont géniales ces chaises ! Et bien à notre taille ! Quand je lève la tête, maintenant, je vois derrière le dossier au moins ! C’est plus facile pour surveiller…
Enchantée, elle a choisi minutieusement sa chaise à elle (notez qu’elles sont absolument identiques) et n’en a plus bougé. Pour un peu, elle l’aurait emmenée avec elle, à Bruxelles.
Moi, j’hésite toujours…

- Vous repartez encore ? Comme je suis triste ! C’est gentil de me laisser de la nourriture, mais, vous savez, ce n’est pas pour ça que je viens… C’est pour la tendresse !
- Pauvre Orca, dit Scouby toute émue elle aussi, il ne lui manque vraiment que la parole…
- Et tout ce que je vous raconte alors, c’est quoi, si ce n’est pas de la parole ? Ne me dites pas que vous n’entendez que des miaous sans signification !
- Ses yeux sont tellement parlants, à ce pauvre Orca ! Nous aussi on est triste, mon minou ! On revient dans cinq jours, sans faute ! Et bientôt, tu seras bien content !
- Oui ? Pourquoi ?
- Dan va venir passer deux semaines de vacances avec toi, mon Orca !
Eh bien, voilà une excellente nouvelle. Un doute me vient.
- Avec ou sans Ardoise ?
- Sans, mon Orkatteke !
- Quel dommage ! dis-je avec une hypocrisie sans borne.
- Heu… Si vous y tenez beaucoup… propose la bestiole qui se voit déjà à la joie de me surveiller pendant quinze jours.
- Non, non, dis-je avec énergie. Vous ne voulez pas laisser Scouby toute seule à Bruxelles, hein, chère Ardoise ! Que deviendrait-elle sans vous ?
- C’est vrai, opine gravement l’animal pénétré de sa responsabilité : faut que je reste à Bruxelles pour surveiller Scouby ! Ca ne fait rien, quand viendra le mois de juillet, nous serons à nouveau ensemble…
- Mais oui, dis-je.
C’est dans combien de temps, le mois de juillet ?

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Chapitre 48 : RENCONTRE IMPREVUE ET PRISES DE BEC


Eh bien, je viens de passer quinze jours super, je dois dire. Je n’ai manqué de rien. Dan était aux petits soins pour moi. Nous étions ici tous les deux, seuls, comme deux vieux copains… Vous pensez si ça m’a plu !

Pendant la journée, Dan travaillait à l’étage. Moi, j’allais me promener, ou je restais couché. Quand on est à nous deux, c’est relax : lui se levait le matin et laissait la porte de la chambre ouverte. J’étais libre de me lever ou de faire la grasse matinée, à mon gré (je dois dire que j’ai souvent choisi la seconde solution). Ce n’est pas comme quand Scouby est là ! Elle a la détestable manie de vouloir que je me lève en même temps qu’elle. Elle emporte au rez-de-chaussée mon bac de sable et ma gamelle, alors je suis bien obligé de la suivre, que voulez-vous ? Elle n’a cure de mes bruyantes protestations.
- Orca, si tu veux dormir, tu peux aussi bien le faire en bas !
Elle devrait bien comprendre que ce n’est pas du tout la même chose ! On dort mieux sur une couette provençale, dans une chambre tapissée de bleu, que dans une cuisine ou un salon quelconques !
Mais que voulez-vous ? Elle se méfie de mes petits pipis !

Quand elle n’est pas là, Dan et moi, on se laisse aller. Si on est sale, on s’en fout ! On mange sur un coin de table, en lisant le journal (c'est-à-dire que lui lit, tandis que je froisse les pages en me couchant dessus). On s’enfonce sans complexe dans les coussins du vieux divan. Quand elle est présente, Scouby est toujours occupée à essayer de rendre une forme normale à ses coussins. C’est un total gaspillage d’énergie, je trouve : Dan s’assied… et tous les efforts sont réduits à néant : un énorme creux se dessine dans le divan, la belle housse fleurie se déplace, laissant voir de larges pans de vieux velours couleur or et des franges mitées. Pire : les coutures de la housse cèdent sous le poids…
Visiblement, Dan ne s’aperçoit de rien. Scouby s’énerve.
Ils ne voient pas les choses du même œil !

- Tu sais Orca, me dit-il le soir, quand nous sommes confortablement installés devant la télé (lui dans le creux du divan, moi sur ses genoux), ce serait moi tout seul, je n’aurais pas besoin de tant de pièces, et d’une salle de bains ! Moi je garderais juste la cuisine, le jardin et une pièce à tout faire ! J’installerais mon lit en bas, j’aurais tous les jours seulement une assiette, une tasse, une casserole et des couverts à laver…
- Et ma gamelle, dis-je.
- … et ta gamelle, bien sûr ! Ce serait cool : je mangerais les légumes du jardin, j’aurais des petites poules anglaises qui pondraient des œufs…
- A moi les petites Anglaises !
- … Je deviendrais comme un vieux paysan, peut-être même que je chiquerais ! Je ne devrais plus me laver ni me raser, c’est ça qui serait bien !
- N’oubliez quand même pas mon bac de sable, hein Dan ? Moi j’ai besoin d’un bac à sable bien propre !
- Mais tu pourrais faire tes besoins dehors…
- Non, non, maintenant je suis civilisé, il me faut mon bac !
J’y tiens, moi, à mon bac ! Surtout au bleu, celui d’Ardoise ! Si elle savait !...
Peut-être que Dan et moi suivons un chemin contraire : insensiblement, tandis qu’il commence à s’identifier à un paysan du style de Louis de Funès dans « La Soupe aux Choux », moi j’évolue vers la tendance « chat d’appartement »…

Malgré ces beaux discours, il a quand même balayé son chantier du premier étage avant de partir et il a refait le lit, pour que Scouby ne pique pas une crise d’apoplexie le week-end prochain.

Ces quinze jours ont bien vite passé ! Ils ont débuté le week-end de Pâques, avec la petite famille assemblée : Dan, Scouby, Olivier, Nathalie et, naturellement, la douce Ardoise !
- Orca, ne va pas toujours te fourrer près de Nathalie, tu sais que tu lui fais peur ! m’avait dit Scouby.
Moi je n’ai pas tellement écouté : j’étais si sûr d’arriver enfin à la charmer, Nathalie !

Justement, elle est assise à la table de la salle à manger. Elle étudie la matière de ses cours du soir, des mathématiques. Elle est très, très absorbée.
Moi, subrepticement, d’un bond aérien, je me propulse à sa hauteur, pas trop près, bien entendu. Je me couche sur la table, à distance respectueuse, et la couve de mon beau regard doré.
Si elle se rend compte de ma présence, elle n’en laisse rien voir. J’avance insensiblement et m’installe à sa droite, tout sourires et ronronnements.
- Il fait beau ce matin, hein, Mademoiselle Nathalie ?
Elle lève un tantinet la tête et prend une expression méfiante. Pourtant, hier, quand elle est arrivée, elle a caressé spontanément la chère Ardoise qui se vautrait sur un appui de fenêtre. Alors, pourquoi pas moi ?

Nous restons ainsi, moi la dévisageant d’un air d’adoration manifeste, elle étudiant et me jetant de temps à autre un coup d’œil furtif.
- Nathalie ? s’inquiète Scouby. Orca ne te dérange pas trop ?
- Heu, non, à cette distance-là, ça va encore, répond courageusement la malheureuse, avec un petit sourire crispé.
- Si vous voulez, Mademoiselle Nathalie, je peux m’installer à votre gauche, si vous n’aimez pas trop me voir à votre droite !
Sitôt dit, sitôt fait. Je surgis de l’autre côté de la table et reprends mon manège : regards enamourés, petits roucoulements.
Elle semble rétive. Mon charme légendaire n’agit pas sur elle, hélas !
Peut-être qu’elle n’aime pas Depardieu…

Quand elle a terminé d’étudier, elle rassemble ses cahiers et les pose en une pile bien soignée sur la table.
Je vois aussitôt l’occasion de me rendre utile.
- Si vous voulez, Mademoiselle Nathalie, je vais veiller sur vos cahiers, pour qu’il ne leur arrive rien !
Noblement, je m’assieds sur le premier cahier de la pile et reste immobile, pénétré de ma mission.
Ils sortent tous, vers sept heures du soir, pour aller se délasser en passant la soirée au restaurant. Enfin, quand je dis tous… j’en excepte la chère Ardoise, bien sûr.

Quand ils rentrent, à minuit, je suis toujours à mon poste, l’air sérieux et pénétré de mon importance. L’Ardoise dort depuis longtemps sur sa petite chaise rouge.
- Vous voyez ? Personne n’a osé toucher à vos cahiers, Mademoiselle Nathalie ! Je les ai défendus envers et contre tous !...
- Orca, tu ne vas pas me dire que tu es resté comme ça pendant cinq heures ! s’écrie Scouby.
Si, pourtant. J’ai le sens du devoir, moi ! Contrairement à certaine chatte qui a passé la nuit dernière à faire des bêtises dans le fenil, je l’ai bien entendue ! Je ne dis rien mais suivez mon regard…
Nathalie commence tout doucement à se détendre. Je crois qu’elle a moins peur de moi !

Le lundi soir, Scouby et Ardoise se sont embarquées dans la voiture d’Olivier pour le retour à Bruxelles et Dan et moi sommes donc restés seuls, en vieux célibataires.
Je me laisse aller à des fantaisies, histoire de montrer à Dan que je suis une agréable compagnie. Un jour, je suis revenu de promenade, triomphant, avec un gros morceau de lard dans la gueule. Moi aussi je peux contribuer aux besoins du ménage si je veux ! Dan n’a pas voulu que je partage la viande avec lui (pourtant il aime le lard) et je ne lui ai pas dit où je l’ai trouvée, malgré ses questions.
Souvenez-vous : je connais quelques bonnes adresses pour les chats errants, mais elles doivent rester secrètes, chut !

J’ai fait une drôle de rencontre, alors que je me baladais au jardin.
D’abord, j’ai cru que j’avais la berlue : qui voyais-je là, devant moi ? Un autre Orca !
Mais un Orca en négatif : là où je suis noir, il est blanc ! Là où je suis blanc, il est noir !
Et puis, il semble beaucoup plus jeune que moi. Un Orca adolescent.

- Qui êtes-vous ? Je ne vous ai jamais vu ici !
- Me voir c’est me reconnaître ! lance joyeusement le jeune chat.
- Moi, je devrais vous reconnaître ? Pourquoi ? Comment vous appelle-t-on ?

Bien sûr, je le sais déjà. Du moins, mon « moi » subconscient a compris la situation en un clin d’œil. Mon « moi » conscient, plus circonspect, demande confirmation.
- On m’dit « Orca-Junior »… C’est chouette de se rencontrer comme ça, hein P’pa !
J’encaisse. Admettez que ça fait un drôle d’effet, se trouver face à sa progéniture sans y avoir été préparé !
Je présume qu’il s’agit d’un des enfants que Néfer m’a si bien cachés, il y a déjà longtemps ! Maintenant ils sont grands et se lancent dans la vie adulte. J’en attrape un coup de vieux, tout à coup.

Je l’examine : le poil brillant, bien nourri, il semble se débrouiller dans la vie…
Histoire de lui montrer que son père n’est pas un pouilleux, malgré les apparences trompeuses, je lui fais admirer ma maison, de l’extérieur bien sûr. Pas question de divulguer le secret de la chatière à quiconque, même à mes propres enfants !
Mon palais des mille et une nuits semble le laisser indifférent… En fait, son attention est attirée par une petite silhouette blottie dans la haie.
- Waouh ! La jolie fille ! s’exclame-t-il.
Il se lisse les moustaches et prend un air avantageux. Intrigué, je tourne la tête vers l’objet de son admiration et crois tomber raide. Je me mets à hurler, horrifié : « NON ! C’est pas une jolie fille ! C’est la Petite-Goulaffe ! Et je le dis et le redis : PAS QUESTION QUE JE DEVIENNE LE BEAU-PERE DE LA PETITE-GOULAFFE ! »
- Cool P’pa ! T’énerve pas ! répond placidement mon rejeton.
Après trois petits tours, il se décide à prendre congé et s’éloigne sur la chaussée. Il ne m’a pas donné son adresse.
Je suis encore sous le choc.

Je me demande s’ils ne flirtent pas derrière mon dos. Dan les a aperçus se promenant ensemble dans notre rue et ils avaient l’air de bien s’entendre !

J’ai voulu en avoir le cœur net et, alors qu’ils avaient rendez-vous dans la haie (MA haie !), j’ai tendu l’oreille.
Pas par indiscrétion, non, non, n’allez pas croire ça ! Juste pour m’assurer que les choses étaient moins avancées que je ne le craignais.
J’ai entendu Orca-Junior, pénétré de son importance, pontifiant :
- Alors, vois-tu-ûûû, Peûtiteû-Goulaffeû, j’ai alors compris le sens de ma destinéeû profondeû…
Et blabla, et blabla. Il se gonfle comme la grenouille de la fable, Orca-Junior ! Il croit que la Petite-Goulaffe le dévisage d’un air admiratif et captivé alors que je ne distingue, moi, qu’une flamme narquoise dans le regard de la charmante. Elle s’en tamponne, de la destinée profonde d’Orca-Junior !

Avais-je l’air aussi stupide, dans ma jeunesse, quand j’ai commencé à faire la cour à ma jolie Néfer ?
Il est vrai que Néfer et moi, c’est différent. C’est spécial. Ca n’a rien à voir avec le flirt idiot d’Orca-Junior et Petite-Goulaffe !
- Allons plus loin, chuchote, assez haut pour que je l’entende, l’abominable chaton devenu non moins abominable jeune chatte, « Je vois ton vieux qui nous espionne ! »

Les enfants, ça n’a plus aucun respect pour les parents ! Quelle génération !
En tout cas, je ne changerai jamais d’avis : pas question que je devienne le grand-père des enfants de Petite-Goulaffe ! Quelle catastrophe pour ma lignée ! Quel malheur pour moi ! O rage, ô désespoir ! Je me sens dans la peau de Don Diègue tout à coup…
Il me fera attraper des poils blancs avant l’âge, Orca-Junior !

Passons à autre chose.
Figurez-vous que le week-end passé, Ardoise et moi, on s’est disputés ! Ben oui, une fois de plus…

Pourtant, ça avait bien commencé. Dan était déjà reparti depuis une semaine et la solitude commençait à me peser. Alors, Le vendredi, quand ma famille est arrivée, j’étais déjà dans la maison et j’ai accueilli mes invités avec de grands transports de joie, sans oublier (ce qui serait suicidaire) l’occupante du panier Félix.
Elle était assez aimable, ce soir-là. Elle m’a même permis de m’asseoir à côté d’elle, dans la petite pièce donnant sur le jardin, pour que nous puissions surveiller ensemble Orca-Junior qui se sustentait dans la gamelle posée par Scouby à son intention, sur la terrasse. Eh oui, chez nous c’est les restos du cœur, vous le savez déjà.

Au bout d’un moment, je me suis allongé sur un fauteuil de jardin et j’ai fermé les yeux.
- Vous surveillez bien ? me demande l’Ardoise toujours à son poste.
- Soyez tranquille, dis-je.
Elle me fait un cours ex-cathedra sur l’importance fondamentale de la SURVEILLANCE dans la vie courante. J’approuve tout ce qu’elle raconte, elle est contente. Nous allons ensemble dans la cuisine pour reprendre des forces. Elle mange de toutes petites boulettes au goût de poisson, je n’apprécie pas tant. Moi, je préfère le contenu de ma gamelle : des bouts de saucisson et du pâté. L’harmonie règne entre nous. Une petite voix me dit que c’est trop beau pour durer.

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Le samedi, elle semble un rien plus nerveuse.
Alors que je suis allongé sur une pierre, au jardin, pour prendre le soleil, la voilà qui s’approche de moi et me flaire longuement le museau. Puis, sans crier gare, elle lève la patte et me donne une gifle.
Bon, d’accord, elle ne tape pas fort, mais le choc de ses griffes sur un petit museau rose et sensible, ça ne fait pas du bien !
Admirez ma patience, les amis. Je ne me suis pas rebiffé. Je suis simplement allé me coucher un peu plus loin, hors de portée de la corde qui limite la liberté de Mademoiselle.
Je me demande si ce n’est pas cette corde qui lui aigrit le caractère : elle voit bien que je suis libre moi ! Mais est-ce ma faute si je suis raisonnable et elle pas ? Quand on la libère, elle part n’importe où et c’est la croix et la bannière pour la récupérer ! Quoique, pour ma part, si on ne la récupérait pas, ce ne serait pas un si grand mal, mais n’allez pas lui répéter ça, hein ? Ni à Scouby ! Elles en feraient un foin !

Le dimanche, elle s’est réveillée complètement survoltée !
Elle a déboulé de la pièce où elle passe la nuit (quand il fait chaud, elle refuse de dormir avec nous) et m’a aperçu, allongé sur le sol dans une flaque de soleil.
C’était la seule flaque de soleil de la chambre, par malheur.

Bon, elle m’aurait dit : « Orca, je meurs d’envie de me coucher aussi dans le soleil, prêtez-moi votre place quelques instants. » je me serais levé et lui aurais cédé la place, bien sûr.
Non. Elle s’est élancée sur moi et a voulu me pousser, jouant des quatre pattes pour se retrouver, elle, à l’endroit privilégié.
J’ai poussé aussi. Elle a commencé à m’agonir d’injures :
- Miaou ! Miâââââââ ! Yââââââk ! Grouignîîîîîî !
- Méééééou ! Miamiamiaou ! Eééééééééééééééééééééééééééééh ! ai-je répliqué de ma voix la plus perçante.
- La paix, les chats ! Arrêtez de vous chamailler, nous on veut encore dormir ! a tonitrué une voix venant du lit.
On s’est disputés plus bas. On était furieux.

Une heure plus tard, Scouby s’est levée. Alors qu’elle entrouvrait la porte de la chambre pour descendre à la cuisine, l’Ardoise et moi nous sommes précipités ensemble dans l’étroite ouverture. Télescopage ! J’en ai profité pour lui donner un bon coup d’épaule. Elle, un coup de tête. Nous étions quittes.

J’ai descendu les escaliers à côté de Scouby, posément, pour bien lui montrer comme moi je suis sage et bien élevé, pas comme l’excitée qui est en train de s’exercer à la course à pattes au-dessus de nos têtes, refusant de descendre au rez-de-chaussée comme tout le monde.
- Tiens, voilà Petite-Goulaffe qui vient chercher son repas, dit ma mère d’accueil en apercevant une tête quémandeuse qui s’encadre dans la vitre de la chatière.
Elle ouvre la porte.
Alors que Petite-Goulaffe pose une patte à l’intérieur de la maison, que voyons-nous ? Une boule grise, toute hérissée, qui dévale les escaliers en battant un record de vitesse !
Elles échangent à peine un regard. Petite-Goulaffe, édifiée en un quart de tour, prend ses pattes à son cou et s’éloigne à toute vapeur, préférant se passer de petit déjeuner plutôt que d’affronter une furie ! Sans compter que la chère Ardoise a bonne mémoire et n’a pas oublié certain grognement intempestif…

- Z’exagérez un peu ! dis-je à l’énergumène dont les moustaches vibrent encore de fureur.
- Vous, P… de B… de M… F… ! m’asséne-t-elle.
J’en reste coi un instant.
Mais, moi aussi, P… de M…, je connais des noms d’oiseaux ! Je les piaille très fort dans son oreille.
- Quel vocabulaire ! dit-elle, pincée.
- Autant pour vous ! dis-je. « Je ne savais pas qu’une chatte soi-disant bien élevée connaissait des mots pareils ! »
Alors elle m’a boudé. Nous ne nous sommes plus regardés.

Dans l’après-midi, brève accalmie. Nous sommes sur la terrasse, tout près de Dan. Il faut en effet être prudents : Maxou, le chien mangeur de chats, se balade dans le jardin voisin.
En tant que vagabond toujours obligé de défendre ma vie, je connais bien le chien Maxou et, jusqu’à présent, j’ai toujours couru assez vite pour lui échapper en cas de besoin. S’il m’embête, je file jusqu’au sommet de l’arbre le plus haut du jardin et j’attends qu’il se lasse de me guetter. Mes copines les chattes, elles aussi, sont conscientes du danger et ne se hasardent pas dans les parages quand le fauve (un lévrier) est présent.

Quant à la chère Ardoise, elle ne comprend pas ! Pourquoi ne veut-on pas qu’elle joue avec ce grand animal qui court si vite ? Je lui explique, elle ne me croit pas. Elle ne peut concevoir qu’on puisse la chasser comme un vulgaire lapin. Cette innocence me stupéfie.
- Ce n’est pas pour vous peiner, chère Ardoise, lui dis-je, mais je crois que lorsque vous habiterez ici, il vous faudra rester à la corde quand vous sortirez au jardin. Vous êtes trop inconsciente pour courir en liberté.
Elle est vexée.
- Bien sûr, ce n’est pas votre faute, dis-je. Vous êtes une indécrottable chatte d’appartement, c’est tout.
Faut croire que je n’utilise pas les mots qu’il faut. Elle m’en veut.
Pourtant, j’ai raison, vous savez !

Toujours est-il que, toute la journée du dimanche, nous nous sommes encore querellés. Scouby dit qu’elle ne nous a jamais entendu parler autant ! Paraît que j’émets des sons bizarres, un peu comme l’extra-terrestre de la « Soupe aux Choux » ! L’Ardoise a un langage un peu plus classique, composé surtout de Miaou ! Miâââââ ! tandis que moi, j’innove !
Preuve de notre bonne éducation : nous avons échangé des insultes, pas des coups. La bousculade du matin avait suffi.

Le soir, la chère douce est repartie dans son panier « Félix » sans que je lui dise au revoir.
D’habitude, je fais des mines, je lui souhaite une bonne semaine, je me mets en quatre pour lui être agréable. Cette fois-ci, rien ! Comme ça, elle comprendra que, moi aussi, j’ai mon amour-propre. L’Orca Maître-Chat n’est pas une carpette !
Elle fera plus attention à ses manières, la prochaine fois… du moins je l’espère.
Elle est tellement versatile, cette Ardoise !

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Chapitre 49 : JE M’AMUSE !

A l’heure où je suis arrivée dans mes mémoires, je passe quelques jours de vacances dans notre maison des champs avec Daniel et l’inévitable Orca ! Non, pas Scouby ! Elle doit travailler pour gagner mon Félix et tout ce qui fait mon confort quotidien. C’est à ça que ça sert, les mères d’adoption à deux pattes !

Le week-end, elle nous rejoint par le train. Mine de rien, j’ai beau m’amuser beaucoup, je trouve ça long, une semaine sans elle ! Comme de son côté, elle pense la même chose, nos retrouvailles sont toujours très chaleureuses. Quand elle surgit, mon regard s’éclaire et je commence à ronronner comme un petit moteur. Elle me prend dans ses bras et en avant pour les câlins !

Je m’amuse, je m’amuse !
Je me suis découvert une nouvelle spécialité : la chasse aux mouches !
- Ardoise est peut-être une naïve, mais elle est loin d’être bête ! a commenté Daniel. « Et encore agile, avec ça ! »
Je me rengorge.


LES REGLES DE LA CHASSE AUX MOUCHES

1) Détection de la mouche

Vous levez les yeux au plafond et tournez la tête dans tous les sens. Logiquement, une mouche doit rencontrer votre regard : à la campagne, c’est sûr à 100 % !

Lorsque vous avez aperçu la mouche, vous ne la lâchez plus des yeux et vous vous mettez en position de combat : pattes postérieures légèrement fléchies et prêtes à bondir, patte antérieure droite libre, queue fouettant furieusement l’air derrière vous.
Vous y êtes ? Continuons !

2) Flexion de la patte antérieure droite

Très important ! Votre patte doit être fléchie correctement. Si vous la gardez droite, vous n‘attraperez pas la mouche. Si vous la pliez trop, vous risquez de vous faire une foulure. L’idéal, c’est un angle à 30 degrés.

3) Chasse

Si la mouche s’obstine à voler près du plafond, vous ne pouvez rien faire. Il faut de la patience, attendre qu’elle se mette à votre niveau. Si elle se déplace beaucoup, vous suivez le mouvement, surtout n’hésitez pas, courez de manière à ne jamais la perdre de vue. Qu’aucun obstacle ne vous arrête ! Au besoin, foncez à travers tout et restez insensible aux glapissements indignés qui retentiront sur votre passage !


4) Capture

La proie se présentant de manière adéquate, vous sautez en l’air et l’abattez de votre patte correctement fléchie. Si vous avez bien coordonné vos mouvements, vous devriez l’avoir du premier coup : assommée, la mouche tombe sur le sol.

5) Mise à mort

Là, vous avez le choix : soit vous montrer magnanime et laisser l’animal reprendre ses esprits (vous recommencerez la chasse une autre fois avec le même gibier), soit mener les choses à leur terme, sans souffrances inutiles : vous bondissez sur la bestiole inerte qui se trouve instantanément écrasée sous vos six ou sept kilos.
Puis vous la mangez. Pas toujours, seulement quand Scouby ne vous regarde pas. Elle désapprouve : elle dit que vous allez attraper des maladies affreuses. Vous vous regardez dans la glace ; vous avez le teint clair et la mine réjouie. Ouf !

FIN DU TRAITE SUR LA CHASSE AUX MOUCHES


Et là ne se limitent pas mes activités de vacances !

Chaque matin, quand nous nous levons et que Daniel (ou Scouby quand elle est là) ouvre la porte de la chambre pour nous permettre d’atteindre le rez-de-chaussée, moi je ne descends jamais immédiatement. Le premier étage étant devenu un chantier, j’adore partir en exploration. Et je me glisse derrière les chaises de jardin, et je me cache derrière les plaques en aggloméré, et je sautille vers le fenil que je surplombe d’un étage ! Là, c’est le pied (pardon, la patte) ! Je me mets à danser sur les poutres, au-dessus de ce lieu que j’aime entre tous !

En faisant des entrechats, je fredonne, sur un air connu :


La vie est belle,
Chat-la-la-la-la
Chat-la-la-la-la !

La vie est belle,
Chat-la-la-la-la…


- Ardoise, descends ! hurle le trouble-fête de service.
Cause seulement ! Je descendrai quand j’en aurai envie. De toute façon, tu ne peux que crier, puisqu’il t’est impossible de me rejoindre là où je me pavane ! Tu te casserais les deux jambes et la tête avec. Y a pas à dire, c’est chouette d’être un chat !

Enfin, un chat comme moi ! Parce que l’Orca, lui, ne fait pas de galipettes sur les poutres de la maison. Majestueusement, avec discipline, il descend les escaliers à côté de Daniel et me lance, de loin, un coup d’œil un peu dédaigneux que j’interprète fort bien : « Quelle puérilité ! Quel manque de tenue ! Un véritable chaton sans éducation, cette Ardoise ! »
Mentalement, je lui tire la langue. C’est vrai que je suis particulièrement jeune d’esprit, et alors ?

Quand j’ai enfin envie de prendre mon petit déjeuner, je descends et me rends dans la cuisine.
Orca a déjà fini son repas, lui ! Il est sorti faire sa promenade quotidienne. Encore une injustice ! Pourquoi peut-il sortir tout seul et moi pas ? On se conduit dans cette maison comme il y a cinquante ans : les garçons peuvent tout se permettre et les filles, rien !
C’est pas parce que j’entre dans les maisons des voisins qu’on doit m’empêcher de sortir seule, tout de même !

J’inspecte mon assiette.
Si mon comportement est parfois un peu dissipé, je suis néanmoins très stricte sur l’ordonnance de mes repas : ma gamelle est à gauche, celle d’Orca à droite. Pour moi, des petites boulettes, pour lui, de la pâtée. Pour rien au monde je ne goûterais à sa pitance, c’est une question de dignité !
L’autre jour, Scouby, par distraction, avait placé mon assiette à droite. Je le lui ai fait remarquer : voulait-elle me priver de mon repas ? J’ai boudé devant l’assiette sans y toucher, jusqu’à ce que ma mère d’adoption comprenne son erreur. La gamelle dûment remise à sa place habituelle, j’ai enfin pu manger.

Quand j’habiterai ici définitivement, faudra que je remette les pendules à l’heure ! Il y a du laisser-aller pour certaines choses !

Ainsi, le phénomène nommé P’tite-Goulaffe…
Comme vous le savez par Orca, j’ai été, il y a quelques semaines, HORRIBLEMENT vexée par le manque de respect que m’a manifesté cette créature qui, après avoir endormi par des chattemites ma juste méfiance, s’est permis de GROGNER dans ma direction ! Crime de lèse-Ardoise !
Depuis, elle regrette visiblement son geste et cherche à regagner mes bonnes grâces. Je reste de glace.

Quand elle se présente à la porte et aperçoit le bout rébarbatif de mon museau, elle n’insiste pas et décampe à toutes pattes. Moi, juchée sur l’appui de fenêtre de la salle à manger, je surveille sa retraite… avec une évidente satisfaction.

Mais quand elle ne me voit pas et s’imagine que je suis absente…
Savez-vous ce qu’elle se permet de faire ? Elle se précipite dans la cuisine à la vitesse d’une fusée et rafle le contenu de nos gamelles, l’une après l’autre !
Moi qui revenais d’avoir fait un petit somme dans le salon, je ne peux qu’assister au désastre. Je m’immobilise, image vivante de la stupeur choquée. Puis mon regard se fait menaçant.

Elle dévore.
Quand tout est vide et qu’elle s’avise soudain de ma présence, elle prend un petit air gêné… dont je ne suis pas dupe !
- Je passais par hasard, Noble Demoiselle Ardoise, minaude-t-elle en faisant un grand détour pour m’éviter.
Une fois hors de portée de mes pattes, elle gagne la porte en courant.
Si, toutefois, je me place de manière à lui bloquer la sortie, ne croyez pas qu’elle me laissera lui donner la raclée qu’elle mérite ! Elle se transforme en pauvre chaton pitoyable et attend, clouée sur place, qu’un humain fasse son apparition.
Sitôt qu’une silhouette à deux pattes passe par là…
- Au secouuuuuuurs ! gémit la P’tite Goulaffe, Y a la chatte Ardoise qui veut me tuer ! Sauvez-moi !
Vraiment, elle n’y va pas molo avec le mélo, la bestiole !
Evidemment, ça ne rate pas ; l’humain, bête comme il n’est pas possible, se penche, prend P’tite-Goulaffe dans ses bras en lui chuchotant des mots gentils et va la déposer dans le jardin où elle se retrouve en sécurité. Je suis écoeurée !

Et quand il fait beau et que nous nous trouvons toutes deux dans le jardin, que croyez-vous qu’elle fait ?
Elle a pris depuis longtemps la mesure de ma corde (maudite corde !) et se contente de rester hors de portée de mon périmètre d’action. Là, elle batifole sans plus se préoccuper de mon auguste présence, ni de ma manifeste désapprobation !
Je vous le jure : il y a des baffes qui se perdent ! Va falloir que je me revanche sur l’Orca…

Et ce n’est pas tout !
L’autre jour, j’arrive dans la cuisine et qu’est-ce que je vois ? Une chatte tricolore, le nez dans mon assiette à moi ! Elle bâfre avec un redoutable enthousiasme !
J’en reste médusée, hagarde : si tout le village considère mes affaires personnelles comme étant du domaine public, qu’est-ce que je vais devenir, moi ?
J’ai pris mon air le plus intimidant : les yeux minéraux, les moustaches vibrantes…
La chatte tricolore a fini MON repas. Elle se lèche les babines.
- Fameux ! apprécie-t-elle sur un ton connaisseur. Tiens, bonjour mignonne, je ne vous avais pas vue…
Je grogne, féroce et terrifiante. Elle ne semble pas s’en soucier. Visiblement, elle n’a même pas remarqué ma mauvaise humeur. Me jetant un regard candide et bienveillant, elle tourne les talons.
- C’est pas tout ça, dit-elle. Je vais aller voir chez moi si on m’a préparé un petit en-cas. L’appétit vient en mangeant, comme on dit. Moi, j’ai toujours faim ! Au revoir mignonne, à bientôt !
Elle sort à pas posés, en se toilettant les moustaches.
Que faire ? L’attaquer par derrière ? Me mettre à rugir ? Piquer une crise de nerfs ? Le temps que je prenne une décision, elle a disparu.

Ca alors, c’est la première fois que je rencontre une chatte encore plus naïve que moi ! A moins qu’elle soit myope…
Vous l’avez certainement déjà reconnue : il s’agissait de Gourmande, la mère de l’ineffable P’tite-Goulaffe.
Quelle famille, mon Dieu quelle famille !

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Chapitre 50 : VACANCES ARDOISIENNES



Je parie que vous savez ce qui m’arrive : j’en suis encore tout ébouriffé : la chère Ardoise est venue en vacances à la campagne, chez moi, et y est restée quinze jours !
Elle vous a sûrement tout raconté ; je pense cependant qu’elle a dû oublier ( ?) certaines choses que je vais vous relater ici, pour que vous ayez une vision bien complète de tous les événements des vacances ardoisiennes !

Quand elle est arrivée en grande pompe, au volant de son panier Félix, je n’étais pas là. Vous savez que ça l’énerve, que je ne sois pas au garde-à-vous pour l’accueillir. Après une minutieuse vérification (n’étais-je pas sous le tapis ? dans la poubelle ? derrière un pot de fleurs ?), elle s’est postée sur la table de la salle à manger, raide comme la justice, pour me recevoir lorsque je surgirais par la chatière. Après, elle ne m’a plus lâché les baskets.

Contrairement au week-end précédent, elle s’est montrée relativement aimable. Elle est lunatique, vous savez, cette Ardoise !

Ce premier jour, par exemple, alors qu’elle était confortablement juchée sur les genoux de Scouby (la largeur de la chère et douce couvre facilement un genou et demi, pour ne pas dire plus…), elle m’a autorisé à m’installer sur le demi-genou qui restait. Nous sommes ainsi restés l’un contre l’autre, moi un peu étouffé entre son épaisse fourrure et l’accoudoir du fauteuil (mais n’osant évidemment rien dire) et elle, épanouie et majestueuse, tolérant magnanimement mon infime présence.

Le soir, quand nous sommes tous montés nous coucher, je l’ai vue bondir sans complexe sur la couette à motifs provençaux que j’aime particulièrement. Moi, un peu triste, je suis resté debout, indécis, à côté du lit. Où allais-je passer ma nuit solitaire de pauvre chat des champs ?
- Eh bien, a dit la chère et tendre, keske vous faites là, planté comme un pilier ? Montez !
- Z’êtes sûre que je peux ? ai-je demandé, incrédule.
- Ben voui !
- Z’allez pas me taper dessus ? Pas m’écraser ? Pas me griffer ? Pas me chasser ? Pas me faire des grimaces ?
J’énumère la suite des avanies qu’elle m’a déjà fait subir. Je vais ajouter « Pas me mordre ? » quand je me retiens : elle ne l’a pas encore fait, ce n’est pas la peine de lui donner des idées !
- Ben non, pas aujourd’hui !
Un peu méfiant, je me suis installé à côté d’elle. Nous avons dormi côte à côte, fourrure contre maigre pelage. C’est une première !

Elle ne m’a pas trop taquiné. Bon, en l’espace de ses deux semaines de vacances, j’ai reçu quelques coups de patte sur la tête, au rythme de ses lubies, mais bien moins que d’habitude. Le coeur de la douce Ardoise serait-il enfin touché par mes multiples qualités ?
Il faut dire que, quand elle s’énerve, j’ai trouvé le truc : quand je vois son regard fulgurer et sa patte se lever, je crie avant qu’elle ne me touche. C’est efficace. Cela la décontenance : elle rate une gifle sur deux.
C’est un peu plus sérieux quand elle vise un de mes yeux (mais oui, elle en est capable !). Là, je serre les paupières très fort, pour me protéger, puis je vais m’installer un peu plus loin, le temps que sa mauvaise humeur soit passée. Notez que ce type d’attaque n’est pas fréquent : il survient principalement quand je suis parti pour une si longue promenade qu’elle a eu le temps de m’oublier. Quand je reviens, elle se souvient soudain que j’existe et cela lui fait un choc. Pour elle, je reste un rival, en quelque sorte. Faut comprendre. Elle a des réactions un peu primaires, la douce et belle !

- Pourquoi vous appelez votre fiston « Orca-Junior » ? me demande-t-elle, critique.
- Ben, justement parce que c’est mon fils, dis-je sans comprendre où elle veut en venir.
- Et alors ? Il a pas le droit d’avoir un nom à lui ? Ca vous plairait, vous, qu’on vous appelle comme votre père ? Etre un numéro 2 ?
- Heu, dis-je.
En fait, cela ne me plairait pas à moi, bien sûr. En ce qui concerne mon fiston, c’est différent. J’aime à penser que je suis le premier d’une longue lignée d’Orca. Apparemment, la douce Ardoise va piétiner ce rêve et je devrai me laisser marcher sur les pattes, comme d’habitude.
- Finalement, quand on dira « Orca » au village, on ne saura plus de qui on parle, dit-elle. Vous vous imaginez comme c’est idiot : Orca-père, Orca-junior, Orca III, Orca IV…
- Comme des rois, dis-je.
Elle ricane. J’abandonne la partie. Après tout, ça m’est égal.
- Allez, dis-je, soyez franche : quel nom lui avez-vous trouvé ?
- C’est pas moi, c’est Daniel, dit-elle, assez honnête quand elle veut. Puisque votre rejeton est noir où vous êtes blanc et blanc où vous êtes noir, ce serait bien de l’appeler Négatif, non ?
- Négatif ? Ca ne risque pas de lui donner la déprime ? De l’empêcher de positiver ?
- Il en faudrait beaucoup pour qu’il soit déprimé !
C’est vrai. Orca-Junior, dit Négatif, traverse la vie comme il traverse mon jardin, d’un pas conquérant, la queue fièrement dressée, la silhouette robuste. Je suis minuscule à côté de lui, ce qui nuit bien sûr à mon autorité paternelle.
Quand il me voit, il a un petit sourire tolérant. Quand je lui fais la leçon comme il est du devoir de tout bon père, il écoute d’une oreille, par pure politesse.
Les petits-enfants du voisin en raffolent et jouent avec lui.
Pour lui, la vie est une fête !

J’aime beaucoup Dan et Scouby, mais je ne les comprends pas toujours. Ils ont des réactions on ne peut plus étranges, parfois !
Ainsi, Scouby : elle est là pendant deux jours, toute affectueuse avec moi, et le troisième jour, plus personne ! Elle nous a abandonnés ! Il se passe cinq autres jours sans qu’on la revoie et alors, elle se conduit comme si rien ne s’était passé !
- Orkatteke ! Mon chat-chat ! Mon adorable Ardoise !
La naïve Ardoise lui fait fête. Moi, je me renfrogne un peu. Je pense que, durant tous ces jours, son cœur était loin de ses chats adorés !
- Fallait bien que je travaille, mon Orca !
Ca me dépasse : à quoi ça sert, de travailler ?
En quoi l’Ardoise, pour une fois, est tout à fait de mon avis !

Et Dan ? Vous le croiriez normal, comme ça, à première vue. Pourtant… Je vous laisse juger.
L’autre jour, il travaillait dans notre bac à fleurs. Au printemps, ce bac, enclos dans le jardin, est magnifique, empli de fleurs bleues. Puis, ces fleurs se fanent et le bac devient terne. Dan avait décidé de planter de nouvelles fleurs.
Notre voisine lui a donné des plants de dahlias et, toute l’après-midi de samedi dernier, le jardinier amateur a peiné sous le soleil. Il bêchait, plantait…
Moi, j’observais du coin de l’œil. J’attendais qu’il ait fini pour aller me rendre compte du résultat de tous ces efforts. Et puis, un bon bac plein de terre fraîchement remuée, c’est bien agréable pour s’y étendre, croyez-moi.

Dès que j’ai vu Dan se relever et se diriger vers la maison pour s’y servir un pastis bien tassé, je me suis dirigé nonchalamment vers le terrain labouré. Après y avoir fait une courte promenade de prospection, je me suis étalé de tout mon long dans la terre agréablement humide.

Dan revenait de la cuisine, muni de son pastis. A peine s’était-il assis dans son fauteuil de jardin qu’il a sauté sur ses pieds comme si une mouche l’avait piqué. Tout étonné, je l’ai vu courir vers moi en agitant les bras comme des moulinets.
- ORCA ! PAS DANS MES DAHLIAS !
Le voisin (qui n’aime pas les chats) a murmuré, entre haut et bas : « Voilà ce qui arrive quand on les attire ! »
Froissé, je me suis relevé et suis allé me coucher un peu plus loin, dans l’herbe. C’est pas la peine d’avoir un sympathique chat des champs si on ne se soucie pas de son bonheur, vous ne trouvez pas ? Et mon bonheur immédiat, c’était aller me coucher dans ces plants de fleurs.
Je suis un chat bucolique.

Après cet épisode, j’ai quand même boudé quelques instants. C’est vrai, quoi !
- Y a pas de quoi fouetter un chat, m’a dit la chère Ardoise le soir même. Si vous saviez ce qu’ils me font à moi, c’est bien pire ! Ils me bombardent avec des produits toxiques !
J’ai peine à la croire. Ne serait-elle pas un peu mythomane ?

En tout cas, elle est cachottière ! Figurez-vous qu’un jour, un vendredi après-midi précisément (Scouby devait revenir le soir même), elle a donné à Dan l’émotion de sa vie !
En effet, il construit pour le moment une petite chambre à l’étage de la maison. Ce jour-là, il a gravi l’escalier pour continuer son bricolage. Il n’a pas vu que la malicieuse créature grise s’était glissée à sa suite, impatiente de se livrer à une exploration minutieuse des poutres surplombant le fenil.

Moi, chat obéissant, j’étais resté sur la terrasse, au soleil. Il paraît que le soleil est bon pour les poils anémiés, aussi j’en use et en abuse mais n’ai pas encore constaté une notable amélioration de mon état.
Dans l’après-midi, Dan redescend, un peu soucieux. Il jette un coup d’œil au-dehors, se met, lui aussi, à explorer la maison. Je l’entends crier : « Ardoise, Ardoise ! Où es-tu, ma minette ? «
Il remonte l’escalier : « Ardoise ! »
Je dois vous préciser, pour l’avoir souvent observé, que cet animal ne répond JAMAIS au nom d’Ardoise !

Fébrile, il redescend.
- Aurait-elle compris le système de la chatière ?
J’aurais pu le rassurer : la chère créature a disposé jadis d’une chatière, lors de son séjour au refuge « Veeweyde », mais elle a tout oublié ! Même lorsqu’elle me voit entrer et sortir, aucun déclic ne se produit dans son esprit et elle ne pense nullement qu’elle pourrait, elle aussi, disposer de cette petite porte bien pratique…

Dan sort, explore le jardin d’un œil de plus en plus désespéré. Il appelle à tous vents : « Ardoise, Ardoise ! »
- Elle est au premier étage, je l’ai vue monter, dis-je apaisant.
Il ne m’a pas compris. C’est bête, il y a parfois du brouillage dans nos communications. Ou alors, c’est mon accent ?
Il se précipite au volant de sa voiture pour aller explorer le village.

Moi, posément, je monte l’escalier pour rejoindre la farceuse qui se nettoie d’une langue méticuleuse, allongée sur une caisse, sous la fenêtre Velux qui lui dispense une douce chaleur.
- Dan est très inquiet, dis-je. Il est parti à votre recherche dans le village. Vous ne répondez donc jamais quand on vous appelle, Ardoise ?
- Jamais, c’est un principe, dit-elle. J’aime qu’on me cherche. D’ailleurs, z’allez voir, il va finir par me trouver !
Satisfaite, elle regarde autour d’elle.
- Ici, il y a des centaines de cachettes encore plus géniales qu’à l’appartement ! s’exclame-t-elle joyeusement.

Voilà Dan de retour. Il est effondré.
- Qu’est-ce qu’elle va dire Scouby ? Et Olivier ? Quand ils sauront que j’ai perdu Ardoise…
Il se remet néanmoins à chercher… et cinq minutes plus tard, découvre la caisse sur laquelle semble dormir profondément la chère disparue !
- Ardoise !
Elle ouvre les yeux, baille de toutes ses forces. Pour un peu, on verrait jusqu’au bout de sa queue !
- Keske j’ai bien dormi ! ronronne-t-elle avec candeur.
Je crois que Dan n’est pas complètement dupe… Il paraît que même dans l’espace restreint de l’appartement, la chatte adorée se révèle une véritable spécialiste de la disparition !

Faut avouer que, parfois, elle m’amuse : elle est tellement naïve qu’elle gobe tout ce que je lui raconte.
En plus, je deviens astucieux : je commence à connaître ses petites ruses tissées de fil blanc !

Ainsi, par exemple, je reviens à la maison après une bonne petite promenade matinale qui m’a mis en appétit ? Je sais très bien que la douce chatte grise s’est postée devant la chatière, histoire de m’intimider et m’empêcher d’entrer ! Alors j’attends sur la terrasse en poussant des miaulements à fendre le cœur. Pendant ce temps, elle m’observe d’un œil fulgurant à travers la petite cloison transparente.
Ca ne rate pas : un humain surgit.
- Mon Orca ! Qu’est-ce que tu fais dehors, tu ne veux pas entrer ?
- Je ne PEUX pas ! Regardez le monstre qui me guette ! Si vous m’escortiez un petit bout de chemin, Dan (ou Scouby), je me sentirais plus en sécurité ! Vous voulez bien ?
Apitoyé, l’humain s’improvise garde du corps pour m’accompagner jusqu’à la cuisine, où je me sustente avec délices. La chère Ardoise, dépitée, s’est tapie dans une de ses retraites. Elle me surveille sans en avoir l’air.

Parfois, pourtant, il m’arrive de me montrer imprudent.
L’autre jour, je regardais benoîtement Ardoise et Négatif qui se faisaient des grimaces de part et d’autre de la fenêtre. Quels enfantillages, vraiment ! Je renifle avec mépris, du haut de ma supériorité intellectuelle.
Tiens, il ne pleut pas, si j’allais faire un petit tour ?
Je m’engage dans la chatière au moment précis où la chère Ardoise, excédée par les agaceries de Négatif, se précipite également vers la porte. Mon fiston, survolté, en fait autant de son côté.
A peine ai-je mis le nez dehors… Vlan !
S’imaginant que c’était Ardoise qui sortait pour lui demander des comptes, Négatif n’a pas fait dans la dentelle : j’ai ramassé la torgnole en pleine figure !
- Oh, pardon, P’pa ! Je pensais que c’était la grosse bête grise qui…
- Grosse bête toi-même ! dis-je, outré, alors que la chère Ardoise, toute égayée, observe la scène derrière la chatière. Je l’imagine sans peine, se roulant par terre d’hilarité derrière mon dos ! C’est malin, vraiment !
Dignement, je pars faire ma promenade quotidienne.

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Scouby prétend que je suis suicidaire. ..
Chaque matin, quand je sors, elle me guette à travers les petits rideaux de la cuisine. Oui, je sais, c’est une famille où on passe beaucoup de temps à surveiller les chats, je me demande bien pourquoi.
Chaque matin, donc, je m’éloigne en courant, très affairé, avec un air de jeune cadre dynamique se hâtant vers un rendez-vous important.
Ma mère d’accueil se pose plein de questions à mon sujet… Elle voudrait bien savoir où je passe mes journées. Je ne le lui dirai pas, Orca Maître-Chat a bien droit à une vie privée quand même !

Parfois, que voit-elle, de son poste d’observation ?
Le Maître-Chat en question qui, avant de se rendre à ses mystérieuses affaires, s’étend voluptueusement au milieu de la rue pour entreprendre une grande toilette !

Aussitôt, son imagination se met en branle : elle imagine d’innombrables camions de dix tonnes me prenant pour cible afin de m’écraser ! Au bord de l’hystérie, elle guette (encore !) mon retour (des heures plus tard) pour me demander à brûle-pourpoint quel besoin j’avais de me coucher précisément là, exposé à tous les dangers !
- J’aime l’asphalte, dis-je d’un ton dégagé. « Et mon sens inné de l’esthétique me dicte de me poser exactement au milieu de la route, pour qu’aucun déséquilibre ne vienne rompre l’harmonie en noir et blanc de la composition picturale que je pourrais inspirer… »
On le voit : parfois, je m’exprime avec une préciosité frôlant le snobisme, surtout lorsqu’une oreille grise et féline rôde dans les parages. En l’occurrence, je ne suis pas mécontent de moi. Faut bien que l’Ardoise, à la fin, réalise que je ne suis pas si rustique qu’elle le croit !

Hélas, mes propos, si soigneusement choisis, volent très haut par-dessus sa tête ronde et duveteuse.
- Pouvez pas parler chat ? J’comprends rien à ce que vous dites ! m’assène-t-elle.
Désenchanté, je m’en vais méditer sur la terrasse, couché en boule sur un pied de parasol, un de mes endroits de prédilection.

Tiens, voilà Petite-Goulaffe qui baisse languissamment le nez vers la gamelle que Scouby a préparée pour elle. La bestiole ne fait pas montre de son bon appétit habituel : elle mâche longuement chaque bouchée, choisit des morceaux minuscules, soupire…
Je m’approche pour l’observer. Serait-elle malade ?
- Tu chipotes, Petite-Goulaffe, lui dis-je, tout étonné. Tu n’as pas faim ? Voilà qui me surprend !
Elle lève vers moi une petite mine mélancolique.
- C’est pas ça, M’sieur Orca ! J’voudrais un peu mincir !
Ahuri, je la dévisage. Sous sa belle fourrure, elle me semble maigre et efflanquée… Tout le contraire de sa mère, ma chère Gourmande, si belle, si ronde !
- Oui, poursuit l’animal en mastiquant cent fois un morceau de viande, j’voudrais ressembler à la Princesse Diana !
Je manque m’écrouler sur place, assommé par cette déclaration inattendue.
- Mais voyons, Petite-Goulaffe, même si tu faisais des efforts pendant cent ans, tu ne ressemblerais jamais à la Princesse Diana !
- Ah non ? Et pourquoi ?
- Mais enfin… Tu as des oreilles pointues, des moustaches, une queue d’écureuil, alors que la Prin…
- J’voulais pas dire lui ressembler comme ça, M’sieur Orca, que vous êtes bête !
- Merci.
- J’voulais dire : être mince et distinguée comme elle, voilà ! Faire sensation dans le village !
- Oh, quant à ça, ne t’inquiète pas, Petite-Goulaffe. Tu as toutes les qualités qu’il faut pour mettre un village en ébullition… pas la peine de devenir anorexique pour ça ! Et puis, tu sais, elle était trop maigre, la Princesse Diana !
- C’est pas vrai ! Vous parlez comme M’man, M’sieur Orca, on voit que vous aussi, vous êtes vieux !
Je suis un peu vexé. On peut être libre de préférer une chatte épanouie comme Gourmande (ou même Ardoise, à la rigueur, en faisant abstraction du fichu caractère), à un tas d’os comme le devient Petite-Goulaffe, sans pour autant être considéré comme un fossile, vous ne trouvez pas ? A chacun ses goûts, non ? Elle est lapidaire, la nouvelle génération !
- Fais ce que tu veux, Petite-Goulaffe, dis-je à la jeune personne, mais je te signale quand même qu’assise comme tu es là, avec tes cuisses maigrichonnes, tu ressembles plus à une grenouille qu’à une chatte !
La Princesse Petite-Goulaffe ne daigne pas répondre au bouseux que je suis. Elle laisse là son assiette et se coule sous la haie d’un mouvement fluide soigneusement étudié.
Un peu plus tard, je la revois : elle lèche les dernières miettes de la gamelle. La faim a eu raison de l’ambition.
Et savez-vous ce qu’elle fait à présent ? Chaque fois que nous nous rencontrons, elle m’agonit de miaulements rageurs ! Scouby trouve ça comique. Moi, pas tellement. La nouvelle génération commence à me sortir par les yeux.

L’autre jour, pourtant, j’ai entendu un autre discours. Plus de reproches ni de regards meurtriers ! La Petite-Goulaffe court vers moi, toute émue.
- M’sieur Orca ! Y a un grand qui mange ma gamelle !
- Un grand ? Un grand quoi, Petite-Goulaffe ?
- Un grand gros malabar !
Je vais voir. Effectivement, une masse blanche parsemée de quelques taches noires est attablée devant la pitance de notre Lady Di.
- Dites donc, vous ! dis-je de mon ton le plus autoritaire.
La masse blanche lève la tête.

Il m’a suffi d’un coup d’oeil pour évaluer la situation : un chat blanc et noir, un peu obèse peut-être, mais qui a un peu le regard de Négatif, un peu le pelage de Négatif (en plus blanc, mais exactement la même texture), visiblement le même âge que Négatif…

- Tiens ! Bonjour, P’pa ! me confirme le malabar.
- Mais… mais… combien êtes-vous, à la fin ? bredouillé-je, sidéré.
Encore un coup de ma Néfer ! Elle les sort un à un, ma parole, comme des lapins d’un chapeau !
- J’sais pas compter, répond placidement le gourmand qui a vidé jusqu’à la dernière miette l’assiette de la Petite-Goulaffe.
- Et quel est ton nom ?
- Moi, P’pa, on me dit Charlie parce que je ressemble à Chaplin…
Je ne souffle mot. A son âge, je me prenais bien pour Depardieu !
- On me dit aussi Roublard, parce que je suis intelligent !
Sur le moment, je doute de la véracité de cette affirmation, mais ensuite, j’ai bien été obligé de déchanter : Roublard a découvert le secret de ma chatière, vous imaginez ça ? Je l’ai rencontré un jour dans ma cuisine à moi ! Evidemment, il ne restait plus une seule croquette dans mon bol.

Dan, averti par mes soins, a essayé de persuader mon second fils qu’il n’est pas vraiment le bienvenu, avec des manières pareilles. Il a fait du bruit pour l’effrayer. Roublard s’est enfui et a filé se cacher dans la haie, histoire de continuer à surveiller la maison tout en restant invisible.
Quand Scouby dépose de la nourriture dans le passage entre notre maison et celle du voisin, Roublard est évidemment aux premières loges pour se servir. J’ai constaté cependant que lorsque sa mère, ma jolie Néfer, arrive de son pas léger, toute frêle sur ses hautes pattes, mon herculéen rejeton s’efface pour la laisser manger avant lui. Peut-être, à la longue, pourra-t-on lui inculquer les bonnes manières…

Les jours ont succédé aux jours et la fin des vacances est arrivée. Dan a chargé la voiture en laissant longtemps ouverte la porte du fenil (ce détail a son importance, vous allez comprendre pourquoi). Tout le monde m’a embrassé, Ardoise s’est embarquée dans son panier «Félix » et les voilà tous partis !

Et voilà comment se sont passées ces vacances !
Enfin, j’ai mon jardin tout à moi ! Je peux aller et venir sans devoir prendre garde à une patte irascible et querelleuse ! Je peux me promener dans la cuisine sans qu’une créature despotique me surveille du haut de la table ! Je peux me laver à l’aise, sans redouter les critiques soulevées par « ma petite odeur » !
Et surtout, je peux m‘allonger sur les plants de dahlias (mais ça, il ne faut pas le répéter à Dan !).
Je suis LIBRE !

A nouveau maître des lieux, j’ai fait le tour de mon domaine.
Mais qu’entends-je ? Des gémissements retentissent dans le fenil ! Je colle mon oreille à la porte.
- P’pa, P’pa ! Au secours !
Mon sang ne fait qu’un tour.
- Toi, Roublard ? Que fais-tu là ?
- J’suis enfermé, P’pa ! Ouvre-moi !
J’essaie. Impossible ! Dan a soigneusement verrouillé toutes les issues !
- Roublard, il va te falloir du courage, dis-je. Tu devras rester là-dedans jusqu’à ce qu’ils reviennent !
- Quand, quand, P’pa ?
- Vendredi prochain, dans cinq jours…
Pauvre Roublard !

Comme je ne pouvais plus supporter de l’entendre pleurer, je suis parti. J’avais l’appétit coupé et la nourriture a moisi dans mes assiettes. Impatiemment, j’ai attendu que vienne le vendredi…

Quand j’ai enfin vu la voiture s’arrêter devant la maison, j’ai poussé un grand ouf !
Dan a ouvert la porte du fenil.
- Tiens, c’est bizarre, un animal a éventré les poubelles, remarque-t-il.
Après quelques pas : « Un animal a gratté la terre de mes plantes ! »
- Toutes les vieilles carcasses de poulet sont mangées, a dit Scouiby en considérant un petit amas de détritus sur le sol.
Roublard avait fait un sort aux poubelles, bien sûr !
D’abord, les soupçons se sont portés sur moi, d’autant plus que je n’avais pas touché à la nourriture déposée à mon intention.
Puis, ils ont admis que c’était impossible : je ne pouvais pas me trouver à la fois dehors, pour les accueillir, et emprisonné dedans !

Pas très rassuré, Roublard a attendu un moment propice pour déguerpir. Il l’a trouvé quand Dan et Scouby se sont installés sur la terrasse.
Soudain, un éclair blanc a filé devant eux, si rapide que l’œil sagace de la chère Ardoise ne l’a même pas capté !
- C’est le pauvre Roublard qui était enfermé ! s’est exclamée Scouby.
- Ca lui fera une leçon ! dit Dan, tout de même apitoyé. Au moins, il ne se risquera plus à entrer chez nous comme dans un moulin !

A la fin de week-end, nous étions tous certains que Roublard, ne se trouvait pas dans la maison. Nous le distinguions très bien, installé sur la plus haute branche du noyer : le chien des voisins, Maxou, tournait autour de l’arbre et Roublard, fataliste et patient, attendait son départ.

J’espère quand même que le chien Maxou ne va pas rester au pied de l’arbre durant cinq jours !

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Chapitre 51 : BLA BLA BLA

Dans la principale rue du village, deux chattes, commères impénitentes et un tantinet médisantes, bavardent en observant les passants…
- Tiens, voilà Ardoise qui vient en week-end, avec sa suite… Quel moyen de transport, ma chère ! On voit qu’elle peut se le payer !
- Oui, moi aussi j’aurais bien aimé une bagnole « Félix »… mais ça coûte les yeux de la tête : un nombre incalculable de boîtes de pâtée… Chez moi, on n’était pas d’accord.
- Chez moi non plus. A la maison, je reçois les restes du repas de mes humains, alors des boîtes de « Félix »… N’en parlons même pas !
Soupir.
- Et, voyez, elle n’a même pas l’air contente ! Elle donne de grands coups de tête courroucés contre le petit grillage de plastique… On dirait qu’elle veut en sortir.
- Faut dire qu’elle pilote un modèle spécial… Regardez, y a pas d’armature : c’est tout mou ! Et rond comme un spoutnik !
- C’est peut-être le modèle sport ! Il est bien blanc ; l’humaine domestique doit le lessiver souvent !
- Ca se comprend : z’avez déjà vu quelle fourrure elle s’est offerte, l’Ardoise ? Légèrement tigrée sur le dos, ocellée sur le ventre… De la première qualité, et extensible avec ça ! Alors, forcément, le véhicule doit recevoir des poils… Faut laver.
- Elle nous regarde… Elle a l’air de nous envier.
- C’est de la pose ! Vous seriez pas contente, vous, de vous balader dans un panier comme ça plutôt que d’user vos coussinets sur la route ?
- Ah oui alors !
- Si nous allions rendre une petite visite à Mme Gourmande ? C’est une familière de cette maison, elle pourra peut-être nous en dire plus !
- J’en doute, ma chère ! Mme Gourmande a l’observation sélective : elle est capable de vous décrire par le menu le contenu d’une gamelle, mais rien de ce qui se passe autour ! Je ne veux pas risquer une indigestion à l’entendre énoncer de A jusqu’à Z la liste de ses plats préférés…
- Vous avez raison. C’est une brave fille, mais rien de plus. Aux innocentes les pattes pleines…
- Tiens, voilà Orca. Quel opportuniste, celui-là alors ! Il entre dans la maison à la suite du bolide « Félix ». Il se croit vraiment chez lui !
- En fait, vous savez, ceci entre nous… (elle chuchote) Il veut donner à penser qu’il est propriétaire, mais il n’est que gardien… Il est chargé de surveiller la maison, moyennant salaire…
- Vous m’en direz tant !
- Et quand il sera pensionné, il aura le logement gratuit… C’est conclu comme ça avec les humains d’Ardoise…
- Oh ?
- Son job est une sinécure… Il ne fait que passer une fois par jour, vite fait bien fait, pour s’assurer que tout est en ordre… C’est le vendredi qu’il est le plus consciencieux…
- Hi hi, bien sûr ! Mais dites-moi : qu’a-t-elle de si particulier, l’Ardoise, pour mener un train de vie comme ça ?
- Il paraît que c’est un chat précieux… Un « Sylvère t’habille », quelque chose comme ça !
- Oh ! J’aurais juré qu’elle était de gouttière, comme nous ! Un « Sylvère t’habille »… Ca doit être rare !
- Rarissime ! Et en plus, elle tient la gazette féline du village ! Elle écrit tout ce qui se passe !
- Ca alors, elle fait de l’espionnage ?
- Voui ! Faites attention, ne lui racontez pas vos secrets… Elle écrit ses mémoires !
- Eh bien ! J’en ai appris des choses, aujourd’hui ! Partons, voilà l’Ardoise qui se juche sur l’appui de fenêtre pour inspecter la rue avec ses yeux en rayons X !
- Dissimulons-nous, rampons ! J’ai l’impression de vivre dans un film de 007 !
- C’est palpitant ! Un « Sylvère t’habille » dans notre village !…
- Et on raconte qu’il ne se passe jamais rien chez nous !
Les deux commères s’éloignent…
Elles aussi sont grises, tigrées et portent, au milieu du front, une magnifique lettre M.
Sans commentaire.

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Chapitre 52 : ARDOISE ARDOISE LE CIEL WALLON

Quelle traîtresse, cette Scouby ! Elle m’a prise en photo alors que je prenais mon bain de soleil, bien étalée sur le dos, les quatre pattes en l’air ! Moi, bien sûr, je ne savais absolument pas que mon attitude détendue venait d’être immortalisée sur pellicule… Vous pensez bien que si j’avais été prévenue, j’aurais adopté un maintien plus digne… plus « ardoisien », quoi !

Maintenant, ma mère d’adoption rigole comme une bossue, en disant qu’une attitude « ardoisienne » est toujours loufoque.
- Comment, dis-je indignée, tu oses prétendre que je ne sais pas me tenir ?
- Je ne dis pas ça, mon Ardoise, tu sais très bien te tenir quand tu veux… Mais jamais comme un autre chat ! Tu cours à la manière d’un petit lapin, tu t’assieds dos au mur comme un être humain, tu dors en suçant ton pouce… pardon, le bout de ta patte, tu…
- Je sais aussi m’asseoir et me coucher comme un chat, fais-je observer. Et le fait de pouvoir adapter, à ma guise, plusieurs positions est plutôt un signe d’intelligence de ma part, non ? Pourquoi est-ce que je me contenterais d’être le félin domestique et stupide comme tel noir et blanc que je ne nommerai pas ?
Submergée sous mes arguments, mon humaine domestique ne pipe plus mot.
Ce qui me permet de poursuivre, sans être dérangée, le cours de mes mémoires…

Telle que vous me lisez, en ce mois d’août 2000, je rentre donc de vacances !
Je ne suis pas bronzée parce qu’il n’a pas fait très beau (et puis même quand il y a du soleil, j’ai beau m’étaler pattes en l’air comme vous le savez, la couleur de mon pelage ne varie pas !), mais j’ai eu l’occasion d’approfondir ma technique de chasse aux mouches (j’ai adopté un mouvement aérien et dansant, très réussi) et de faire la connaissance de nouveaux visiteurs venus squatter ma terrasse. Comme s’il n’y en avait pas déjà assez comme ça, avec Mme Gourmande et Mlle P’tite-Goulaffe !

Tous les matins, en effet, j’ai à peine le temps de me percher sur mon appui de fenêtre pour inspecter le jardin, qu’un hurluberlu en fait autant, de l’autre côté de la vitre !
Nous nous regardons en chats de faïence, chacun le nez contre la cloison transparente qui nous sépare. Il me bouche le paysage, ce cinglé !
Agacée, je tape de la patte contre le verre. Voilà-t-il pas qu’il en fait autant, de son côté !
- Tac-tac-tac-tac-tac ! Vlan !
Une voix courroucée résonne.
- Ardoiiiiiise ! Arrête tes bêtises ! Tu vas casser le carreau !
Evidemment, c’est toujours la même qui trinque !
- C’est pas moi, c’est l’autre ! protesté-je. Il m’embête ! Il m’assomme ! Je veux qu’il s’en aille !
J’en tremble d’énervement, je fais des bonds de puce sur mon appui de fenêtre, j’accroche une griffe dans le rideau, je ne me sens plus !
Pendant que je pique ma crise, le chat étranger, placide, m’observe d’un air intéressé. Ulcérée, je lui dédie mon plus torve regard, jaune et reptilien, celui qui fait trembler de terreur tous les chats de la contrée.
La peau de son petit visage se plisse. Non mais, il me fait des grimaces, l’abominable ! Dégoûtée, je saute sur le sol. Je continue à l’observer de dessous la table.
Et c’est comme ça tous les matins !
Quel imbécile, ce Négatif ! Comme on dit : tel père, tel fils !

- Vous avez mal éduqué vos enfants ! dis-je, sévère, à l’auteur des jours de l’énergumène.
- Je ne savais même pas que j’en avais ! proteste-t-il, la patte sur le cœur. Néfer me les a cachés quand ils étaient chatons et maintenant ils arrivent tout faits, tout adultes ! Que voulez-vous que je fasse ? C’est à leur mère qu’il faut adresser vos reproches, pas à moi !
- Evidemment ! dis-je avec la plus parfaite mauvaise foi, C’est toujours la chatte qu’on accuse ! Sexiste, va !
Il en reste comme deux ronds de flan.
Je lui donnerais bien une bonne claque sur la tête, pour ponctuer mes propos, mais je lui en assène déjà tellement qu’il risque de s’endurcir et de ne plus les sentir… Alors, je l’épargne pour cette fois.

L’après-midi, comme j’ai déjà beaucoup travaillé, je me pose délicatement sur un siège moelleux et je médite, ce qui, comme chacun sait, est le propre des grands esprits.
Qui oserait dire que je dors ? D’accord, mes yeux sont fermés et un léger ronronnement m’échappe, mais en réalité, j’enrichis mon moi intérieur.
L’Orca va sans doute en profiter pour vous écrire plus longuement que moi, mais ne vous y trompez pas : faisant partie « des mortels la multitude vile » (merci Baudelaire), l’Orca mène une vie très mondaine : il entre, il sort, il voit du monde…
Il se disperse, moi je me concentre. Encore une différence fondamentale entre nous !

- Oooooh Ardwâse Ardwâse le ciel wallooooon !
Quel est ce braiment épouvantable qui me tire de ma douce songerie ? L’Orca, encore !
- Kekseksa ? dis-je, toute hérissée.
- Une chanson en votre honneur, douce Ardoise, roucoule mon ennemi intime.
« Je me suis dit que, puisque je donne si souvent la sérénade à ma Néfer, je pouvais aussi improviser un petit air pour vous ! »
Je sens monter en moi une certaine méfiance.
- Et ça veut dire quoi, ça : Ardoise Ardoise le ciel wallon ?
- C’est du Brel !
- Brel a écrit une chanson pour MOI ? m’exclamé-je, manquant dégringoler de mon siège moelleux.
Je n’y comprends plus rien.
- Non, non, Brel a chanté : « Marijke Marijke le ciel flamand » ! J’ai un peu modifié les paroles, en votre honneur. C’est beau, non ? Oooooooooooooh Ardwâze Ardwâze le ciel wallooooooon !
Il miaule faux, en plus ! Vraiment, il y a des gifles qui se perdent ! Je lève une patte menaçante.
- A propos, vous avez bien une tante qui s’appelle Germaine, n’est-ce pas ? poursuit l’Orca, imperturbable.
Ben oui, Scouby et moi avons une tante qui s’appelle Germaine, une vieille dame adorable qui m’aime beaucoup. Qu’est-ce qu’il veut, l’Orca, à MA tante Germaine ?
- NOTRE tante Germaine connaissait très bien Jacques Brel !
- Quoi ? MA tante Germaine ?
- Eh ! A qui croyez-vous qu’était dédiée la chanson des bonbons ?
- Ca alors !
Je bée de stupéfaction. J’en oublie de le gifler.
Se moquerait-il de moi ?

En plein milieu des vacances, nous avons dû faire un aller-retour à Bruxelles : j’allais y rester quelques jours (avec Olivier venant me soigner) pendant que mes parents iraient faire un petit tour en Alsace.
Je me suis bien reposée. Quand ils m’ont récupérée, j’étais gonflée à bloc.
Encore un trajet en voiture ! Je ne m’y ferai jamais !
- Ardoise, arrête de braire ! On n’entend plus la radio !
- Si vous mettiez un peu de Brel, je me tairais peut-être, dis-je. Par exemple « Oh Ardoise Ardoise le ciel wallon » !
Ils n’ont pas compris mes miaulements. Pourtant j’articulais bien et je parlais fort.
Ils m’ont hurlé de faire silence. A cause de leurs vociférations, je n’entendais même plus la radio !

Je suis revenue à notre maison de campagne, bouillonnante d’énergie.
J’ai commencé par mettre mon petit monde au pas. En ce qui concerne l’Orca, j’ai des arguments frappants. Vis-à-vis des autres, je suis un peu plus subtile : je règne par l’intimidation.
Quand les autres chats aperçoivent mes yeux fixes au regard jaune et glacé, ils prennent leurs pattes à leur cou. Scouby n’en revient pas : comment sa gentille Ardoise, son adorable crème de chatte, peut-elle inspirer une terreur pareille ?
- Tout est dans l’expression, dis-je doctement. Il faut agir sur leur imagination. C’est un art !...
Un art que je maîtrise parfaitement.

Assise sur un fauteuil de jardin, sur la terrasse, j’exerce mes talents sur Négatif qui se tient prudemment à quelque distance de moi.
- Mam’zelle Ardoise, dit-il pensivement, « Avec ces yeux-là, vous devriez faire du cinéma ! »
J’ai déjà entendu cette phrase-là quelque part. Mais qu’on me dise cela, à moi, ça me ravit ! Enfin, quelqu’un apprécie mon génie !
- Vraiment ? Vous me verriez dans quel rôle ? ne puis-je m’empêcher de demander, flattée.
- Kâ dans « Le livre de la jungle » ! Vous lui ressemblez rudement !
C’est qui ça, Kâ ? La panthère ? Je m’en enquiers auprès de Scouby.
- Kâ, c’est le python diabolique, me dit-elle. Ou le boa constrictor… Je ne sais plus. En tout cas, c’est un affreux serpent aux yeux jaunes !
Je digère l’information.
Je le répète, quel imbécile, ce Négatif ! Je ne lui adresserai plus la parole, na !

Maintenant, je suis de retour à Bruxelles.
C’est bizarre, j’ai un peu de mal à m’habituer : je me sens si seule, tout à coup, dans mon appartement !
Pas d’Orca, pas de Gourmande, pas de P’tite-Goulaffe, pas d’imbécile de Négatif, pas de…
Je pousse un profond soupir.
Allons, ne déprimons pas ! Rien jamais ne décourage la vaillante et noble Ardoise !
Mais quand même… Snif !

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Chapitre 53 : NOUS VOILA EN AUTOMNE



Arrivé au seuil de l’automne, je profite le mieux possible de la température encore clémente. Je fais de longues promenades dans le village, je cultive mes relations… Je me rappelle au bon souvenir des humains obligeants qui, en l’absence de ma famille d’accueil, m’offrent parfois, en hiver, une écuelle bien pleine… Mine de rien, ça doit s’organiser soigneusement, une vie de chat des champs ! Il faut de la prévoyance, de la jugeote, un certain sens des affaires… Ce n’est pas donné à tout le monde !

Je reçois aussi quelques visites, notamment celles de mes deux fils. Je vois moins souvent la charmante Gourmande et sa teigne de fille… Elles semblent se désintéresser de moi, je ne sais pas pourquoi. Peut-être sont-elles secrètement vexées de n’avoir plus le statut de visiteuses uniques et privilégiées…

Parfois, de loin, j’aperçois la Petite-Goulaffe qui fait la sieste en plein milieu de la rue… Heureusement, chez nous, il n’y a pas beaucoup de circulation, ce n’est pas comme en ville !
C’est vrai que c’est agréable de s’étendre sur la route toute lisse et chaude ! Je ne dédaigne pas ce plaisir, à l’occasion. Bien sûr, j’ai soin de me placer le plus loin possible de la Petite-Goulaffe !

Négatif fait du charme à notre voisine. Je l’ai vu onduler de la queue à l’entrée de sa cuisine. Le voisin ne dit rien, bien qu’il n’apprécie pas beaucoup les chats. Il a toutefois l’air de faire une exception pour mon fiston qui joue souvent avec ses petits-enfants. Je crois que Négatif a hérité de mon charme légendaire…

C’est quand même un fameux numéro, je vous assure ! Quand Scouby est là, vous savez que, tous les matins, elle dépose une bonne assiette de pâtée sur la terrasse. C’est le premier venu qui est le mieux loti et Négatif le sait bien ! Il y a quelques jours, ma mère d’accueil venait juste de déposer la gamelle sur le sol, lorsqu’elle a entendu un grand « Miaou ! » de bienvenue venant du ciel. Levant la tête, elle a aperçu Négatif sur le toit de la maison, où il attendait patiemment son petit déjeuner.
- Salut ! a fait mon fiston. Vous dérangez pas, je descends !
Et hop, sur la gouttière, comme un funambule ! Et zou, le long du tronc d’un petit cerisier qui pousse par là !
Il avait le nez dans la gamelle en un temps record, devançant Roublard qui, lui, venait de plus loin.

Vous direz que je n’ai peut-être pas la fibre très paternelle, mais il M’ENERVE, ce Roublard ! J’essaie de me contenir, mais rien à faire !
D’abord, vous devriez le voir : un physique de déménageur ! Je parais tout petit à côté, ce qui me vexe, vous le comprendrez. Et une voix ! C’est bien simple : la semaine passée, quand Scouby a ouvert la porte pour donner à manger à Négatif, flanqué de son mastodonte de frère, elle a cru que la sirène d’incendie du village s’était déclenchée !
- OUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIN !
Vérification faite, ce n’était pas la sirène d’incendie ni une quelconque corne de brume, c’était tout simplement Roublard qui réclamait, lui aussi, quelque chose à manger !
- Ouiiiiiin ! a fait Négatif de sa petite voix, s’efforçant vainement d’imiter son frère.

Scouby s’avance sur la terrasse, une boîte de « Pâtée au gibier » dans les mains. Négatif lui fait fête, tandis que Roublard se met à tourbillonner autour de ses jambes en continuant ses vocalises !
- OUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIN !
- Roublard, tais-toi ! Roublard, laisse manger ton frère ! Tu es bien assez gros ! Tu es même ENORME !
Les remontrances se perdent dans le vide. Le vide sidéral d’une cervelle de moineau. Le vide immédiat d’une assiette avalée en deux temps trois mouvements !
Négatif n’a pu sauver du désastre que deux petites boulettes de viande qu’il contemple tristement.
- Tant pis, dit Scouby (avec un peu de mauvaise foi) à l’adresse de la victime, tu n’as qu’à apprendre à te défendre dans la vie !
Pauvre Négatif ! Il ouvre tout grands ses yeux en amande au regard tendre et innocent.
- Je te donnerai à manger quand ton frère sera parti, promet ma mère d’accueil, prise de pitié.
Ainsi fait-elle. Mais il faut être aux aguets, vous savez ! Saisir le moment où l’armoire à glace s’éloigne ! Parce qu’il a des trucs, le Roublard ! Il a l’art de surgir de nulle part… un peu comme l’Ardoise, tiens, quand elle s’est cachée et qu’on l’a cherchée partout ! Sauf que Roublard, on le trouve sans l’avoir cherché…
Souvent, si on regarde bien, on voit une masse blanche qui tente de se dissimuler dans la haie et qui a l’œil à tout ! Devinez qui c’est !

- Mon pauvre petit chéri, comme il mange bien pour devenir grand et fort ! roucoule ma Néfer.
Je la regarde, estomaqué. Elle couve le monstre d’un regard émerveillé. On m’a toujours dit que l’amour maternel était aveugle, eh bien c’est vrai !
Mais pas l’amour paternel, ça non ! Je reste lucide, moi !
- Ton pauvre petit chéri fait cinq fois ton poids ! dis-je, réprobateur.
- Oh, tu exagères, Orca ! Pas cinq fois ! Quatre fois et demie, peut-être…
- Mais comment as-tu pu fabriquer CA ? Blanc avec une queue noire, c’est d’un goût ! Et ces deux ou trois taches noires dans le dos, comme des pavés dans une mare ! Affreux ! Affreux !
Néfer, elle, trouve cela très joli et me le fait savoir. Ah bon !
- Ce n’est pas sa faute s’il est blanc et noir, Orca, poursuit-elle. Il tient de ses parents, ce petit mignon !
- Oui, mais admets que ses parents sont autrement présentables, dis-je en me rengorgeant.
Je suis maigre, d’accord. Je ne suis pas un canon de beauté, mais j’ai de l’allure, on ne peut pas le nier ! Un gentlecat, je l’ai toujours dit !
- Et puis, cette manière de se goinfrer ! Non seulement il mange trop, mais aussi beaucoup trop vite !
- Le pauvre chéri a peur qu’on lui retire la gamelle avant qu’il n’ait fini, explique patiemment ma Nefer.

Décidément, elle tient à avoir le dernier mot ! Une vraie avocate, cette chatte ! D’ailleurs, j’aurais dû m’en douter quand j’ai commencé à la courtiser : cette robe noire, ce petit jabot blanc… L’habit fait la fonction, comme on dit. Je n’avais pas remarqué. On n’est jamais assez prudent !

Je soupire.
- Je me rends compte que Gourmande n’est pas, au village, la seule chatte incompétente en matière d’éducation…
- Vraiment, Orca ? fait distraitement ma Dulcinée, toujours occupée à admirer son rejeton bâfreur.
- Certaine chatte noire de ma connaissance n’a rien à lui envier sur ce point !
Nefer réfléchit, se demandant visiblement qui est la chatte noire en question. Comme elle ne trouve pas, elle se contente d’un « Tu connais tellement de monde, mon Orca ! » miaulé si gentiment que je n’ai pas le cœur de continuer la discussion. Du coup, c’est moi qui me sens coupable à présent ! Je rends les armes. Avec soulagement.
Elle m’attendrit, que voulez-vous ? Quand je la regarde, je me sens devenir chocolat bleu pâle… et finalement, elle a toujours le dernier mot !

Vous savez quoi ? Je vais aller manger… J’ai vu que Scouby a déposé du thon en boîte dans mon assiette.
Quand je reviens sur la terrasse, l’estomac bien lesté…
- Hic ! Hic !
Un hoquet irrépressible me secoue. Dan me regarde avec commisération.
- Orca, tu as de nouveau mangé trop à la fois, et beaucoup trop vite ! Ce n’est pas la première fois que ça t’arrive !
- Hips !
Tapi dans la haie, son poste d’observation favori, Roublard me dévisage d’un air goguenard. Je suis outré.

Quel manque de respect pour son père, vraiment ! Néfer a très mal éduqué nos enfants, mais ce n’est pas la peine de le lui répéter, elle les prend pour des perfections ! Et puis, avec elle, essayez d’avoir, une seule fois dans votre vie, le dernier mot !

L’autre jour, elle m’a quand même étonné, moi qui croyais si bien la connaître !
Nous étions tous les trois au salon, Dan, Scouby et moi. Moi sur les genoux de Scouby, comme toujours… Il paraît que je suis un pot de colle, mais ça m’est égal, c’est comme ça qu’on m’aime !

Subitement, un vacarme inouï a éclaté dans le jardin : deux chats se querellaient en poussant des hurlements sauvages. Nous sommes sortis, pour regarder ce qui se passait.
- Silence, vous deux ! a crié Dan.
Qu’avons-nous vu ? Négatif qui grimpait avec vélocité jusqu’au sommet du grand noyer, poursuivi de près par sa mère visiblement furieuse, le poil gonflé et la queue toute hérissée.

Cette colère n’a toutefois été qu’un feu de paille. Cinq minutes après, ma Néfer redescendue de son arbre (et accompagnée de son rejeton) avait retrouvé sa placidité habituelle.
- Mais que s’est-il passé ? dis-je.
- J’ai rien fait ! gémit Négatif. J’étais tout tranquillement installé sur le rebord de fenêtre quand M’man…
Néfer affiche un air imperturbable. Je la soupçonne d’être un peu exclusive : considérerait-elle ce rebord de fenêtre comme sa propriété personnelle ? Il m’arrive aussi de m’y asseoir, à l’occasion. Il va falloir que je fasse attention… Je n’ai plus l’âge de me faire pourchasser jusqu’à la cime des arbres.
Ou alors a-t-elle simplement « ses nerfs », comme la chère Ardoise ?
Je décide de me tenir à carreau ! Un chat averti… Vous connaissez la suite.

Et Titi ? Vous vous souvenez de Titi ?
Depuis l’hiver passé, nous ne l’avons plus vu. Que lui est-il arrivé ?
Dernièrement, un petit chat noir s’est montré sur un muret surplombant notre jardin. Un petit chat noir avec un collier rouge autour du cou.
Scouby est allée l’examiner sous le nez.
- C’est Titi ! s’est-elle exclamée. Je le reconnais à sa gentille petite figure !
Je suis sceptique.
- Scouby, je ne veux pas vous décevoir, mais si ce chat était réellement Titi, il serait venu se faire caresser, comme l’année passée ! Or, celui-ci n’a pas l’air de vous reconnaître…
- Heu, peut-être, mais tu sais bien que Titi était en peu innocent… Il lui manquait une case. Alors il est possible qu’il ne se souvienne pas !
Je ne dis plus rien et le mystère subsiste. Titi or not Titi ?
Il faudrait que le petit chat noir fasse montre d’un peu de bonne volonté et ouvre sa gueule pour se faire examiner : comme Titi avait des brèches dans la dentition, nous aurions une quasi-certitude, sauf évidemment si son nouveau maître lui a offert un dentier. Mais rien à faire ! La créature au collier rouge ne se laisse plus admirer que de loin !
Si Titi il y a, serait-il devenu snob ?
L’autre jour, il se promenait en compagnie d’un petit chien, tous deux cheminant côte à côte dans notre rue, vous imaginez ? Quelle fréquentation ! Pour oser se montrer en compagnie d’un chien sans en rougir, il faut être écervelé ! Il s’agit peut-être bien de notre Titi, après tout…

Je me suis découvert une nouvelle passion culinaire !
Il y a quelques jours, Scouby avait débarrassé la table du petit déjeuner. Connaissant mes goûts, elle s’était empressée de mettre en sécurité le jambon, le saucisson, le beurre (ben oui, je suis comme la chère Ardoise, j’aime le beurre…), le pain (aussi…), puis elle est sortie pour quelques instants.
Pas si gentlecat que j’essaie de le faire croire, j’ai bondi sur la table afin d’explorer certain petit paquet qu’elle avait oublié.
Tiens ! Quel parfum délicieux ! J’y plonge mon nez.
Mais c’est que c’est bon, ça ! Très très bon ! Dépêchons-nous de tout finir avant que Scouby…
Justement, la voilà.
- Orca !
- Miam ! Groumph ! Slurp !
- Mon camembert !
- Vous disiez, Scouby ? m’enquiers-je poliment en nettoyant, sur mes moustaches, les dernières traces du festin.
Je n’ai pas été grondé, non.
Mais depuis lors, Dan m’appelle « Sapeur Camembert » !

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Chapitre 54 : MISSOU LOLO

Mes vacances sont donc terminées, l’été a atteint son terme. Je me repose, bien tranquille, dans mon appartement.
Vous n’imaginez pas, en effet, comme mes séjours campagnards sont EXTENUANTS ! Les vacances EREINTANTES ! Mes week-ends prolongés, TUANTS ! Ah la la, c’est dur de vouloir redresser le monde !

Parfois, le découragement me prend. Pourquoi m’obstiner à répandre la bonne parole (la mienne bien sûr) parmi ces animaux dont on dit qu’ils sont de mon espèce… mais avec lesquels, vraiment, je n’ai aucun point commun ? A part, évidemment, une paire d’oreilles pointues, des moustaches effilées, une queue arrogante et quatre pattes sautillantes…

D’abord, il y a le trajet à accomplir : une bonne centaine de kilomètres dans un panier au tissu tout mou ! Quand j‘y entre, contrainte et forcée, le panier est plus ou moins droit, il fait illusion. Je peux m’asseoir de manière à peu près normale.
Avec les aléas de la route, le panier s’effondre insensiblement et moi, je suis le mouvement. A la fin du voyage, il reste une sorte de sac épais comme une galette et, à l’intérieur, une malheureuse chatte plate comme une crêpe. Le petit grillage en plastique est limité à une mince fente, au ras de la banquette. Par cette fente, le monde extérieur ne peut plus discerner que deux yeux fulgurants et courroucés : les miens.

- Mais Ardoise, pourquoi ne pousses-tu pas le sommet du panier avec ta tête, pour qu’il reste en forme ? s’étonne ma mère d’adoption.
Je ne daigne pas répondre. Me voit-on sous les traits d’hercule, ou encore mieux d’Atlas soulevant le monde ?

Arrivée à bon port et à peine remise de mes émotions, il me faut prouver ma supériorité morale à tous ces quadrupèdes, en général bêtes comme mes pattes, qui n’hésiteraient pas à s’approprier ma maison et mon jardin si je les laissais faire.

En ce qui concerne le jardin, hélas, mon pouvoir n’est pas bien grand : il se limite à la longueur de la corde qui me rattache, tel un cordon ombilical, à mon Home Sweet Home. Ainsi, j’ai dû assister impuissante aux jeux effrénés de deux jeunes chats, Négatif et Roublard pour ne pas les nommer, qui s’amusaient à se poursuivre sur les branches de mon petit saule à moi !
Et ils sautaient ! Faisaient des cabrioles ! Se fichaient visiblement de ma royale désapprobation ! J’en aurais attrapé la jaunisse !
Le monde n’est plus ce qu’il était de notre jeune temps, ma bonne dame, croyez-moi !

Je dois l’avouer tout bas (pour qu’il ne m’entende pas), c’est encore l’Orca le moins pénible de la bande. Lui, au moins, m’écoute avec déférence et se laisse piétiner sans regimber… enfin presque. L’autre jour, il m’a quand même étonnée : alors que je lui assénais, pour me calmer les nerfs, une bonne grosse baffe sur la tête, voilà-t-il pas que Monsieur lève la patte d’un air menaçant !
- Keskesêksa ? ai-je grincé, les yeux en forme de mitraillette.
La révolte n’a duré qu’une fraction de seconde.
- Je… Je levais la patte pour me gratter ! a-t-il prétexté, penaud.
- C’était pas la peine de la lever si haut par-dessus votre caboche, là où y a rien à gratter ! ai-je rétorqué afin de bien lui faire voir que je n’étais pas dupe.
Je n’en reviens toujours pas : il avait failli me rendre ma gifle, l’animal !
Peut-être que je devrais apprendre à dominer mes nerfs… Faire montre d’un minimum de doigté. C’est vrai que parfois, je suis un peu vive…

- Un peu vive ! Je dirais même que, quand tu t’y mets, tu peux te montrer une véritable petite peste ! fait Scouby qui lit par-dessus mon épaule sans y avoir été invitée.
- Oh, quelle injustice ! protesté-je, indignée. Je suis la douceur en personne !
- Avec nous, oui, concède ma mère d’adoption, mais pas avec le pauvre Orca !
- Mwâ ?
Je suis ahurie.
- Ben oui ! Quand il est parti en promenade, QUI se poste devant la chatière, la patte levée pour lui donner une taloche sur le crâne lorsqu’il reparaît ? QUI se cache sous la table de la cuisine, pour le terroriser quand il veut manger ? QUI… ?
Et blabla.
Je prends un air absent. En fait, je sais très bien de QUI il s’agit, mais je pensais que Scouby n’avait rien remarqué.
Elle poursuit sur sa lancée : « QUI se jette sur le pauvre animal pour le renifler de haut en bas à chaque début de week-end ? »
Alors là, je suis innocente de toute mauvaise intention ! Je proteste :
- N’exagère pas ! Tu sais très bien que c’est comme ça que les chats se reconnaissent entre eux ! Et aussi les chiens ! Et aussi les…
- Mais comment se fait-il que l’Orca ne te renifle jamais, lui ? Et pourtant il te reconnaît instantanément !
Voyons Scouby !
- Ca, ce n’est vraiment pas difficile à comprendre ! Il me reconnaît à mes beaux yeux : ils font un effet flash !
J’ai remarqué effectivement que mon regard fulgurant a le don de tétaniser l’Orca. Lui, me renifler ? Il n’oserait jamais !
- Et puis, dis-je, il doit ressentir les ondes de ma personnalité tellement frappante, à travers les fibres de mon panier Félix !
Indéniablement, sitôt qu’il aperçoit le véhicule ardoisien en tissu mou, l’Orca paraît en état de choc. Pétrifié d’admiration qu’il est, l’animal ! Eperdu de joie à l’idée de passer deux jours entiers avec moi !
Du moins c’est ce que je crois. Et c’est sûrement la vérité, vous ne pensez pas, les amis ?

Moi, pour reconnaître l’Orca, il me faut analyser sa petite odeur si spéciale ! Simplement le voir ne suffit pas à établir ma conviction. Qu’est-ce qui ressemble plus à un chat noir et blanc qu’un autre chat noir et blanc ?
Il me reste encore à définir cette « petite odeur » si particulière à la bestiole.
- Orca sent l’oignon ! m’exclamé-je péremptoirement. Voilà, c’est exactement ça : l’oignon cru !
Scouby a beau renifler, elle ne détecte aucune odeur bizarre. Et pour cause ; je suis la seule ici à bénéficier d’un sens olfactif ultra développé.

Quelques jours plus tard, Scouby et Daniel sont allés faire un petit séjour en France, me laissant aux bons soins de ma Mamie, la mère de Scouby.

J’ai été bien sage… et très gâtée ! Instruite de mes goûts et de mes exigences, ma Mamie m’a offert du bœuf tartare et du colin d’Alaska ! Du coup, lorsque Scouby est rentrée et a ouvert une boîte de Félix-bouchées-en-gelée à mon intention, j’ai fait la fine gueule.
- je suis bien contente que tu sois rentrée à la maison, roucoulé-je diplomatiquement en m’enroulant autour de sa cheville, « mais j’y ai du mérite, tu sais : ma Mamie me nourrit mieux que toi ! Et puis, ma Mamie a cuit du poisson et il en reste quatre morceaux dans le frigo ! Tu me les donnes, dis, tu me les donnes ? Tu peux manger le Félix si tu veux. »
Bien sûr, j’ai reçu mon poisson, mais Scouby n’a pas mangé mes petites bouchées en gelée, je ne sais pas pourquoi…

Elle avait aussi acheté du steak tartare pour reconquérir mes bonnes grâces, mais à vue de pif, il est moins bon que celui de Mamie : il vient d’un grand magasin alors que Mamie va tous les jours chez son petit boucher de quartier, exprès pour moi ! Je l’ai signalé à qui de droit, bien sûr, je ne vais pas me laisser faire ! Et si la situation ne s’améliore pas, je ferai mon petit baluchon pour déménager chez Mamie. Scouby a déjà remarqué que, dans un coin du salon, j’ai rassemblé mes trésors les plus chers : mon « bébé » et ma balle de tennis !

Elle m’a raconté ses vacances. En rentrant, ils ont pris le chemin des écoliers, ils sont passés dans de charmants petits coins de la France profonde. Certains noms de patelins la plongeaient dans une profonde perplexité.
- Tu imagines, Ardoise ? Habiter à Sous-l’Osque-sur-Saint-Estophe ?

J’imagine très bien… et frémis. C’est que c’est dangereux, habiter dans un village avec un nom pareil ! Je vous explique.

Mettez-vous dans la peau d’une jeune chatte ambitieuse, plutôt bien de sa personne. Tenez, pensez que vous êtes moi, par exemple. Et que vous êtes née à Sous-l’Osque-sur-Saint-Estophe.
Vous avez recueilli, dans votre terroir, un prix de beauté très apprécié et vous vous voyez déjà au pinacle : top model comme Claudia ou Cindy…
Confiante en votre étoile, vous prenez le train et montez à Paris, participer à la sélection pour le concours de Miss France.
Très émue, vous vous présentez au jury. Vous bafouillez un peu, ce qui est normal, vu les circonstances.
Le président du jury vous accueille aimablement. Manifestement, votre physique avantageux lui a tapé dans l’œil.
- Bonjour, Mademoiselle… Mademoiselle qui ?
- Argh, argh… Ardoise, miaulez-vous d’une petite voix.
- Mademoiselle Ardoise… Quels sont vos antécédents ? Avez-vous déjà été lauréate ?
- Voui, voui… J’ai été Miss… Miss Sou… lo… lo…
- Missou Lolo ? répète le président, perplexe. Il commence à croire que vous vous êtes trompée de concours. Déjà que Madame de Fontenay n’avait pas été très enthousiaste en ce qui vous concernait…
Devant l’urgence, votre voix revient.
- Miss Sous-l’Osque-sur-Saint-Estophe ! clamez-vous triomphalement, attendant les applaudissements.
Silence navré. Les membres du jury se rassemblent dans un coin pour se concerter. Vous entendez des chuchotements.
- Beaux yeux, belles moustaches, mais…
- Le patelin, mon cher, le patelin !
- Imprononçable ! Surtout devant les caméras !
- Dommage… Bzzz, bzzz… Joli sourire, superbe fourrure à triple épaisseur…
- Mais Miss Sous-l’Os… sous… Impossible !
Votre cœur se glace. Le président du jury, un peu ennuyé, se tourne vers vous.
- Nous sommes désolés, Mademoiselle Ardoise, mais vous ne répondez pas tout à fait … Heu ! au profil exigé. Une autre fois, peut-être…
Voilà votre carrière tuée dans l’œuf ! il ne vous reste plus qu’à rentrer à Sous-l’Osque-sur-Saint-Estophe, la queue basse et le cœur en charpie. Après, vous faites une dépression nerveuse.
Bien sûr que c’est injuste et scandaleux ! Si vous avez le moral bien accroché, vous pouvez toujours décider de vous venger et de prouver au monde entier que votre village natal, c’est pas du Kitekat et qu’on va voir ce qu’on va voir !
Mais dans l’intervalle, que de temps perdu ! Et dans une vie de chat, le temps, c’est important, il n’y en a pas beaucoup…
Vous avez compris, maintenant, pourquoi c’est dangereux ?

Avec soulagement, je quitte la peau de la pauvre Missou Lolo pour redevenir Ardoise, chatte de gouttière et poursuivre la suite de mes aventures !

Et voici que, malheureusement, un événement va survenir, qui va profondément me perturber…

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Chapitre 55 : LA FIN APPROCHE


Comme vous le savez, je me sentais mieux ces derniers temps. Lentement, je reprenais du poil de la bête (dans tous les sens du terme)…

Mais à présent, une force que je ne puis définir me pousse vers un ailleurs inconnu.
Il est donc écrit que vagabond je resterai…

J’ai essayé de faire comprendre à ma famille d’accueil que nos chemins allaient se séparer. Pour ce faire, j’ai déposé sur le sol quelques petits objets odorants de mon cru… puis, avant leur arrivée, je me suis éclipsé pour plusieurs heures. Ils n’ont pas saisi la signification réelle de mes messages. Seule la chère Ardoise, en sa qualité de chat, a très bien compris que quelque chose n’allait pas, n’allait plus, et que notre petite vie paisible et routinière, émaillée de chamailleries, de bouderies parfois, de drôlerie souvent, allait toucher à sa fin.

La dernière fois que nous nous sommes retrouvés tous ensemble, Scouby a constaté que j’arborais un petit air lointain, distrait, qui ne m’était pas habituel.
- Qu’est-ce qui se passe, Orca ?
- Laisse-le se reposer, il a l’air fatigué, a dit Dan.

Je pose sur les choses et sur le monde un nouveau regard. Il y a en moi une bizarre machinerie qui s’est mise en branle et qui me pousse au départ. Pourtant, vous le savez, j’aimais ce village et cette maison où j’ai été si bien accueilli pendant deux ans, chaque week-end.

La chatte grise s’abstient à présent de me taquiner. Alors que je rêvasse sur un fauteuil, je sens son regard fixé sur moi. Elle se demande, avec inquiétude, si c’est à cause d’elle que je vais m’en aller, à cause de toutes ces petites avanies qui ont jalonné nos rapports. Elle se trompe : je n’ai jamais pris au sérieux toutes ses gamineries. Je sais bien qu’au fond, tout au fond, en creusant bien, elle est une brave fille ! Et puis, je peux bien lui avouer que je l’ai fait tourner en bourrique plus d’une fois. Elle est à ce point naïve qu’elle croit toutes les salades qu’on lui raconte ! Je m’en suis donné à cœur joie, avec elle… Mea culpa, mais je ne le regrette pas !

Avant de s’en aller pour un très long voyage, il convient que l’on dise au revoir à sa famille et à ses amis.

Au moment de quitter ma maison sans faire de bruit, je jette un dernier regard derrière moi. N’ai-je rien oublié ?
J’ai vidé deux des trois assiettes déposées à mon intention. Je n’arrive pas à engloutir la troisième : c’est un peu trop, même pour un estomac comme le mien. Si encore ils m’avaient prévu un dessert de rillettes et de camembert, j’aurais fait un effort, mais ne demandons quand même pas l’impossible !

Une chose me frappe, que je n’avais pas remarquée auparavant : rien, dans cette maison que j’ai hantée si longtemps, ne rappelle ma présence. Vagabond dans l’âme, sans même m’en rendre compte, je n’ai jamais rien possédé en propre. Les jouets qui jonchent le sol ne sont pas à moi : ils appartiennent à la charmante et si puérile Ardoise. Moi, j’ai toujours été trop sérieux pour jouer. Je ne laisse derrière moi que la petite couverture bleue… et la chatière.

Je suis un peu inquiet : comment va réagir ma Néfer à l’annonce de mon départ inopiné ? Dois-je m’attendre à une crise d’hystérie ?
- Où est ta mère ? demandé-je à l’inévitable Roublard, confortablement tapi sous la haie du jardin qui fut mien si longtemps.
- M’man ? L’est avec son Jules ! réplique élégamment mon rejeton.
Je crois avoir mal entendu. Son Jules ? Un autre Jules que moi ?
- Oh, pas du tout un Jules comme toi, P’pa ! rigole Négatif.
Je décide d’aller m’informer auprès de la principale intéressée. Justement, la voilà. Elle porte la tête haute et la queue fièrement dressée comme un cierge !
- Oh, Orca, tu ne devineras jamais ce qui m’arrive ! s’écrie-t-elle en me voyant surgir.
- Dis toujours, fais-je laconiquement, très intrigué par son exultation.
- J’ai UNE MAISON A MOI, maintenant !
Là, elle m’en bouche un coin, je l’avoue. Je la dévisage, les yeux ronds.
- Une maison ? Où cela, Néfer ?
- En face de la tienne ! A côté du fourré où j’habitais avant !
Le propriétaire de cette maison est un monsieur âgé, très distingué, veuf depuis quelques années.
- L’autre jour, je me tenais là, tu vois. Je ne demandais rien à personne. Le monsieur rentrait chez lui, il s’est arrêté et m’a fait un sourire. Puis il m’a caressé la tête.
Je n’en reviens pas. Ma Néfer ne s’est pas enfuie ? N’a pas eu peur ? Mes conseils auraient-ils enfin porté leurs fruits ?
- Il m’a dit : « Bonjour, joli petit chat noir. Cela fait bien longtemps que nous nous connaissons de vue… » Je lui ai répondu : « Bonjour Monsieur ! Je suis Néfertiti ! »
Là, j’admire, sincèrement. Elle n’a pas dit : « Je m’appelle Néfer. » Non, elle a mis les choses au point, elle a dit : « Je suis Néfertiti. » comme si elle était la réincarnation de la reine d’Egypte (à vrai dire, elle en est intimement persuadée) et qu’il convient donc de la traiter comme telle.
- Et le monsieur m’a dit : « As-tu faim, Néfertiti ? » et il m’a ouvert la porte de son garage. Et au bout de deux jours, celle de sa cuisine ! Et après, celle de son salon ! C’est moi la maîtresse de maison à présent ! Qu’est-ce que tu dis de ça, mon Orca ?
En de telles circonstances, il faut que je prononce des paroles inoubliables, de celles dont ma Néfer se souviendra durant les soirées d’hiver, quand, assise devant un bon feu, elle pensera à moi qui serai loin.
Je pose une patte sur son épaule et prends mon air le plus solennel, le plus « maître-chat ».
- J’en dis que tu combles mes rêves ! Je suis très, très fier de toi, ma Néfer !

Après ce moment de triomphe, elle n’a pas pris trop mal la perspective de mon départ. Elle est tellement obnubilée par sa nouvelle situation. Et moi, tellement soulagé !

Rassuré sur son sort, je me demande à présent quelles recommandations adresser à mes deux fils, si jeunes et si insouciants. Sont-ils, eux aussi, des chats à l’instinct nomade ? A ce stade de leur vie, nul ne peut encore le dire.

- Négatif et Roublard, dis-je en arborant mon air le plus paternel.
Ce n’est pas très facile, parce que je n’ai pas vraiment l’habitude d’être leur père. J’aurais dû les connaître quand ils étaient petits.
J’essaie de froncer le front avec une expression concentrée, pour leur montrer que le moment est sérieux.
Naturellement, Roublard rigole. Il m’énerve, celui-là ! Déjà qu’il s’est permis d’entrer chez moi par la chatière… Je ne l’ai toujours pas digéré ! Prenons une contenance digne.
- Mes enfants, dis-je, j’ai quelque chose d’important à vous dire.
- OUAIS, P’PA ?
Autant pour la dignité. Je m’énerve.
- On ne hurle pas « OUAIS, P’PA ? » de toute la force de ses poumons ! On dit respectueusement : « Oui, Papa ? » C’est compris ?
- OUAIS, P’PA !
- Tu le fais exprès ?
- NON, P’PA !
Il paraît sincère. Je jette l’éponge.
- Mes enfants, je pars en voyage.
- Pour longtemps, P’pa ? veut savoir Négatif.
- Oui, pour longtemps.

Les deux frères échangent un regard. J’enchaîne :
- Je voudrais vous demander d’être très gentils avec les gens de cette maison, parce que d’abord, ils seront inquiets pour moi, puis ils auront de la peine. Je ne peux pas les prévenir, ils ne comprennent pas bien le langage chat. Ayez du tact ! De la diplomatie ! C’est ce que ma mère, une sainte chatte, m’a toujours seriné ! Et c’est comme ça que votre père a réussi dans la vie.
Ils approuvent chaleureusement.
- OUAIS, P’PA ! ON SERA GENTILS ! ON VIENDRA TOUS LES JOURS BOUFFER ET TENIR COMPAGNIE A M’DAME SCOUBY ET M’SIEUR DAN !
- On sera pleins de tact et de diclo… diplo… cratie, P’pa ! D’ailleurs, avec toute l’eau qui est tombée du ciel ces derniers jours, il doit y avoir des masses de diplo… dico… practies dans le jardin ! On se roulera dedans !
- ON SERA TOUJOURS LA, P’PA ! DANS LA HAIE ! ON MIAULERA TRES FORT !
- Tous les deux toujours ensemble ! Comme Laurel et Hardy !
- C’EST MOI HARDY, P’PA !
- Tiens, je ne m’en serais pas douté ! ne puis-je m’empêcher de rétorquer.
Mais le Roublard ne comprend pas l’ironie.

- On fera comme si on était toi, P’pa ! poursuit Négatif.
- Comment l’entends-tu ? demandé-je avec une certaine méfiance.
Le regard plein de candeur, il explique :
- Je t’ai bien observé, P’pa, et je sais faire aussi bien que toi !
Ben tiens !
- Quand M’dame Scouby entre dans la cuisine, tu te mets à sauter et à crier : Miââââââââ ! Miâââââââââ ! Puis tu bondis sur la table et tu danses. Puis, quand M’dame Scouby se penche pour prendre quelque chose dans le frigo, tu sautes, très vite, hop hop ! de la table sur le frigo, du frigo sur la table et encore et encore ! Quand elle se redresse, souvent tu es en plein vol et vous vous télescopez. Tu t’étales par terre…
- Hum ! Pas à chaque fois !
- Presque !
Bon, c’est vrai.
- Et puis, quand M’sieur Dan fait cuire de la viande, tu te mets sur l’évier, à l’autre bout de la pièce et tu avances tout doucement sur les armoires, sans miauler, en rasant les murs, jusqu’à la cuisinière et puis, juste quand tu y arrives, M’sieur Dan te voit et hurle : « ORCA ! NON ! » et tu sursautes si fort que tu glisses et te retrouves de nouveau étalé par terre…
Bon, ça commence à bien faire !

- Mais pour nous, ce sera plus facile, P’pa ! affirme Négatif avec confiance.
- OUAIS ! PARCE QUE NOUS, ON EST DEUX !
- Un pour l’attaque et un pour la diversion ! Moi pour faire Miâââââââ ! Miââââââ ! parce que pour ça Roublard, il n’est pas bon ! Il ne sait faire que OUIIIIIIIIIIIIIIIIIN ! OUIIIIIIIIIIIIIIN !... Et pendant que M’sieur Dan et M’dame Scouby auront leur attention portée sur moi, Roublard va avancer à pas de loup vers la viande qui cuit…
- A PAS DE LOUP : POUM POUM POUM !
Je vois le tableau. Je souhaite bien du plaisir à Scouby et Dan, avec ces deux hurluberlus !
Dommage qu’il me faille partir… Hâtons les adieux.
- Mes chers enfants, je ne peux m’attarder davantage… Au revoir, soyez bien sages pendant mon absence !
- HE, P’PA ! TU N’OUBLIERAS PAS DE REVENIR, HEIN ? PARCE QUE NOUS, ON T’AIME BIEN !
J’en reste sans voix, tout ému. C’est vrai qu’il m’énerve souvent, le Roublard, mais néanmoins…
Heu Hum ! Allons-y !

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Chapitre 56 : TRISTESSE

Le second week-end suivant le départ d’Orca, alors que nous nous morfondions sans nouvelles, nous avons eu la surprise de voir que le bol de croquettes posé sur le sol de la cuisine était vide.
- Serait-il revenu ?
Scouby s’est posé la question, sans requérir mon avis. Je lui aurais bien dit, moi, que le Maître-Chat n’était plus passé à la maison depuis des jours et des jours : aucune petite odeur d’oignon cru ne flottait dans l’air… Mais comme personne n’a pensé à recourir à mes lumières, je me suis tue.
Et puis, les deux bacs de sable étaient propres… Et comme vous le savez, sauf quand il essaie d’exprimer un malaise, l’Orca met son point d’honneur à faire ses petits besoins dans un bac, de préférence dans le bleu qui m’appartient. Il considère que c’est plus chic que de se retirer au jardin.
Parfois un peu maniéré, le chat des champs !

- Bon, ça doit être Roublard qui a mangé les croquettes !
Justement, nous le voyons, le Roublard, couché sous la haie. Comme il trouve notre maison très intéressante, il a élu là son domicile, bien à portée de voix et de regard. Il fait comme moi, quoi : il surveille.

Négatif, lui, batifole dans le jardin voisin. Il aime se promener, Négatif. A beaucoup d’égards, il possède les traits de caractère de son père : il a du charme, se lie facilement avec les bêtes et les gens. Même moi qui l’appelle volontiers « cet imbécile de Négatif », je dois reconnaître, à mon corps défendant, qu’il est bien fait de sa personne : blanc et noir, avec de grands yeux innocents en forme d’amande, le corps mince et souple, il porte sur la tête une large tache noire qui lui enserre les oreilles avant de se terminer en pointe dans son cou : on dirait qu’il a coiffé un foulard.
Depuis quelque temps, il a pris de l’ascendant sur son frère qui, manifestement, l’admire. Négatif prend des initiatives et le Roublard suit le mouvement : c’est moins fatigant que de réfléchir !

Cette nuit-là, Scouby se lève pour boire un verre d’eau. A moitié endormie, elle débouche dans la cuisine où elle tombe nez à nez avec…
- Négatif ! Que fais-tu là ?
L’animal estime que c’est le moment de faire montre de ses capacités.
- M’dame Scouby ! Que je suis content de vous voir ! J’ai faim… et regardez ce que je sais faire !
Et hop ! Sur la table ! hop hop hop hop ! De la table sur le frigo et maintes fois vice-versa ! et Miâââââââââ ! Miââââââââââ !
- Exactement les mêmes mauvaises manières que ton pauvre papa ! soupire Scouby.
Elle le met dehors, avec une assiette bien garnie ce qui va de soi. Négatif n’y comprend rien : il avait si bien répété sa leçon, pourtant !
Puis Scouby retourne se coucher, sans penser à fermer la chatière.

Le matin venu, quittant ma chambre (que je partage avec mes parents-z-à-moi, comme chacun sait), je me dirige d’un pas solennel vers la gamelle contenant mon petit déjeuner.
Non, en ce moment je ne sautille pas comme d’habitude, vous le comprendrez. Une mélancolie que je m’explique trop bien me plombe les pattes. J’ai toujours pensé que je n’aimais pas beaucoup l’Orca et maintenant qu’il n’est pas là, je me sens toute chose…

Soudain, qui vois-je, sortant nonchalamment de MON salon ? Je reste figée de stupeur, scandalisée.
- Keske vous fichez chez moi, vous ?
- Heu ! P’pa m’a donné la permission, tente d’expliquer le jeune chat, un peu penaud et inquiet sous mon célèbre regard minéral.
- Mais moi, je la donne pas ! Ksssss, kssss, du balai !
- Pourtant, P’pa m’a nommé chat des champs par intérim ! Et Roublard aussi !...
Mes yeux lancent des éclairs. Négatif, n’osant me quitter du regard de peur de se retrouver foudroyé sur place, gagne la porte à reculons. Il sait aussi se servir de cette chatière, l’animal ! Les pattes m’en tombent ! Et l’Orca qui prétendait qu’il s’agissait d’une chatière spéciale qui ne s’ouvrait que pour lui ! Il m’a bien roulée dans la farine avec ses taquineries, le Maître-Chat !
Il faudrait quand même qu’un de ces jours, j’examine soigneusement ce mécanisme. Peut-être que je pourrais, moi aussi, entrer et sortir à volonté ?

Hélas, j’étais justement occupée à pousser légèrement du nez ce petit ventail quand Scouby, survenant à l’improviste, l’a verrouillé !
- Tu comprends, Ardoise, je ne peux pas laisser tous les matous du village entrer ici comme dans un moulin ! Et puis, si par hasard notre Orca revenait un jour de la semaine prochaine, il pourrait bien attendre jusqu’au week-end, non ?
Nous n’ y croyons plus ni l’une ni l’autre, mais nous faisons comme si.
- D’autant plus, renchéris-je, qu’avec ses deux rejetons, les provisions se seraient volatilisées avant qu’il n’arrive !

Apparemment, les deux compères avaient déjà pris leurs habitudes dans la maison : le divan du salon était marqué de deux creux encore chauds : un petit (pour Négatif) et un profond (pour le Roublard).
- Ils sont gentils et bien propres, a remarqué encore Scouby, mais je ne veux pas qu’ils s’imaginent que cette maison leur appartient ! Ils auront à manger dehors, sur la terrasse, comme les chattes !
Je m’abstiens de lui faire remarquer qu’il y a deux ans, elle a dit exactement la même chose, concernant Orca.

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Chapitre 57 : ADIEUX


Il me reste à prendre congé d’une amie très chère.

Je trottine dans notre rue, à la recherche de la jolie Gourmande. Justement, elle est là, couchée au soleil sur le talus. Elle a maigri et me semble un peu mélancolique.

- Depuis que mes maîtres ont acheté deux chiens, je reçois moins à manger qu’avant, se plaint-elle. Bon, je ne veux pas critiquer ces chiens, ils sont bien courtois à mon égard, mais avec la position que j’occupe, je ne peux tout de même pas fréquenter des CHIENS, n’est-ce pas, cher Orca ?
- Bien sûr que non, dis-je en frémissant d’horreur. Des CHIENS ! Un chat conscient de sa dignité ne peut s’abaisser à ce point !
- Alors, je ne prends pas mes repas avec eux, j’arrive quand ils ont fini et il ne me reste que des croquettes, soupire-t-elle.
C’est le moment de faire montre de générosité.
- Chère Gourmande, le week-end sur ma terrasse, il y aura TOUJOURS un repas pour vous ! dis-je, la patte sur le cœur.
Cela lui fait plaisir, je le vois bien. Désolé de ternir sa joie, je dois cependant lui annoncer mon départ.
- Vous aussi, cher Orca ? Mon Dieu, je vais me sentir bien seule dans ce village !
- Il y a encore beaucoup de chats, pourtant, dis-je, étonné par cette remarque.
- Peut-être, mais plus aucun de ceux que j’ai connus en arrivant ici, il y a deux ans à peine ! Avec Néfer, vous restiez le dernier, cher Orca !

Je suis pétrifié de surprise, rappelant mes souvenirs. Il semble bien que la charmante ait raison ! Elle poursuit :
- Le chat gris qui me faisait de l’œil… Vous savez, la créature soyeuse et ondulante ? Il y a longtemps qu’il s’en est allé… Votre ami Titi aussi… Et encore bien d’autres ! Il y a toujours autant de chats au village, mais ce ne sont plus que des jeunes.
Elle dit vrai, la pauvre Gourmande. Je suis le seul à m’être attardé plus longtemps que prévu, retenu par une couette provençale, par de bons petits plats de rillettes et de camembert, par des caresses…
Un peu plus, je serais devenu très vieux sans m’en rendre compte. Mais apparemment, il y a quelque part un Dieu des chats qui a, pour moi, d’autres projets.

Pour me changer les idées, je regarde autour de moi.
- Tiens, je ne vois pas votre abominable chaton ! dis-je, surpris.
- Hélas, ma Petite-Goulaffe aussi s’en est allée, soupire la pauvre esseulée. Je ne sais pas si elle est partie seule ou si elle a été adoptée par une autre famille, mais elle n’habite plus ici. J’aimerais pourtant bien avoir de ses nouvelles !...
- Quoi, Petite-Goulaffe aussi !!!!
Je suis renversé. Le village me semble subitement terne et vide, sans la rêve-volutionnaire qui m’a si souvent fait enrager. Cela ne s’explique pas, c’est comme ça.
Je n’ai que trop tardé.

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Chapitre 58 : MES SUJETS ET MOI


Comme, à présent, j’ai tout mon temps pour réfléchir, je me suis aperçue, moi aussi, que les matous ne sont que de passage dans notre village. Trois petits tours et puis s’en vont.
D’où venait notre Orca, il y a de cela deux ans et demi ? Mystère. Il est apparu un beau jour, venant de nulle part, et il est reparti à nulle part… ou vers quelle autre planète ?

Quoi qu’il en soit, avant son départ, il n’a pas hésité à donner notre adresse à ses bons copains. A présent, il n’est pas rare de trouver trois ou quatre greffiers devisant sur notre terrasse, dans l’attente d’un repas.
- C’est M’sieur Orca qui m’a invité ! clame un étranger, tout tigré avec une longue ligne noire le long de la colonne vertébrale et de la queue. « Il a dit qu’il y aurait TOUJOURS quelque chose à manger sur cette terrasse pour les chats des champs ! »

Des petites assiettes, posées çà et là, se remplissent régulièrement et se vident à la même cadence. Il nous semble être revenus au temps, déjà lointain, où les clients de notre « resto du coeur » n’étaient autres que Néfer, Titi et l’Orca alors nouveau venu dans le village.

Le Roublard s’est aménagé un confortable petit coin dans la haie. Il croit qu’on ne le voit pas, mais sa volumineuse masse blanche ne peut passer inaperçue !
- Ce malheureux chat n’a vraiment RIEN pour lui, a remarqué Daniel. Il est plutôt moche…
Mais Scouby trouve qu’aucun chat n’est vraiment moche !
- Négatif est peut-être plus beau, mais Roublard devait être un chaton adorable, objecte-t-elle. C’est original, ces petites taches noires sur sa figure ronde et blanche !
- Il n’est pas très malin…
- Oh, il a vite compris le système de la chatière !
- Il n’est pas très affectueux…
- C’est parce que tu l’as enfermé dans le fenil, l’été dernier ! Le pauvre est encore traumatisé !
Quoi qu’il en soit, le Roublard me semble un peu caractériel : quand on lui donne à manger, il a toujours l’air de croire qu’il vole l’assiette de quelqu’un d’autre et prend des airs furtifs. Un peu désordonné, il goûte avec précipitation à toutes les gamelles présentes dans son champ de vision, alors que la pâtée qui s’y trouve est toujours la même. Quand Scouby fait mine de le caresser, il recule avec un regard terrorisé, ne pouvant croire que quelqu’un lui manifeste de la sollicitude.
- C’est pour me frapper qu’elle tend la main ! affirme-t-il. Je sais bien que personne ne m’aime, moi ! Sauf M’man !
Vous connaissez votre amie à deux pattes : elle ne supporte pas qu’un chat se sente rejeté !
- Mais voyons, tu te fais des idées, mon pauvre Roublard ! dit-elle.
- Mais oui, t’es bête, dit Négatif. « Regarde comment on fait ! »
Il y va de sa petite démonstration : se frotte aux chevilles humaines avec volupté, en lançant de grands « Miaou ! Miaou ! » langoureux soulignés de regards séducteurs ; se laisse caresser avec délice en arquant la colonne vertébrale.
- Tu vois, c’est facile !
Le Roublard en reste coi. Il pense qu’il n’osera jamais. Qu’il n’est pas beau, pas mignon comme son frère ni craquant comme son père, ni attendrissant comme sa mère… D’ailleurs il ne sait même pas dire « Miaou ! »
En bref, il a comme un complexe d’infériorité.
Moi, je pense que c’est un cas désespéré.

Scouby m’emmène faire un tour au jardin, histoire de me faire absorber un peu de verdure.
Je traverse la terrasse avec dignité, la tête haute. Ma suivante tient humblement la corde. A deux pas de moi, mes sujets (vous savez qui) me considèrent d’un œil bovin.
- Bonjour mes braves, bonjour ! dis-je en accordant un regard (un seul, mais frappant !) aux deux olibrius assis sur leur arrière-train.
- Wah, mam’zelle Ardoise, quelle allure ! fait le Négatif en plissant malicieusement son petit visage. (J’ai déjà essayé de faire pareil, rien à faire ! Mes traits restent figés. Hermétiques. Seuls mes grands yeux trahissent mes pensées).
Je ne sais jamais s’il est sérieux ou s’il se fiche de moi. Tout à fait son père, ce zèbre-là !
Le Roublard ne bronche pas. Il se contente de me fixer avec méfiance, en se tenant à distance respectueuse de mon auguste personne. Quand je m’approche de lui afin de vérifier s’il n’aurait pas par hasard une « petite odeur » comme Orca, il recule d’autant. Je ne suis pas encore arrivée à me faire une opinion.

Parfois, je m’amuse à l’impressionner, c’est facile.
Quand je suis à l’intérieur et que je le vois se jucher sur le rebord de la fenêtre, je n’hésite pas : je saute à mon tour et nous nous dévisageons, presque nez contre nez. Il ne s’enfuit pas, parce qu’il est persuadé que la vitre le protège des mes imprévisibles tentatives.
- Tic tic tic !
Je tapote, du bout des griffes, la paroi transparente. Je regarde fixement l’animal peu à peu tétanisé d’effroi. Visiblement, il se demande à quelle espèce vivante j’appartiens. Je l’hypnotise longtemps, très longtemps.
Au bout d’un moment, il détache péniblement son regard du mien et contemple le jardin d’un air qu’il souhaite dégagé. Je continue à le fixer, lui brûlant la nuque de mon regard de croco. Il n’y tient plus : il quitte le champ de bataille, me laissant triomphante.

Triomphante mais déprimée.

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Chapitre 59 : L’ARC-EN-CIEL



Et voilà, j’ai pris la route. Du moins, c’est une façon de parler.
J’ai pris ma route, celle qui aujourd’hui n’est ouverte qu’à moi. La route que chacun emprunte un jour et où il se retrouve seul.

J’ai choisi, pour me reposer, un jardin pas très éloigné du nôtre. On s’imagine qu’on part pour un très lointain voyage et puis on se rend compte que les distances n’existent pas.

Je me couche en boule, confortablement, sur l’herbe fraîche. Je pense aux paroles de Roublard : « N’oublie pas de revenir. »
Je n’oublierai pas, je sais qu’on revient toujours. Sous une autre apparence, sous un autre nom. Mais on revient. Surtout quand on est chat.

Je ne souffre pas, je me sens léger. Je ferme les yeux.

Derrière mes paupières se dessine un arc-en-ciel, le plus beau et le plus brillant que j’aie jamais vu. Si c’est ça le paradis, c’est cool.

Et qui aperçois-je, petite silhouette grise escaladant d’une patte assurée les sept couleurs, jusqu’au zénith ?

Mon cœur bondit de joie et s’arrête enfin, tandis qu’à mon tour je m’élance dans la lumière en criant : « Petite-Goulaffe ! Hé, Petite-Goulaffe ! Attends-moi ! »

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Chapitre 60 : ET ENSUITE…

Je crois que notre Orca a eu une magnifique vie de chat et au-delà du chagrin que nous a causé son départ, cette pensée nous a été un réconfort.

Une de nos voisines l’a trouvé endormi dans son jardin. Il ne semblait pas avoir souffert.

Nous avons traversé une période noire. Même moi j’étais triste, c’est tout dire. Puis, petit à petit, je me suis remise. A vrai dire, je ne suis pas restée seule très longtemps.

Ma vie a continué, avec ses joies, ses peines et ses émotions. Je connaîtrai encore de nombreux chats, je vivrai encore de multiples péripéties que je vous raconterai bientôt…

Mais aujourd’hui, permettez-moi de déposer ma plume, en hommage au maître-chat.


FIN
(de la première partie des Mémoires d'Ardoise)

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Bouhhhhhhh, que dire ????? C'est magnifique, bien écrit. La vie d'ardoise, de caramel d'orca et des toutous, une merveille. Tu es écrivaine ? Tu écris super bien, c'est haletant, passionant, à coté, mes histoires de chiens, sont à mettre en veilleuse.

J'adore, et bien mon ardoise, tu as une bonne secrétaire (scouby), qui a la patience d'écouter toute ta vie.

Merci encore, on en veut encore

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Merci Nathalie, c'est très gentil !
J'aime beaucoup les histoires qu'écrivent tes poilus aussi, on ne s'en lasse jamais !
Si cela t'intéresse, tu peux jeter un coup d'oeil à mon site en cliquant sur ma signature, tu retrouveras Ardoise dans la rubrique "romans félins".
De toute façon, Ardoise continue ses méméoires sur le forum.

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Scouby a écrit:
Merci Nathalie, c'est très gentil !
J'aime beaucoup les histoires qu'écrivent tes poilus aussi, on ne s'en lasse jamais !
Si cela t'intéresse, tu peux jeter un coup d'oeil à mon site en cliquant sur ma signature, tu retrouveras Ardoise dans la rubrique "romans félins".
De toute façon, Ardoise continue ses méméoires sur le forum.


Scouby, tu ne peux pas comparer mes histoires et les tiennes. Je ne dis pas cela avec de la fausse modestie, mais franchement tu as un don pour écrire. Tu as du talent et contrairement à moi, tu ne fais pas de fautes d'orthographe. Tu écris comme une romancière, il y'a du suspens. Moi, c'est juste un récit par amour, un peu maladroit, mais rigolo. Mais toi, c'est de l'art. J'ai un frère qui écrit comme toi. Il a 14 ans de plus que moi, et quand j'étais petite, il me lisait des histoires qu'il écrivait. Il avait un vrai don, comme toi. Bon, il est devenu ingénieur, pourtant, il avait un don pour raconter des histoires. Je vais éditer tes récits d'ardoise et je les lirais à tête reposée chez moi. Hier, je n'ai lu que les pages ici, sur le fofo.
Tu n'envisage pas d'écrire un livre sur les peripéties d'ardoise pour les enfants ? Cela serait super ?

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Il y a des enfants qui ont lu les livres d'Ardoise et ça leur a bien plu. Quant à un livre illustré, je crains que ce ne soit pas réalisable, c'est très difficile de trouver un illustrateur.
[IMG]http://smileys.

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