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Mam'zelle Ardoise

Mam'zelle Ardoise, chef de meute !

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Chapitre 57. ET REBELOTE !


Eh bien, moi qui m’étais habituée à une petite vie pépère, dans laquelle il ne se passait presque jamais rien, j’ai bien déchanté !
Vous n’allez pas croire ce qu’il m’est arrivé : j’ai été kidnappée une fois de plus ! Ça vous en bouche un coin, hein ? Comme on dit, c’est toujours pour ma pomme !
Que je vous raconte comment cela s’est passé.

D’abord, ça n’a pas tellement bien commencé, parce que j’ai dû passer quelques jours dans la moitié de mon appartement seulement, avec la Grisouille dans l’autre moitié. Comme d’habitude, elle m’a murmuré des méchancetés sous la porte séparant nos domaines respectifs. Une vraie teigne, cette chatte !
Moi, ça me rend nerveuse, quand on m’asticote comme ça. J’attendais son départ avec l’impatience que vous devinez. J’ai bien cru ce moment arrivé quand j’ai entendu s’ouvrir la porte du couloir et que Mamy-chèle est entrée dans ma petite chambre de Bidou solitaire.
— Ah, pouic ! Tu es de retour, pas trop tôt ! Tu vas me donner des petits dés de jambon ? Et tu vas dire à l’autre là-bas de cesser de ronchonner, hein, parce qu’elle me les casse !
Comme la porte de séparation était restée ouverte, ce qui était tout à fait inhabituel, je suis allée jeter un coup d’œil méfiant dans le salon. La Grisouille était dans son panier, l’air tranquille comme Baptiste. Quel chat-meau, celle-là ! Le kide-nappeur était dans son fauteuil. Il ne regardait pas dans ma direction, mais je me méfiais quand même, alors j’ai gardé mes distances.
Mamy-chèle semblait un peu nerveuse. Elle s’est affairée dans la cuisine et, au bout de quelques instants, s’est dirigée vers moi avec une petite assiette dans la main et un grand sourire sur les lèvres.
— Tiens, ma Bidou chérie, a-t-elle ronronné. Du bon steak haché !
J’ai mis le nez dans l’assiette, mais, vous savez, moi j’aime bien manger en prenant mes aises : une petite bouchée par-ci, une petite bouchée par-là, puis je regarde en l’air pendant quelques minutes, puis je recommence : une petite bouchée par-ci…
Au moins trois ou quatre fois, Mamy-chèle est venue vérifier si je mangeais bien. Cela me semblait de plus en plus étrange, elle ne se comporte pas ainsi, d’habitude !
— Ce n’est pas bon, ma Bidou ? s’est-elle inquiétée en voyant que je ne mangeais pas tout d’un coup, comme certaine vorace que je connais. Suivez mon regard...
Je ne voulais pas lui faire de la peine, à Mamy-chèle, mais son steak haché laissait un peu à désirer. Apparemment, elle ne l’avait pas pris chez le meilleur boucher. Il avait comme un petit arrière-goût un peu amer… Un petit goût de médicament, quoi. De nos jours, on ne sait vraiment plus ce que les producteurs mettent dans la viande, surtout quand il s’agit de viande hachée !
Comme, malgré tout, ce n’était pas mauvais, j’ai terminé mon steak.
— Formidable ! m’a complimentée Mamy-chèle.
Puis elle s’est assise négligemment dans un fauteuil et m’a regardée pendant que je me baladais à droite et à gauche. L’affreux kide-nappeur aussi me regardait fixement. J’ai fini par me demander ce que j’avais de spécial.
— Tu n’es pas un peu fatiguée, ma Bidou ? s’informe Mamy-chèle sur un ton détaché.
Fatiguée, moi ? Non, pourquoi ?
— Vraiment, tu n’as pas envie de dormir ?
Qu’est-ce qu’il lui prend ? Elle chuchote, à l’intention du kide-nappeur : « Je vais aller fermer la porte de sa chambre pour qu’elle n’aille pas se glisser sous le lit pour s’endormir ! »
Elle va fermer la porte de ma chambre. Décidément, elle se conduit de façon bizarre aujourd’hui ! Le kide-nappeur a l’air de s’énerver. Je devrais me méfier, peut-être que ça le prend par crises… Il me jette un drôle de regard.
L’air de rien, je continue à me promener à gauche, à droite, je fais le tour du salon…
— Tu n’as pas l’impression qu’elle devient un peu somnolente ? chuchote Mamy-chèle.
— On dirait que ses yeux commencent à se fermer, répond-il sur le même ton.
Mais avec moi, on ne peut jamais être sûr de rien : ma démarche est naturellement lente et solennelle et il m’arrive fréquemment de fermer les yeux à moitié quand j’estime que la lumière du jour est trop intense…
— Il va falloir de nouveau aller chercher la grande boîte ! soupire-t-il.
— Pauvre Bidou ! fait Mamy-chèle.
D’un geste engageant, elle pose devant moi un des paniers Félix de la Grisouille et m’encourage à y entrer spontanément. Elle est folle ou quoi ? Jamais je ne poserai une patte là-dedans !

Le kide-nappeur, qui était descendu à la cave, revient… avec une grande boîte en carton qu’avec horreur, il me semble reconnaître…
Quand je vous disais que ça le prend par crises !

D’abord, j’ai fait semblant de rien, parce qu’il paraît qu’il ne faut pas contrarier les déséquilibrés. J’ai continué à me promener tranquillement, en me coulant contre les murs pour ne pas trop attirer son attention.
Le problème, c’est qu’il me cherche ! Il brandit la boîte. Je me mets à courir.
Il me bloque dans un coin ! Dans une seconde, la caisse va se refermer sur moi ! D’un bond désespéré, je saute par-dessus la boîte (quel bond, mes aïeux !) et m’enfuis à l’autre bout de la pièce. Je suis encore véloce, pour mes dix ans !
Aïe ! Il commence à s’énerver sérieusement. Moi aussi. Hélas, me voilà à nouveau acculée ! D’une poussée, il me fait basculer dans la boîte et referme le couvercle sur moi !
Que vais-je devenir ? Une toute petite ouverture dans le plafond de ma prison me permet de respirer et d’observer un peu de ce qu’il se passe à l’extérieur. Après ma capture, les choses vont très vite : Mamy-chèle prend la boîte dans ses bras, le kide-nappeur se saisit du panier où s’égosille la Grisouille et, pour la seconde fois de ma vie, je quitte mon appartement pour n’y plus revenir.
Nous sommes en voiture et roulons longtemps, longtemps… Couchée dans ma boîte, je ne dis rien. Parfois, je vois la tête de Mamy-chèle qui se penche sur la petite ouverture, essayant de scruter du regard l’obscurité de ma prison.
— Tu vois quelque chose ? demande le kide-nappeur.
— Rien du tout. Un chat noir dans une caisse noire… Heu ! J’espère qu’elle n’est pas tombée dans les pommes, la pauvre !
Pas de danger ! Je suis éveillée mais me tiens bien calme. Je dois avouer que je ne suis pas aussi effrayée que la première fois… L’habitude d’être prise en otage, sans doute.
J’entends la Grisouille qui pousse des trémolos. Quelle bavarde, celle-là !

La voiture s’arrête. Ma caisse est soulevée et je me sens transportée vers un lieu inconnu. Au bout de quelques minutes, Mamy-chèle déchire le papier adhésif qui maintenait fermée la porte de ma prison. Je suis libre de sortir et ne m’en prive pas.
Avec circonspection, j’examine la pièce où je me trouve. Au premier coup d’œil, je m’aperçois qu’on a disposé pour moi, sur le sol, un joli set de table (représentant un chat) sur lequel m’attend une gamelle bien remplie et un bol de lait. Au moins, on n’envisage pas de me laisser mourir de faim, c’est toujours ça.
Mon bac de sable est là aussi, dans un coin. Les choses ne se présentent pas si mal, après tout…
J’explore mon nouveau domaine. Oh, je dispose d’un fauteuil garni de coussins. D’autres coussins ont été posés sur l’appui de fenêtre qui donne sur la rue, pour me permettre de regarder au-dehors.
Mon habitation se compose de deux chambres. C’est plus petit qu’à l’appartement, mais ça va, c’est coquet ! La deuxième chambre a une fenêtre ouverte protégée par une moustiquaire. Stupéfaite, je hume tout à coup les senteurs d’un jardin.
Devant cette fenêtre, une chaise n’attend que moi. Je m’y perche et me perds dans la contemplation de la verdure. L’air est tiède et parfumé.
— Et voilà, Bidou, tu es revenue dans ton village natal ! dit Mamy-chèle.

Les jours passent et, petit à petit, je prends mes habitudes. Le matin, je me pose sur la chaise d’où je peux admirer le jardin et j’attends que Mamy-chèle se réveille pour me préparer mon premier repas. Je furète un peu, j’explore avec prudence mon nouvel habitat. Une fois, j’ai voulu sauter sur un panier en osier, mais le couvercle de celui-ci a cédé sous mon poids, je me suis retrouvée sur un tas de linge à repasser. Je suis sortie de là un peu ébouriffée, on le serait à moins. Une autre fois, j’ai renversé une boîte en carton que j’étais en train d’escalader et me suis trouvée ensevelie sous un amas de couvertures… Heureusement, on est venu me délivrer avant que je n’étouffe.
À côté de mon petit appartement, il y a un grenier qu’on me permet d’explorer de temps en temps. Ces derniers jours, pourtant, je n’ai plus osé m’y aventurer, parce qu’une tigresse du cirque Bouglione est tapie dans le foin et n’attend qu’une imprudence de ma part pour me dévorer toute crue, avec les moustaches, les griffes et tout ! Je l’ai vue, elle a des yeux comme des flammes et d’énormes crocs pointus. Alors, vous pensez bien, je reste sagement chez moi jusqu’à ce qu’on capture la tigresse. Prudence avant tout, hein ?
« Mais voyons, Bidou, ce n’est pas une tigresse que tu as vue, c’était seulement Ardoise qui faisait son cinéma ! » se moque Mamy-chèle.
Elle se trompe. C’était un véritable fauve, déguisé en Grisouille ! Ça existe, ces choses-là, vous savez : vous croyez voir une chose et c’en est une autre ! Terrible, non ?

Tic-tic-tic-tap-tap-tap !
C’est le chant mélodieux du petit ordinateur sur lequel Mamy-chèle tapote à toute allure. J’adore cette machine, je m’y colle avec volupté en ronronnant très fort, je resterais bien là toute la journée…
« Bidou, dans une autre vie, tu as dû être chat d’écrivain ! »
J’en suis intimement persuadée.. D’ailleurs, un écrivain sans chat n’est pas un vrai écrivain, à mon avis. C’est le chat qui inspire, donc, à la limite, on pourrait dire que c’est le chat qui écrit, pas vrai ? Surtout un chat qui, comme moi, ne se limite pas à faire de la figuration !
En effet, il m’arrive d’effleurer délicatement de mes pattes les touches du clavier, j’écris par exemple : aaaaaaaaaa.
« Bidou, va-t-en de là, tu me caches l’écran ! » dit Mamy-chèle. Et elle efface ce que j’ai tracé.

Je m’habitue même à la présence de mon kide-nappeur, vous imaginez ? Le matin, quand il se réveille, je le regarde, de la chaise où j’ai passé la nuit, devant la fenêtre. Je le salue dans mon langage : « Gnouk ! Pouic ! »
Il me répond : « Bonjour, Patapouf ! »
Je ne sais pas pourquoi il m’appelle comme ça, je ne suis pas obèse quand même ! Tout juste épanouie.

Donc, vous voyez que dans l’ensemble, mon dernier kidnapping s’est bien passé.
— Beaucoup mieux qu’on n’osait l’espérer ! dit Mamy-chèle qui se montre très contente de moi.

Signé Scoubidou


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Je m'aperçois qu'au fil des récits, Ardoise n'a plus pensé à remplacer "Michèle" par "Scouby".
Ca ne fait rien, on continue comme ça, alors.

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Chapitre 58. LES STAPHYLOCOQUES DORES

Nous sommes en juillet et le temps est indécis. Avec mon esclave fidèle au bout de la corde rose, je déambule gravement sur ma propriété, en examinant les travaux qui y restent à accomplir. Il faudra, tout à l’heure, que je donne en conséquence mes ordres au jardinier. Il a taillé la haie d’un côté, mais pas encore de l’autre. Il a laissé des herbes trop hautes à certains endroits, elles me chatouillent le nez quand je passe. Il a planté des dahlias multicolores, mais quand je m’aventure dans le parterre, histoire de respirer les parfums et de me croire "une fleur parmi les fleurs", il se permet de m’enguirlander ! Ah là là ! Le personnel, de nos jours, n’est plus ce qu’il était autrefois. Où sont les bons vieux serviteurs d’antan, compétents, dévoués, sous-payés et surexploités ?
Histoire d’éprouver un peu la patience de mon esclave, je me dirige vers l’étang sur le bord duquel je m’assieds gracieusement, le regard fixé sur l’eau calme et les poissons qui y ondulent des nageoires. Je fais mine de me plonger dans une profonde rêverie… On me confondrait avec la petite sirène de Copenhague, d’autant plus que je suis grise, comme elle.
Naturellement, mon esclave commence à maugréer.
« Alors, Ardoise, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? Tu comptes rester là combien de temps ? Tu as de la chance que l’herbe soit sèche aujourd’hui, pas comme la dernière fois ! »
La dernière fois, effectivement, il avait plu… Ce qui ne m’a pas empêchée de faire ma petite promenade. En chemin, j’ai rencontré une caravane de limaces qui ne se sont même pas rendu compte de mon existence. Apparemment, je n’évolue pas dans le même univers qu’elles. Après en avoir flairé une, par curiosité, je me suis écartée en fronçant le nez d’un air dégoûté. Quelle drôle de bête, vraiment !
Ça m’est égal d’avoir les poils un peu mouillés. La seule chose qui me déplaise, c’est tremper mes jolies pattes dans une flaque d’eau, c’est pourquoi je la contourne à pas menus, avec des petites mines délicates.

« Je suis en train de méditer, dis-je suavement, en réponse à la question posée un peu plus haut. Mais tu peux m’enlever ce collier et cette corde et vaquer à tes occupations, si tu veux. Je peux très bien me débrouiller toute seule ! »
Non, elle ne veut pas. Qu’elle en supporte donc les conséquences ! Comme vous le savez, j’ai horreur d’être attachée, même si la couleur de mon collier sied à mon teint.
Hélas, je suis petite et mon esclave, quand elle perd complètement patience, se penche pour me soulever et me ramener manu militari vers mon home sweet home. Je vois déjà ce moment arriver…
— Rrrrrrrou ! fait une voix bien connue.
Sauvée par le gong ! Le Beau-Lulu se faufile sous la haie pour venir à notre rencontre. Pendant qu’il se frotte aux chevilles de Michèle avec des roucoulements dignes d’un gros pigeon, je bénéficie encore de cinq minutes de tranquillité. Évidemment, toute médaille a son revers et je n’apprécie que modérément de voir ma mère d’adoption câliner un autre chat que moi. C’est son gros défaut, à Michèle, je suis bien obligée de le constater : elle se disperse… Elle distribue son affection à tous les félins d’alentour au lieu de la concentrer sur le seul qui en soit vraiment digne : moi.
Pour marquer ma désapprobation, je me contente de jeter à l’intrus un regard méprisant et, au bout de quelques instants, je reprends spontanément le chemin de la maison. Le jardin a perdu de son charme, avec ce matou noir qui se vautre sur la pelouse, pattes en l’air. Quelle éducation, vraiment ! Les bonnes manières, elles non plus, ne sont plus ce qu’elles étaient…

À présent, le Beau-Lulu est guéri de sa conjonctivite et sa plaie à la tête n’est plus qu’un mauvais souvenir. Tandis qu’il trottine à mes côtés, je le dévisage… Bouak !
— Qu’est-ce que vous avez dans la figure ?
— Elle a quoi, ma figure, chère Ardoise ?
Ce qu’elle a ? Elle est parsemée de petits points dorés qui brillent au soleil. Il y en a partout : dans ses oreilles, sur son front, autour de ses yeux…
— Je vois ce que c’est, dis-je doctement. Ce sont des petites bêtes qui vont vous dévorer tout cru !
— Vous… Vous croyez ?
L’animal trop crédule est dans tous ses états. Il commence à se gratter, à se lécher…
— Ça ne sert à rien, l’avertis-je, impitoyable. Ces petites bestioles, c’est des staphylocoques dorés. Y a pas plus carnivore ! Ce qu’elles adorent le plus, c’est du matou. Surtout du matou bien noir ! Z’avez aucune chance de leur échapper !
Malheureusement pour moi (car je m’amusais bien), Michèle met fin au désarroi de mon armoire à glace de soupirant.
— Eh bien, Beau-Lulu, tu t’es roulé dans la prairie ? Tu es couvert de petites graines de fleurs !
— C’est vrai, j’y ai pris mon bain de soleil ! reconnaît avec soulagement le Beau-Lulu qui a, en effet, coutume de se vautrer dans les endroits les plus invraisemblables.
Il me lance un regard torve. Je parie qu’il m’en veut de lui avoir fait peur, il n’a aucun sens de l’humour, ce balourd !
Au bout de quelques minutes, les petites graines, ayant reconnu dans le pelage de l’animal un terrain peu propice à leur épanouissement floral, se sont envolées à la recherche d’un endroit plus hospitalier.
— Tout compte fait, cela ne vous allait pas si mal, remarqué-je. Des petits points dorés sur votre fourrure noire, c’était sexy. On se serait cru au carnaval de Rio ou dans un spectacle de drag-queen...
Ne sachant plus sur quelle patte danser, il me regarde piteusement.
— Vous voulez que j’aille encore me rouler dans la prairie, chère Ardoise ? propose-t-il d’un ton bonasse.
— Mais non ! dis-je, magnanime. Ballot comme vous l’êtes, vous pourriez tomber sur un nid de fourmis rouges ! Restez comme ça !
Tranquillisé, mon ex-fiancé a retrouvé le sourire… et l’appétit.

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Merci, Nathalie ! En voici encore une petite couche.

Chapitre 59. COMMENT M’EN DÉBARRASSER ?

Et quand je parle d’appétit…
Comme vous le savez, je suis toujours affligée de certain locataire blanc et noir qui ne prétend pas habiter ailleurs que dans mon fenil et sur le plafond de la salle de bains. Il appelle ça, son "duplex".

L’autre jour, Michèle revenait de faire ses courses. Comme ses sacs à provision étaient lourds, elle en a laissé une partie sur la table du fenil pour aller porter le reste dans la cuisine. Quand elle est revenue, les jeux étaient faits : un paquet de steak haché (destiné à ma petite personne) avait été ouvert de façon subreptice et savante. La moitié de la viande avait disparu. De toute évidence, "Mister Cata" n’avait pu résister à la tentation…
« Négatif ! Montre-toi, pie voleuse ! » crie Michèle en levant les yeux vers les poutres du fenil.
Silence complet. Le Négatif se fait invisible.
De toute la journée, on ne l’a plus vu. À la tombée du soir, Daniel s’inquiète du sort de son chouchou.
— Tu es sûre qu’il est à l’intérieur de la maison ?
— Mais oui, il se cache parce qu’il sait bien qu’il a fait une bêtise.
Pas rassuré pour autant, le naïf bipède s’empare de son échelle et va jeter un coup d’œil au-dessus du plafond de la salle de bains.
Sa bestiole bien-aimée est là, allongée, repue, lourde de son dernier repas. Tout juste lève-t-elle languissamment la tête vers son visiteur.
— Eh bien, Négatif !
— Chut ! souffle le délinquant. Faut pas dire à M’dame Mimiche que je suis ici, hein ? Je m’fais oublier ! Motus !

Le lendemain matin, après une bonne nuit de repos et de digestion, l’animal juge qu’il n’a plus rien à craindre. Sans rancune, Michèle est occupée à garnir une assiette de Gourmet à son intention dans le fenil lorsque, levant les yeux, elle aperçoit une petite tête blanche, chapeautée de noir.
« Eh bien, te voilà, chapardeur ! »
Gracieusement, le Négatif se glisse jusqu’au sol, bat des cils et déclare : « Admettez, M’dame Mimiche, que c’est un peu votre faute ! Laisser traîner de la bonne marchandise comme ça… J’ai pas pu résister ! Et puis, pourquoi c’est toujours rien que pour la Mam’zelle Ardoise, la viande fraîche ? Au moins, maintenant, j’en ai profité aussi ! »
En quoi il n’a pas tort.

Le Négatif, c’est aussi un peu les carabiniers d’Offenbach.
— Mam’zelle Ardoise, j’ai mené ma petite enquête comme vous me l’aviez demandé et… c’est vrai qu’il y a un chat dans le bureau et la chambre du premier étage.
Comme si je ne le savais pas !
— Et vous ne devinerez jamais : ce chat, c’est le Supergloups ! J’vous jure !
— Mais non, mais non, citrouille ! Ce chat, c’est ma bête noire !
— C’est vrai qu’il est tout noir, le Supergloups !
— Mais c’est pas le Supergloups… Heu ! le Beau-Lulu ! C’est la Bidou ! L’affreuse vilaine noiraude !
Le Négatif ouvre des yeux comme des soucoupes. Comme il a la mémoire vive, il se souvient instantanément de mes doléances au sujet de la ténébreuse et m’asphyxie sous des flots de compassion sirupeuse.
— Hou là là ! Quelle horreur ! Pauv’Mam’zelle Ardoise ! Ça alors ! Comme je vous plains ! Mais c’est affreux, ça ! etc.
Ai-je la berlue, ou vraiment sourit-il dans ses moustaches ? Ses yeux pétillent…
On ne peut pas vraiment faire confiance au Négatif, c’est moi qui vous le dis !

J’en ai eu la preuve tout récemment.
Comme vous le savez, entre le Beau-Lulu et son frère, ce n’est pas l’amour fou. Loin de là, même. Quand, par hasard, ils se rencontrent, les cris éclatent et les poils volent… surtout certains poils blancs et noirs.
L’éternel tabassé en a conçu une légitime rancœur.
« C’est quand même pas juste ! se plaint-il amèrement. C’était moi le premier arrivé, dans ce jardin ! Moi et Roublard ! Et maintenant, pour ne faire qu’un simple petit tour sur l’herbe, c’est la croix et la bannière ! Le bagarreur est toujours là ! »
Il s’est vengé, d’une certaine manière. Vous verrez que le Négatif n’est pas un ange, malgré ses grands yeux en amande et son air innocent.
Au cours d’une promenade prudente dans le jardin, il s’était aperçu avec soulagement de l’absence du Beau-Lulu, occupé ailleurs. Rencontrant par hasard le petit disciple de son tortionnaire habituel, le Négatif a donné libre cours à sa rancune et n’a pu s’empêcher d’asséner quelques gifles bien senties au malheureux chaton gris.
Moi, vous me connaissez, vertueuse et moralisatrice comme je le suis, j’ai manifesté ma haute désapprobation. J’adore tancer, d’un petit air supérieur, mes congénères qui se sont rendus coupables d’un écart de conduite.
— Tssssst, tsssssst ! Quelle mesquinerie, vraiment ! Il ne vous avait rien fait, ce chaton ! Vous me décevez ! Vous décevez tout le monde, d’ailleurs ! Grosse brute que vous êtes !
— C’était plus fort que moi, Mam’zelle Ardoise ! rétorque mon locataire sans remords apparent.
— Vous n’avez pas pensé que Chaton pourrait aller se plaindre à son Papa Lulu ? S’il l’a fait, je ne donne pas cher de votre peau !
Avec satisfaction, j’ai constaté que le Négatif prenait subitement un air inquiet. Depuis lors, je le vois raser les murs avec circonspection. Il se cache pour ne pas se trouver confronté au Beau-Lulu qui, apparemment, ignore tout de l’affront qui lui a été fait en la personne de son bébé chéri.
J’ai pensé le mettre au courant, éventuellement par l’envoi d’une lettre anonyme. Je me glisserais hors de la maison, dans mon manteau couleur de muraille et j’irais jeter ma lettre à la boîte, à côté de l’église du village.

Mais cela poserait, évidemment, certaines difficultés.

Primo : comment quitter la maison sans que Michèle le sache et me ramène illico presto ? Et si j’arrive à disparaître subrepticement, je n’aurai pas encore tourné le coin de la rue qu’elle serait déjà occupée à ameuter le village et le corps des pompiers, je vois ça d’ici !

Secundo : en admettant que j’affirme à ma mère d’adoption que j’ai envie d’aller prendre l’air du côté de l’église, histoire de m’imbiber de charité chrétienne et me repentir de mes péchés, elle insisterait pour m’accompagner. Elle me verrait mettre ma lettre dans la boîte et ce serait pire qu’aux temps de l’inquisition espagnole, parce que Michèle est d’une curiosité ! Pas moyen d’avoir une vie privée avec elle, elle veut tout savoir !

Tertio : toujours en admettant que, par extraordinaire, Michèle ne me voie pas mettre mon courrier à la poste, les difficultés n’en seraient pas aplanies pour autant. Comment, en effet, éviter de devoir traverser le village, parée de mon joli collier de velours bleu turquoise et de ma corde rose bonbon ? Pour l’incognito, ce serait raté. Trouvez le moyen de poster une dénonciation anonyme, dans ces conditions ! Et si je poste ma lettre au vu et au su de tout le monde, le Négatif serait vite au courant… C’est alors que j’aurais la vie difficile, dans mon foyer.

Non, finalement, il va bien falloir que je renonce à mon projet. Il est trop aléatoire. Je ne vais pas risquer mon pedigree pour le seul plaisir de voir le Beau-Lulu donner une raclée supplémentaire à mon indésiré locataire ! D’autres occasions se présenteront.
Mais quand même, pourquoi est-ce que le Négatif s’obstine à habiter chez moi ? Sans nul doute par sadisme, pour m’empoisonner la vie…

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