Kaline0795

Laura s'éveilla plus tôt que d'habitude. Sa première pensée fut pour Sugarfoot. Elle repoussa les couvertures, sauta de son lit, descendit l'escalier en courant et se dirigea vers l'écurie. Sur son passage, les chevaux dressèrent les oreilles et hennirent pour la saluer.
Sugarfoot gisait toujours dans la paille, les jambes légèrement repliées sous lui. Il lui parut encore plus menu que la veille. Son coeur se serra en voyant que le seau de nourriture était intact.
Laura s'agenouilla devant lui. Il tourna la tête, puis la baissa à nouveau. Tendrement, elle rejeta en arrière la crinière qui lui tombait sur les yeux. Sugarfoot poussa un soupir et posa son museau sur ses genoux. Elle se mit alors à le masser en commençant par les oreilles. Entièrement absorbée par son travail, elle n'entendit pas arriver Lou.
Laura fut étonnée de la voir. Lou ne venait jamais à l'écurie.
- Je ne pouvais pas dormir, expliqua Lou. Je t'ai vue sortir de la maison. Comment va Sugarfoot ?
- Aucun changement. Il n'a rien mangé.
Lou fronça les sourcils.
- Il devrait pourtant être affamé.
- Quand les chevaux sont choqués, ils refusent toute nourriture. Sugarfoot est traumatisé. Il était habitué à Mme Bell, elle lui parlait et le traitait comme un ami. Maintenant, il se sent perdu.
- Tu en sais long sur les chevaux, n'est ce pas ?
- Maman m'a tout appris.
Et, à son tour, Laura se sentit perdue.
- Il va s'en remettre ! déclara Lou.
Laura n'en était pas si sûre. Ses yeux se mouillèrent.
- Bon sang ! explosa Lou. Pourquoi les chevaux nous déchirent-ils toujours le coeur ?
- Pas toujours. Ils apportent aussi beaucoup à ceux qu'ils aiment.
- Et, parfois, ils nous prennent tout ! lâcha Lou en tournant les talons.
Lou ne comprendrait donc jamais !
A six heures, Laura abandonna le vieux poney pour remplir les mangeoires des chevaux et cajoler Sundance. Lorsqu'elle revint à la maison pour le petit déjeuner, son grand-père finissait son bol de café, et Lou était au téléphone. Pressée de discuter de l'état de Sugarfoot, elle fit un maximum de bruit en ôtant ses baskets et en les laissant choir sur le sol.
- Hé, moins fort ! Tu ne vois pas que je suis en ligne ? déclara Lou en plaquant sa main sur le combiné.
- Avec Carl, précisa Jack.
- Oui, tu me manques aussi, disait Lou. Je sais, c'est difficile... Bientôt, c'est promis... Je t'embrasse.
Elle reposa l'appareil. Son regard se fixa sur les baskets de Laura, abandonnées devant la porte.
- Tu pourrais éviter de laisser traîner tes affaires ? Tu attends quoi ? Qu'on les range pour toi ?
- Je repars dans une minute, rétorqua Laura.
- Comment va Carl ? intervint Jack, histoire de faire diversion.
- Bien, merci. Il voulait savoir quand je revenais, dit Lou en souriant.
- Revenir où ? balbutia Laura, troublée, en renversant son jus de fruits.
Lou fronça les sourcils.
- Tu ne pensais tout de même pas que j'allais rester ici ? Ma vie est à Manhattan. J'ai tout là-bas. Mon métier, Carl, et mon appartement.
Laura ne trouva rien à répondre. Effectivement, elle avait espérer que Lou resterait à Heartland.
- Ecoute, reprit Lou d'un ton compréhensif. Ne t'inquiète pas, je ne vais pas vous laisser tomber. Je finirai de régler les comptes de Heartland en y travaillant le soir. Et puis...
Elle se tourna vers son grand-père, comme pour s'assurer de son appui, et ajouta:
- J'ai déjà fait des projets pour que vous soyez à l'abri de tout.
- Des projets ?
Laura redoutait de les entendre. Elle sentit son sang se glacer.
- C'est indispensable, continua Lou d'un ton ferme, les choses doivent changer ici...
Elle se leva, jeta un coup d'oeil au-dehors et se tourna vers sa soeur.
- Je crois bien que tu as une visite. C'est ton ami Matt.
Laura oublia momentanément les "projets" et se leva pour ouvrir la porte.
- Salut, belle étrangère ! lança Matt en s'avançant.
- Qu'est ce que tu fais ici ? demanda t-elle, agréablement surprise.
Ils ne s'étaient pas revus depuis le soir lugubre de son anniversaire.
- Je voulais te voir et prendre de tes nouvelles ? Comment ça va ?
- Ca peut aller. Tu es au courant pour Sugarfoot ?
- Oui, Scott m'en a parlé. Je peux le voir ?
- Bien sûr. Il est dans l'écurie.
Matt la suivit.
- Bon sang ! Il n'a pas la forme ! souffla-t-il en découvrant le petit shetland, si maigre.
- Il refuse de manger. Je vais tâcher de trouver une recette miracle dans les livres de maman. Tu viens avec moi ?
Ils entrèrent dans le cagibi. Laura prit un livre parmi ceux qui se trouvaient sur l'étagère.
- Je devrais peut-être lui donner de l'armoise ? Ca ouvre l'appétit.
- Essaie. Pendant ce temps, je vais jeter un coup d'oeil sur les autres bouquins.
- Ca ne t'ennuie pas ?
- Non. J'adore ce genre d'ouvrage... Et j'adore aussi soigner les chevaux.
Laura eut l'air surpris. Quand elle revint avec des feuilles d'armoise, Matt était toujours plongé dans sa lecture et prenait quelques notes.
- Le mieux serait d'en faire une infusion, déclara-t-il.
Quinze minutes plus tard, lorsque la boisson fut suffisamment refroidie, ils retournèrent auprès du poney. Laura s'agenouilla et plaça le bol près de sa bouche. Sugarfoot le bouda, totalement indifférent.
- Si seulement il arrivait à boire un peu ! gémit-elle.
- Et si tu prenais une seringue, suggéra Matt.
Laura hocha la tête.
- S'il la refuse, c'est qu'il tente de nous faire comprendre ce qui ne va pas.
- Tu connais un autre moyen ? demanda Matt.
- Il faut écouter les chevaux. Ils savent ce dont ils ont besoin... Il faut les comprendre, dit-elle, répétant les paroles de sa mère.
Matt la regarda, ahuri. Une chose était sûre, lui n'avait rien compris !
Laura n'insista pas. Il y avait sûrement quelque chose à faire. Sugarfoot le savait. Elle, pas encore. C'était frustrant, mais elle trouverait !
Juste avant le déjeuner, Scott arriva à Heartland. A la vue du seau de nourriture resté intact, il comprit que l'état de Sugarfoot ne s'était pas amélioré.
- Il ne veut ni manger ni boire, expliqua Laura. Je lui ai préparé une infusion et il l'a refusé.
Scott caressa l'encolure du poney.
- Il faut continuer. Il ne peut se rétablir que s'il commence à manger. Son système immunitaire s'est affaibli, il risque d'avoir des complications. Pneumonie, infection respiratoire...
Il se redressa, brossa la paille de ses vêtements et conclut :
- Laissons-le se reposer.
Ils regagnèrent la maison.
- Vous voulez boire quelque chose ? proposa Laura.
- Oui, merci, dit Scott.
- Et toi, Matt ?
- Un soda, je ne dis pas non.
Laura remplit trois verres d'eau fraiche et écarta les paperasses accumulées sur la table.
C e fut à cet instant que Lou fit irruption dans la pièce.
- Hé ! Attention ! Ce sont des papiers importants ! gémit Lou en enlevant le verre que Laura venait de poser sur l'un d'eux.
Mais la feuille était déjà mouillée.
- Laura !
Puis, avisant le blouson gisant sur le sol.
- Tu es obligée de laisser tes vêtements par terre ?
- Désolée, bougonna Laura.
Lou soupira.
- J'espère que tu seras un peu moins brouillons quand Carl sera là !
- Carl ! Il doit venir ?
- Nous en avons discuté ce matin. Il passera deux semaines avec nous.
- Génial, marmonna Laura.
Lou feignit de n'avoir rien entendu, et se tourna vers Scott, debout devant le réfrigérateur.
- Salut Scott, comment allez-vous ?
- Bien, répondit-il d'un ton glacial.
- Vous pourrez peut-être m'indiquer un restaurant convenable où je pourrais emmener Carl. A Manhattan, ça ne poserait pas de problème, mais ici ! ajouta-t-elle en riant. Vous en avez un à me suggérer ?
- Pas vraiment. Je n'ai guère le temps de déjeuner.
Laura le regarda, surprise. Scott s'était toujours montré chaleureux et amical. Que signifiaient ce ton distant depuis quelques jours, cette attitude coincée ?
- Tant pis ! conclut Lou, plutôt déconcertée. Je consulterai un guide touristique, ou bien je demanderais à grand-père !
Scott resta de marbre et se tourna vers Laura.
- Bon, je ferais bien de partir. Je repasserais te voir demain. Matt, tu viens avec moi ou tu restes ?
- Je te suis. J'ai promis à papa de l'aider, cet après-midi. Mais je reviendrai te voir bientôt, d'accord ? conclut-il en se tournant vers Laura.
- Entendu, répondit-elle en souriant.
Après un bref signe de la tête en direction de Lou, Scott s'éloigna, Matt, sur les talons.
Laura les regarda monter en voiture. Quelle mouche avait piqué Scott ? Il s'était montré à peine poli et franchement désagréable avec Lou. Pourquoi tant de froideur ? Jugeait-il qu'elle n'aimait pas assez les chevaux ?
Laura se prépara un sandwich et reprit le chemin de l'écurie. Le travail ne manquait pas. Récurer les stalles pour commencer. Faire faire de l'exercice aux chevaux. Galoper avec Sundance et franchir avec lui quelques obstacles. Il aimait tellement ça ! En passant devant Pegasus, elle lui tendit un morceau de son sandwich. Pour la première fois, elle se demanda comment grand-père et Ted avaient pu assumer tout ce travail sans elle.
C'était une chance qu'elle soit en vacances. Oui, mais qu'adviendrait-il à la rentrée scolaire ? Il faudrait engager un autre palefrenier.
Si seulement Lou décidait de rester...
Elle rejoignit Ted, occupé à changer la paille des stalles.
- Que dirais-tu de laisser plus souvent les chevaux dans les paddocks ? lui proposa-t-elle.
- Génial !
Il posa sa fourche.
- Lesquels tu proposes ?
- Black, Moochie...
Elle fut interrompue par la sonnerie du téléphone.
- J'y vais ! Grand-père et Lou sont partis à l'épicerie.
Elle courut jusqu'à la cuisine. Elle décrocha, essoufflée.
- Ici, Heartland.
- Mon nom est Nick Halliwell, répondit une voix masculine à l'autre bout du fil, je vous appelle au sujet de l'un de mes chevaux avec lequel j'ai des problèmes. J'ai pensé que...
Le visage de Laura s'éclaira. Dix minutes plus tard, elle regagnait l'écurie.
- C'était qui ? demanda Ted, qui empilait les bottes de foin.
- Mmm... C'était un type, à propos d'un cheval.
- Encore un cheval en détresse ?
Laura fixa le bout de ses doigts.
- Non. Un cheval qui se cabre à la seule vue d'un van.
- Oh... Tu lui as suggéré de le mettre à Ridgeway Farm ? Leurs tarifs sont abordables.
Comme elle ne répondait pas, il la regarda incrédule.
- Laura... Tu ne lui as tout de même pas...
Elle inclina la tête.
- Si. Je lui ai dit qu'il l'amène ici, répondit-elle un peu confuse, mais les yeux brillants.