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Mam'zelle Ardoise

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Tout ce qui a été posté par Mam'zelle Ardoise

  1. Chapitre 42 : FAITS D'HIVER Nous sommes en février, réputé, « de tous les mois, le plus court et le moins courtois ». Je passe vingt heures par jour dans ma coquille de bernard-l’ermite, me levant juste pour satisfaire mes petits besoins naturels et prendre mes repas… Je suis bien contente de ne pas devoir me rendre au fenil, car il y gèle ! Mon bac de sable (avec une serpillière étalée dessous, comme chacun sait) a été provisoirement placé dans la petite pièce qui donne sur le jardin. Il y a, bien sûr, une différence de plusieurs degrés par rapport à l’agréable température qui règne dans la cuisine, mais si je me dépêche, c’est encore acceptable. Ma gamelle, quant à elle, a été posée près du poêle pour que je ne prenne pas froid en me sustentant. Comme je mastique longuement, pensivement, je consacre pas mal de temps à cette occupation… mais qu’on ne s’y trompe pas : je ne suis pas une gloutonne, ça non ! Plutôt une gourmette… Naturellement, de mon refuge douillet, je conserve un droit de regard sur les pérégrinations de deux pique-assiette qui, sans scrupules et sans complexes, n’hésitent pas à venir se goinfrer et se chauffer chez moi. J’ai nommé, bien sûr, Négatif et Beau-Lulu. Le Négatif fait tout pour me rendre zinzin, je suis sûre qu’il y prend un malin plaisir ! Vous savez qu’il avait élu domicile au grenier, dans une confortable boîte de carton… Eh bien, ce petit nid ne suffit plus à Monsieur ! Scouby a posé, dans la salle de bains, un petit fauteuil d’appoint sur lequel l’animal passe à présent ses jours et ses nuits ! Le matin, il se réveille quand on branche le chauffage de sa « chambre ». Il reste tranquillement couché pendant que la pièce se réchauffe puis, quand mes parents sont occupés à leur toilette, il leur fait la conversation en ondulant à travers la pièce : Mééééééé ! Mééééééé ! (il parle avec un autre accent que son papa). Il souligne ses propos en se frottant contre leurs jambes et en leur donnant de grands coups de tête affectueux. Puis, probablement exténué par cet exercice, il retourne se coucher devant le radiateur électrique et entreprend un consciencieux léchage de fourrure. S’il en a la possibilité, il attire à lui le vieux peignoir si confortable que Scouby vient d’abandonner, le chiffonne en boule sur le sol et le pétrit de ses pattes, sur l’air universellement connu : Je- suis-con-tent, je-suis-con-tent… Lorsque l’on éteint le radiateur, Négatif descend au rez-de-chaussée prendre son petit déjeuner et visiter son bac de sable. Ensuite il remonte dans son fauteuil et se rendort du sommeil du juste. Dans l’après-midi, Scouby le met dehors pour qu’il puisse s'oxygéner et dire un petit bonjour à ses bonnes relations du village. C’est en freinant des quatre pattes que le Négatif se laisse mettre à la porte, avec force gémissements manifestement inspirés d’un texte de Brel : "Mais pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi déjà ? Et où aller ?" se lamente-t-il. — Allons, Négatif, pas de cinéma ! Il faut sortir une fois par jour et te montrer, sinon notre voisine Belot risque de s’inquiéter… C’est vrai, quoi ! On peut comprendre que Négatif n’aime pas sortir quand il pleut, ce qu’on ne lui impose pas, mais lorsque le soleil brille, même si c’est un timide soleil d’hiver, il faut en profiter ! — C’est bon pour toi le soleil, Négatou ! C’est plein de vitamine E, pour ta fourrure ! En soupirant, le Négatif va prendre le soleil… sur le capot de notre voiture, bien en vue de tout le village. Il faut avouer que sa robe blanche, soigneusement lustrée, attire l’œil et éblouit le passant. Lorsque l’obscurité commence à tomber, l’animal estime qu’il en fait assez pour s’approvisionner en vitamine E. Alors il bondit sur l’appui extérieur de la fenêtre du salon, se dresse debout sur ses pattes postérieures et, de sa patte de devant, tapote le carreau pour signaler qu’il veut rentrer. Daniel va lui ouvrir avec l’empressement d’un bon majordome et notre attitré chat des champs regagne sa chambre pour y passer une nuit douillette, après une journée si bien remplie. Il y a un jour ou deux, mes parents étaient partis faire des courses. Quand ils sont revenus, Négatif, dressé sur son appui de fenêtre comme la statue du commandeur, leur a fait comprendre, par ses miaulements péremptoires, qu’il n’était pas content du tout : à l’instar de Louis XIV, il avait failli attendre… Il lui est arrivé de pousser la ruse jusqu’à s’introduire, à force de salamalecs et de simagrées, jusqu’au salon où il a passé deux ou trois soirées, nonchalamment étendu sur le fauteuil de Scouby, devant le feu. Puis, il s’en est lassé. — C’est pas que j’aime pas rester avec vous le soir, hein, M’dame Scouby, s’est-il expliqué, mais je suis plus tranquille sur mon fauteuil à moi, dans ma chambre personnelle ! Quand je suis au salon, la tendre Ardoise n’arrête pas de venir me renifler et me surveiller ! Je sais bien que c’est son sport national favori, mais ça me déstabilise, surtout quand elle me fixe d’un regard accusateur et flamboyant, comme si j’étais l’ennemi public n° 1 ! Même quand elle a envie de dormir, elle se force à rester les yeux ouverts pour m’observer, alors je me sens perturbé, vous comprenez ? — Je comprends très bien, mon Négatou, a répondu ma mère d’adoption, pas fâchée au fond de récupérer son fauteuil. Au début, elle avait bien essayé de prendre le matou sur ses genoux mais le Négatif, sans hésiter, lui avait fait comprendre qu’il aimait mieux disposer du siège à lui tout seul. Pas contrariante quand il s’agit de ses chats (trop gâtés vous en conviendrez), elle l’avait laissé faire et s’était installée à la place de Daniel, ce dernier émigrant vers le divan pour s’y étaler en regardant la télévision.
  2. Chapitre 40 : LOFT STORY Nous sommes de retour à la campagne et il neige. Je me réveille dans un décor de carte postale : le jardin est tout blanc. Je me poste sur l’appui de fenêtre de la salle à manger pour admirer le spectacle. Comme le Beau-Lulu est juché de l’autre côté de la vitre, je ne vois pas grand-chose : il me bouche le paysage. — Tirez-vous de là ! J’veux voir les jolies petites plumes blanches qui tombent du ciel ! commandé-je. — Mais je suis bien ici, rétorque-t-il. Si je saute par terre, mes pattes vont s’enfoncer dans la neige ! Je vais avoir froid aux coussinets ! — Alors, entrez dans la maison mais ne touchez pas à ma gamelle ! — Je suis déjà entré ce matin, pour prendre mon petit déjeuner et mon bol de lait. Vous savez bien que je n’aime pas trop rester à l’intérieur d’une maison, je souffre de claustrophobie ! explique-t-il d’un petit air important. Je lève les yeux au ciel. Où est-il allé pêcher ce mot-là ? — Alors, retournez dans votre garçonnière ! — Je préfère rester ici : je regarde à l’intérieur de votre salle à manger. Je vous vois trottiner, jouer avec votre balle de ping-pong, vous cacher sous la table, faire des petites mines… C’est amusant. Zut alors ! Je ne savais pas que je constituais un spectacle comique à moi toute seule… C’est comme si je participais à une émission de télé-réalité, Loft Story par exemple ! À petits bonds, je retourne à la cuisine et me réfugie dans mon panier. Ici, au moins, il n’y a pas de caméra cachée ! Je peux dormir sans qu’on épie mes rêves... L’installateur de cuisine a bien travaillé : il a sauvegardé ma petite place devant le feu, il a construit un superbe plan de travail surmonté d’un comptoir sur lequel je peux jouer en batifolant entre les bibelots, sous le regard un peu inquiet de Scouby. Si je voulais, je pourrais même bondir sur la plus haute armoire : je me retrouverais au niveau du plafond. Il y a là une corniche derrière laquelle je pourrais m’aplatir et ainsi me dissimuler à tous les yeux. Ils auraient beau chercher, mes parents n’auraient jamais l’idée de regarder là. C’est une cuisine spécialement conçue pour mon bonheur à moi, j’ai dû lui taper dans l’oeil, au « Monsieur Installateur » ! Chapitre 41 : C'EST DE NOUVEAU MOI ! Maintenant que l’Ardoise a bien blablaté durant plusieurs chapitres (souvent pour ne rien dire), je me rappelle à votre aimable attention. Vous savez qui je suis, hein ? La plus belle, la plus noire… Pas besoin de vous faire un dessin. Pour le moment, je vis bien tranquille dans mon appartement où, chaque jour, Olivier vient m’apporter à manger. Il est d’un dynamisme, ce garçon, c’est incroyable ! Je crois voir une fusée : zzzzzou ! Il arrive. Moi qui rêvassais sur mon fauteuil, j’ai à peine le temps de lever la tête que… Bzzzzioum ! Il a ramassé mes assiettes et mon bol vides pour les porter à la cuisine. Bang ! Il pose tout ça dans l’évier. Puis, j’entends qu’il ouvre une boîte de nourriture pour chat et, une demi-seconde plus tard, mon nouveau repas est déjà disposé sur mon set de table. Tiens ! Il n’a même pas pris la peine de regarder dans le frigo s’il y avait du jambon en petits dés pour moi. Faudra que j’attende le retour de Mamy-chèle pour en recevoir… Il regarde mon bac ; pas la peine de changer le sable aujourd’hui, il est encore bien propre : c’est normal, je vais dans celui de la Grisouille, dans la salle de bains, pour ne pas salir mes propres affaires. Il me donne le tournis, à s’activer comme ça. Je vais me réfugier sous le lit pour avoir la paix. Puis j’entends sa voix : "Eh bien, Scoubidou, on ne vient pas me dire au revoir ?" Je ne dis rien. Quand j’étais toute petite, ma maman m’a bien dit de ne pas adresser la parole à des inconnus, sinon je me ferais enlever. Et c’est juste ce qui m’est arrivé ! Vous me direz que pour moi, Olivier n’est pas un inconnu, je le connais depuis très longtemps… Mais quand même ! — Quelle timorée tu fais, Bidou ! remarque-t-il avant de s’en aller. Je sais que je suis très réservée, mais que voulez-vous ! C’est ma nature ! Je mets des mois, voire des années, avant de m’habituer à quelqu’un. Parfois, quand même, je me dis que ce n’est pas normal, que je devrais me faire soigner… Mais je n’oserais jamais me rendre chez un psy-chat, je suis trop timide. Quant à la Grisouille, je ne la supporterai jamais, je sens ça ! Franchement, c’est vrai quoi ! Quand elle me voit, elle fait une tête pas possible, à croire qu’elle vient d’avaler une grande cuillérée d’huile de foie de morue ! Moi, il suffit que j’aperçoive le panier Félix pour piger au quart de tour : sauve qui peut ! Je file dans ma chambre pour y attendre la suite des événements. Pendant ce temps, la Grisouille est sortie de son panier et inspecte les lieux. Elle renifle partout pour détecter les endroits où je suis passée. Comme je me suis baladée partout, — ce qui est normal puisque je suis ici chez moi — elle n’est pas contente et grimpe sur une chaise pour pouvoir me surveiller à son aise quand je me pointe dans la salle à manger. Ou alors, ce qui est encore plus vicieux, elle se cache et je dois la détecter au pifomètre. J’ai intérêt à ne pas me tromper : si je passe trop près d’elle sans la voir, elle fait Ksssss ! d’un air tellement mauvais que je saute en l’air. À mon âge, ce n’est pas bon les émotions fortes ! C’est vraiment un animal bizarre, ô combien ! Elle n’aime ni le jambon coupé en petits dés, ni la volaille, ni le Sheba, imaginez un peu ! Elle mange du poisson alors que moi je trouve ça dégueulasse. Au moins, on ne se chamaillera pas pour la même gamelle, pas de danger ! Sauf s’il y a de la viande rouge… Pendant que la Grisouille ronge son frein dans le salon, je participe à la vie de la famille. Je regarde ce que Mamy-chèle dépose dans le frigo (chic : du jambon pour moi !) et j’émets des commentaires avisés : Pouik ! Gnac ! Puis, je l’accompagne jusqu’à la salle de bains où elle met le linge sale dans la machine à laver. Le linge se met à tourner et je m’installe devant : c’est ma télé à moi, et elle fonctionne beaucoup mieux que la leur ! La leur, c’est une récalcitrante : elle change de chaîne toute seule quand le programme ne lui plaît pas, ou bien elle s’arrête de fonctionner juste au moment où le film devient passionnant. Alors Papy-Daniel doit se lever de son fauteuil et taper du poing sur la télé, en jurant un bon coup, pour qu’elle se remette en marche. Moi, c’est plus calme : je regarde le linge bleu, vert, rouge, qui tourne dans un sens puis dans l’autre… C’est reposant et au bout d’un moment, ça me donne envie de dormir. En plus, ma télé murmure sur un ton apaisant : Wow-wow-wow-wow-wow-wow… Wow-wow-wow-wow-wow-wow-wow… tout le temps. Ça me fait du bien, c’est ma psychothérapie à moi !
  3. Chapitre 39 : WEEK-END A L’APPARTEMENT Ce week-end, je suis allée à Bruxelles, contrainte et forcée bien entendu, puisque l’on sait à quel point je déteste rouler en voiture… Mais mes parents ne peuvent se passer de moi, c’est pourquoi ils m’imposent ce calvaire. Toutefois, il existe une justice immanente… Après une soirée au restaurant grec, voilà que Scouby est malade ! Mais malade ! Daniel, lui, se porte comme un charme. Poussée par le sens du devoir que chacun me reconnaît, j’ai quitté ma confortable petite place sur le radiateur du salon pour aller jeter un coup d’œil à l’esseulée gémissant au fond de son lit. — Mais qu’est-ce que tu as mangé pour être dans un état pareil ? me suis-je enquise d’un petit ton supérieur. « Est-ce que je suis malade, moi ? » — Ne me parle plus jamais de MANGER, Ardoise ! Burps ! Mon estomac fait du yo-yo ! Ne me parle surtout pas de champignons à la Grecque ! Ni de Irish Coffee ! — C’est vrai que tu es un peu verte, constaté-je. « C’est une couleur assez seyante, surtout avec tes cheveux. » — Tu restes avec moi, Ardoise ? Pour me soutenir dans l’épreuve ? Je réfléchis. Là, je dois avouer que c’est un peu trop me demander. Il ne fait pas très chaud, dans cette chambre ! — Heu, je te soutiendrai par la pensée… du haut de mon radiateur ! rétorqué-je en opérant une prudente retraite vers des lieux plus hospitaliers. — Lâcheuse ! maugrée-t-elle. Elle reste toute la journée au lit, à souffrir et à dormir. Moi, je me repose avec délectation. La Bidou, enfermée dans sa chambre personnelle, fait de même. Le lendemain, Scouby est à nouveau sur pied. — Ayez un petit animal tendre et affectueux pour vous tenir compagnie quand vous êtes malade ! marmonne-t-elle en me jetant un coup d’œil peu amène. Je m’étire en bâillant. — Tiens, tu es déjà là ? dis-je. « Ça tombe bien, j’ai justement un peu faim et Bidou se promène dans l’appartement. J’ai besoin d’une escorte armée pour me rendre à la cuisine. — Ça ne va pas la tête, Ardoise ? — Je te le jure, si je vais à la cuisine toute seule, je vais tomber dans un traquenard : elle va m’écharper ! Honnêtement, à la place de Scouby, je me serais vengée en refusant tout net d’assurer la tranquillité d’esprit de cette ingrate de chatte. Mais que voulez-vous ? Quand je prends mes airs de petit animal en peluche, elle fond. Elle m’emboîte donc le pas jusqu’à ma gamelle. Je me restaure religieusement. — Maintenant, mon escorte armée doit m’accompagner jusqu’à mon petit bac de sable ! commandé-je. Elle lève les yeux au ciel et monte la garde devant la porte de la salle de bains pendant que j’accomplis mes petits besoins. La Bidou, elle, est postée comme une concierge devant la porte de sa chambre. Elle semble imperturbable mais j’ai l’impression qu’elle ricane dans ses moustaches. Prudemment, je m’assure de la présence de mon garde du corps avant de passer devant elle pour regagner ma place bien chauffée, sur le radiateur du salon. Ouf ! Je pousse un profond soupir de soulagement. — Tu n’exagères pas un peu ? demande Scouby. Quand même, elle est un peu soucieuse. Qu’en est-il de mon intégrité psychique ? — Tu crois que la pauvre Ardoise a vraiment peur de Scoubidou ? s’inquiète-t-elle, un peu plus tard. — Bof, c’est du cinéma ! décrète paresseusement Daniel, affalé sur son fauteuil devant la télé. Je lui jette un regard torve. La prochaine fois que j’exigerai une protection rapprochée contre la Bidou, je prendrai soin de simuler la plus grande frayeur féline : oreilles aplaties, poils gonflés, queue hérissée… Peut-être que ça les impressionnera. Peut-être qu’ils donneront la Bidou à quelqu’un d’autre. On peut toujours rêver… Et savez-vous ce qu’ils font, en plus de tout le reste ? Ils lisent mon courrier ! Une carte est arrivée à l’appartement, libellée à mon nom : Ardoise C... Bon, c’est vrai, « Ardoise » était entre parenthèses, mais quand même, c’était une carte me concernant : elle représentait un chat gris, accompagné de ses parents humains, frappant frénétiquement à une porte sur laquelle un panneau annonçait « VACCINATION ». Au verso de la carte, j’ai déchiffré, avec horreur, les mots suivants : « Nous vous signalons que, pour conserver une sécurité optimale, votre chat doit passer son rappel de vaccin dans les quatre semaines à venir. » — Ah ! C’est un mot de ta vétérinaire, Ardoise ! s’écrie Scouby. Vous voyez bien qu’elle lit mon courrier ! Je manque de la plus élémentaire liberté, dans cette maison : je ne possède même pas une clé personnelle de la boîte aux lettres ! Parce que, si tel était le cas, je vous fiche mon billet que cette carte ne serait JAMAIS passée sous les yeux de mes parents ! Elle aurait été déchiquetée à coups de dents et de griffes, et enfouie ensuite dans mon bac de sable, vite fait bien fait ! Ou alors dans mon estomac, pour plus de sûreté. — Hi hi ! Moi je n’aurai pas de piqûre, nananaire ! exulte la Bidou qui ne rate pas une miette de ce qui se passe chez nous. C’est trop injuste, vraiment ! Personne ne reçoit de vaccin ici, sauf moi ! — Attends, Minette ! dit Scouby en me caressant pour me consoler. « Dès que j’aurai trouvé un stratagème pour attirer Scoubidou dans un panier, elle aura droit, elle aussi, à sa visite annuelle chez la vétérinaire ! » Je ne sais pas si la Bidou a compris, mais elle a filé prudemment jusqu’à sa chambre. Et moi, parce que je suis gentille, que je me laisse enfermer dans mon panier « Félix » sans (trop) protester, on va me piquer la cuisse et me faire subir un examen HORRIBLEMENT désagréable : les dents, les yeux, la gorge, les oreilles… Et, avec la veine que j’ai, je vais sûrement rencontrer un HORRIBLE chien dans la salle d’attente ! Il est vrai que, chaque fois qu’elle me voit, la vétérinaire dit : « Vous avez un très gentil chat ! » Mais je ne suis pas dispensée de la corvée pour bonne conduite, hélas !
  4. Merciiiiiii ! Merciiiiiii ! Ah, j'en suis toute émue ! Pour vous remercier, je vais vous ajouter un chapitre à mes mémoires !
  5. Ah, je vois que je ne suis pas la seule de ce forum à être brimée par des bipèdes obtus ! Nathy, Rex, je compatis ! D'accord pour le syndicat des Animaux de Compagnie Indignement Traités ! Moi, j'ai un jardin, mais figurez-vous que je ne peux pas y batifoler en liberté, j'ai un collier et une longue corde alors que les autres chats de la maison n'en ont pas ! Paraît que je suis une fugueuse et Scouby en a marre de venir me récupérer chez les voisins. Notez, moi aussi, j'ai ma tactique : j'attends l'arrivée du facteur et quand Scouby reçoit son courrier, ni vu ni connu, je file ! On fait des bonnes petites courses comme ça, nous deux, l'une suivant l'autre ! Seconde tactique ardoisienne : quand ma bipède ouvre la porte pour laisser sortir un quadrupède du style armoire à glace (Charlot par exemple), je me dissimule derrière lui,en catimini ! Je sors manger mon herbe, je vadrouille... J'adore entendre les appels angoissés qui résonnent à l'intérieur de la maison, j'en souris dans mes moustaches...
  6. Chapitre 38 : ENCORE BEAU-LULU Les jours passent et se ressemblent. La cuisine est installée et j’ai à nouveau la permission de déambuler au rez-de-chaussée. Mon petit panier a repris sa place devant le poêle. Quant à mon amoureux fidèle, l’indécollable Beau-Lulu, il a obtenu à peu près ce qu’il voulait, sous ses petits airs réservés et timides : il a quitté le buisson natal et est venu s’établir chez nous ! Pas dans la maison, non ! Du moins pas encore ! Daniel lui a aménagé un coin confortable sous l’abri de jardin, tout près de la terrasse. Il a reçu une caisse ornée de paille dans laquelle il s’est creusé un petit nid, et un vieux pull pour lui servir de couverture. On lui a aussi confectionné une protection contre le vent, une espèce de tôle ondulée qui entoure sa caisse. L’ensemble forme un petit appartement confortable, une garçonnière, quoi. Sa nourriture lui est apportée sur place par le cuistot de service (Scouby) mais parfois, en qualité de fiancé de la jeune Ardoise, l’heureux élu est admis à faire sa cour à l’intérieur de la maison. Comme il est, paraît-il, bien éduqué, il ne reste jamais plus de dix minutes, mais durant ces dix minutes, il réussit à vider entièrement ma gamelle à moi, monopoliser complètement l’attention de mes parents à moi en tournant comme une toupie sur leurs genoux et en agitant les pattes sur l’air bien connu « Je-suis-con-tent, je-suis-con-tent ! » et me donner l’impression que moi, je ne compte plus que pour du beurre ! Alors, un peu vexée, je me couche sous la table du salon et j’attends qu’il ait fini son cinéma. Parce que, c’est vrai, quoi ! A-t-on jamais vu un jeune chat qui consacre plus d’attention et de roucoulades à ses futurs beaux-parents qu’à sa fiancée ? Est-ce normal ? Encore une fois, je vous demande votre avis. - C’est peut-être par diplomatie, me direz-vous, sans grande conviction. Hum, hum ! Il me semble que c’est la jeune fiancée qui mérite tous les égards, vous ne trouvez pas ? Y aurait-il comme du flottement dans les sentiments de mon armoire à glace de prétendant… Peut-être a-t-il prêté l’oreille aux arguments tendancieux de « Maman » ? En tous cas, il ne risque pas de perdre ses muscles, ni son avantageuse silhouette : il en est à ses quatre repas par jour ! Et s’enfile un bol de lait chaud matin et soir ! Une pensée me vient : serait-il un coureur de dot ? La dot étant constituée, bien entendu, par une maison et la certitude d’une vie féline confortable… Inconscient de mes alarmes et de mes doutes, l’énergumène accourt vers moi, certain matin. - Oh ! Chère Ardoise, j’ai fait un de ces rêves ! - Racontez-le-moi, que je me marre, dis-je en mon auguste langage. - J’ai rêvé que je me réveillais et que je quittais mon petit lit, sous votre abri de jardin. J’ai jeté un coup d’oeil à la fenêtre qui donne sur votre fenil… et j’ai vu… - Kwâ ? - … un chat ! Tout blanc et noir, chez vous, dans votre maison ! Serait-ce l’esprit de mon P’pa, chère Ardoise ? Ce n’était peut-être pas un rêve, qu’en pensez-vous ? Je fais mine de réfléchir. Cela m’étonnerait que l’Orca, même à l’état d’ectoplasme, s’amuse à hanter le fenil. Il a toujours préféré, comme moi, les petits coins confortables devant le feu. En réalité, je sais très bien ce qu’a vu Beau-Luluchounet : c’était le Négatif qui squattait les lieux. Mais comme les deux frères ne peuvent se supporter, je décide sagement de ne pas jeter d’huile sur le feu. Je deviens raisonnable, on dirait. Il n’y a pas si longtemps, c’est avec enthousiasme que j’aurais provoqué la bagarre du siècle ! Vieillirais-je ? - L’esprit de votre P’pa… Qui sait ? dis-je. Qu’est-ce que vous avez fait ensuite ? - Je me suis dit à moi-même : « Tu rêves, Beau-Lulu ! Les fantômes, ça n’existe pas ! » et je suis allé me recoucher. Mais c’était quand même bien bizarre… Ca paraissait tellement vrai ! Un chat que ne croit pas aux fantômes ! Je n’en reviens pas ! Que va-t-il dire quand je lui présenterai Sa Seigneurie Caramel ? - Il y a plus de choses sur terre et dans les cieux, Beau-Lulu, que n’en peut concevoir notre philosophie, cité-je sentencieusement. Il ne comprend pas. Apparemment, Shakespeare, ça lui passe au-dessus des oreilles. Et il ne peut concevoir, lui qui garde jalousement notre jardin à l’arrière de la maison, qu’un autre chat puisse entrer par la porte de devant ! Parce que, il faut bien l’admettre, mon amoureux est exclusif. Autant l’Orca faisait montre d’une aimable tolérance, invitant les uns et les autres à venir manger un bout chez nous, autant son rejeton ne permet pas qu’un autre quadrupède mette le bout d’une patte dans le jardin ! Sauf « Maman », naturellement… Il monte jalousement la garde toute la journée, le regard aux aguets. Nous ne voyons plus que de loin le pauvre Nez-Plat, et encore ! Si nous l’apercevons, c’est quand il détale en courant de toute la force de ses pattes, mis en déroute par notre vigilant gardien. Bon, il faut bien admettre que si Nez-Plat est encore vivant à ce régime, c’est qu’il reçoit de la nourriture ailleurs. Parfois, pourtant, Beau-Lulu s’éloigne quelques instants afin de satisfaire un petit besoin pressant. Quand il revient, sa gamelle est vide : Nez-Plat a profité de l’occasion. La fameuse Mistinguett ne s’est plus manifestée depuis l’été. Intelligente comme elle l’est, la petite rouée a compris que ce n’était pas la peine de faire du charme chez nous pour obtenir un nouveau foyer. C’était déjà un peu surpeuplé… Elle a dû réussir son coup dans une autre maison où, probablement, elle règne en maîtresse. Peut-être en est-il de même pour le petit (ou la petite) Squatter… ce qui fait qu’actuellement, ma famille féline se compose exclusivement de l’abominable Scoubidou à Bruxelles, et de Beau-Lulu et Négatif dans notre maison des champs. Avec, parfois mais de plus en plus rarement, une visite-éclair de Néfertiti. Et dire qu’autrefois, j’avais une meute ! Grandeur et décadence…
  7. Ca y est, ma secrétaire à deux pattes a sauté le pas ! Comme, jusqu'à présent, aucun éditeur n'a fait des pieds et des mains pour s'approprier mes Mémoires, elle a mis le texte en auto-édition, ici : http://www.lulu.com/content/1627940 Si vous ne connaissez pas ce site, il y a moyen de faire des trouvailles, étant donné que bon nombre d'oeuvres sont téléchargeables gratuitement... Avis aux amateurs de lecture ! Pour ma part, je vous encourage au téléchargement gratuit, car les frais d'envoi du livre par le site sont assez élevés (j'ai entendu parler de 5 euros). Ou alors, bien sûr, le texte se trouve sur le forum ! Voilà... Je vous fais à tous de grosses lélèches ! Scouby a passé des heures à corriger les coquilles du bouquin, mais peut-être qu'il y en aura encore, hi hi ! Elle espère bien que non !
  8. Chapitre 37 : RAS LA CASQUETTE ! Je suis déboussolée ! Mon cadre de vie n’arrête pas de se modifier ! Je n’arrive plus à trouver ma place dans ce chambardement. Maintenant, c’est à la cuisine qu’ils s’attaquent, les vandales ! Le pire : ils m’ont chassée de ma petite place devant le poêle. - Voyons, Ardoise, c’est provisoire ! susurre ma mère d’adoption, la traîtresse ! - Provisoire, mon oeil ! Vous avez quelque chose contre moi ? miaulé-je pathétiquement. Ils m’énervent au point que j’en deviens parano ! - L’installateur de cuisine va venir et je ne voudrais pas qu’il t’arrive un accident si tu cours partout comme tu en as l’habitude, explique la deux-pattes. C’est le moment d’exprimer mes exigences. Après tout, pourquoi doit-on me mettre au placard chaque fois qu’il se passe quelque chose d’intéressant ? - J’veux voir l’installateur de cuisine, j’veux voir ce qu’il fait ! Moi aussi, je suis concernée ! J’veux voir si le monsieur laisse assez de place devant le feu pour ma coquille de bernard-l’ermite ! Le fameux Monsieur Installateur arrive alors que je suis en pleine crise de revendication, debout sur la table de la salle à manger, les yeux fulgurants, la queue fièrement dressée, le miaulement agressif. - Tiens ! Quel joli petit chat vous avez ! sourit le brave homme en me caressant la tête au passage. Je fais feu de tout bois. - Tu vois ? Il a dit que je suis un joli chat ! Il va me montrer ce qu’il va faire de ma cuisine ! J’veux rester ! Miââââ ! J’ai beau glapir, rien à faire ! On prend mon panier, mon bac, ma nourriture, on me saisit, moi, et on installe tout ça dans la chambre ! Et on ferme la porte, sans prendre garde à mes protestations. Ah, j’en ai gros sur la casquette en ce moment ! Je sais bien ce que vous allez me dire : - Enfin, petite Ardoise, quitte donc ces méchants ! Viens habiter avec moi ! J’aimerais bien, vous savez, mais je suis encore trop gentille : je ne veux pas faire de la peine à Daniel et Scouby. Ils sont super-enquiquinants en ce moment, mais quand tous ces travaux seront finis, la vie reprendra comme avant, je le sais. Merci pour votre gentille proposition ! Je ne manquerai pas de la répéter à Scouby, pour lui faire honte ! Dans la chambre, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, je me couche sous la couette pour un petit somme bien mérité. Juste comme je dresse la tête en me réveillant, que vois-je, à travers la porte vitrée ? Je devrais m’y attendre mais ça me fait toujours un choc : le Négatif qui fait de la voltige sur les poutres du fenil ! Ici, chez moi, ça devient une maison d’accueil pour les chats de gouttière ! Bon, d’accord, j’exagère un peu, il n’y a que le Négatif (du moins pour le moment, puisque mon Beau-Lulu n’a pas encore le statut de fiancé officiel), mais il compte pour dix, en ce qui me concerne ! Vous le connaissez : sous ses airs de chanteur de charme, c’est un pique-assiette invétéré. A la longue, j’ai bien dû m’apercevoir de certain manège… qu’on prétend me cacher ! Mais la chatte Ardoise n’a pas les yeux dans sa poche et elle sait bien que deux et deux font trois ! Chaque soir, l’animal se poste dans son fourré natal, en face de notre maison, et il attend que Daniel, ouvrant la porte extérieure du fenil, émette un « Bzzzziou ! Bziiiiou ! » conspirateur. A cette invite, le Négatif quitte sa cachette en courant, fonce dans notre fenil et se choisit un petit coin bien chaud pour y passer la nuit. « Mais, me direz-vous, pourquoi Daniel ouvre-t-il la porte de la rue pour bzioutter dans la rue ? » Tout simplement parce que le Négatif, peut-être un peu sorcier comme sa mère, a dû jeter un sort à mon père d’adoption. Celui-ci le trouve mignon, charmant, adorable (tout ce qu’il ne faut pas entendre !) et supporte difficilement de savoir son petit Négatou dehors tout seul par une froide nuit d’hiver. Vers neuf heures du soir, par conséquent, il quitte son fauteuil d’un air distrait et dégagé (il croit que je suis dupe) pour aller lancer subrepticement au-dehors l’appel que l’on sait. Il est flatté parce que Négatif ne réagit, semble-t-il, qu’à sa voix. Scouby a beau murmurer à son tour des « Bziiiou ! Bziiiiou ! » tentateurs, l’animal ne se dérange pas pour elle. Il faut que ce soit Daniel qui l’appelle. Alors, il accourt au triple galop ! Depuis quelques jours, pourtant, il fait plus froid et l’intéressé modifie son planning. : quand il a envie d’entrer, il saute sur l’appui de fenêtre du salon et cogne de sa patte contre la vitre : « Alors, on m’ouvre la porte ? » Daniel bondit. Mon père d’adoption, toutefois, nie vigoureusement avoir quelque prédilection pour notre chat des champs titulaire. J’ai peine à le croire, et vous ? Aujourd’hui, comme il fait sensiblement frisquet, le Négatif a ignoré les appels de Scouby qui l’invitait à sortir pour prendre l’air. Il est allé se réfugier sur les hautes poutres, c’est ainsi que je l’aperçois, au sortir de ma sieste. Nous nous dévisageons de part et d’autre de la vitre. - Tiens, bonjour, Mam’zelle Ardoise ! roucoule-t-il, tranquille comme Baptiste. - Vous alors ! Z’êtes vraiment un envahisseur breveté ! Une Bidou numéro deux ! me lamenté-je. - Qui est Bidou ? s’enquiert le Négatif avec un apparent intérêt. Il ne connaît pas Scoubidou ! J’ai beau ne pas approuver sa continuelle présence chez moi, je ne veux quand même pas qu’il meure idiot, n’est-ce pas ? Alors je lui raconte. Je déverse des tonnes de doléances dans son oreille attentive. Bon, d’accord, il ferme les yeux et semble dormir debout, mais il compatit, j’en suis sûre. Je continue mes miaulements explicatifs : - Vous imaginez pas comme elle est moche ! Toute noire, avec de longs poils, et quand il y a du soleil, ils ont comme des reflets rougeoyants, beurk ! Et elle fait tout pour m’emm… heu, m’embêter ! Et elle se conduit chez moi comme si elle était chez elle ! Et en plus… Je suis intarissable. De temps à autre le Négatif y va d’une approbation chantonnée, mais, je ne sais trop pourquoi, j’ai comme l’impression qu’il se paie ma tête : ses répliques me semblent bizarres et ont un petit air de déjà-entendu. Jugez-en : - Bien sûr , Mam’zelle Ardoise ! C’est vrai qu’Bidou elle est point bêêêlle ! C’est vrai qu’Bidou a le poil rrroux ! C’est vrai qu’Bidou, elles est CRRRRUELLE ! Z’avez mill’fois raison ! J’vous ai apporté des bonbons ! J’en reste perplexe, d’autant plus qu’il ne m’a rien apporté, ni bonbons ni souris ! Il est étrange, le Négatif, vous ne trouvez pas ? Pourtant, ses parents, Orca et Nefertiti pour ne pas les nommer, m’ont toujours semblé relativement normaux… Négatif, c’est peut-être l’idiot de la famille. Tellement idiot que tout le monde le croit génial, mes parents à moi surtout ! Je suis la seule à rester lucide, dans cette maison de fous ! Ras la casquette, vraiment !
  9. Chapitre 36 : FIANCAILLES OU PAS ? Par une journée ensoleillée, je folâtre au jardin (Eh oui, ça m’arrive quand même de temps en temps) lorsque j’aperçois mon « fiancé » qui accourt vers moi, tout joyeux. - Chère Ardoise ! Enfin vous ! J’ai justement un petit cadeau à vous offrir ! Et le voilà qui dépose solennellement à mes pattes… une souris morte ! Ahurie et un peu dégoûtée, je contemple le présent. Bon, comme il s’agit d’un cadeau, il me faut remercier le généreux donateur, je suis une chatte bien élevée, ne l’oublions pas ! - Comme c’est charmant, dis-je. Ca sert à quoi, exactement ? - C’est un cadeau que vous pouvez manger… Beurk ! Moi qui n’aime que les émincés de viande en gelée de la marque « Félix », le steak haché et le colin d’Alaska… - Ou, si vous préférez, vous pouvez l’accrocher à votre joli collier bleu… Peut-être. Un genre de pendentif… Mais qu’est-ce qu’elle dirait, Scouby ? - Et si vous en voulez d’autres, il y en a plein qui courent dans la prairie à côté ! Je suis un grand chasseur, vous savez ! - Oh, une seule me suffira, merci, dis-je hâtivement. D’ailleurs, je vais la laisser ici, dans l’herbe, pour orner le jardin. C’est joli, du gris sur du vert. Je me vois mal déposant la souris sur le tapis de la salle à manger. Bon, je ne veux pas me faire plus vertueuse que je ne le suis, j’ai moi aussi des instincts de félin, mais à force de vivre avec Daniel et Scouby, j’ai appris à composer. Il faut dire qu’ils sont spéciaux ! Ainsi, cet été, sur la terrasse, j’avais trouvé une petite bestiole verte qui avançait par petits bonds. Je l’ai capturée en posant ma patte dessus, puis je l’ai ramassée avec ma gueule et me suis mise à mâchouiller. C’était dur ! D’autant plus que mes dents ne sont plus tellement solides… J’étais donc là, occupée à faire des efforts terribles, quand Scouby s’est pointée. Evidemment, c’est automatique, elle arrive toujours au mauvais moment. - Qu’est-ce que tu fais, Ardoise ? J’étais vraiment trop absorbée pour répondre… d’autant plus que la bestiole ne voulait pas se laisser croquer : elle gigotait tant qu’elle pouvait ! Ca n’a pas manqué : intriguée et soupçonneuse, Scouby m’a fait ouvrir la gueule… et l’insecte vert a bondi sur le sol de la terrasse pour disparaître aussitôt dans la végétation environnante. - Trouble-fête ! ai-je miaulé. Tu m’as piqué ma friandise ! Marâtre ! - Espèce de cochonne ! a-t-elle piaillé à son tour. Tu manges des sauterelles, maintenant ? Pouah ! Et alors ? C’est sûrement très bon, une sauterelle ! Mais, comme vous voyez, ma famille est intolérante et m’empêche de donner libre cours à ma fantaisie. Ca, je ne l’ai pas dit à Beau-Lulu : il croit que c’est moi qui commande dans cette maison et ne comprendrait pas que je doive adopter parfois un profil bas. Pas question que je le lui révèle : ma dignité en prendrait un coup. Maintenant, la souris a disparu : Daniel l’a jetée. Beau-Lulu, quant à lui, est persuadé que je me suis délectée de son cadeau. - Miaou ! Bonjour tout le monde ! Tiens, voilà Néfer ! Ca faisait longtemps qu’on ne l’avait plus vue, mais à présent, nous ne nous inquiétons plus de ses disparitions prolongées. En effet, nous savons qu’elle coule des jours heureux dans la maison d’en face, chez son « monsieur » qui l’a adoptée peu avant la mort d’Orca et qui la soigne comme un coq en pâte. Ce qui n’empêche pas la jolie chatte noire de venir occasionnellement nous dire un petit bonjour, histoire d’entretenir des relations intéressantes en cas de coup dur. - Maman ! roucoule Beau-Lulu. Et le voilà qui fait des mamours, qui invite « Maman » à manger un petit bout, qui tourne sur lui-même en émettant des ronrons comme un moteur diesel… Moi, juchée sur mon appui de fenêtre (oui, j’ai osé sauter !), j’arbore un petit air mi-figue mi-raisin : mon « fiancé » serait-il resté un bébé à sa maman ? Ca pourrait me poser des problèmes, à long terme… D’accord, elle n’est pas méchante, Nefer, et surtout, elle a toujours été une excellente mère, attentive et tout, mais je connais ça ! Dans quelques mois, elle susurrera à l’oreille de son petit chéri adoré : - Je ne veux absolument pas me mêler de ton ménage, mon Beau-Luluchounet… Ben voyons ! - …mais ne trouves-tu pas que ta bien-aimée est… - un peu autoritaire - un peu acariâtre - un peu snob - un peu intolérante - un peu âgée Une mère apprécie modérément qu’on épouse quelqu’un qui a le même âge qu’elle… (Biffez les mentions inutiles ou ne biffez rien). Et puis, moi qui suis tellement gâtée, tellement aimée, tellement adulée, aurais-je le coeur de faire de la peine à Scouby et Daniel en quittant le foyer et en m’expatriant dans le petit fourré d’en face, berceau d’une importante lignée de chats noirs à collerette blanche, de chats noirs sans collerette, de chats noir et blanc, de chats blanc et noir… mais pas de chat gris ? Supporterais-je le climat ? Brrr ! - Je ne peux pas quitter mes parents, dis-je noblement à mon Beau-Lulu de soupirant, ils en mourraient de chagrin ! - Chère Ardoise, j’y ai réfléchi, répond-il avec sentiment, c’est moi qui viendrai habiter chez vous ! Ah ah ! Cela pourrait peut-être arranger les choses… Mais Scouby et Daniel, s’ils consentent à nourrir mon amoureux et à lui prodiguer force caresses et mots affectueux, semblent hésitants à l’idée de l’adopter. - Je sais bien qu’il est adorable et que tu pourrais le mener par le bout du nez, mais on se retrouverait finalement avec combien de chats, Ardoise ? - Rien que lui et moi, bien sûr, dis-je. Les autres, je m’en f… ! - Et Bidou ? Zut, j’avais oublié l’affreuse ! Une idée me vient, lumineuse : « Y a ka mettre Bidou dehors à la place de Beau-Lulu et Beau-Lulu dedans à la place de Bidou, c’est simple ! » Il paraît que cette idée n’est pas si lumineuse que ça… Mon cerveau carbure à plein régime. - Vous pouvez utiliser la tactique de votre maman, dis-je, tortueuse et machiavélique, à mon amoureux transi : disparaissez pendant quelques jours ! Daniel et Scouby seront tellement tristes qu’ils vont vous accueillir à bras ouverts quand vous reviendrez ! Et dans la foulée, ils vous adopteront ! - Quelques jours sans vous voir ! Je ne pourrais pas ! Et qu’est-ce que je mangerais ? - Alors, un seul jour ! Mais un très long jour ! Il l’a fait… et j’ai bien cru que mon plan avait marché Le matin : Scouby : Tiens, notre petit Beau-Lulu n’est pas là ? Et voilà Nez-Plat qui arrive, alors qu’on ne l’avait pas vu depuis trois semaines ! Nez-Plat a mangé de bon coeur le petit déjeuner de Beau-Lulu. A midi : Scouby (intriguée) : C’est vraiment bizarre qu’on n’ait pas encore vu Beau-Lulu… J’espère qu’il ne lui est rien arrivé, un si gentil chat ! Moi, je soupire profondément en prenant des airs penchés, histoire d’accroître son inquiétude. Squatter, qui passait dans les environs, s’est régalé avec le dîner de Beau-Lulu. Le soir : Scouby : Pauvre Beau-Lulu ! Il a peut-être été enfermé dans une grange… Comme il doit être triste de ne pouvoir être ici ! Négatif a fait honneur au souper de Beau-Lulu. Pour ma part, je me traîne dans le salon, le regard préoccupé, portant en grand, affiché sur le front : « UN SEUL ETRE ME MANQUE ET TOUT EST DEPEUPLE ». - Pauvre mignonne, qui est si malheureuse sans son Beau-Lulu ! Le lendemain matin… pas de Beau-Lulu sur la terrasse ! Et voilà la pluie qui se met à tomber à seaux ! Vers dix heures, Daniel est occupé à travailler dans le fenil, la porte ouverte, quand une petite silhouette noire et trempée franchit le seuil. - Beau-Lulu ! Mon pauvre gamin ! Daniel soulève l’animal (plusieurs kilos de muscles, c’est une armoire à glace mon amoureux !), l’emballe dans un chiffon pour l’essuyer. Scouby apporte une assiette bien garnie Il a pu se restaurer et se sécher dans le fenil… mais toujours pas question d’adoption officielle ! Mes idées lumineuses font long feu. Hier, pourtant, il a eu la permission de passer quelques heures à la maison, en ma compagnie. En effet, on abattait le grand sapin du jardin et Daniel craignait que Beau-Lulu ne se fasse écraser, étant donné qu’une de ses cachettes favorites se trouve précisément au pied de ce sapin. Pauvre sapin ! Il était bien beau, mais tellement épais qu’on n’y voyait plus clair… Maintenant, le jardin a l’air tout bizarre sans lu : des mètres-carrés de mousse ont vu le soleil pour la première fois. Donc, Beau-Lulu était chez nous. Il s’est tenu bien sage, comme un petit garçon timide en visite. Il obéissait au doigt et à l’oeil. Au point que Scouby, rassurée, est partie faire des courses en nous laissant seuls tous les deux. Quand elle est revenue, nous étions toujours bien calmes, moi dans mon panier devant le poêle et Beau-Lulu presque invisible, couché tout noir sur le tapis foncé. Dans l’ombre, on ne voyait que ses yeux au regard candide. Un pot de fleurs était tombé par terre et une lampe gisait cassée au pied de l’appui de fenêtre, mais nous avions tous deux l’air si innocent… Quand tout danger a été écarté, Beau-Lulu est ressorti sans trop se faire prier, assez content de recouvrer la liberté. Il est bien gentil, c’est vrai, mais je n’ai pu m’empêcher de tiquer en le voyant engouffrer à toute allure, dans son large bec, le contenu de ma gamelle à moi. Qu’est-ce que je deviendrais q’il s’installait à demeure ? Serais-je condamnée à mourir de faim ? Ne nous mettons pas la corde au cou trop vite, ma corde du jardin me suffit déjà amplement. Je vais encore réfléchir durant quelques années…
  10. CHAPITRE 35 : NEGATIF A SA BETE NOIRE A présent, l’été est bien fini et la mauvaise saison a fait son apparition. Je continue à me laisser séduire par le poêle à mazout qui trône dans notre cuisine, avec mon panier judicieusement posé devant lui. Evidemment, en ces circonstances, ma vie sociale est plutôt restreinte. Je suis plus bernard-l’ermite que jamais. Le soir, pourtant, je fais des efforts méritoires pour rappeler à ma famille que, malgré les apparences, j’existe à l’état de chatte et non de mollusque. Je me traîne paresseusement jusqu’au fauteuil où se détend mon père d’adoption, je m’assieds sur mon derrière et attends, le regard implorant, qu’il me hisse sur ses genoux. - Mais voyons, Ardoise, tu ne sais même plus sauter ? C’est quoi cette nouvelle fantaisie ? - C’est pas que je ne sache plus sauter, c’est que je n’ai pas envie de sauter ! Pas envie de courir ! Je veux me reposer et manger ! Ce que je fais abondamment… et mon tour de taille s’arrondit de jour en jour. Mes parents, alarmés, discutent au sujet de ma santé. - Elle va finir par avoir une attaque ! Un arrêt de coeur ! - Faut la mettre au régime ! - Bourreaux ! marmonné-je en baillant largement. - Elle ne mange pourtant pas tellement… mais elle devrait prendre de l’exercice ! Il faudrait qu’elle sorte courir au jardin ! - Brrr ! dis-je. Et je retourne me blottir en boule dans mon cher panier, bien au chaud. Bon, d’accord, au moment où j’écris ces lignes, les températures ne sont pas encore polaires, il s’en faut de beaucoup. Mais je suis tellement sensible, si délicate ! Il suffit d’une brise légère, d’un infime souffle de vent pour que je frissonne… Alors, pourquoi m’obliger à sortir pour faire du sport (du sport !) ? Je n’apprécie le jardin que pour l’herbe fraîche qu’il me procure et que je broute consciencieusement, afin de purger mon estomac des boules de poils qui s’y entassent. Parfois, distraitement, j’agite la patte vers un insecte qui me frôle et que je n’attraperai pas. Puis, avec le sentiment du devoir accompli, je retourne à ma coquille si accueillante. Un petit besoin me pressant, je trottine jusqu’à mon bac de sable. C’est ça que moi, j’appelle faire du sport. C’est plus que suffisant, je trouve. Comme je reviens, voilà le Négatif qui s’installe sur l’appui de fenêtre de la salle à manger. Il saute, lui ! - Tiens, Mam’zelle Ardoise ! me salue-t-il avec une petite grimace moqueuse. Je m’accroupis sur le tapis. Je n’ai pas envie de bondir à mon tour sur ce rebord de fenêtre. Prudence est mère de sécurité, comme on dit. La dernière fois que j’ai voulu sauter sur la table, j’ai mal calculé mon coup et suis retombée en arrière, en plein sur le dos ! Sans mal, heureusement… mais cet incident m’incite à prendre des précautions. Le seul problème c’est que, maintenant, Négatif me considère de haut. - Ca fait longtemps que je ne vous ai vu ! m’étonné-je. C’est vrai. L’animal a délaissé le fenil pendant une bonne dizaine de jours. Il se contente de venir manger sur notre terrasse et encore, avec une visible circonspection. La cause de cette attitude étonnamment modeste m’est bientôt dévoilée, avec maintes mimiques expressives : - C’est la faute de cet enquiquineur, se plaint-il, l’horrible Beau-Lulu ! - Ah bon ? - Il est TOUJOURS là ! C’est agaçant, j’vous jure, Mam’zelle ! Le matin, il arrive avant moi ! Toute la matinée, il campe sur la pelouse devant la maison, comme un nain de jardin, à regarder les fenêtres ! Le soir, il est ENCORE là ! Et il est malpoli avec moi, en plus ! L’autre jour, il m’a donné une torgnole, vous imaginez ? Mes poils ont volé partout ! Je compatis ostensiblement. - C’est bien simple, continue-t-il, quand je vois cet immonde personnage, je cours aussi loin que possible, je peux pas le blairer ! Ainsi, le gentil Négatif a, lui aussi, sa bête noire attitrée ! J’en suis bien aise… mais il serait peu diplomatique de le montrer. - Pourtant, c’est probablement votre frère, dis-je, faussement conciliante. - Justement, Mam’zelle Ardoise, ça a commencé au berceau ! On n’arrêtait pas de se chamailler ! Je m’entendais mieux avec ce pauvre Roublard, je vous jure ! Celui-là m’énerve. En y réfléchissant, il faut bien admettre que Négatif ne s’entendait bien qu’avec son frère Roublard, à l’exclusion de tous les autres chats. Il a toujours préféré la compagnie des humains. Moi, il me tolère, par politesse et opportunisme. - J’ai peine à le croire, susurré-je avec une secrète perfidie. Il est tellement gentil, cet excellent Beau-Lulu ! Vous ne trouvez pas qu’il ressemble à Tatayet qu’on voit à la télé ? Il a le même regard… Mais le Négatif ne regarde pas la télé et se soucie de Tatayet comme de ses premières croquettes. - Et puis, il y a pire, Mam’zelle Ardoise ! Il s’amuse à me chasser de la terrasse quand je viens manger. Et vous savez ce qu’il m’a dit, l’autre jour, quand je lui ai fait remarquer que c’était moi le chat des champs de cette maison, à la place de notre P’pa ? - Non, mais vous allez sûrement me le raconter ! (Je frétille de curiosité) - Il a répondu q’il avait plus de droits que moi au titre de chat des champs, parce que non seulement il était aussi le fils de P’pa, mais qu’en plus, il était fiancé à la jeune fille de la maison ! Vous imaginez ? Mine de rien, ça me fait un choc. Fiancée, moi ? Mais je suis beaucoup trop jeune ! Bon, d’accord, j’ai peut-être l’âge d’être huit fois l’arrière-grand-mère du Négatif et, partant, de mon soupirant, mais cela ne change rien à l’affaire. Je ne me vois pas encore la bague au coussinet. - Oh, il exagère un peu, dis-je en nettoyant mes oreilles d’une patte experte, pour dissimuler mon embarras. « Vous savez, le célibat me convient… Je ne suis pas vraiment pressée de convoler… Même si j’ai une cour d’admirateurs assidus, je… je… » Ne sachant comment terminer ma phrase, je laisse s’éteindre la conversation et me consacre à un minutieux nettoyage de mes belles moustaches : après tout, personne ne peut parler et se lécher en même temps ! Essayez, si vous ne me croyez pas ! Calmé après avoir épanché sa bile, le Négatif entreprend à son tour de lisser sa fourrure blanche et noire, un peu hérissée par l’émotion. Nous restons ainsi fort occupés pendant une dizaine de minutes. C’est si important, la toilette d’un chat ! Tout son équilibre physique et psychique en dépend. Soudain, une voix se fait entendre, émanant de la maison voisine. - Mimine ! Mimine ! Viens manger ! - J’arrive, M’dame Belot ! clame notre chat des champs tout réjoui, en prenant son élan comme pour concourir aux 24 heures de Francorchamps. - Mimine ? répété-je, sidérée. - Ben quoi, Mam’zelle Ardoise ? Chez vous je m’appelle Négatif, chez M’dame Belot mon nom est Mimine, pourquoi ça vous étonne ? Y a rien de bizarre à ça ! Bon… Puisqu’il le dit ! - Qu’est-ce qu’elle vous donne à manger, Madame Belot ? m’enquiers-je, lancée sur un de mes sujets d’études favoris. - Des restants de viande, des patates, du pain, du macaroni… Un régal ! Su ce, il bondit sur ses pattes et disparaît. Il est bien nourri, le Négatif : des restes chez Madame Belot, des boîtes pour chat chez nous… D’ailleurs, il a visiblement pris du poids, bientôt je ne serai plus la seule à rouler au lieu de marcher ! Il n’empêche que je reste pensive : Mimine, quand même !
  11. Merci Lily ! Ca faisait un petit bout de temps que je m'endormais sur mes papiers...
  12. Chapitre 34 : ET MOI ??? Et moi, et moi ? Ca fait des jours et des jours qu’on parle de moi et on ne me laisse pas donner mon avis ! Pourtant, il est important, mon avis, je dirais même, primordial ! Ah ! Quand même ! Pas trop tôt… Heu… Je me concentre. Il vaut mieux que je commence par le commencement, sans trop m’embrouiller. Vous savez, c’est comme quand on tire un fil d'une pelote de laine, faut choisir le bon brin, celui du début, et pas celui du milieu ou de la fin, sinon on est tintin. Croyez-moi, je parle d’expérience, les pelotes de laine, ça me connaît. D’abord, faut que je le dise, depuis quelque temps, je suis fort entourée ! Beaucoup de personnes sont apparues dans ma vie pour me donner du délicieux Sheba à manger et du bon lait à boire, alors je crois que je suis une chatte très appréciée et de grande valeur. Pourtant, tout a commencé par un malentendu… J'étais toute petite, dans mon village ardennais natal. Ma maman ne pouvait m'empêcher de vagabonder, parce qu'à cette époque je n'étais pas encore timide comme je le suis devenue par la suite. En plus, j'avais une ribambelle de frères et de soeurs et ma maman ne parvenait pas à surveiller tout le monde à la fois. Un jour, j’ai franchi une haie et me suis retrouvée dans un jardin. C'était mieux que mon taillis natal et je me suis dit: "Et si j'essayais de m'installer ici ? " Je me suis approchée. Il y avait des gens qui mangeaient sur la terrasse et qui m'ont donné du jambon. C'était la première fois que j'en goûtais ! Depuis lors, j'ai un faible pour le jambon. Surtout le jambon en bloc qu'on vend chez Carrefour et qu'on me coupe en petits dés. .. Je le précise, pour le cas où vous souhaiteriez m’en envoyer. Comme vous voyez, la première impression était bonne. Le jardin était grand, la maison me plaisait… Je suis entrée, j'ai un peu exploré les lieux et j'ai fait un somme dans un fauteuil moelleux. Y avait bien un autre chat, beige avec des yeux bleus, qui avait l'air plutôt rébarbatif et pas content de me voir, mais je ne me suis pas inquiétée pour si peu. Quand j'y pense, j'étais super-courageuse en ce temps-là, parce qu'il paraît que c'est très très dangereux, un chat beige aux yeux bleus ! Mais je ne le savais pas, et, comme on dit : aux innocentes les pattes pleines ! Après, j'ai passé la nuit dans la grange en me disant: « C'est in the pockett ! Cette maison est à moi ! » Et le lendemain, j'ai été victime de mon premier kidnapping ! Figurez-vous qu'on m'a mise dans une grande boîte pour m'emmener ailleurs ! Toute déconfite, je me suis retrouvée dans un appartement avec une dame que je ne connaissais pas encore mais qui était gentille avec moi. Elle s'appelait Mamy-Adèle. Elle me donnait de bonnes choses : du lait Joyvalle AA, du steak tartare, des boîtes de Sheba, de temps en temps une côte de porc, de l'herbe bien fraîche parce que là, je ne possédais pas de jardin... Elle exécutait toutes mes volontés. Quand elle voulait me caresser alors que moi, je ne voulais pas, je lui envoyais un bon coup de griffe : faut se faire comprendre, hein ? Je n'aime pas veaucoup qu'on me caresse. Ou alors un tout petit peu, pas trop, sur le sommet de la tête et dans le dos. Ou sur les oreilles. Mais pas plus de cinq secondes, sinon ça m'énerve et je lève une patte menaçante: " Attention, j'en ai marre, je vais griffer !" Le problème avec Mamy-Adèle, c'est qu'elle ne comprenait pas mes avertissements et, immanquablement, ça y était : je griffais. Alors nous avions une scène de ménage. . J'aimais bien ma Mamy, mais bizarrement, j'étais devenue assez timorée, j’avais peur des étrangers et même des membres de la famille. Quand on sonnait à la porte, je me réfugiais sous le lit et je rasais les murs pour arriver à ma gamelle et à ma litière en me faisant aussi invisible que possible. Nous avons vécu comme ça durant quelques années, Mamy-Adèle et moi. Je m’étais habituée à mon sort et j’étais même assez heureuse, mais un jour, j'ai fugué pour explorer le vaste monde. C'est alors que je me suis rendu compte que je devais être un chat de luxe, parce que toute la police de Belgique était à mes trousses ! Ma photo s'étalait à tous les coins de rue avec la mention: "Disparue" ! Moi, mon exploration du vaste monde ne m'a pas menée bien loin: je suis tombée dans le trou d'une fenêtre de sous-sol, à deux pas de mon appartement, et on m'a récupérée, à moitié morte de faim, à l'aide d'un filet à crevettes. J'étais mortifiée que mon tour du monde se ermine de manière si ridicule, mais d'un autre côté, j'étais bien contente de retourner chez ma Mamy ! L'aventure, c'est pas pour moi, mais il faut l'avoir vécue pour le savoir ! Et ma petite existence paisible a suivi son cours… Puis, subitement, tout a changé ! Mamy-Adèle est tombée malade. Elle ne s'occupait presque plus de moi, elle ne changeait plus mon bac tous les jours, elle restait couchée. Puis elle a disparu longtemps, très longtemps. Pendant ce temps, des gens venaient me nourrir et me soigner. Mais, comme je l'ai dit, j'étais devenue timide et je me cachais sous le lit quand on entrait. Toute déboussolée, je me demandais ce qui arrivait à ma vie naguère si douillette. re ee... Les meubles de Mamy-Adèle ont disparu, l’un après l’autre. Moi, je restais, de plus en plus perplexe et inquiète. Je finissais par bien connaître les gens qui venaient s'occuper de moi, je les connaissais d'ailleurs depuis que j'étais toute petite, puisque c'étaient les enfants de Mamy-Adèle, ou plutôt, son fils, son petit-fils et sa belle-fille. Les autres enfants me craignent, paraît-il, parce que je suis grande, forte et toute noire (avec juste trois poils blancs sous le menton) et qu'en plus, je sais faire des grimaces terribles ! Je suis la spécialiste des grimaces. Et quand, en même temps, j'ouvre grand ma gueule rose (c'est beau du rose au milieu du noir) en faisant KSSSSSSSST ! c'est d'un effet, je ne vous dis que ça ! Un jour, j'ai été victime d'un deuxième kidnapping ! Le fils de Mamy-Adèle, il s'appelle Daniel, nourrissait de sombres desseins à mon égard. Subrepticement, il a glissé un somnifère dans mon steak tartare. Comme ça ne prenait pas (étant donné que je suis grande et forte, et en pleine forme aussi, alors mon organisme combat les substances toxiques), il s'est lassé d'attendre que je m'endorme et m'a donné la chasse dans tout l'appartement! Un monstre, je vous dis! Il m'a fourrée dans une grande boîte et nous avons quitté mon foyer pour ne plus y revenir! J'ai pleuré, mais pleuré ! Après, j'y ai bien réfléchi et je me suis dit que, puisque je suis un chat si précieux, j'avais sûrement été enlevée dans le but d'obtenir une rançon! Bien sûr, ça ne se fait pas de voler le chat de sa propre mère, mais les humains sont capables de tout ! A mon avis, Mamy-Adèle n'a pas pu rassembler l'argent de ma rançon, alors les ravisseurs m'ont gardée. Par mesure de précaution, pour que personne ne retrouve ma trace, ils ont même modifié mon nom, vous imaginez ! Je m'appelle Scoubidou Passage, mais ici on m'appelle Bidou, soi-disant parce que c'est plus court et que ça sonne mieux, mais je ne suis pas dupe, non mais ! Je ne peux pas prétendre être malheureuse, car ce n’est pas le cas. Les premiers jours, bien sûr, ont été durs parce que j'avais tellement peur que je n'osais pas bouger de dessous le lit (oui, ici aussi, j'ai une chambre où il y a un lit et toutes mes petites affaires) et je pleurais quand quelqu'un entrait. Puis j'ai repris courage. J'étais bien nourrie. On me parlait gentiment. Petit à petit, ma situation m'a paru assez confortable. J'aurais même été tout à fait à mon aise, s'il n'y avait pas eu... LA GRISOUILLE ! La première fois que j'ai vu cette créature s'introduire dans ma chambre, je me suis demandé ce que c'était. Ca avait quatre pattes, une queue tigrée, des oreilles pointues et des yeux verts fixes, mais alors fixes ! J'avais jamais vu ça ! Quand ça a commencé à parler, avec un accent épouvantable il faut dire, j'ai compris que c'était un chat. Mais un chat bizarre. Vous savez, un chat n'est pas vraiment comme ça! Un véritable chat est grand et noir avec une longue fourrure et une queue en panache et il dit: "Yek ! Gnouf ! Youk!" Ce machin-là était petit, gris comme de la poussière, rond comme une pomme et il émettait des sons qui ressemblaient à "Miaou Grrrr ! Ksssss !" Enfin, on est parvenues à se comprendre... mais pas à s'entendre, ça non ! C'est pas de ma faute, vous savez ! Mais elle est vraiment trop exigeante : elle veut m'incorporer dans sa meute, moi, Scoubidou ! Je lui ai dit: "Pas question, parce que moi aussi, je suis chef de meute et je veux pas descendre en grade ! Ma meute, c'est Mamy-Adèle et je sais pas où elle est." Il faut se faire respecter, je trouve! Le jour où je récupérerai Mamy-Adèle, je ne veux pas avoir pris l'habitude de l'obéissance, parce qu'elle ne me reconnaîtrait pas ! Et j'aurais perdu toute mon autorité sur elle ! Il paraît, d'après la grisouille, que deux chefs de meute dans un appartement, c'est incompatible. Surtout quand il n'y a pas de meute Une des deux doit se soumettre. Ce ne sera pas moi, vous pensez bien ! Alors, en ce moment, c'est la guerre froide. On se fait KSSSST à la figure quand on se rencontre, mais on n'y va pas de la griffe ni des dents, parce que ces choses-là, on ne sait jamais où ça peut mener. Aucune de nous n'a envie de voir sa belle fourrure abîmée, ni ses oreilles fripées. C'est toujours ce que j'essaie d'expliquer à Mamy-Scouby quand elle m'enferme le soir dans ma chambre, mais elle reste intraitable: "Même si vous ne vous bagarrez pas, a-t-elle dit, vous poussez des hurlements quand vous vous rencontrez et nous, la nuit, on veut dormir! » Alors, c'est moi qu'on enferme! Et la grisouille se colle contre ma porte et murmure des mots pas beaux par la fente entre le battant et le tapis. Moi, je réponds de mon mieux, mais j'ai moins de vocabulaire qu'elle: de ma vie, je n'ai jamais lu que les romans de Barbara Cartland dont Mamy-Adèle faisait la collection et qui se résument tous à une même histoire: une belle et douce orpheline, comme moi, jetée dans un monde hostile, doit subir les attaques d'un traître ( comme la grisouille) avant d'épouser finalement le bel aristocrate dont elle est amoureuse (mais celui-là je ne l'ai pas encore rencontré !) Pour le moment, ma vie est un peu monotone, mais j'ai la paix : la grisouille est partie avec Daniel et Mamy-Scouby, et Olivier vient me soigner. Je déambule dans l'appartement à mon aise, je fais la sieste, je mange, mais c'est un peu silencieux, je trouve. Alors, quand la famille revient, à peu près tous les dix jours, je raconte par le menu à Mamy-Scouby tous les événements qui se sont déroulés dans l'intervalle. Pendant ce temps, la grisouille saute sur une chaise, sous la table, et passe son temps à me surveiller. C'est un peu déstabilisant, d'accord, mais je peux toujours faire semblant de ne pas la voir .D'ailleurs, elle reste immobile et moi je me balade librement, en faisant quand même attention de ne pas trop m'en approcher. Je crois savoir que, lorsque je fais la sieste, bien à mon aise dans la chambre, elle, sur sa chaise, se force à rester éveillée pour guetter. mon éventuelle apparition. Parfois, elle n'en peut plus, sa tête retombe, ses yeux se ferment et elle s'endort. Elle en oublie même de manger, parfois, mais rassurez-vous : elle se rattrape quand je suis enfermée dans la chambre ! Je pense que, pour elle, je suis un gros problème, pourtant, y a pas de quoi ! Avec de la douceur, on obtient tout de moi ! Comme ça, j’ai pu vous raconter mon passé, mon présent et les quelques réflexions que m'inspire ma vie... Je suis sûre qu'ainsi, vous me connaissez beaucoup mieux qu'à travers les écrits tendancieux de la grisouille ! Ca remet les pendules à l’heure, n’est-ce pas ?
  13. Bonjour, M'dame Janick ! Je vais bien, merci. Ma véto a dit que j'avais récupéré mon bon état de santé d'il y a trois ans, j'ai même pris un peu de poids. Je suis toujours au coin du feu, mais ce matin j'ai quand même joué avec ma balle de ping-pong et distribué quelques baffes à Geisha qui s'intéressait un peu trop au contenu de ma gamelle ! Je vais dire à Scouby de trouver une belle photo de moi, pour participer au concours de portraits ! Lélèches à tout le monde.
  14. Chapitre 32 : UN PEU DE POESIE Il faudrait faire comprendre au Négatif qu’il ne se trouve pas ici en terrain conquis ! Du moins, pas conquis par lui ! La maison appartient à certaine chatte grise que tout le monde connaît ! Mais comment faire ? Le culpabiliser, peut-être ? Le voilà devant la porte de ma chambre. Il s’apprête à grimper sur le vieux matelas, parce que le maçon est en bas et donne des coups de marteau bruyants sur les cloisons. Or, Négatif veut faire sa sieste à l’aise ! - Ksssss ! dit-il, par habitude, en apercevant le bout de mon museau sous la couette du fauteuil. Mon regard se fait fixe. Je pousse un profond soupir, bien dolent. - - Z’êtes malade, Mam’zelle Ardoise ? s’étonne-t-il, une patte déjà levée pour bondir sur son matelas. Re-soupir. Puis j’y vais de ma grande scène de l’acte 1, inspirée directement des classiques qui ornent la bibliothèque de Scouby. « O chat des champs ! Négatif au prénom funeste, Pourquoi ne pas fuir sans demander ton reste Plutôt que de la triste Ardoise gâcher le cours De l’existence en ses ultimes nuits et jours ? » miaulé-je lamentablement. Intrigué, le chat des champs s’est assis sur son derrière. Ses beaux yeux en amande sont emplis de curiosité. Peut-être va-t-il enfin comprendre, par cette tirade bien ficelée, que ses intrusions m’indisposent ? Encouragée par cet intérêt, je poursuis : « Hélas ! Hélas ! La pauvre douce et tendre Ardoise Percée au coeur par tes machinations sournoises… » Aïe ! Il ne suit plus ! Visiblement surpris, il m’interrompt : « Mam’zelle Ardoise, c’est quand même pas vous, la douce et tendre ? « - Et pourquoi que ce serait pas moi ? grincé-je, le regard furibond, toute ma belle combativité revenue au galop. - Oh, je… Mais vraiment : douce et tendre, vous croyez ? … Enfin, je veux dire… Ah ! J’ai compris ! C’est un poème ! Vous me récitez un poème ! Alors bien sûr, c’est pas la réalité ! Oh, comme c’est beau, Mam’zelle, continuez donc ! Je poursuis, mais la conviction n’y est plus vraiment : « … La pauvre douce et tendre Ardoise… » - Hu hu hu ! émet le Négatif. Imbécile, va ! Comme s’il y avait de quoi rire ! « Percée au coeur par tes machinations sournoises, S’étiole comme une fleur au vent d’hiver, Poignardée à mort par ton glaive de fer ! » Le Négatif a fini de ricaner et réfléchit : « Mais il y a pas de fleurs en hiver, Mam’zelle Ardoise ! » Je suis effondrée : il est obtus, vraiment ! Il n’a pas compris que la substantifique moelle de ma racinienne tirade, c’est lui et moi ! Le sujet de mon poème, c’est sa goujaterie à mon égard ! Je le lui expliquerais, même avec de bonnes gifles à l’appui, il ne me croirait pas ! Justement, il recommence à s’exclamer : « Même q’il y a pas de fleurs en hiver, c’est quand même beau ! Super ! Redites encore une fois « O chat des champs… » - O chat des champs, fous-moi le camp ! glapis-je, tout esprit poétique envolé. Tranquillement, le Négatif se dirige vers son matelas, pas rebuté le moins du monde. - Les artistes ont toujours des sautes d’humeur, dit-il avec indulgence, mais je suis touché, Mam’zelle Ardoise, c’était vraiment gentil de m’avoir choisi pour me dire votre petit poème. Je pensais pas que vous m’aimiez tant ! Est-il vraiment aussi naïf ? J’avais oublié à quel point il ressemble à son père… Puisque l’ART ne fonctionne pas, il va falloir que je trouve un autre moyen ! Une pensée me vient, m’amollissant les pattes : et si le Négatif faisait la bête exprès ? Il serait bien chat à faire peu de cas de mes sentiments… heu… plutôt négatifs à son égard ! Hélas, hélas ! Pauvre tendre et douce Ardoise !… Chapitre 33 : AMOUR ET CHALEUR Le temps, subitement, se refroidit encore. Voilà Scouby qui a des frissons. Moi aussi, mais moi, c’est normal : l’habitude du chauffage central… Nous ajoutons une couverture au lit et le soir, plutôt que de dormir dans mon fauteuil, je saute sur leur matelas pour bénéficier d’un peu de chaleur humaine. Bien roulée en boule, je me cale solidement contre une paire de jambes et je m’endors. Il paraît même que je ronfle, s’il faut en croire Daniel. Je suis sceptique : comment une petite fleur fragile et éthérée pourrait-elle ronfler ? La nuit, les jambes remuent. On se tourne, on se retourne, on me pousse. - Un peu de calme, dis-je, tu m’as réveillée ! - Et toi, tu m’empêches de bouger ! Tu pèses comme un bloc de béton ! - Peut-on dire ! Je suis légère comme une plume ! - Une fameuse plume d’une tonne ! Il y a des gens qui exagèrent, vraiment ! - Tu ne peux pas juste te bouger un peu ? De cinq centimètres, pour que je ne t’aie plus en plein dans les jambes ? Ca me donne des crampes ! - Mais si je fais ça je perds toute la chaleur ! Bourreau d’animal innocent ! On se rendort, en maugréant encore un peu. Le lendemain, ils se lèvent à huit heures et moi, pour compenser, je reste au lit, bien enfouie sous la couette, dans la chaleur, jusqu’à midi et demi ! Non mais des fois ! Les jours passent… J’endure le Négatif comme une plaie inévitable, un fléau naturel… Dédaigneusement, je fais semblant de ne pas le voir quand il passe à petits bonds devant moi. Hélas, je crains que ma désapprobation à son égard ne lui fasse ni chaud ni froid. Il pense que je suis sujette à des sautes d’humeur ou peut-être même à une légère dépression, c’est pourquoi il me fait des grimaces espiègles… pour me remonter le moral. Quand je suis couchée dans ma chambre, je le distingue là-bas, étalé sur son matelas. Quand je suis dans le salon, le voilà sur le capot de la voiture, se chauffant au faible soleil d’automne. Je l’ai constamment sous les yeux ! Enfin, mieux vaut lui que la Bidou ! Heureusement, il me reste le romantisme, la petite fleur bleue, l’amour platonique par lequel j’oublie mes chagrins. Campé sur l’appui de fenêtre de la salle à manger, le regard plein de rêve, voilà mon indécollable amoureux. Je me juche, moi aussi, de mon côté de la fenêtre et nous commençons un entretien plein d’agrément. - Beau-Lulu aime Ardoise ! soupire-t-il. - Ardoise aime Beau-Lulu ! roucoulé-je avec sentiment. - BEAU-LULU AIME ARDOISE ! crie-t-il plus fort, en roulant des yeux. Encouragée, je surenchéris : « ARDOISE AIME BEAU-LULU ! J’aime bien avoir toujours le dernier mot. C’est une habitude chez moi. Au bout de quelques minutes de ce manège, je m’en vais. Point trop n’en faut, je trouve, sinon je m’en lasserai vite. Il faut dire que mon Roméo manque un peu de conversation. En me voyant revenir dans le salon, des étoiles pleins les yeux, voilà Daniel qui ricane : « A ton âge, Ardoise, avoir un amoureux ! Pfffft, grande sotte ! » Dignement, je lui tourne le dos. Plus jamais je ne lui accorderai un regard ! - Eh bien, elle boude ? s’étonne-t-il, tout surpris. Scouby lève les yeux au ciel. - Tu ne te souviens pas de ce que tu viens de dire ? - Mais… comment veux-tu qu’elle comprenne ? Tu ne vas quand même pas prétendre que ce chat… Ulcérée, je lui décoche un regard furibond. Si, Môssieur, je comprends ! Il y a des années que je cohabite avec vous, je connais le français ! Ca alors, ça dépasse les bornes, vraiment ! Il s’est racheté. Certainement dans le seul but d’obtenir mon pardon, il a fait l’acquisition d’un superbe poêle à mazout qui, à présent, emplit la cuisine d’une douce chaleur. Mon panier « Félix » a été disposé devant ce poêle. Inutile de vous préciser que je n’en bouge plus ! Balayés les amours et tous leurs trémolos ! Je ne pense plus qu’à avoir chaud ! On voit juste ma tête dans l’ouverture du panier. La plupart du temps, même, on ne me voit plus du tout, je suis lovée tout au fond, comme un coquillage. Maintenant, on ne m’appelle plus que le petit « bernard-l’ermite » ! Beau-Lulu se console de mon absence (qu’il espère momentanée) en faisant la cour à ma mère d’adoption. Il la suit partout quand elle est au jardin, il sautille et lui lèche les mains quand elle ramasse les feuilles mortes, il se roule sur le dos dans l’herbe humide. C’est un affectueux pathologique ! - Mon gentil minouchet ! s’exclame-t-elle, touchée par cette adoration, « je vais bien te nourrir cet hiver ! Et peut-être te préparer une botte de foin pour que tu n’aies pas froid ! » - Ronronronronron… approuve le pot de colle forte.
  15. Chapitre 31 : CA SENT LE CHAT ! Les semaines passent, l’automne n’est plus très loin. Tous les matins, aux aurores, une petite silhouette attend patiemment au milieu de la pelouse. - Beau-Lulu, mon gentil minet ! On lui apporte une assiette. Mais mon indécollable amoureux ne vit que pour me contempler. Il soupire en regardant la fenêtre derrière laquelle, pense-t-il, je vais faire une apparition remarquée. - Ardoise, Beau-Lulu est dans le jardin ! Je me retourne nonchalamment sur ma couette. Il est trop tôt ! Je ne me lèverai pas avant une heure ou deux… ou trois ou quatre… Ce premier prénom de Superglu, comme ce chat le méritait bien ! Il est tellement fidèle que c’en devient monotone, je trouve ! - Dis-lui de revenir ce soir, quand je serai debout, murmuré-je, exténuée. Pour être sûr de ne pas rater le rendez-vous, il est capable de rester toute la journée, scrupuleusement, sur la terrasse ! C’est un chat affectueux au possible ; il accepte avec joie toutes les caresses et les marques d’attention. Quand Scouby le grattouille derrière les oreilles, il fait des petits bonds d’allégresse. Il se perche sur l’appui de fenêtre pour regarder à l’intérieur de notre salle à manger, espérant y distinguer ma grise et ronde silhouette. Il est plus superglue que nature ! Négatif, appliquant le principe : « Si on te donne un doigt, prends tout le bras ! », se précipite chaque jour dans ma maison pour y manger (dans MA gamelle comme chacun sait) et y faire un bon petit somme. En général, il se présente à la porte vers neuf heures du matin (il est moins lève-tôt que Beau-Lulu)… et repart en fin d’après-midi, quand on l’y incite. Lorsque nous partons pour un jour ou deux à Bruxelles (pour y faire notre lessive et dire bonjour à la Bidou pour qu’elle ne nous oublie pas, grrr !), le maçon reste seul à travailler dans la maison. Alors Négatif est à la fête : c’est un jeu pour lui de s’introduire subrepticement dans le fenil et n’en plus bouger. Le maçon s’en va, Négatif reste. Quand nous rentrons : - Miâââââââââ ! - Négatou ! Tu as passé deux jours ici ? - Ben oui ! J’ai bien dormi, mais maintenant j’ai la dent ! Vous me donnez quelque chose de bon, M’dame Scouby ? Après s’être restauré : - Je peux rester, M’dame Scouby ? Vous savez bien, pour les souris ? - Ah non, Négatif, tu es un chat des champs, ne l’oublie pas ! Va te promener dans le village, tu as sûrement des visites à faire ! Il soupire, mais obéit. Doté d’un heureux caractère, il galope joyeusement, une fois la porte franchie : il a, comme son défunt papa, une vie sociale bien remplie ! Mine de rien, il connaît la façon d’enrouler les humains autour d’une seule de ses grosses pattes blanches. Comme vous le savez, il a commencé, avec une fausse modestie, par occuper notre grenier. Puis… - La paille, ça gratte, M’dame Scouby, regardez : je dois faire ma grande toilette quand je me réveille et puis, je pourrais attraper des puces ! Ca vous dérange pas si je m’installe plutôt sur le vieux tapis, là ? - Fais à ton aise, mon Négatou ! C’est vrai que la paille, ça doit piquer ! Après le vieux tapis, le Négatou s’est avisé qu’un matelas usé serait peut-être encore plus confortable. A ce stade, il a déjà quitté le fenil et progresse insensiblement vers l’escalier. Après quelques séances de méditation sur le matelas, Négatif, l’air distrait, descend l’escalier en faisant semblant de ne pas être vraiment là. Daniel et Scouby ne se sont avisés de l’évolution de la situation que lorsqu’ils ont vu le chat des champs, profondément endormi, sur un des fauteuils du salon ! - J’ai l’impression que nous avons été roulés dans les grandes largeurs ! - Négatif ! susurre Daniel qui, manifestement, a un faible pour cet hurluberlu. L’animal entrouvre les yeux… pour les refermer avec une visible détermination qui proclame clairement : « Osez seulement déranger un malheureux chat si fatigué, humains sans coeur ! » - Il faut pourtant le faire sortir, dit Scouby. La pauvre Ardoise a aussi le droit de nous tenir compagnie et tu sais qu’elle supporte mal… - Laissons-lui encore un quart d’heure, suggère Daniel en couvrant son protégé d’un regard attendri. Enfin, on le fait sortir avec les plus grands égards et on m’invite à descendre, à mon tour, l’escalier afin de me permettre de déambuler dans la maison. Avec désapprobation, je détecte bien vite le sournois petit parfum de l’intrus. - Bêke ! Ca sent le chat ! dis-je en fronçant délicatement mon joli nez rose. - Ce n’est pas vrai, dit Scouby. Négatif est propre et ne sent rien ! Evidemment, avec un odorat atrophié comme le sien, elle ne peut rivaliser avec moi ! - Je n’ai pas dit que ça sentait le pipi de chat, précisé-je d’un petit air supérieur, j’ai simplement dit que ça sentait le chat ! Une présence récente de chat ! Un esprit de chat ! Dans ma maison ! Décidément, n’importe qui peut entrer ici en faisant le joli-coeur ! Lamentable ! Après ces quelques exclamations bien senties, je me place devant le petit poêle à pétrole, encore éteint, et je fais mine de grelotter afin de forcer mes humains à s’intéresser un peu à moi. Comme les ondulations de ma grise fourrure n’ont pas eu l’effet immédiatement souhaité, j’en rajoute : « Glaglagla ! Glaglagla ! On gèle ! » - Tu as froid, Ardoise ? questionne Scouby avec incrédulité. - Je me sens comme un bloc de viande dans le freezer ! D’un bond, je me précipite sur le divan et entreprends de m’envelopper dans la couette qui le recouvre. Je disparais sous l’amoncellement de tissu en articulant encore distinctement : « Glaglagla ! Glaglagla ! » Puis je sors la tête pour observer d’un oeil vif et brillant les résultats de mon manège. Ils sont durs de comprenure, ces deux-là ! - Il ne fait quand même pas froid ! - - Peut-être un peu humide… Je vais allumer. Je ne veux pas qu’Ardoise contracte le coryza !… Ah ! Quand même !…
  16. Chapitre 30 : JE SUIS UNE RALEUSE Tout cela m’avait fait perdre de vue mon lancinant souci, ma bête noire, la Bidou ! Pendant que je me reposais (!) à la campagne, elle était restée dans l’appartement de Bruxelles, où Olivier venait la soigner. Comme nous avions encore maintes choses à faire dans notre bientôt ancien logis, mes parents et moi y sommes retournés quelques jours. Dès le premier instant de notre arrivée, il m’a bien fallu admettre, avec tristesse, que l’incontournable Bidou n’avait pas disparu durant ma villégiature. Elle était toujours là, et bien là ! Et désespérément pareille à elle-même : une grosse boule de fourrure noire éclairée par deux yeux sataniques. Une créature campant sur ses positions, bien déterminée à ne jamais faire partie de ma meute ! Et bien nourrie en plus ! Florissante de santé ! Si encore Olivier avait pu la négliger un peu… Pire : il m’a semblé détecter une assurance nouvelle dans son regard. Je crois qu’elle s’imagine qu’à présent, mon appartement lui appartient ! Comme de coutume, elle ne peut s’arrêter de jacasser : « Crouuuuuik ! Youk ! Miow ! » C’est fatigant, une bavarde pareille ! Dédaigneusement, je me couche sur le tapis du salon en ignorant l’infime bestiole qui raconte à Scouby tous les menus événements de la semaine écoulée. - Youk ! Et j’ai été malade sur le tapis de ma chambre, regarde, Mamy ! Olivier l’a pas vu. Il est gentil Olivier, mais y voit rien. Pourtant j’lui ai dit « Pouik ! Faut nettoyer parce que moi j’aime avoir ma chambre propre. » L’a pas compris non plus. Moi je suis propre, c’est pour ça que je vais dans le bac de la Grisouille et pas tant dans le mien, pour qu’y reste net ! Charmant. - Y comprend pas le langage chat, Olivier ! Gnouf ! Si ça, c’est du langage chat, moi, la belle Ardoise, je veux bien être transformée en ! C’est quoi, Gnouf, Pouik, Yèk ? Un chat qui se respecte fait Miaou, Méééé, Rrrrrou ! Je dégouline de mépris à l’égard de la ténébreuse qui ne semble pas s’en soucier. Et puis, admettez qu’il y a de quoi s’étouffer de rage : elle fait ses petits besoins dans mon bac à moi pour que le sien reste propre ! Et en plus, il paraît qu’elle ne laisse rien à côté, elle ! Et tout le monde qui lui dit : « Oh, pauvre Bidou, toujours toute seule ! Pauvre petit amour ! Et patati et patata… Mignonne Bidou si gentille !… » Tout ce qu’il ne faut pas entendre, j’vous jure ! J’ai cherché durant deux jours un stratagème pour provoquer une bagarre bien sanglante. Je n’aurais pas hésité à faire montre d’une mauvaise foi parfaite, comme le loup de la fable « Le loup et l’agneau » (une superbe leçon de mauvaise foi, cette fable !). Rien à faire : chaque fois que mon regard acéré croisait le sien, la Bidou ne faisait ni une ni deux : elle se précipitait dans sa chambre où elle se trouve bien en sécurité, vu que je n’y pénètre jamais. Quelle poltronne ! Et dire que lorsque les gros travaux de rénovation seront terminés, je devrai la subir à la campagne ! Notez bien que les premiers temps, elle ne sera sûrement pas contente non plus : dès qu’elle s’est habituée à un appartement, faut qu’elle change ! Mais elle ne le sait pas encore. Scouby tire des plans pour que tout se passe le mieux possible. - On mettra Ardoise au rez-de-chaussée et Scoubidou au premier étage… Comme ça elles auront toutes les deux de la compagnie, puisque toi tu es souvent en bas et moi dans le bureau, pour taper à la machine… On va peut-être laisser les portes entrouvertes, de manière à ce qu’elles continuent à s’habituer l’une à l’autre. Après tout, un jour elles vont bien se fatiguer de glapir à chaque rencontre…. Ben oui : le jour où nous serons toutes deux devenues muettes ! Nos séjours à Bruxelles sont réguliers, mais pas très longs, juste le temps d’accomplir diverses formalités, soigner la Bidou, faire la lessive… Et puis on rentre à la campagne, regarder l’évolution des travaux. Je rumine mes griefs : vous n’imaginez pas le nombre de trajets en voiture qu’on me fait subir ! Bien sûr, je les ponctue de poignants trémolos, de plaintes sauvages, histoire d’agacer mes tortionnaires… mais il y a de l’abus, je dis ! - On devrait peut-être laisser Ardoise à la maison, on lui laisserait de la nourriture pour deux jours… tente Daniel. C’est ça, oui ! Beurk ! De la nourriture qui deviendrait toute sèche ! Et pendant que moi je resterais sur la touche, la Bidou se ferait câliner à l’appartement, bien contente de mon absence ! Je fulmine. - Pas possible, objecte Scouby, tu sais bien qu’Olivier est tellement heureux de venir voir sa chatte quand nous sommes à Bruxelles ! Ca, c’est vrai ! Mon ex-Grand Amour m’aime toujours à la folie, bien qu’il vive avec quelqu’un d’autre. Ca me fait chaud au coeur, même si parfois je trouve qu’il exagère : « Maman, fais bien attention à Ardoise, hein ! Ne la laisse pas sortir toute seule et surtout pas sans son collier ! Ne la laisse pas monter sur le grenier, elle pourrait tomber ! Etc, etc… » Et ma liberté, alors ? Moi qui déploie des trésors d’ingéniosité pour échapper à l’affectueuse vigilance de ma famille humaine ! Y a de l’abus, je redis ! - Ardoise, tu ne deviendrais pas un peu râleuse sur les bords ? Moi ? Jamais de la vie ! Avouons-le tout bas, mon sort pourrait être pire. J’aurais pu être adoptée par des gens du style : « silence les chats, vous n’avez pas droit au chapitre, c’est nous qui décidons ! » Au lieu de quoi, on me traite avec égards, on respecte ma personnalité profonde, on est à l’écoute de mes désirs, dans la mesure du possible. Je souhaite faire la grasse matinée ? Aucun problème : quand j’ouvre un oeil et m’étire, sur le coup de midi, j’ai une gamelle bien remplie qui m’attend et une famille qui m’accueille par des mots doux. Je semble un peu déprimée ? On s’efforce de me distraire : « Où c’est qu’elle est, la baballe ? Oh la belle baballe ! Et la petite souris ? Cours, Ardoise ! » . Je frissonne ostensiblement ? On allume le petit poêle à pétrole et on pose mon panier devant. Oui, ma vie serait assez idyllique… s’il n’y avait pas les autres chats ! Parce qu’eux aussi, il paraît qu’ils possèdent une personnalité profonde, des sentiments à respecter, des susceptibilités qu’il faut prendre en compte ! - Je ne peux pas mettre Négatif dehors comme ça ! ll faut que je lui explique la situation sans qu’il se vexe ! Et c’est ainsi que le Négatif se retrouve à vider joyeusement ma gamelle et à faire tous les jours la sieste dans le fenil. Une sieste de plus en plus longue, d’ailleurs… Une sieste qui s’étale facilement du matin jusqu’au soir, quand il fait mauvais dehors. Ensuite, il saute sur les genoux de Scouby et, sans le savoir, répète les gestes de son papa. Il piétine des deux pattes antérieures en ronronnant : « Je suis con-tent, je suis con-tent… » Quand, enfin, il faut se résoudre à le mettre à la porte, c’est avec force roucoulades : « Va te promener et faire tes petits besoins, mon Négatou, tu pourras revenir demain ! Au revoir, mon joli Minou ! » Pas perturbé, le joli Minou va faire le tour de ses autres connaissances, à commencer par notre voisine. Et le lendemain matin, le voilà à son poste, devant notre porte ! Bien que je sois souvent dans ma chambre durant ses visites, je sais très bien qu’il est là. Je désapprouve en silence, en songeant : « Attends, mon ami ! Quand tu rencontreras la Bidou, ce sera une autre paire de manches ! » Et encore, je n’en suis pas si sûre : la Bidou n’étant pas un foudre de guerre, elle se contentera de se réfugier sous un meuble au premier grognement de notre chat des champs… Et QUI devra, une fois de plus, porter haut et ferme l’étendard de la vaillante chatte Ardoise, en courant sus à l’envahisseur ? Devinez ! A moins que nous ne réussissions l’exploit d’habiter tous les trois dans la même maison sans jamais nous rencontrer…
  17. Chapitre 28 : BEAU-LULU J’ai un AMOUREUX ! Oui, moi, Ardoise, j’ai un soupirant, un vrai ! Qui ça ? Vous ne trouverez jamais et moi-même, je suis toute surprise de l’écrire : un CHAT NOIR ! Je vous entends pousser une exclamation de surprise… Il est vrai que la Bidou m’avait, durant un temps, dégoûtée de tous les félidés ténébreux, mais celui-là est spécial ! C’est le chat que nous avions pris pour Nefer lors de sa première visite chez nous. Vous vous souvenez, le quadrupède si affectueux ? Et la cible de ses regards de merlan frit, c’est moi ! Je dois avouer que je ne suis pas tout à fait insensible à son charme… Le soir, il est dans le jardin, il me contemple. Quand on me rentre parce qu’il commence à faire noir, il se met devant la chatière, à l’extérieur, pour continuer à me voir. Flattée, j’en fais autant, de mon côté. Le matin, quand on ouvre la porte, il est là ! Nous échangeons un bisou sur le museau. Je renifle son pelage, histoire de vérifier s’il est doté, comme l’Orca, d’une petite odeur spéciale. Hier, entraîné par un élan de tendresse, il a voulu frotter affectueusement sa tête ronde contre ma belle fourrure, mais… VLAN ! L’animal recule, sidéré. - Mais… Pourquoi, jolie Mademoiselle Ardoise ? - Pas de familiarité ! C’est pas parce que je vous donne un bisou qu’il faut croire que c’est arrivé ! J’aime pas qu’on frotte sa tête contre moi ! Il baisse le nez, tout penaud. - Pardon, Mademoiselle Ardoise. - Bon, comme ça, ça va ! Et puisque je vous trouve quand même sympa, pouvez m’appeler Ardoise tout court et laisser tomber le « Mademoiselle ». C’est une grande faveur que je vous fais là ! Une marque de mon estime. Essayez de la mériter, vu ? - Oui, Mad… heu, chère gentille adorable Ardoise ! Il en fait peut-être un peu trop. Est-il sincère ? Je ferme à demi les yeux, comme si j’allais m’endormir, mais en réalité j’observe, mine de rien, mon soupirant transi. Pas de doute, il est de la famille de Néfer, bien que sa collerette soit un peu moins visible. Il est jeune, il doit avoir l’âge de Négatif… Et la forme de sa tête éveille un souvenir très net en mon esprit. Voyons… ces bonnes grosses joues de hamster, ce regard gentil et confiant… L’Orca ! Je soupire avec résignation. Serais-je tombée sur un autre rejeton de notre regretté chat des champs ? Cela ne m’étonnerait nullement. Combien Nefer et lui en ont-ils semé, sur leur chemin ? En tout cas, l’assiduité du nouveau venu nous a inspiré un prénom un peu moqueur : Superglu ! Par la suite, nous l’appellerons Beau-Lulu, par affection. Il est vraiment trop gentil, même s’il est pot de colle ! Comme vous le savez, notre « resto du coeur » (la terrasse) est assidûment fréquenté. Le chaton gris (appelé « Squatter ») y côtoie Négatif, Mistinguett, Nez-plat, Beau-Lulu… Quand Scouby sort, munie d’une grande boîte de boulettes achetée chez Tom & Co afin de remplir les gamelles, j’essaie systématiquement de m’insinuer derrière elle. Mais elle me referme la porte au nez. - Non, pas maintenant, Ardoise, laisse-les manger à leur aise ! Paraît que je les traumatise, ces petits trésors ! Il est vrai que mon apparition sur la terrasse, sitôt le repas terminé, jette comme un froid. Les quadrupèdes encore présents me lancent des regards méfiants et vont s’asseoir hors de portée de ma zone d’action. Impériale, je m’installe sur le paillasson, devant la porte, et je veille jalousement sur ma maison dont AUCUN ne sera autorisé à passer le seuil ! Eux et moi échangeons des regards faussement sereins. Je bâille, fais mine d’entamer une petite sieste. En réalité, je guette. Je sais très bien de qui je dois me méfier : Squatter et Mistinguett n’attendent qu’un moment d’inattention de ma part pour se glisser subrepticement dans mon antre. Quant à Négatif… Chapitre 29 : OH ! CE NEGATIF ! Il me rendra chèvre, ce Négatif ! Avouons-le : depuis que le chat des champs, en atteignant doucement d’âge adulte, a pris de l’assurance, nos relations se sont considérablement rafraîchies. Quand, par hasard, nous nous retrouvons nez à nez, il me fait une grimace et émet un « KSSSSSSSSSSS ! » rien moins qu’accueillant. Je grogne de concert. Il a sur les autres l’avantage de connaître parfaitement la maison, puisqu’il venait y rendre visite à son père, jadis. C’est pourquoi, lorsque je lui refuse l’accès à la porte de derrière, il ne s’émeut pas pour si peu. Il a très vite remarqué qu’avec tous les travaux que nous entreprenons actuellement, la porte de devant est souvent ouverte. Il lui suffit de faire le tour de la maison et d’entrer comme chez lui. Le voilà dans mon dos. Cruel dilemme ! Que dois-je faire ? Le pourchasser ? Ce serait abandonner mon poste et Dieu sait ce qu’il pourrait advenir ! Je traverse les affres d’un général dont les troupes se trouveraient prises entre deux feux. Devant, le petit Squatter et la Miss ! Derrière, cet imbécile de Négatif ! Je m’autorise un bref coup d’oeil vers la salle à manger : il se frotte voluptueusement contre les pieds de ma table, le monstre ! Et il entonne le grand air de l’Orca : « Miââââââ ! Miââââââââ ! » J’entends Scouby : « Mon Négatou ! Comme tu es imprudent ! Si Ardoise te voyait !… » Elle ouvre le frigo, en sort quelque chose de bon pour le Négatou (gnagnagna). - Maintenant il faut sortir, mon minou, tu ne peux pas rester dans la maison ! Ah, quand même ! Je guette la sortie du « Minou » pour lui décocher un bon coup de patte au passage. Il fait son apparition… dans les bras de Scouby qui le dépose sur la pelouse. Il y retrouve la Miss qui, éberluée, se répand en commentaires de sa jolie petite voix chantante (elle doit être originaire du Midi, cette chatte, c’est pas possible autrement). - Aâââââh ! Mais comment tu as faiiiiiit ? Je t’ai pas vu entrer, mais je t’ai vu sortiiiiir ! Tu as un truuuuuc ? Dis-moi comment tu faiiiiis ! - GRRRR ! fait Négatif. - Sale caractèèèère ! Dignement, la Miss s’éloigne, suivie par Squatter qui, dans son âge tendre, craint encore de rester seul sous mon terrible regard. Le Négatif disparaît au coin de la maison. Vais-je enfin goûter un moment de repos ? Bon, vous devez connaître déjà la réponse à cette naïve question… puisque la porte de devant est restée ouverte ! Et c’est comme ça tous les jours, actuellement ! Je comprends les chats qui font des dépressions nerveuses quand on entreprend des travaux de rénovation chez eux ! C’est avec soulagement qu’une fois le soir tombé, les portes closes, je gravis péniblement l’escalier avec le sentiment du devoir accompli, pour aller m’effondrer sur une couche douillette. Et même là, il m’arrive encore d’être témoin de scènes hallucinantes ! Ainsi, il y a quelques jours, je venais tout juste de m’étendre, quand j’ai entendu la voix de Scouby. - Négatif ! Que fais-tu encore une fois dans la maison ? Elle ouvre la porte du jardin, dans l’intention d’éjecter le matou… qui ne l’entend pas de cette oreille. Peu soucieux de quitter, même pour quelques heures, une demeure où il reçoit de bons petits plats (il se sert sans complexe dans ma gamelle, le malotru !), il biaise et… zou ! le voilà parti au sommet de l’escalier, juste devant ma chambre ! J’en reste ébahie. - Tiens, Mam’zelle Ardoise ! Salut, dormez bien ! miaule joyeusement l’indésirable. Je n’ai pas le temps de répondre : Scouby ferme ma porte pour éviter que nous n’en venions aux pattes. Comme une partie de cette porte est vitrée, je peux néanmoins suivre le cours des événements. Le Négatif, bien déterminé à occuper les lieux le plus longtemps possible, fait de la haute voltige sur les poutres du fenil, là où j’aime jouer, moi aussi. - Négatif ! Négatou ! Viens, Minou ! Petit petit petit ! piaule Scouby. Peine perdue ! Le « petit », réfugié dans un coin où il est impossible de l’atteindre, se contente de lui jeter un regard goguenard. Puis, histoire de démontrer ses talents d’acrobate, il esquisse quelques pas de danse avant de s’envoler. Je vous le jure, les amis, je l’ai vu ! J’ai vu le Négatif traverser l’espace sans effort apparent, pour se retrouver un niveau plus haut, au-dessus du plafond de ma chambre, là où aucune créature humaine ne peut risquer de poser le pied ! L’animal dispose à présent d’un vaste grenier, d’où il fait la nique à sa poursuivante. - C’est pas possible ! s’exclame Scouby. Averti, Daniel ne peut en croire ses oreilles. Il vient reconnaître la situation sur place, grimpe quelques barreaux d’une échelle afin de jeter un coup d’oeil dans les hauteurs. Un petit visage blanc, triangulaire et fantomatique, apparaît dans son champ de vision. Daniel essaie de saisir la créature qui se dérobe. - Négatif ! Viens, mon gamin ! susurre-t-il de sa voix la plus séductrice. - Causez toujours, M’sieur Dan ! répond le phénomène en faisant des entrechats. - Mais comment a-t-il pu arriver si haut ? C’est pratiquement impossible ! s’exclame Daniel. - Impossible n’est pas chat ! répond le Négatif. Daniel grimpe plus haut sur son échelle, essaie à nouveau de s’emparer du chat volant qui, pas bête, se contente de reculer doucement sur le grenier. - Du steak haché ! s’exclame subitement ma mère d’adoption. Elle court à la cuisine, emplit une petite assiette que Daniel, tel le démon tentateur, présente au félin. Celui-ci, n’étant pas un saint, succombe au péché de gourmandise… et, la bouche pleine, se laisse saisir sans songer à se débattre. Il faut d’ailleurs admettre qu’une fois capturé, le Négatif se révèle beau joueur. En chat sociable, il se laisse emporter jusque sur la terrasse, avec son assiette. - On a bien rigolé, hein, M’sieur Dan ! ronronne-t-il avant de s’attaquer à son steak haché… que Beau-Lulu lui pique sous le nez ! Daniel n’en revient toujours pas, d’avoir vu un chat sauter si haut. Maintenant, il s’attend à tout, avec nous ! C’est donc sans surprise que, le lendemain, il a retrouvé Négatif couché sur une épaisse botte de paille surplombant les chevrons du fenil. Décidément, ce chat des champs a le chic pour se faufiler partout ! Mes parents ont baissé les bras : s’il y est entré, il saura bien en sortir ! A présent, l’énergumène passe ses après-midi béatement allongé sur ce lit improvisé. On le laisse faire… - Vous savez, M’dame Scouby, c’est tout intérêt pour vous, de me laisser patrouiller sur votre grenier ! - Ah bon ? - Vous savez comme je suis excellent chasseur ! Si je vois une souris, je vous en débarrasse ! Qu’est-ce que vous en dites ? - Tu crois qu’il y a des souris, mon Négatou ? - Y a TOUJOURS des souris ! Croyez-en mon expérience ! Mais soyez tranquille : j’ai l’oeil ouvert, je veille !… De souris, on n’en voit pas l’ombre… Par contre, on distingue bien une silhouette de chat blanc et noir profondément endormi sur la paille. Comme, de mon côté, étant donné que le temps s’est fait maussade, je passe mes journées enfouie sous ma couette provençale, on se croirait dans le château de la Belle-au-Bois-Dormant... Un fameux débrouillard, ce Négatif !…
  18. Chapitre 27 : TRAVAUX ET DISPARITION Pour le moment, me voilà toute tourneboulée ! Mon cadre de vie change d’aspect à vue d’oeil, ce qui met à rude épreuve les capacités d’adaptation d’une pauvre chatte attachée à son intérieur ! Un maçon est occupé à refaire les murs de la cuisine, on a arraché le carrelage. La première fois que je me suis aventurée dans cette étendue désertique, au sol de terre battue, je n’ai pu en croire mes yeux ! Plus de meubles ! Plus de poêle ! Plus de gamelle pour moi ! C’est tout juste si, intimidée, j’ai osé gratter la terre d’une patte prudente. Ce bac est vraiment trop grand… Ce n’est pas du beau sable blanc, comme lorsqu’on a refait la cuisine dans notre appartement de Bruxelles. Là, c’était bien sec, un vrai plaisir de se rouler dedans ! Ici, c’est humide et ça sent la campagne… Beurk ! On a quand même fait des trouvailles archéologiques intéressantes bien que peu nombreuses : dans le sol de la cuisine, on a retrouvé un dé à coudre en cuivre, datant de temps immémoriaux (cent ans ? Deux cents ?) et un culot de pipe en terre cuite. C’est tout ! Pas de trésor enfoui… Il est vrai qu’on ne s’y attendait pas non plus. Scouby a aménagé une cuisine provisoire dans la petite pièce qui donne sur le jardin… Mais comme l’unique robinet d’eau courante dont elle dispose encore se trouve dans le fenil, vous imaginez le nombre d’allées et venues avec des récipients à remplir ou à vider ! « Je comprends mieux maintenant l’inconfort des pauvres gens qui, jadis, étaient obligés de remplir constamment leur cruche à la fontaine du village ! » a remarqué ma mère d’adoption. Moi, brave bête philosophe, j’ai décidé de m’accommoder de tout. J’ai bien vite mémorisé la nouvelle place de mon bac de sable (avec une serpillière dessous, ne l’oublions pas) et je détecte ma gamelle à un kilomètre. Je n’y ai pas grand mérite : Scouby vient de lire dans une revue spécialisée que les chats et les chiens ont un odorat un million de fois plus développé que les humains ! Vous imaginez ce que cela peut être, un million de fois ? Et moi qui bénéficie de cette faculté, je trouve bien sûr cela tout naturel. Cela me conforte dans ma croyance en l’indéniable supériorité de la gent féline… L’autre jour, Scouby revenait de faire les courses, quand Daniel a surgi à la porte, épouvanté : « Ardoise a disparu ! Je ne trouve plus Ardoise ! » Il s’était aperçu de ma disparition dix minutes auparavant mais, comme le maçon était en train de travailler en conversant avec lui, Daniel a craint de paraître ridicule en s’affolant pour un chat. Personnellement, je pense qu’on ne doit pas avoir honte de ses sentiments, mais les gens de la campagne l’auraient indubitablement trouvé bizarre. Déjà, les voisins me dévisagent avec surprise et commisération quand ils me voient au jardin, affublée de mon petit collier bleu et de ma corde rose ! Daniel a donc continué à prendre un faux air dégagé, tandis que Scouby fouillait la maison, à la recherche de l’évadée. Comme vous le savez déjà, mes amis, les disparitions inquiétantes sont ma grande spécialité, aucun chat ne peut me battre dans ce domaine. Sauf peut-être Nefer, et encore !… Après avoir regardé partout, ouvert toutes les armoires, Scouby a senti la panique l’envahir. Puis, le maçon a pris congé et Daniel a pu ranger de côté sa dignité pour se joindre aux recherches effrénées. A bout de ressources, il a glapi d’une voix qui se voulait engageante : « Ardoise, viens Minette, viens chez Papa ! » Sans grand espoir, à vrai dire. Chacun sait ici que je suis la chatte qui ne répond JAMAIS au nom d’Ardoise ! Cependant, de mon côté, je trouvais que la plaisanterie avait assez duré : ces braves gens étaient dans un état proche de l’hystérie ! Se faire désirer, c’est bien, mais point trop n’en faut ! Et puis, si l’un d’eux avait attrapé une crise cardiaque, le cours de ma petite vie si bien ordonnée s’en serait trouvé bouleversé … C’est pourquoi j’ai fait surgir ma charmante personne de sous une grande bâche en plastique recouvrant une partie du grenier. Evidemment, ma réapparition a provoqué l’enthousiasme, le soulagement général ! J’ai été fêtée, caressée… Ca vaut le coup de recommencer ce petit jeu régulièrement, je trouve !
  19. Chapitre 26 : INTRUSIONS Je commence à me méfier du petit chat tigré dont je vous ai déjà parlé… Vous savez, le chaton gris aux épaisses rayures noires. Du coin de l’œil, je l’ai observé hier, de l’intérieur de la salle à manger, alors qu’il faisait irruption sur notre terrasse où se tenait Scouby. -Mééééééééé ! Ronronronron. ...a commencé le chaton en tournant autour de ma mère d'adoption, la considérant de ses grands yeux naïfs et tendres. Evidemment, ce manège lui a rapporté une écuelle pleine ainsi qu'un bol de lait dont il a fait ses délices. Puis: "Mééééééééééééé ! Méééééééééééé ! Ronronronron. .." Au lieu de se retirer (ce que je lui aurais conseillé de faire), le voilà qui se dresse sur deux pattes, s'appuyant sur le fauteuil de Scouby, et ronronnant comme un moteur ! Et donnant de petits coups de tête pour qu'on le caresse ! Et y allant de la grande scène de séduction ! - Ravissant petit chat! a roucoulé ma mère d’adoption qui se laisse toujours rouler dans la farine par la gent féline. D'accord ce n'est qu'un enfant, mais je trouve qu'il devrait se comporter avec plus de réserve dans une maison où la place est déjà prise ! Si je suis obligée d'en surveiller deux à la fois (n'oublions pas la petite futée), je ne vais plus savoir où donner de la tête, moi ! Rien que d’y penser, je suis fatiguée et remonte me fourrer sous la couette. .. Et pendant que je suis occupée à récupérer après toutes ces émotions, en bas, les souris dansent ! Scouby est en train de lire tranquillement dans le salon, quand un mouvement dans la cuisine attire son attention. Le cher Négatif, placidement installé devant mon écuelle, attend qu'elle lui donne à manger. - Négatif ! Que fais-tu là ? Comment es-tu entré ? - La porte du jardin était ouverte, M'dame Scouby ! Je connais bien les lieux, vous savez ! N'oubliez pas que je venais souvent voir mon P’pa, dans le temps ! - Et l'assiette que j'avais mise dehors pour toi ? - Elle est vide, M'dame Scouby ! La petite chatte noire. ..Mistinguett, je crois. .. était passée avant moi ! C'est vrai ! La Miss, qui porte à notre maison un intérêt passionné, s'était ruée sur la gamelle de notre chat des champs attitré sitôt que Scouby avait tourné le dos. C'est pourquoi Négatif se trouvait à présent dans la cuisine, dans l'attente de son repas. Bien entendu, il a été copieusement servi et, après s'être rassasié, a exécuté une petite gigue sur la table. - Allons, Négatif, on ne saute pas sur les tables ! - Pourtant, Mam'zelle Ardoise... et aussi mon P’pa... - Oui, oui, je sais ! Scouby se demande une nouvelle fois si elle n’a pas un peu failli dans notre éducation… Quelques instants plus tard, le Négatif s'est retiré, non sans avoir remarqué : "C'est drôlement plus relax quand la Mam'zelle Ardoise n'est pas là ! Avec elle, pas question d'entrer comme ça dans la maison, pas vrai, M'dame Scouby ?" C'est on ne peut plus exact ! Je suis un excellent chat de garde... Mais pour l'instant, je dors toujours au milieu de mes coussins en forme de coeur, sans me douter le moins de monde de ce qui se passe en bas. Négatif est en train de sautiller joyeusement dans le jardin de notre voisine, Scouby s'est remise à sa lecture, quand un nouveau mouvement, dans la cuisine, attire derechef son attention ! -Coucou ! fait une petite tête noire. -Comment, Mistinguett! On t'a pourtant interdit de pénétrer dans la maison ! Les interdictions n'ont visiblement aucune valeur pour la Miss aux yeux fripons. Elle se met à tourner sur elle-même en se pavanant avec grâce, comme elle a l'habitude de le faire. Sa petite voix chantante se fait entendre. - Miâââââââââââ ! Miââââââââââ ! Vous n'auriez pas un petit en-cas pour moi, gentille M'dame Scouby ? - Mais tu as déjà vidé la gamelle de Négatif ! - J'ai encore un peu faim... A mon âge, je dois bien me nourrir pour devenir une grande fille ! En voilà une, au moins, qui n'a pas l'idée fixe de Petite-Goulaffe : rester un enfant aussi longtemps que possible ! - Je veux bien te donner quelque chose, mais pas ici. Tu dois manger sur la terrasse, petite Miss ! - Oh, ça ne me dérange pas, M'dame Scouby ! Au passage, elle évalue les meubles, les pièces, bien décidée à s'incruster à brève échéance dans mon sweet home à moi ! Elle ignore que je ne suis pas seule à lui refuser l'accès et que j'aurai bientôt du renfort : la Bidou est, tout comme moi, résolument allergique aux chats ! C'est notre seul point commun... Hier, les chats noirs (maudite engeance !) m'ont à nouveau donné du fil à retordre ! Daniel et Scouby prenaient l'air du soir sur la terrasse. Je somnolais sur mon fauteuil de jardin. - Tiens ! Voilà Nefer qui vient nous rendre visite ! dit Daniel. Nefer, c'est encore la moins dérangeante de tous. Elle est très discrète, mais aujourd'hui, elle fait fête à mes parents d'une manière, à mon sens, exagérée: et que je me frotte contre les jambes, et que je miaule, et que je me répands en salamalecs... Scouby, la première, a un soupçon. - Tu es sûr que c'est Nefer, ce chat si affectueux ? - Ben oui, regarde son petit jabot blanc. .. - Il me semble un peu moins fourni qu'hier, le petit jabot... En outre, le Négatif, assis paisiblement un peu plus loin, ne fait pas mine de se disputer avec sa mère, comme ils en ont tous deux l'habitude... Bizarre ! - Ce n'est pas Nefer, c'est un chat mâle ! s'exclame Daniel après avoir considéré l'animal avec plus d'attention. - Rrrrrrrrrrou ! Rrrrrrrrrrou ! roucoule celui-ci en regardant Scouby avec des airs d'amoureux transi. Moi sur mon fauteuil, figée de réprobation, je commence à la trouver mauvaise ! - Serait-ce Titi ? Il me semble qu'il lui manque aussi quelques dents... - Mais non, Titi était plus roux et plus court sur pattes... Celui-ci ressemble vraiment très fort à Nefer I Encore un tour de la reine d'Egypte qui n'arrête pas de nous présenter ses sosies que nous prenons naïvement pour elle ! Décidément, je crois que le petit bosquet en face de notre maison fourmille de chats noirs, frères, soeurs, nièces, neveux et j'en passe ! C'est probablement de ce nid que sortait aussi la Bidou, il y a quelques années... Elle aussi a un minuscule petit jabot blanc ! Ca n'arrive qu'à moi, ces choses-là ! Vraiment, j'aurais dû naître tortue ! Négatif commence à prendre une assurance qui me déplaît ! Quand vous faites la causette à un chat qui se trouve de l'autre côté de la vitre, vous à l'intérieur, lui à l'extérieur, ça va, vous vous sentez chez vous et vous pouvez vous montrer assez accommodante. Mais quand l'autre fait mine de croire que chez vous c'est chez lui, rien ne va plus l Ainsi, l'autre jour, qu'est-ce que je vois de mes yeux exorbités ? Le Négatou qui entre dans ma maison d'un petit pas conquérant et s'installe devant ma gamelle à moi ! Figée de stupeur, j'ai mis un moment avant de reprendre mes esprits. Puis j'ai traversé la salle à manger pour me poster à l'entrée de la cuisine, de manière à ce que l'intrus doive passer devant moi pour sortir. - Ah, tu es entré, mon ami I Tu vas voir dans quel état tu ressortiras I Le Négatif, pas bête, a terminé tranquillement MON repas puis est allé s'allonger sur le petit tapis devant l'évier, où il a entrepris de se toiletter minutieusement. - Fais à ton aise, mon ami ! Moi aussi, j'ai de la patience ! C'est alors qu'a retenti un cri à glacer le sang ! - MlCHEEEEELE ! LA PORTE DU JARDIN S'EST OUVERTE ET LE CHAT N'EST PAS A SA CORDE ! OU EST LE CHAT ? Peu de temps après, soupir de soulagement: « Ah , je la vois ! Elle est gentiment assise à l'entrée de la cuisine ! Elle ne s'est pas enfuie ! Brave Poupousse !" - Je ne peux pas faire deux choses à la fois, dis-je, agacée. Pour le moment, je surveille. Je m'enfuirai plus tard. C'est alors que Daniel, jetant un coup d'oeil dans la pièce, y aperçoit mon prisonnier. - Tiens, Négatif I - Ah, vous voilà, M'sieur Dan ! J'attendais que quelqu'un arrive... Vous voulez pas m'escorter jusqu'à la porte du jardin, siouplaît ? Si j’y vais tout seul, je vais me faire charcuter par Mam'zelle Ardoise au passage ! Hé bien, imaginez-vous, les amis, c'est MOI qu'on a saisie pour m'enfermer à l'étage, le temps que le Négatif mange encore un morceau et quitte ma maison d'un pas paisible, après avoir reçu maintes caresses de mes parents indignes ! C'est honteux, non ?
  20. Coucou mes amis à deux pattes, à quatre pattes, à plumes ou à écailles ! Je vous souhaite une très bonne année ! Moi j'aime bien les réveillons parce que je reçois toujours quelque chose de bon : hier c'était du steak tartare et comme c'est moi le chef de la meute, j'ai été servie en premier lieu ! Les autres attendaient derrière mon dos, que j'aie terminé, mais j'ai fait exprès de manger très lentement, hi hi ! Notez qu'ils en ont reçu aussi... mais je ne sais pas pourquoi, on dirait toujours que la viande est meilleure quand on la pique dans la gamelle du chef ! La grosse Scoubidou, à l'étage, en a reçu aussi... Je me demande bien pourquoi on la nourrit, celle-là ! Vous savez que nous sommes ennemies intimes...
  21. Chapitre 25 : UNE ENQUIQUINEUSE Entre-temps, le temps a passé et le soleil est revenu. Je passe mes journées, confortablement installée sur mon fauteuil de jardin, sur la terrasse, et j'examine les alentours. Parfois, je me lève pour donner la chasse à un insecte qui volette au-dessus de l'herbe. Scouby me promène à travers le jardin, au bout de ma corde. Je me sens en vacances. Le soir, nous mangeons dehors et j'observe la nouvelle génération de chats, née de cet hiver, qui traverse mon territoire. Il y en a un qui est tout beau, tigré avec de grosses lignes noires, le menton et les pattes blancs. Il vient nous dire bonjour et manger un morceau mais ne s'approche pas de moi, depuis que je lui ai fait comprendre, d'un grognement, que je suis la terreur du voisinage. D'ailleurs, il n'a pas l'air d'un foudre de guerre : il se laisse intimider par tous les chats, même par Négatif ! Il faut dire que le Négatou n'accepte pas facilement qu'on approche de SA maison des champs ! Il sait grogner aussi fort que moi, ce qui n’est pas peu dire ! Il y en a un autre, ou plutôt une autre, vous devriez la voir ! Un peu plus âgée que le tigré, petite et toute noire, avec des yeux en boules de loto ! Et comme vous le savez, moi, les chats noirs, c'est pas vraiment ma tasse de thé depuis quelque temps... Quand e!le est arrivée, toute ondulante, j'ai directement flairé en elle l'ENQUIQUINEUSE, pour ne pas dire autrement. Je me suis dressée sur mon fauteuil et ai pris mon aspect le plus sévère, visage fermé et regard de croco. - Qui es-tu, toi ? Elle a ondulé encore plus, son petit corps musclé bien brillant sous le soleil. Ses yeux malicieux et moqueurs se sont fixés sur moi. Elle ne me plaît pas, celle-là ! - Je suis Mistinguett. ..La seule, la vraie ! Elle ment, j'en mettrais ma patte au feu ! La seule, la vraie... Et puis quoi encore ? Et d'abord, c'est qui, cette miss Tinguette ? - Mais ici, on m'appelle la Miss... Je suis une vraie danseuse, regarde ! Elle se pavane avec grâce, gonfle ses poils. - Et je chante, aussi ! Aaaaaaaah ! Aaaaaaaaaah ! entonne-t-elle d'une petite voix juste et harmonieuse. Une intuition me vient, fulgurante : c'est une seconde Petite-Goulaffe, à n'en pas douter ! Ce petit air insolent de Miss-je-sais-tout. .. Je grogne. Pas effrayée pour un sou, elle émet à son tour un petit roucoulement et regarde autour d'elle de ses yeux ronds et vifs. - Cette maison et ce jardin me plaisent, remarque-t-elle négligemment. - Tiens, dit Scouby qui vient d'arriver sur la terrasse, c'est le joli petit chat noir au collier rouge... Mais tu n'as plus ton collier, petit chat ? Je regarde de plus près. Effectivement, la Miss est le chat au collier, que nous avions déjà entrevu à plusieurs reprises. Il semble qu'outre son collier, elle ait aussi perdu sa maison et tente de se recaser. Elle n’y va pas par quatre chemins ! Elle se précipite vers la porte de MON LOGIS A MOI et jette un regard appréciateur à l’intérieur. - Pas mal, dit-elle en avançant une patte exploratrice. Une Petite-Goulaffe n° 2, je vous dis ! Je suis au bord de l'apoplexie. Heureusement, Daniel vient à mon secours. - Non, chat ! s'écrie-t-il de son ton le plus autoritaire. Pas dans la maison ! Elle retire la patte et fait quelques pas en arrière. -Hum... Nous verrons cela d'ici quelques jours, n'est-ce pas ? ronronne-t-elle. Elle goûte la gamelle que Scouby vient de lui présenter. - Pas mauvais... J'ai été habituée à mieux, mais il semble que ma vie ait pris un autre cours... (soupir) -Pauvre petite chatte I s'apitoie Scouby en caressant l'intéressée dont les yeux se remettent à pétiller de malice. Après le départ du phénomène vers d'autres jardins, elle ajoute : "Je ne me ferais pas trop de soucis pour elle : avec son physique et son bagout, elle trouvera bien une autre famille avant l'hiver !" Moi, immobile sur mon siège, je rumine : une véritable malédiction, ces chats noirs ! Malheureuse Ardoise ! Que vas-tu devenir ? - Vous broyez du noir, Mam'zelle Ardoise ? s'enquiert l'obligeant Négatif. - C'est bien le cas de le dire ! dis-je, la mine funèbre. - Il fait si beau ! Pourquoi vous faites pas un petit tour pour vous dégourdir les pattes ? - Je préfère rester sur mon fauteuil et réfléchir à la dureté des temps. .. - Ca, c'est pas mon truc, Mam'zelle Ardoise ! Allez, au revoir, je reviendrai ce soir, pour le souper ! Et zou ! Le voilà parti en gambadant. Visiblement, il s’amuse comme un fou, tourbillonnant, grimpant aux arbres, piquant un petit galop dans la rue... Plus tard, remis en appétit par cette dépense physique, il se présente chez nous pour obtenir un petit extra. Après tout, ne l'oublions pas : c'est LUI le chat des champs de cette maison, à la place de son papa ! C'est LUI qui reçoit à manger sous un petit banc, à un endroit soigneusement choisi et c'est LUI qui, de temps en temps, a droit à une part de mon steak haché !... D'abord offusquée, je ne dis plus rien. Je me contente d'exiger qu'on respecte ma méditation et qu'on ne m'approche pas de trop près, sinon je grogne ! Si un chat inconnu se permet d'insister pour lier connaissance, je prends mon air le plus glacial, ce qui fait généralement déguerpir l'intrus. Nez-Plat, lui, n'a pas encore manifesté le souhait d'échanger quelques mots avec moi... Dommage. Peut-être que je ne grognerais pas. Il est vrai qu'il est matinal, bien plus que moi qui ronfle encore dans ma chambre, alors que lui est déjà sur la terrasse ! Et quand il s'en retourne, l’estomac bien plein, je ne suis pas encore sortie de mes plumes. Nous ne nous voyons plus que par hasard, ce qui n’est pas fait pour favoriser le développement d’une grande amitié.
  22. Chapitre 23 : NOUS DEMENAGEONS Et voilà, nous sommes en train de déménager, mes parents et moi. Il y a encore beaucoup de meubles dans l’appartement, il faudra faire le tri, mais cela ne presse pas encore… Souvent nous nous retrouvons encore dans notre ancien gîte… La Bidou se demande ce qu’il se passe. Toutes les portes lui sont ouvertes et elle peut fureter à droite et à gauche (ce qu'elle adore) sans risquer de tomber sur moi (ce qu'elle n'apprécie pas) ! Olivier va la nourrir chaque jour, jusqu'à ce qu'à son tour, elle émigre... ou plutôt revienne à son village natal, ce qui est prévu pour la fin des gros travaux dans la maison, pour éviter à la bestiole tout traumatisme inutile (Bidou a peur du bruit). Scouby se demande quelle stratégie adopter pour inciter la ténébreuse à se laisser mettre en cage, le temps du trajet. Peut-être faudra-t-il, une fois de plus, lui donner un petit somnifère. .. - Miow ! - Grrrrr !... (ça c’est moi). -Vous avez intérêt, toutes les deux, à vous entendre quand nous serons tous à la maison de campagne ! a dit Scouby, impatientée, quelques jours avant le départ définitif. « Vous êtes complètement stupides, à vous chamailler comme ça ! « - C'est pas moi, c'est l'affreuse! ai-je clamé, avec une inattaquable mauvaise foi. « La preuve : je suis continuellement couchée sur une chaise, sous la table, quand la noiraude est en liberté. Je ne dis rien, je ne fais rien, je suis l'innocence même ..." - C'est pas vrai, elle ment la grisouille ! s'étrangle véhémentement la Scoubidou, sûre de son bon droit. "Elle me fait des grimaces horribles à travers cette nappe transparente! Regarde, Mamy : elle est de nouveau occupée !" - Grrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr ! pfrrrrrrrrrrrrrrrt ! - Miooooooooow ! Ouüiüün ! Moi sur ma chaise, la Bidou raide comme un piquet aux pieds de celle-ci, nous nous dévisageons avec hargne, en poussant nos habituelles clameurs. Nous allons même jusqu'à échanger des coups de patte... prudents, toutefois. Aucune de nous n'a envie de se faire estropier. Comme de coutume, mon adversaire, après quelques instants, a jeté l'éponge. Elle s'est précipitée dans sa chambre-refuge. Scouby n'était vraiment pas contente ! Daniel non plus. - Dire que leur vie serait tellement plus agréable si elles s'entendaient ! a-t-il déploré. Je n'ai pas osé répliquer qu'un peu de bagarre met du piment dans l'existence. Il me prend pour un tendre petit animal pacifique! Laissons-lui ses illusions. .. Toujours est-il que nous voilà partis... et à peine arrivés à la campagne, nous constatons que la maison de Gourmande est vide ! Ses maîtres ont déménagé à la ville et l'ont emmenée... Pauvre chatte, qui devra s'habituer à un nouvel habitat I Ils ont laissé un des chiens à leur voisin, celui que nous surnommons Popeye. Dommage qu'ils ne lui aient pas aussi laissé notre Gourmande, elle qui aimait tant venir manger chez nous ! Je suppose que les enfants (qui entre-temps sont devenus des jeunes gens, les années passent…) tenaient à garder leur petite compagne. On peut les comprendre... Du coup, maintenant, notre terrasse nous semble toute vide, quand nous nous levons le matin : c'est alors que la chatte tricolore avait l'habitude de venir nous dire un petit bonjour... Evidemment, Nez-Plat, le chat si maigre et distingué, est bien triste. Cela faisait des années que Gourmande et lui étaient ensemble ! Il vient se faire consoler par de bons petits repas. Il ne se laisse pas caresser, je le crois un peu timide et, quand il me voit à travers la fenêtre, il me jette de petits regards méfiants. Il n'a pas encore compris que j'éprouve un certain sentiment pour lui... Un si beau chat, plus très jeune d'accord; mais tellement gentlecat ! Nous pourrions parler, à notre aise, nonchalamment assis l'un près de l'autre, durant les longues soirées d'été... Ah, le romantisme ! Il m’évite de penser à certain petit problème intime… Mais puisque j’ai décidé de tout dire… Chapitre 24 : PETIT PROBLEME INTIME Parfois, en nettoyant la salle de bains à Bruxelles, Scouby s'était inquiétée : "Tiens, on dirait qu'il y a comme une petite fuite d'eau le long de la baignoire, tout près du bac d'Ardoise ?.. " Elle nettoyait. "Ca doit être quand Daniel prend son bain, l'eau déborde... " (puisque tout corps plongé dans un liquide... etc...) A la campagne, mon bac est placé dans le petit hall qui donne sur le jardin. Même scénario : - Tiens ! C'est mouillé dans ce petit coin-là... Peu à peu, la lumière s'est faite, tardivement il faut bien l'admettre, dans son esprit: "Et dire qu'au refuge de Veeweide, on m'a dit qu'elle savait se servir d'un bac de sable ! " Ca ne pouvait pas manquer, je me suis retrouvée devant la statue du commandeur : "Ardoise !... Montre un peu la façon dont tu fais pipi !... " - Hein ? dis-je, toute effarouchée, mais je fais comme les autres chats ! Pourquoi cette curiosité mal placée ? Et puis, je ne peux quand même pas montrer... hein ? Ma pudeur... Elle lève les yeux au ciel. - Alors, ne montre pas, explique ! Elle est folle ou quoi ? Comme il ne faut jamais déranger les gens qui ont un petit grain, j'obtempère, prudemment. - Ben, quand je sens un petit besoin urgent, une petite lourdeur dans la vessie, tu vois… je fonce dans mon bac, je m'arrête contre le fond, je me cale bien dans le coin et je... - Ah oui, tu te cales dans le coin, et tu fais ton petit pipi entre le bac et son couvercle... dans la petite fente, là ? -Ben oui ! Comme ça, je ne mouille pas trop mon sable ! Maintenant, ce sont les bras qu'elle lève au ciel. C’est fou ce qu’elle peut avoir l’air mélodramatique, des fois ! - Et à la campagne ? - Ben, pareil !... Je lève la queue et... - Et tout passe au-dessus du bac ! Pourquoi fait-elle cette tête ? Je fais de mon mieux pour ne pas trop salir mon sable et elle m'en veut ? Elle essaie de comprendre. Peut-être suis-je une pauvre chatte traumatisée ? Peut-être a-t-elle failli dans mon éducation ? Peut-être est-elle une mère indigne ? - Mais ma petite chérie, avant, tu ne procédais pas de cette façon-là ! - J'ai changé de tactique, dis-je obligeamment. Avant, je fonçais jusqu'au fond, jusqu'à ce que ma tête heurte le bord du bac, puis je levais ma queue... Mais je me suis rendu compte que, de cette manière, un petit courant d'air, m'atteignant le derrière, risquait de me faire prendre .froid... Elle a voulu me sermonner, mais s'est tue, découragée : comment pourrais-je comprendre ? J'en fais toujours à ma tête... et quand on monte mon petit bac pour la nuit, Scouby suit, avec un seau et une "loque à reloqueter", comme on dit chez nous. Elle a même étalé une serpillière sous mon bac, vous imaginez ? C'est bien gentil, elle doit craindre que j'attrape froid par en-dessous, mais c'est un peu exagéré, je trouve... Enfin, si ça l'amuse... -Voyons, petite chose... Je sursaute. Des mois que je ne l'avais plus vue, celle-là ! L'éternité lui va bien : elle est toujours magnifique, dans sa robe crème et vison, avec ses immenses yeux bleus. - Vot'Seigneurie, ça alors ! Je croyais que vous ne reviendriez jamais continuer vos leçons pour que je devienne un vrai chat ! En fait, je me berçais de la douce illusion d'avoir réussi tous mes examens et d'avoir enfin conquis mon diplôme de félinité... Peut-être que mon intimidant fantôme familier n'est venu que pour bavarder un peu ? -Je sais, je sais! Je viens de m'apercevoir que ta formation était loin d'être terminée .. Zut alors ! -Mais j'ai eu tellement, tellement à faire !... Je viens d'entendre que tu as des problèmes avec ton bac de sable ? Décidément, elle sait tout ! Pas moyen d'avoir une vie privée, ici ! Je m'insurge. - Moi ? Mais pas du tout, Seigneurie, c'est Scouby qui... - Hum... Peut-être est-ce une leçon que tu n'as pas bien assimilée... Ne te tracasse pas, il y a des chats qui saisissent le truc du premier coup, d'autres qui mettent une dizaine d'années... Il est clair qu'elle me range dans la dernière catégorie ! -Je t'explique la façon dont se doit d'agir une chatte digne et posée... C'est moi, ça ? - Premier principe: on ne se précipite pas tête la première dans le récipient, au risque de se cogner et se rendre ridicule. .. C'est moi, ça ! - Second principe : on entre au petit endroit en courbant tout juste la tête pour passer sous le couvercle et, sitôt après y avoir pénétré, on effectue une rotation à 180 degrés. - Mais... on doit rôtir à 180°, vot'Seigneurie ! Elle me considère avec tristesse, pense visiblement: "Mais comment ont-ils pu adopter CA, directement après MOI ? " Mais, comme apparemment, elle me trouve assez sympa bien que plutôt godiche, elle ne traduit pas verbalement sa pensée et continue bravement la leçon. - Effectuer une rotation à 180 degrés signifie: faire un demi-tour sur soi-même, de manière à se retrouver face à l'entrée du bac. - Ah ! - Troisième principe: on ne se cale pas dans un petit coin, comme un chat névrosé… Oh la la ! Névrosée, moi ? - … mais on se plante solidement au milieu du bac, les pattes postérieures écartées, la queue droite, les pattes antérieures fermement posée sur le rebord. La tête sortie du récipient, portée haut, la tête !. ..De la dignité ! Faire une gymnastique pareille, je vais jamais y arriver ! - … et on fait sa petite affaire. Majestueusement ! - Mais... si on est pressée ? Si on doit courir ? - Quatrième principe : on s y prend A TEMPS ! Assommée, je ne réagis plus. Mon Dieu, que c'est difficile d'être un chat ! Je l'aurais jamais cru en naissant ! Sinon, j'aurais choisi d'être autre chose... Une tortue, par exemple... Une tortue n'a pas tous ces problèmes. Elle se balade avec sa maison, son bac et tout sur son dos, elle mange de la salade et elle est contente. Quand elle en a marre, elle fait la boule et personne ne peut plus la houspiller. En plus, elle vit longtemps. - Alors, c'est bien compris ? - Voui, je crois, heu... - C'est bien. Je vais devoir à présent te laisser te débrouiller seule, car je dois accueillir là-haut un groupe de nouveaux venus... Les mettre au courant et tout ça... Mon coeur fait un petit bond. - Seigneurie, là-haut... y aurait pas un chat noir et blanc, appelé Orca ? Un maigre, avec des yeux gentils et une tête à la Zorro ? Et une petite odeur spéciale ? - Orca. .Orca. ..Le chat qui ressemble à Depardieu ? - Mais voui c'est lui ! - Hou, c'est la coqueluche, là-haut, je ne te dis pas ! Tout le monde le connaît ! Un vrai boute-en-train, ton ami !... Si tu veux, je le saluerai de ta part... - Oh oui, siouplaît ! - Maintenant, il faut que je file, petite chose, au revoir ! Et n'oublie pas ma leçon ! La voilà disparue. Je suis bien contente d'apprendre que l'Orca s'amuse là-haut. Même si c’est sans moi. Sans moi... Snif ! Quant à la leçon, c'est autre chose... J'ai pas compris cette histoire des 180°...
  23. Chapitre 22 : LA JETEUSE DE SORTS En parlant de sorcière, je dois avouer que, parfois, une tentation me prend : et si je jetais un sort à ma bête noire ? Je me mets à rêver : il faudrait d'abord que j'en trouve une, de sorcière ! Poser la question à Néfer ? Je n'oserais jamais : si elle a des pouvoirs occultes et si je la vexe, elle me transformerait peut-être en vilain crapaud ? Toujours est-il qu’en pensant à tout ça, je m'endors... et je commence à rêver. Je vois une jolie petite chatte (moi), cachant sa grise et riche fourrure sous un manteau couleur de muraille, l'oeil aux aguets, s'introduire furtivement dans la tanière de la sorcière de notre village. La sorcière ressemble à Néfer, sauf qu'elle n'a pas son gentil regard. Il n'est d'ailleurs pas méchant non plus, ce regard : il est tout simplement mathématique. La sorcière, habillée d'un fichu rouge du plus bel effet, se tient devant une grosse boule de cristal, très impressionnante. La sorcière (lyrique) : Qui donc à la porte de mon antre a sollicité l'entre ? Est-ce un ange ou un vampire qui ce soir souhaite m'entretenir ? La petite chatte (timide) : Heu... C'est rien que moi, Madame la Sorcière: moi, la chatte Ardoise... La sorcière : Dans le cristal que souhaite Ardoise découvrir ? Le passé, le présent ou l'avenir ? La petite chatte (gênée) : En fait, hem... Je viens pour faire jeter un sort... La sorcière : Et pourquoi, ma belle, à un être de votre sang vouloir infliger peines et tourments ? La petite çhatte (se tortillant) : Ca doit pas être si grave, hein! J'veux pas que la Bidou en tombe malade! J'veux seulement qu'elle disparaisse illico presto ! Comme dans les dessins animés, vous voyez ? Plop ! Plus personne! Qu'est-ce qu’y a moyen de faire, Madame la Sorcière ? La sorcière : 'D'abord il me faut définir votre thème astral ainsi que celui de l'autre animal. Entre vous la moindre similarité représenterait un affreux danger ! La petite chatte (offusquée) : Oh, il n’y a certainement RIEN de commun entre elle et moi! J'en suis sûre, Madame la Sorcière ! La sorcière : C'est à moi de juger en cette occurrence. Donnez-moi votre date de naissance. La petite chatte (plongée dans ses calculs) : J'ai dix ans... Nous sommes en... heu... La sorcière : L'an de grâce 2001. La petite chatte (effrayée) : Déjà ? Bon... Alors je suis née en 1991. La sorcière : Le mois ? La petite chatte (fébrile) : J'avais deux ans et demi quand Daniel et Scouby sont venus me chercher au refuge... à la fin d’un mois d'octobre. La sorcière: Ce qui nous mène, en dernière instance, au mois de mai pour votre naissance. Mai 1991. La petite chatte (soulagée) : Voui, voilà, c'est ça. La sorcière: Ce qui fait de vous un chat Taureau, du zodiaque l'un des signes les plus beaux. La petite chatte (flattée et ravie) : Voilà, c'est tout moi, ça ! Ah, la Bidou peut aller se rhabiller ! La sorcière : Voyons à présent de votre adversaire quand vient le mois d'anniversaire. La petite chatte (dont le cerveau bouillonne) : Ah, oui, d'après ce que je sais, la Bidou est arrivée un jour dans notre jardin dans le courant du mois d'août... Le vétérinaire a dit qu'elle avait trois mois... Flûte! Elle est née en mai… C'est pas juste ! Pourquoi elle se permet d'être un Taureau comme moi ? La sorcière : Et, ma chère, en quelle année cet événement s'est-il déroulé ? La petite chatte : Heu... La chatte Caramel vivait encore... Elle était en bonne santé, donc ça devait être la troisième année avant son départ... Comme elle est morte en 1994, ça veut dire que Bidou... La sorcière (répétitive) : Ce qui nous mène, en dernière instance, à l'année 91 pour sa naissance. Mai 1991. La petite chatte (effondrée) : Mais comment c'est possible ça ? On est nées le même mois de la même année ? Alors je suppose que je ne peux pas la faire disparaître ? La sorcière : Le moindre mauvais sort vous mettrait toutes deux en danger de mort ! Comme elle achève ces mots, la boule de cristal se met à vibrer, s'emplissant d'un épais brouillard blanc. ..Dans lequel je nous vois distinctement, la Scoubidou et moi, munies de petites cornes et d'une queue de taureau ! - Meuh ! fait la double apparition. Je me réveille en sursaut, horrifiée. Quel rêve ! Le comble, c'est que c'est vrai que la Bidou et moi avons exactement le même âge !
  24. Chapitre 21 : PETITE VIE ROUTINIERE Ma vie est bien routinière en ce moment. Daniel est à la maison mais Scouby travaille toujours, ce qui fait que mes petites habitudes n'ont guère varié : réveil à six heures, lorsque la radio se met en marche. Ma mère d'adoption reste encore quelques instants à rêvasser sous la couette, tandis que je trépigne d'impatience. Pour l'encourager à se lever, je n'hésite pas, comme vous le savez, à mettre la patte à la pâte : hop ! Je saute sur le lit, pousse mon petit nez contre son menton, y vais du geste et de la parole: "Hé, lève-toi ! Lève-toi ! J'ai faim !" Notez que cette habitude est très positive : quand Daniel passe quelques jours dans les Ardennes, c'est à moi qu'incombe l'ENORME responsabilité de réveiller Scouby pour qu'elle n'arrive pas en retard à son travail ! C'est une marque de confiance que me donnent mes parents et je m'en montre bien digne, je peux vous l'assurer ! Quand, enfin et grâce à mes efforts, elle daigne se lever, je trottine à sa suite et l'accompagne cérémonieusement à la cuisine, comme j'ai déjà eu l'occasion de vous l'expliquer. Elle me sert à manger. Je renifle soigneusement mes plats puis lui lance un regard de côté : la voilà qui remplit une autre assiette, un bol de lait... Je soupire: c'est la pitance de l'incontournable Bidou. A pas menus, je suis Scouby jusqu'à l'antre où la créature s'est aménagé, mine de rien, une petite retraite confortable. Prudemment, je demeure hors de portée de la vue de ma chère "cousine" et essaie de deviner si elle est réveillée ou non. Dans la majorité des cas, Scoubidou, beaucoup moins matinale que moi, dort encore à pattes fermées, soit dans une cachette obscure, soit sur le fauteuil d'Olivier. C'est à peine si elle ouvre un oeil ou se retourne quand elle entend Scouby remplacer les plats de la veille par ceux du matin. Parfois, cependant, une petite faim l'a poussée à se lever de bonne heure et elle accueille favorablement l'arrivante. Je parle de Scouby, pas de moi, bien sûr ! Moi, je reste cachée dans l'ombre propice ! - Bonjour, ma Bidou ! - Yek ! Pouic ! C'est comme ça qu'elle parle, la bestiole : avec un accent plébéien à couper au couteau. Vous comprenez à peine ce qu'elle veut dire ! De mon refuge, je lève les yeux au ciel. Scouby sort de la chambre et referme la porte. Je m'enhardis jusqu'à renifler le seuil derrière lequel la Bidou entame placidement son petit déjeuner. Après quoi, je vais m'allonger sur le radiateur d'où je contemple mon boulevard bien-aimé, tout doré dans le soleil levant. Quand la lumière matinale me caresse le dos, je vibre de joie, me soulève haut, très haut sur mes quatre pattes, j'absorbe le soleil par chacun de mes poils, toute dorée moi aussi. Vous vous direz : "Tiens ! Ardoise est moins sans-gêne qu'avant, avec Bidou !" C'est vrai. J'irai même jusqu'à dire que je me tiens à carreau. Prudence est mère de sécurité, après tout ! Je crois d'ailleurs que la ténébreuse a adopté la même attitude en ce qui me concerne. Nous ne nous rencontrons plus que par le plus grand des hasards et encore, jamais le matin. Il est trop tôt pour se bagarrer... Puis Scouby s'en va et je me rendors. J'entends Daniel se lever, s'activer dans l'appartement : il trie des tas de papiers auxquels je ne comprends rien. Au début j'avais proposé de l'aider, mais il prétend que je mets la pagaille partout, alors maintenant je ne bouge plus. C'est agréable de ne rien faire quand les autres travaillent ! Dans l’après-midi, il s'installe dans son fauteuil et moi je saute sur ses genoux avec enthousiasme. Nous passons quelques heures tranquilles, à regarder la télé comme un vieux couple. Ma quiétude prend fin quand Scouby rentre du travail, parce que, comme vous le savez, elle ouvre alors la porte de la Bidou pour permettre à l’animal de circuler à sa guise et de s'adapter petit à petit à la vie en société. Vraiment, malgré les efforts de ma mère d'adoption, je ne peux pas dire que Bidou soit un animal très sociable. Au fil des mois, elle a quand même accepté qu’on la caresse, mais pas longtemps, hein, attention ! Une petite câlinerie sur la tête et la nuque, et c'est tout ! Par contre, elle cause. Mais qu'est-ce qu'elle cause! Un vrai moulin à paroles ! - Kwêk ! Pouic ! Miow ! Dès qu'elle voit Scouby, elle s'anime, lui conte par le menu les hauts faits de sa vie quotidienne, lui soumet ses desiderata. -Ouke t'étais ? Pouik ! Je commençais à m'embêter ! T'aurais pas du steak tartare pour mol ? Ou une bonne petite côtelette bien cuite ? Moi, l'inénarrable Ardoise, d'un mouvement coulé soigneusement étudié, je me glisse silencieusement sous la table de la salle à manger, grimpe comme une couleuvre sur une chaise. De cette cachette, je peux observer sans être vue. J'en retire de grandes satisfactions, car cette position élevée me donne un certain avantage, tant moral que physique, sur ma colocataire... Scouby se dirige vers la cuisine, la noiraude lui emboîtant joyeusement le pas. Je grince des dents avec discrétion : il y en a vraiment ici qui se croient tout permis ! La porte du frigo s'ouvre. La bestiole se perd en commentaires. - Pouik ! Ouik ! Yabon-yabon ! Yek ! Décidément, sa façon de parler me fait perdre la boule. C'est-y un chat, ça ? Furieuse, je passe la tête sous la nappe, me livre à un commentaire désobligeant. - Grrrrrrrrrrrrrrrrr ! Frrrrrrt ! La Bidou, qui traverse le hall sans complexe, dresse l'oreille, surprise. Elle jette un regard autour d'elle. Personne ! Je me suis à nouveau soigneusement dissimulée. - J'ai cru entendre la voix de la Grisouille... J'la croyais partie, celle-là !... - Partie, moi ? Grrrrrrrrr ! Scoubidou lève les yeux, regarde le lustre, le sommet des meubles. Elle entend grogner mais ne sait pas d'où ça vient. Elle traverse la pièce à pas prudents, s'approche de ma chaise... - GRRRRRRRRRR ! Cette fois, elle aperçoit mes yeux et mon museau sous les pans de la nappe. Mon regard glacé l'hypnotise... D'abord elle écarquille les yeux à son tour, veut me rendre la monnaie de ma pièce... Puis son attention s'égare... elle suit le vol d'une mouche, bâille un bon coup... Elle abandonne, se précipite dans sa chambre. Je reste maîtresse du champ de bataille, experte en combats psychologiques. Nos rares dialogues ne font rien pour arranger les choses. - Keske tu fais dans ma cuisine, toi ? - Je regarde Mamy Scouby qui. .. - QUOI ? C'est pas TA Mamy ! - Si ! J’ai beaucoup de Mamies, moi, Grisouille ! - Mon œil ! Moi j' ai une vraie grand-mère à deux pattes. .. - Ah oui ! La Mamy qui est venue me nourrir quand t'étais en vacances. .. Elle est à moi aussi ! Décidément, elle me pique ma famille, cette horrible ! - Et puis, il y a aussi ma tante Germaine ! - HEIN ? Ma tante Germaine à moi ? - Ben oui ! A nous ! Elle a même dit, tante Germaine, que si elle avait dix ans de moins, elle m'adopterait bien parce que je suis une pauvre petite chatte toute seule... - T'es pas seule! Tu m'as ! Estomaquée qu'elle est, Scoubidou ! Puisque c'est comme ça, je décide de faire montre d'une grande fermeté à l'égard de ma famille. - Si vous laissez la Bidou courir dans toutes les pièces de mon appartement, à votre guise mais c'est bien simple : tant que l'animal sera en liberté, vous ne me verrez plus ! Je ne vous ferai l'honneur de ma présence que lorsqu'elle sera dans sa chambre, vu ? D'abord, ils ne m'ont pas prise au serieux. Puis, ils ont vu... Sitôt que la porte de la chambre scoubidienne s'ouvre pour livrer passage à la ténébreuse, je me volatilise : aplatie comme une crêpe sur une des chaises de la salle à manger, dissimulée par la nappe comme je l'ai décrit plus haut, je ne donne plus signe de vie. Je guette. Parfois, Scouby, gagnée par l'inquiétude, se penche pour s'assurer si je respire encore. C'est à peine si elle distingue une petite silhouette sombre et immobile, aux yeux phosphorescents : une statue de chat, un bloc de désapprobation. Quand la Bidou regagne ses pénates pour passer une nuit tranquille dans sa chambre bien close, je ressuscite : toute follette, je me précipite sur le sol pour aller taquiner Daniel qui regarde la télé. - Hé, regarde-moi, c'est moi qui gratte le tissu de ton fauteuil ! - Hé là ! Arrête de faire des bêtises ! Tiens ! Où est-elle passée ? - Coucou ! C'est moi qui suis de l'autre côté ! Essaie de m'attraper ! Je me conduis exactement comme si la Bidou n'existait pas. Comme si je ne venais pas de passer des heures dans une immobilité obstinée… - Ardoise, pourquoi ne veux-tu pas t'entendre avec la pauvre Scoubidou ? Je ne réponds pas. Existe-t-il d'ailleurs une réponse à cette question ? Avec mes humains, je suis la gentillesse et la douceur mêmes, tout le monde me dit que je suis une crème de chatte,.. Mais avec mes soeurs félines, c'est une autre question. Jusqu'au pauvre Négatif qui, pour une fois, lors de mon week-end à la campagne, n'a pas bénéficié de ma haute bienveillance. - Bonjour, Mam’zelle Ardoise ! - Keske vous faites ici à bâfrer si près de mon auguste présence ? Du balai ! D'abord décontenancé, le Négatou se reprend vite. Sa petite figure se crispe. - Mam 'zelle Ardoise, c'est ma place pour manger, sous ce petit banc ! Faut pas non plus me traiter comme n'importe qui ! Si vous voulez que je reçoive ma gamelle n'importe où, comme un clodo, alors c'est plus la peine de m'attendre ! N'oubliez pas que c'est moi le chat des champs de cette maison, à la place de mon P’pa ! Vous me devez un minimum de considération ! Et toc ! Je flotte, l'espace d'un instant. Ne te laisse pas marcher sur les pattes, Ardoise ! Je prends un air menaçant, histoire d'intimider le blanc-bec. - Attention, Mam 'zelle Ardoise ! Grrrr ! J'en reste sidérée. C'est ça la jeune génération ? Décidément, les temps changent, en mal : le respect des anciens se perd ! Mais voilà le chat gris dont la fourrure ressemble si fort à celle de la Petite-Goulaffe. .. - C'est déjà un vieux chat, dit Daniel. Regarde, il lui manque même une partie de ses dents. .. Apitoyée, Scouby sert une assiette bien copieuse. Le regard du chat (que nous appelons "Nez-Plat') s'éclaire. -Ca a l'air bien bon, ça ! Permettez... je vais prévenir ma douce amie qu'un festin nous attend. . Il disparaît, pour revenir quelques minutes plus tard avec... Gourmande, qu'il semble traiter avec beaucoup d'égards ! - Tenez, ma chère, mangez la première !... Bien sûr, la chère et tendre ne se fait pas prier ! Ils semblent se connaître de longue date… Je m’interroge : Nez-Plat serait-il, par hasard, le père de l'inimitable Petite-Goulaffe, la révolutionnaire du village ? Contrairement à sa turbulente progéniture, il est, lui, très «vieille-France », un peu comme notre Orca… Un chat de bonne famille, qui a dû avoir des malheurs et qui s'est exilé dans notre coin perdu... Que c'est romantique... Mon imagination prend son envol. Je taillerais bien une bavette en sa compagnie, mais il semble que moi, j'intimide tout le monde, comment est-ce possible ? On se contente de me saluer avant de s'éloigner, alors que Gourmande, elle, est copine avec tous les chats de notre rue ! - Mais pourkwâ ? - Heu... z'êtes un peu lunatique, Mam'zelle Ardoise, essaie le bon Négatif, pas rancunier pour un sou. On ne sait jamais sur quelle patte danser, avec vous I Mme Gourmande est d'une grande égalité d'humeur, hein, même que vous n'êtes jamais arrivée à la fâcher. .. Je soupire. Il faut dire que la détestable corde, qui limite ma liberté, ne m'incite pas à la bienveillance universelle ! Mélancolique, je regarde Négatif qui grimpe à toute allure au sommet du noyer. - Je voudrais bien en faire autant, moi ! Scouby allonge ma corde. J'explore mon nouveau périmètre. - Oh ! J'irais bien au-delà de la haie ! Pourquoi je ne peux pas courir dans la rue, moi ? Pour la centième fois, on m'explique: je suis une chatte d'appartement qui n'a aucune notion du danger (Ah non ? Quel danger ?), je suis trop naïve (Ah voui, vous croyez ?), il existe de par le monde des êtres, notamment des chiens, qui n'hésiteraient pas à s'attaquer à une mignonne petite chatte vagabonde (c'est-y possible ça ?) et qui la poursuivraient et, vu que la petite chatte en question ne court pas vite (Pouf ! Pouf !), pourraient lui faire beaucoup, beaucoup de mal, la mordre par exemple (Oh la la !). Bon, je veux bien admettre tout ce qu'on voudra. Je tiens à ma sécurité. Mais tout de même ! Pourquoi je suis la seule à être ridicule comme une chèvre au bout d'un piquet ? -Mais tu n'es pas ridicule du tout, mon Ardoise ! Là, nous ne sommes pas d'accord ! Toujours est-il que j'en suis réduite à observer Négatif qui chasse les oiseaux avec conviction. -Vous voyez, Mam’zelle Ardoise, c'est simple, faut ramper comme ça, en ayant l’air de ne pas bouger... - Mais le zoizeau vous a vu, il rigole, regardez ! - Non, non... voilà... voilà... Et puis, d'un bond souple... - Oh, il s'est envolé, le zoizeau ! Z'avez pas de chance ! Négatif s'ébroue, sans perdre sa bonne humeur. - Ce sera pour une autre fois, Mamzelle Ardoise, quand j'aurai vraiment faim... ce qui n'est pas le cas lorsque votre famille est en week-end. Mais les autres jours, faut bien que je me nourrisse ! En parlant de Négatif et de sa famille, je dois vous confier un secret : il existe un mystère Néfertiti... Vous vous souvenez, je vous ai dit qu'elle avait tellement vieilli, la pauvre chatte ! Et c'était vrai. Ces derniers temps, on commençait à s'inquiéter : une nouvelle fois, plus de Néfertiti ! - Pauvre bête, je crains qu'elle n'arrive à la fin de sa vie, a soupiré Scouby. Moi, j'observais un silence plein de condoléances. ..C'est vrai, je ne suis pas très amicale avec les autres chattes, mais Néfertiti, ça fait de longues, très longues années que nous la connaissons. Eh bien, juste quand nous étions occupés à parler tristement d'elle, voilà que Scouby jette un coup d'oeil entre les deux maisons, vous savez, là où nous avons l'habitude de déposer les assiettes pour nos chats errants. Justement, une petite silhouette noire est occupée à se régaler. .. Scouby pousse une exclamation de joie. - Est-ce toi, Néfer ? La chatte lève la tête. C'est bien la fourrure sombre, la petite collerette blanche... mais s'il s'agit de Néfer, c'est une Néfer toute rajeunie qui se présente à nos yeux ahuris ! Scouby n'en revient pas. S’agit-il réellement de notre Néfertiti ? Daniel, à son tour, examine l'arrivante qui prend des petites mines effarouchées. - Elle a le même comportement, les mêmes habitudes, ce ne peut être qu'elle ! Mais comment la chatte noire peut-elle ainsi vieillir et rajeunir à volonté ? Se présenter triste et pelée et, quelques jours après, toute pimpante, le regard candide, la fourrure brillante ? Seraient-elles deux, ou trois ou plusieurs ? Néfer est familière de ces tours : souvenons-nous de Titi ! -Impossible, dit Scouby, c'est bien notre Néfer, aucun autre chat ne peut lui ressembler à ce point ! Toujours est-il qu'elle a l'air d'une toute jeune fille... Et si elle était sorcière, Néfertiti ? Ou peut-être détient-elle un secret de longévité, venu de l'ancienne Egypte ? Nous sommes restés perplexes et, finalement, avons donné notre langue au chat.
  25. Chapitre 20 : HOLLYWOOD ET TONDEUSES A GAZON. On m'empêche de vivre mon destin ! Je dois me contenter de le rêver, alors je le rêve à fond, blottie sur un fauteuil de jardin. Voilà, je suis à Hollywood. Derrière mes yeux clos se déploient des guirlandes lumineuses, des affiches immenses : " LA VIE FABULEUSE DE L'ETONNANTE CHATTE ARDOISE" avec, jouant son propre rôle, la divine, merveilleuse Mlle ARDOISE C… et, dans le rôle du faire-valoir-repoussoir, la peu talentueuse Mlle SCOUBIDOU PASSAGE... Tiens ! La Bidou vient s'insinuer jusque dans mes rêves, dites donc ! En plus, elle se permet d'intervenir ; apparemment, elle n'est pas contente de la place qu’elle occupe sur la gigantesque affiche. -J'veux mon nom plus grand que le tien ! Et puis j'veux que le film change de titre ! C'est une affiche comme ça que j'veux !" Et devant mes yeux horrifiés se dessine : "LES FANTASTIQUES EXPLOITS DE BIDOU LA PANTHERE NOIRE" avec, dans le rôle de l'héroïne, celle qui obtint le César de la meilleure actrice : Mlle SCOUBIDOU PASSAGE et, dans le rôle de la Méchante, une certaine ARDOISE C… Je suis en train de suffoquer d'indignation quand je me réveille, soulagée. Ouf, elle n'est pas là ! Ce n'était qu'un mauvais rêve ! J'entreprends une minutieuse toilette pour me purifier de tout ça. Pourtant, quelque chose me turlupine : méchante, moi ? -Suis-je une méchante ? -Mais non, Mamzelle Ardoise ! Avec moi, vous êtes très gentille ! Avec P’pa, vous étiez bien un peu enquiqui... heu, un brin taquine, mais bon... -Pourquoi est-ce que je ne supporte pas la Bidou ? -J'sais pas, Mamzelle Ardoise! Peut-être que vous croyez qu'elle va vous voler votre appartement ! Pourtant, un appartement, ça ne se vole pas si facilement, c’est lourd à porter, pour un chat ! Peut-être. Mon processus de pensée est bizarre, parfois. Scouby a dit récemment que la Bidou et moi, on était un véritable gibier de psy-chat... Chacune dans un registre différent. Laissons ma santé mentale en suspens. J’ai eu une idée lumineuse, comme toujours. -Vous savez quoi ? Je vous nomme ma meute, vous, le Négatif ! C'est un grand honneur, non ? Il plisse la figure comme il sait le faire (moi pas). Il recule prudemment. -Je ne demanderais pas mieux, Mam’zelle Ardoise, mais j'ai tant de travail ! M’dame Belot m'a demandé de distraire ses petits-enfants, c'est une grosse responsabilité, vous savez ! Un emploi à plein temps ! Peut-être que je pourrais être votre meute une ou deux heures par jour, si ça vous arrange. .. C'est mieux que rien. Evidemment, une meute qui se limite à une seule créature, ce n'est pas très prestigieux... Surtout que le Négatif est plutôt menu... Ce n'est pas comme la panthère noire... Enfin, il faut faire avec ce qu'on a ! D'autant plus qu'il est gentil, le Négatou. Je me demande même s'il n'aurait pas un petit béguin pour moi. ..Il y a bien une légère différence d'âge, mais de nos jours... -Au moins, vous, vous me manifestez la considération à laquelle j'ai droit ! ronronné-je souverainement, en décochant à l’animal un regard de haute bienveillance . - C'est normal, hein, Mam’zelle Ardoise ! Après tout, vous pourriez être mon arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière grand-mère, s’pas ! - Argh ? - Ben oui, continue l'inconscient. Si je calcule qu'une chatte peut avoir des chatons à. un an, que vous avez neuf ans et moi trois ans, alors vous pourriez être mon arrière-arrière. .. J’ai mis du temps à m'en remettre. Quel imbécile, ce Négatif ! Entre-temps, les jours ont passé et le temps se maintient au beau fixe. Parmi les membres de ma cour s’est introduit un nouveau venu : un drôle de chat gris rayé, avec des reflets roux, et un petit museau curieusement aplati. -Ne serait-ce pas Petite-Goulaffe ? demande Scouby prise d'espoir. Nous allons chercher une photo de la Petite-Goulaffe, l'étudions soigneusement. Le chat possède apparemment la fourrure de l'intéressée, sa corpulence... mais pas du tout sa tête, il faut bien l'avouer ! -C'est peut-être Petite-Goulaffe qui aurait attrapé un coup sur le nez, dit Scouby sans conviction. L'expression du regard non plus, n'est pas la même. Ni la forme des yeux, ni... Non, décidément, il ne s'agit pas de la petite peste de notre village. Où a-t-elle bien pu diriger ses pas aventureux ? Cette question restera probablement sans réponse... D'autant plus que sa maison, et par conséquent celle de sa maman Gourmande, est maintenant à vendre ! La charmante Gourmande va donc, elle aussi, disparaître de mon horizon. C'est dommage, je trouve : conciliante comme elle l'est, j'aurais peut-être pu, avec quelques efforts supplémentaires, l'incorporer elle aussi dans ma meute... Il va falloir que je me rabatte sur le chat gris. Faisons connaissance. - Bonjour! lui dis-je aimablement, en m'approchant de lui. Nous nous reniflons le bout du museau. Pas de chance : le voilà qui s'éloigne précipitamment après avoir croisé mon regard. Mon fameux regard de croco qui ne correspond certes pas à ma personnalité profonde, mais qui trouble les chats qui ne me connaissent pas. Et quand ils me connaissent, ce n'est pas vraiment mieux : ils me trouvent autoritaire ! Tout ça parce que j’aime qu’on m’obéisse à la patte et à l’œil, ce qui est la moindre des choses, vous en conviendrez… L'autre jour, j'étais tranquillement allongée dans mon fauteuil sur la terrasse, et j’ai cru voir la Bidou passer dans le jardin ! Je me suis dressée toute droite et raide, tétanisée par le choc ! -Du calme, Ardoise, ce n'est pas Scoubidou, c’est tout simplement Nefer ! est intervenue Scouby qui avait remarqué ma réaction. Tu vois bien qu'elle est beaucoup plus petite et mince que notre Bidou ! Effectivement. Pourtant, cette fourrure noire, ce petit jabot blanc... -C'est vrai que, le gabarit mis à part, elle ressemble beaucoup à Scoubidou, continue ma mère d'adoption. C'est probablement sa soeur, tu sais. Elles doivent avoir le même âge, cela fait si longtemps que nous connaissons Nefertiti. .. C'est alors que je m'avise que neuf ans, c'est encore jeune pour un chat d'appartement, mais pas pour un chat des champs ! La pauvre gentille Nefer semble atteinte subitement par l'âge, ses yeux sont à présent surmontés de poils blancs et son beau pelage noir se fait terne. Quelle différence de condition entre nous… J’en suis toute remuée. Finalement, la vie en captivité comporte certains avantages... Daniel fait vrombir sa nouvelle tondeuse à gazon. C'est un véritable roman, l'histoire des tondeuses de Daniel ! Au début, nous avions un engin de style préhistorique, sans panier récolteur, qui tondait l'herbe avec une certaine bonne volonté, mais qui perdait constamment un morceau de son anatomie, principalement les roues. Chaque week-end ou presque, Daniel devait la faire réparer à la ville, chez le marchand de vélos qui possède également un atelier de bricolage. Les dégâts étaient toujours minimes : il suffisait de resserrer une courroie ou une vis… et la tondeuse repartait, pour quelques jours. Au bout de plusieurs semaines de ce manège, je crois que notre tondeuse à gazon était devenue célèbre dans la région ! Ensuite, mon tonton Jean-Marc a renouvelé son matériel de jardin et a donné sa vieille tondeuse à mon père d'adoption. Celle-là possédait un panier récolteur d'herbe, ce qui représentait déjà un notable progrès. Elle fonctionnait assez bien, pour autant que Daniel arrive à la faire démarrer... ce qui n'était pas évident. II avait beau tirer sur la courroie, s’escrimer; tempêter... La tondeuse ne se dévouait que lorsqu'elle le voulait bien. Rebelote à l'atelier de réparation : les doigts dans le nez, le marchand serrait nonchalamment un écrou, effleurait une sangle. ..et la tondeuse ronronnait. Elle changeait d’avis aussitôt revenue à la maison. Alors, Daniel en a acheté une nouvelle, toute rouge et rutilante, auto-tractée en plus ! Il a mis une demi-journée à la monter puis, en grande cérémonie, la tondeuse s’est attaquée à l'herbe du jardin. Elle avait à peine franchi cinq mètres que son auto-traction s'est brisée contre une racine de notre grand sapin. Au magasin où Daniel l'avait achetée et où il est retourné se plaindre, aucun vendeur n'a voulu croire, en voyant la courroie d'auto-traction tellement abîmée, que la machine n'avait .fonctionné qu'une seule fois ! Du coup, Daniel a renoncé à l’auto-traction et a continué à tondre la gazon avec la belle tondeuse rouge, telle quelle. Hélas, cette ravissante idiote n'a pas tenu le coup contre les accidents de terrain: ses lames se sont brisées comme verre, et le reste aussi. Seul le moteur a survécu. Mais que peut-on faire avec un moteur tout seul ? Daniel a fait l'acquisition d'une nouvelle petite tondeuse, toute simple et légère, jaune et verte. Jusqu’à présent, celle-ci fonctionne... Nous touchons du bois ! Les deux premières tondeuses devaient normalement finir à la poubelle, mais un de nos voisins les a acceptées avec reconnaissance. Chez lui, elles fonctionnent très bien, il en est enchanté. Mes parents lui ont donné aussi deux vieilles télévisions en panne, qui traînaient dans notre garage et qui, elles aussi, étaient destinées à la casse. Le voisin est ravi : il a installé l'une des télés dans son salon et, tous les soirs, il est au spectacle : aucun problème ! Pour lui, nous représentons une vraie mine d'or. Il a dit récemment à Daniel: "Surtout, si vous avez encore quelque chose à jeter, n'hésitez pas, hein, je prends tout !" J'ai comme l'impression qu'il croit que Daniel n'est pas très doué pour la mécanique ... Moi, je dirais qu’il n’a pas tort, mais ne le répétez pas à mon père d’adoption, je me ferais mal voir !
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