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Mam'zelle Ardoise

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Tout ce qui a été posté par Mam'zelle Ardoise

  1. Chapitre 19 : MICHEEEELE ! Au début du mois, je suis allée passer une semaine à la campagne avec Daniel et Scouby. La Bidou est restée à l'appartement et ma « Mamy » (la mère de Scouby) avait promis de venir régulièrement la nourrir et lui tenir compagnie. Evidemment, je n'ai pu m'empêcher de mettre mon grain de sel dans ces dispositions. -T'es pas obligée de te mettre en frais, Mamy, que je lui ai dit de mon petit air le plus sentencieux, la Bidou n'est qu'un bête animal sans importance ! Incapable d'apprécier le charme de ta conversation ! J'ai dit ça parce que, le jour où Mamy est venue nous voir à l'appartement pour faire la connaissance de la noiraude, celle-ci était restée cachée sous le lit et n'avait pas voulu en sortir. -Tu sais, Marraine, a renchéri Olivier, tu ne la verras pour ainsi dire pas, Scoubidou ! E!le est trop timide pour se montrer ! On dit ça, on dit ça... Mais, lors de ses visites quotidiennes, Mamy a très bien vu la Bidou qui venait à sa rencontre quand elle entendait s'ouvrir la porte de l'appartement ! Evidemment, elle n'a pas osé la caresser, sachant que l'animal ne tolère pas les marques de familiarité. Tout de même, il y a eu un certain contact. La chatte noire ne s'est pas terrée, comme de coutume, sous un meuble. Peut-être qu'un jour, dans très longtemps, on arrivera à quelque chose avec elle. Par exemple à l’incorporer dans une meute… - La pauvre petite bête I a dit ma Mamy lorsque nous l'avons revue. "Si timide ! Et toujours enfermée ! » - Et moi alors ? que j'ai répondu, agacée comme on le comprend. « Moi aussi, je suis presque toujours à l'intérieur ! Bon, d'accord, dans la journée j'ai plus d'espace... mais je ne dispose pas de la liberté rêvée, comme certains chats des champs que je connais. » C'est vrai quoi ! Il faut remettre les pendules à l'heure ! Y en a que pour la plus stupide chatte de toute la création ! Bidou par ci, Bidou par là. ..Et de la plus intelligente (vous savez qui), on ne parle même pas ! C’est sans aucun regret que j’avais pris congé de cette compagne imposée pour aller prendre l'air à la campagne ! En fait d'air, c'est plutôt la pluie que j’ai prise ! Le jardin a été bien arrosé, ça oui ! Je sortais manger mon herbe en slalomant entre les trombes d'eau. Tout le reste du temps, je le passais pelotonnée dans mon panier devant le feu. Pour la première fois de ma vie, je me suis ENNUYEE ! Je n'avais rien à faire ! Pas de Bidou à asticoter! Pas de Négatif à dominer ! L'animal passait bien en coup de vent pour se mettre quelque chose sous la dent, mais n'avait pas envie de se percher sur le rebord de fenêtre trempé pour converser avec moi. Il préférait se mettre à l'abri, vous imaginez ? Délaisser les charmes de ma conversation pour éviter quelques gouttes de pluie ! J’en reste sans voix ! Faute de mieux, je m'étais résignée à me tourner vers mes parents... mais ils étaient trop occupés pour me dorloter à longueur de journée : Scouby rangeait les armoires, Daniel travaillait dans le fenil. - Si tu veux, je peux t'aider à ranger, dis-je gentiment. C'est ma spécialité ! - Hum! Je dirais plutôt que ta spécialité, c'est farfouiller partout pour dé-ranger, ma pauvre Ardoise ! Elle est en train de vider un carton rempli de verres. C'est avec une infinie patience que je m'occupe, pour l'aider bien sûr, à chiffonner et déchiqueter des quatre pattes les feuilles de papier journal dans lesquelles se trouvaient emballés ces objets qui, par eux-mêmes, ne m'intéressent pas. - Ardoise! Arrête de faire des confettis! Allez, va dans ton panier ! Ah non, alors ! Je ne suis pas fatiguée ! Animée du désir de bien faire, je suis allée en trottinant jusqu’à la porte du fenil, l'ai tirée (ho hisse !) de toutes mes forces. Elle grince. C'est ennuyeux, cette porte qui fait du bruit pour trahir toutes mes incursions sur le territoire interdit ! Voilà Daniel qui me fixe en fronçant les sourcils. Prenons les devants. -Si tu veux, je peux t'aider à bricoler ta tondeuse à gazon ? ai-je proposé , toute câline. -Ardoise! Pas dans le fenil ! On te l'a déjà dit, désobéissante ! Attention ! Ne disperse pas ces vis ! Toi, tu joues, mais moi, je travaille ! - Si tu veux, je peux vérifier s'il n’y a pas de souris ! ai-je crié en déguerpissant jusqu'à la réserve de bois de chauffage. Bouak ! Qu'est-ce qu'il fait humide ici ! Avec toute cette eau qui tombe du ciel, le vieux puits désaffecté a débordé, il y a des flaques sur le sol. Je me trempe les pattes, les secoue avec dégoût. -MlCHEEEEEELE ! LE CHAT EST DANS LE FENIL ! Voilà Daniel qui crie au secours. Tout pour m'empêcher de m'amuser ! Ma mère d'adoption survient, .frappe dans ses mains comme une vieille institutrice démodée. Je passe en courant devant elle et quitte mon paradis terrestre. Je me retrouve à mon point de départ, dans la cuisine. Sur le carrelage de la salle à manger, mes pattes mouillées ont laissé des empreintes très esthétiques, je trouve : on dirait des petites fleurs régulièrement espacées... - Maintenant, va dans ton panier et laisse-nous travailler ! Je lui lance un regard torve. Il y a des moments où elle est bête, vraiment !... Si elle s'imagine qu'elle va me mettre au rencard ! La voilà occupée à ranger ses verres. Je sors du panier que j'occupais par pure courtoisie. Je passe en catimini derrière elle, sur la pointe des pattes. Je vais tirer (ho hisse !) la porte qui mène à l'étage, j'ouvre, tout doucement. A l'étage, dans la petite chambre inachevée et dans la future salle de bain, il y a de grands cartons dans lesquels on peut plonger et se cacher, il y a un recoin obscur où s'entassent les chaises de jardin, il y a. .. -MlCHEEEEELE ! J'Al ENTENDU LE CHAT MONTER L'ESCALIER ! Le traître ! Je me dissimule dans ledit recoin obscur et demeure immobile. Avec un peu de chance, ils vont encore s'affoler parce que j'aurai disparu, ha, ha ! Ils croiront qu'il m'est arrivé quelque chose, que je suis tombée d'une paroi en construction ou dans le trou de la cheminée. Ou que je me suis faufilée au-dehors par un procédé connu de moi seule. .. Je suis trahie par une circonstance indépendante de ma volonté: mes deux yeux qui luisent comme des petites lampes dans la pénombre. On me récupère, fulminante. Il n’y a vraiment plus moyen de rigoler, ici ! J'ai même perdu tout espoir de partir en exploration durant la nuit, car figurez-vous que, le soir venu, ils m'emmènent dans leur chambre où une place spéciale m'est assignée, devant la fenêtre, sur une chaise ornée d'un coussin. Je ressemble à une potiche, là-dessus. A un chat en peluche. A une pièce supplémentaire, et particulièrement réaliste, de la collection de félins de toutes formes et de toutes matières que Scouby a artistiquement disposés sur un meuble. Et pourquoi suis-je ainsi étroitement surveillée ? Parce que je suis trop intelligente ! -Avec elle, il faut s'attendre à tout! Elle a une imagination délirante! Elle passe sa vie à se faire du cinéma ! disent mes parents. C'est vrai, quoi, et alors ? Pourquoi ne me laisse-t-on pas vivre pleinement les rôles que j'interpréterais tellement bien ? Je me vois déjà en héroïne sans peur, affrontant avec le sourire les vides vertigineux et les montagnes abruptes ! D'une patte légère dansant sur les poutres qui s'effritent ! D'un bond aérien filant par une fenêtre, tout droit vers une liberté pleine de dangers ! Ardoise-Rambo ! Quand le temps se met au beau fixe et que j'en profite pour sortir dans le jardin, c'est pareil. On me suit pas à pas. De temps en temps, pourtant, on lâche ma corde pour me donner une illusoire liberté. Bien illusoire, hélas, car il suffit que je me dirige en rampant vers le pré voisin (où je rêve de m'ébattre) pour entendre une voix : -MICHEEEEELE ! JE VOIS LE CHAT QUI SE DIRIGE VERS LA HAIE ! Frustrée, une fois de plus !
  2. Chapitre 17 : JE SUIS DE MAUVAISE HUMEUR Le week-end passé, à la campagne, je me sentais un peu déprimée et maussade... Pas de Scoubidou à ennuyer, pas de voiture passant sur un boulevard animé... C'est tout juste si, en faisant bien attention, j'ai pu distinguer une petite souris prudemment cachée dans un trou du mur. -Vous seriez pas ma copine la musaraigne, par hasard ? demandé-je, pleine d'espoir. -Pouic ! Pouic ! répond une petite voix. Apparemment, il ne s'agit pas de ma musaraigne... Elle parle avec un autre accent. Je retourne me coucher dans mon panier et fixe le feu d'un oeil morne. Je me demande où est passé le Négatif… Il doit s’amuser quelque part, pendant que je m’étiole… C’est trop injuste… Tiens, voilà que Scouby ouvre la porte du jardin. -Bonjour, mon petit minou ! Entre !... Ardoise sera sûrement contente de te voir parce qu'elle s'ennuie, la pauvre !... ...et l’objet de mes pensées se précipite dans la cuisine d'un petit pas conquérant ! Me dressant tel un reptile, je siffle: "Keske vous faites ici chez moi, vous ? » Il en est tout décontenancé. -Mais, Mam’zelle Ardoise, vous me connaissez, quand même, depuis le temps ! C'est moi, le CHArmant Négatif ! Orca-Junior, quoi !... Moi avec qui vous aimez tant bavarder ! -Z'avez rien à faire dans mes murs ! De l'autre côté de la fenêtre, oui, mais pas ici ! Inutile de le préciser, vous l’aurez deviné, les amis, je suis de TRES mauvaise humeur ! Je quitte mon panier en rampant comme un boa, je me dirige lentement, très lentement, vers ma gamelle... Bref, j'ai repris mon petit jeu du fauve évoluant dans la forêt équatoriale. Le Négatif, assis sur son derrière devant le poêle, pas ému pour un sou, me considère d'un oeil très intéressé. -Pourquoi vous marchez comme ça, Mam’zelle Ardoise ? On dirait que vous avez des rhumatismes !... Z'êtes toute raide ! -C'est ainsi qu'il faut se comporter en cas d'intrusion d'un élément perturbateur et étranger ! -Oh, z'êtes marrante, Mam’zelle Ardoise ! Moi qui voulais lui inspirer une crainte salutaire ! II m'observe en baillant. Dans un instant, ses yeux vont se fermer et il va faire la sieste devant le poêle de MA cuisine, je le pressens ! La vie est vraiment trop dure pour la malheureuse Ardoise ! Mes pressentiments reçoivent confirmation: le Négatif se met en boule en poussant un grand soupir d'aise. Ulcérée, je retourne m'allonger et sombre dans une profonde mélancolie. - C'est bizarre, on dirait vraiment qu'Ardoise est déprimée, s'inquiète Scouby. - Tiens, c'est seulement maintenant que tu t'en aperçois ? marmonné-je, les yeux fermés. Je refuse de considérer encore ce monde qui m'entoure, plein de pièges et de chats indésirables. .. -Viens, minette, on va jouer à la baballe ! clame-t-elle avec entrain. Le chat fidèle va devoir, une fois de plus, se donner en spectacle ! Bonne fille, je m'extirpe de mon panier. Scouby lance une petite balle de ping-pong qui rebondit très haut, en faisant tac-tac-tac-tac sur le sol. - Cours, Ardoise ! Je cours un peu, pour lui faire plaisir. Puis, pour bien montrer que ce jeu m'ennuie, je fais de petits bonds à droite quand Scouby lance la balle à gauche, et vice-versa. - Tu as vraiment un comportement étrange ! Qu'est-ce qui se passe ? - Si tu éloignais de moi tous les Négatifs et les Scoubidous du monde, je me sentirais certainement mieux ! suggéré-je. -Voyons, Ardoise, ne sois pas si exclusive! On ne t'aime pas moins parce qu'on nourrit d'autres chats ! Et la Scoubidou, tu sais, on n'a pas tellement le choix : la pauvre bestiole n'a pas d'autre famille que nous ! - Elle a mon tonton Jean-Marc, ma tante Chantal, ma tante Martine... - Ils en ont trop peur ! Je lève les yeux au ciel. - Il y a mon tonton Dominique. .. - Qui est allergique aux chats! Et j'ai lu qu'un chat noir dégageait quatre fois plus d'éléments allergènes qu'un autre chat ! On est vraiment bien tombés, quoi ! - Et puis, continue Scouby, admets que si tu n'as personne à tourmenter, tu t'ennuies encore plus ! C'est peut-être, vrai. Quel dilemme ! Chapitre 18 : ENCORE ET TOUJOURS SCOUBIDOU Nous sommes à présent revenus à l'appartement où je passe mon temps à guetter étroitement l'animal aux funestes émanations allergènes. Parce que, en plus de tout le reste, .figurez-vous que, depuis quelques jours, Mademoiselle Scoubidou s'émancipe! Quand on ouvre la porte de sa chambre, elle se balade dans toutes les pièces avec l'oeil calculateur d'un commissaire-priseur ! Pendant qu'elle fait son petit tour, je m'étrangle de fureur muette sur mon radiateur. Le comble! Elle s'est rendue à la cuisine, toute tranquille, comme chez elle, et elle a mangé MON STEAK TARTARE A MOI ! Vous vous demandez sûrement: "Mais pourquoi Ardoise ne réagit-elle pas en tabassant le stupide animal, pour bien montrer sa supériorité ?" Oui, vous avez raison de vous poser la question ! Le problème, c'est que si je passe à l'action, je ne suis pas sûre du tout d'avoir le dessus... Il est infiniment plus prudent d'opter pour une stratégie toute ardoisienne : surveiller, surveiller, surveiller. Hors de portée des griffes de l'ennemie, je la fixe avec férocité, suivant de l'oeil ses moindres mouvements, même quand elle se trouve dans une autre pièce. J'ai un regard aux rayons X ! Même quand Scouby a refermé la porte de la chambre de la Noiraude, ce qu'elle fait tous les matins quand elle part travailler et tous les soirs (quand la créature manifeste que, pour elle, l'heure du dodo a sonné), je continue à guetter, car on ne sait jamais! Si elle allait subitement se matérialiser devant moi ? Pour me rendre à la cuisine ou à la salle de bains, j'adopte des ruses de sioux, en jetant autour de moi des regards inquisiteurs. Quand je comprends enfin qu'indéniablement, elle est enfermée dans ses appartements, je me coule jusqu'à sa chambre, m'aplatis sur le seuil pour essayer de regarder sous la porte. Si je la flaire tout près, juste derrière le vantail, j'exulte, me sentant en parfaite sécurité. Je chantonne, sûre de l'impunité, un petit refrain de mon invention, chargé de venin ardoisien : "Je susurre Des injures A la Bidou ! Il me semble Qu'elle tremble De noir courroux ! Que m'importe, Sous la porte, Si elle rugit ! Hi hi hi hi… Je murmure Des injures, Des mots pas doux A la Bidou ! » L'autre jour, alors que je fredonnais ma chansonnette, couchée contre sa porte, voilà-t-il pas que Scouby survient pour délivrer la prisonnière ! Elle ne m'avait pas vue, car mon pelage gris se confond avec la pénombre du hall de nuit. Je me suis trouvée nez à nez avec l'affreuse qui me .fixait d'un regard noir en ouvrant toute grande sa gueule rose. Le Diable, quoi ! Satan en personne ! Parfois, la meilleure défense, c'est la fuite, comme chacun le sait. Je n'ai pas demandé mon reste ! Elle m'a poursuivie en deux petits bonds, sans grande conviction il faut l'avouer, puis elle a regagné ses pénates d'un pas serein, satisfaite de m'avoir effrayée. Une demi-heure plus tard; les rôles étaient renversés : juchée sur la table de la cuisine, j'ai vu la diablesse franchir le seuil. Du coup, c'est moi qui me suis ruée en avant et l'ai pourchassée jusqu'à l'entrée de sa chambre. Non mais des fois ! Après quelques semaines d'étude et d'expérimentation, je crois avoir cerné la tactique scoubidienne, laquelle tient en un mot: L'INTIMIDATION ! De taille imposante, armée d’yeux flamboyants et d'une épaisse fourrure de charbon (avec juste deux ou trois poils blancs sous le menton, ce qui semble démontrer qu’elle est de la parenté de Nefertiti -N'oublions pas que Scoubidou est native de notre village !), l'intéressée tire profit de son physique démoniaque, en l'accentuant par des mimiques expressives: soufflements, rugissements (YEEEEEEEFK !}, airs furibonds... Sous cette apparence, elle cache une nature relativement pacifique : elle ne répond qu'à la provocation.. Le problème entre nous, c'est que je suis une provocatrice-née... En outre, elle est peureuse, mais alors d'une manière incroyable ! Il suffit qu'elle soit confrontée à un élément étranger pour se sentir complètement désemparée : elle court alors se réfugier dans un endroit sombre d'où elle ne sort plus. Elle commence à bien accepter Scouby qui lui donne à manger. Quand ma mère d'adoption lui présente un petit plat appétissant, l'opportuniste va jusqu'à lui manifester une certaine affection et se laisse caresser le sommet du crâne avec bonne volonté. Quand le plat lui semble immangeable (nous sommes toutes les deux assez difficiles sur le sujet), elle tente un coup de griffe en fronçant le nez comme un pékinois. Elle manifeste envers Daniel une méfiance rancunière : en effet, elle se souvient qu’après avoir vainement tenté de la droguer, l'immonde être humain l’avait poussée, elle pauvre créature innocente, dans une boîte en carton afin de procéder à son déménagement chez nous ! A mon égard... Inutile de poursuivre. Tout le monde a compris. Ah, je ressens tout de même un regret lorsque je la regarde : grande et forte comme elle l'est, elle ferait une meute superbe, si elle voulait ! Je nous vois déjà, moi, le chef marchant en téte, brandissant haut l'étendard de la noble chatte Ardoise, au blason de gueules roses sur fond argent, la Bidou prolétaire me suivant avec docilité et admiration. Oh, je la traiterais bien, si elle acceptait d'étre ma meute ! Je la laisserais manger, après moi, deux ou trais miettes que j'aurais laissées à son intention, je la défendrais contre les créatures féroces (dans le genre de Négatif ou de Gourmande, par exemple) je remplirais tous mes devoirs de chef, quoi ! Mais cela n'est qu'un rêve puisque l'idiote refuse obstinément ce sort enviable Hier soir encore, j'ai essayé de lui faire ressentir la force de ma personnalité dominante. Comme je savais qu'elle était en promenade dans mon appartement (comme elle en prend la fâcheuse habitude), je me suis rivée à l'un de mes postes d'observation favoris, à l'angle du divan du salon, pour effectuer ma rituelle surveillance. La créature va, vient, batifole… apparemment sans me prêter la moindre attention. En lait, son profond intérêt s'est fixé sur la porte du frigo, qu'elle espère voir s'ouvrir sur des montagnes de viande crue ou cuite (elle aime les deux, même le boudin ! Quel plouc, celle-Ià !). Son espoir étant déçu, elle fait un petit tour dans la salle à manger... et m'aperçoit. Je me concentre : j'adopte l'attitude "Serpent Froid et Minéral" qui en impose tellement aux chats du village (du moins à ce pauvre Roublard). Mon regard se fait fixe et inquiétant. Je ne bouge pas plus qu'une pierre. Etonnée, la Bidou se demande d'abord si je suis constipée. Puis elle comprend qu'il s'agit d'une manoeuvre d'intimidation à son endroit et se prépare à relever le défi. Elle s'assied à deux mètres de moi et essaie d'adopter la même attitude. Sans vouloir me vanter, je suis la seule chatte au monde à pouvoir rester ainsi immobile pendant des heures, sans la moindre crampe. Mon adversaire, indiscutablement, n'est pas à la hauteur : sa queue bat le sol. Au bout d'un moment, elle se lève et va passer quelques minutes dans sa chambre. Puis elle revient et s'assied derechef, le regard empli d'une énergie nouvelle. Elle me fait le coup trois fois, vous imaginez ! Quand elle sent qu'elle va flancher, elle va se "ressourcer" dans sa tanière! C'est pas de jeu ! C'est de la triche ! J'essaie de lui faire comprendre que c'est moi le grand vainqueur de cette partie de patte de fer, mais cette enquiquineuse refuse de l'admettre ! Ah la la ! Vois vous direz sûrement, les amis, que cette cohabitation forcée devient pour moi une véritable idée fixe... C'est vrai ! A la fin, je vais vous ennuyer à force de ressasser mes griefs, et vous ne voudrez plus me lire ! Vous savez quoi ? Je vais venir habiter chez vous ! Un de ces jours, je sonnerai à votre porte, munie de mon petit baluchon comprenant, entre autres, mes balles de tennis et de ping-pong, ma gamelle, mon bac de sable, mes boîtes de Gourmet et de Félix, mon panier « Titanic », mon radiateur, mon boulevard... Et je laisserai Scouby se dépatouiller seule avec la noiraude !
  3. Mes chers amis, comme vous le savez, j’avais conquis, au printemps dernier, un endroit divin appelé salle de bains… J’y ai passé des journées exquises, couchée à ma guise, sur divers supports… De mai à octobre, sans désemparer, je me suis de ce lieu emparée… Mais à l’approche de novembre, me vint un petit frisson, bien normal à tout prendre…. Tout doucement, c’est le froid qui chassa le loup du bois. Je descendis l’escalier en catimini… me retrouvai au rez-de-chaussée… puis au salon bien chauffé où, avec le ravissement que vous imaginez, je retrouvai mes paniers ! Je m’y lovai avec une volupté physique, me voici dans… ou plutôt sur… mon « Félix-Titanic » : Je commençais un petit somme, lorsque soudain… « Qui donc vient là ? » « Ce n’est que moi… » dit la Geisha. Je me levai pour vérifier… et elle se coucha dans mon panier ! Quel sans-gêne, n’est-ce pas ! Bien entendu, j’ai pris le sien… la fixant d’un œil assassin. « Mam’zelle Ardoise, dit la sournoise, vous êtes partie pendant des mois ! Maintenant ces paniers sont à moi, c’est logique ! J’apprécie particulièrement ce Félix-Titanic ! » Outrée, comme bien vous le pensez, je me suis relevée afin de me sustenter. Dans les gamelles de ma meute infidèle ! Pourquoi pas ? Qu’on se le dise, le chef, c’est moi ! Je vous rassure sur la suite des événements : il ne me fallut que peu de temps pour rétablir, avec diplomatie (mais oui, mais oui !), à l’aide d’arguments frappants, ma suprématie ! Et le soir, au coin du feu… Qui dit mieux ???
  4. Chapitre 15 : PARTAGE DU TERRITOIRE Voilà que nous rentrons à Bruxelles, le week-end terminé. Demain, Daniel va entamer sa toute dernière semaine de labeur, avant la pré-retraite ! Scouby va travailler encore quelques mois... A courte échéance, notre vie va changer, mais je ne m’en rends pas encore vraiment compte… Evidemment, à peine ai-je posé les pattes dans mon appartement et entrepris mes rituelles vérifications, il faut que je me rende à l'évidence: la Bidou s'est baladée PARTOUT chez moi ! Justement, la voilà à la porte de sa chambre, me fixant d'un oeil menaçant. - Cette chambre, le hall de nuit et la salle de bains sont à MOI ! déclare-t-elle sans ambiguïté. Je consens à te laisser un droit de passage pour te rendre à ta litière, mais c'est tout! C'est pas juste que TOL tu prennes tout l'appartement alors que MOI, je n'ai qu'une chambre ! Mon poil se gonfle. Oser me traiter de la sorte chez moi ! -En plus, poursuit l'insupportable, je veux aussi la chambre dont la porte est fermée, celle-là ! -JAMAIS DE LA VIE ! glapis-je. « C'est la chambre de Daniel et Scouby et j’y passe mes nuits. Pas de noiraude dans la même pièce que moi ! -Teigneuse ! - Voleuse ! - Chicaneuse ! - Emm...euse ! - IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIlIIIh ! PSSSSSSSSSSSHHHHHHH ! -YEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEK ! -C'EST PRESQUE FINI LES CHATS I hurle une voix bien connue, venant du salon. ARDOISE ! VIENS ICI !... TU SAIS BIEN QUE SCOUBIDOU A PEUR DE TOI ! Peur ? Mon oeil ! J'opère une digne retraite. Inutile de préciser que je bous de rage, je parie que la vapeur me sort par les oreilles ! Plus tard, je viens à peine de m'allonger sur mon repose-pied, que vois-je ? La Bidou se dirigeant d'un pas nonchalant vers MA cuisine! Je gonfle comme un ballon : c'est fou comme mes poils s'aèrent souvent, ces derniers temps ! - Eh! J'tai pas laissé le droit de passage! craché-je. - Ce droit, je j'ai automatiquement! réplique (de loin) l'intéressée. Etant donné que je m'appelle Scoubidou PASSAGE ! - Et pourkwâ que tu t'appellerais comme ça ? hurlé-je. - Parce que c'est le nom de famille de ma Mamy ! Donc c'est mon nom aussi ! C’est écrit sur mes papiers d’identité et dans mon petit livret de santé ! Le comble, c'est que c'est vrai ! Ecoeurée, je ferme les yeux. Pour les rouvrir aussitôt, frappée par une pensée soudaine : si la Bidou habite à présent chez moi, va-t-elle changer de nom de famille ? Va-t-elle s’appeler COMME MOI ? Inimaginable, vous ne trouvez pas ? Depuis, nous nous évitons soigneusement. La Bidou ne se promène dans l'appartement que lorsqu'elle est assurée que je suis profondément endormie sur mon radiateur, ce qui arrive souvent. Moi, je ne me rends à la salle de bains qu'après avoir vérifié si la bestiole est terrée sous son lit ou fait la sieste à l'une de ses places favorites, derrière un petit fauteuil de sa chambre. Ce qui me fait enrager, c'est que, vraiment, mon appartement est à présent coupé en deux par un invisible mur de Berlin ! Au diable la calamiteuse ! Cette dernière n'a pas renoncé à inclure aussi dans son territoire la chambre de mes parents. Mais là, elle tombe sur un os : elle a beau fixer Scouby d'un regard plein d'espoir quand celle-ci ouvre la porte de ladite chambre, elle n'a toujours pas le droit d’y pénétrer… Mes parents n'ont pas envie d'être à nouveau réveillés, à trois heures du matin, par une flambée de guerre Ardoiso-Scoubidienne se déclenchant sous leur lit ! Pour ma part, morose, je médite sur mon radiateur, en regardant distraitement les bus et les voitures qui circulent sur mon boulevard. Je suis obligée d'admettre une chose : je ne suis pas une chatte ordinaire. Bien sûr, j'ai de multiples qualités qui font de moi le fleuron de l'espèce (vous allez penser que mon second prénom est Modeste) mais aussi, il est évident qu'une malédiction s'attache à ma pauvre petite personne. Comment expliquez-vous, les amis, que j'attire comme un aimant tous les chats tordus de la Terre ? Je ne connais AUCUN chat simplement ordinaire ! C'est comme si je portais sur la tête une banderole: "Venez à moi les félins vagabonds, ou complexés, ou timides, ou trop bêtes, ou trop intelligents, ou mythomanes, ou petites pestes, ou gloutons, ou envahissants I Venez à moi, les Orca, les Titi, les Roublard, les Négatif, les Néfertiti, les Petite-Goulaffe, les Gourmande, les Scoubidou ! Venez compliquer l'existence de la pauvre Ardoise qui ne demandait benoîtement qu'à mener une vie paisible et tranquille !" Peut-être que ça n’existe pas, un chat simplement ordinaire… Chapitre 16 : DANIEL NE TRAVAILLE PLUS Et voilà, une semaine de plus s'est écoulée et Daniel a arrêté de travailler ! Plus de réveille-matin pour lui ! Après 31 ans d’activité professionnelle, cela lui semble bizarre… Il ne peut s’empêcher de prendre régulièrement le bus pour aller dire un petit bonjour à ses anciens collègues et, par la même occasion, les empêcher de travailler… Pour ma part, je continue à bien me porter, malgré mes petits soucis. Il paraît même, dixit Scouby, que ma silhouette s'est (encore) un peu arrondie au fil des derniers mois. Il est vrai que je dors... pardon, que je médite beaucoup et longtemps, confortablement allongée sur mon radiateur, mon repose-pied ou, plus simplement, dans mon panier "Félix". Je possède trois paniers "Félix" à présent, .figurez-vous ! Deux qui m'appartenaient déjà, tout amollis parce que Scouby les a lavés dans la machine, et celui de la Bidou, encore en parfait état parce qu'elle n'a jamais consenti à y pénétrer. Et à mon avis, elle n’y mettra pas le bout d'une patte, à présent que j’y ai introduit ma délicieuse petite odeur ardoisienne ! L'un de mes deux paniers amollis se trouve dans notre maison de campagne. On s'en servait naguère pour me transporter, mais dans une crise de ras-le-bol, j'ai déchiré le petit grillage en plastique qui m'isolait du monde extérieur. Maintenant, on me véhicule dans le panier de Bidou, où je peux me lover assez confortablement, étant donné que le toit ne s'affaisse pas sur ma tête. A la campagne aussi, je médite beaucoup pour le moment. On pose mon sac de transport (ouvert, cela va de soi) devant le petit poêle à pétrole ou devant le feu de la cuisine et je rôtis en silence, roulée en boule, plongée dans un doux engourdissement Que voulez-vous que je fasse d'autre ? Il ne fait pas assez beau pour que je sorte, je déteste me mouiller les pattes sur le gazon. Quand je vois, de l'autre côté de la vitre de la salle à manger, le pauvre Négatif arriver tout trempé, je me sens doublement heureuse de mon sort de petite Ardoise. ..Il est vrai que Négatif, habitué à braver tous les climats, n'a pas l'air de se formaliser d'une averse. Tant qu'il trouve, devant notre porte, une gamelle bien pleine, il est heureux. Et quand Scouby sort pour le caresser, il est à la fête, le zèbre ! Quand je veux démontrer que, tout de même, je me préoccupe de ma forme, je m'empare de ma balle de tennis pour m'affaler sur elle en gigotant vigoureusement des quatre pattes. Puis je fais un saut en hauteur, comme si l'étais montée sur ressorts, et pique un petit galop à travers la pièce. Ensuite, la conscience en repos, le me réinstalle dans mon panier et ferme les yeux, exténuée par toute cette gymnastique. A l'appartement, depuis que Daniel ne travaille plus, je passe une partie de mes journées confortablement assise sur ses genoux. Là, le roi n’est pas mon cousin, d’autant plus que l’indésirable locataire féline me fiche une paix royale, enfermée comme elle l’est dans ses propres quartiers. Mais quand Scouby rentre du bureau, elle a la détestable habitude de délivrer notre fauve de poche afin de faciliter la réinsertion sociale de l'intéressée. Inutile de vous dire que cette louable tentative ne récolte que de faibles résultats ! La bestiole ne pointe le nez dehors qu'avec une extrême méfiance. Si je suis dans les parages, elle refuse de se montrer... Je commence à penser que, vraiment, elle ne ressent pas à mon égard une folle tendresse... Tant mieux, c’est réciproque. Quand, par un hasard favorisé par mes soins (j'adore la perturber I), nous nous retrouvons face à face, elle se met à rugir et à se démener. J'observe ce spectacle avec le plus grand intérêt, mais hélas ! Dès que la voix de la ténébreuse se fait entendre, ça ne rate pas : "ARDOISE, ICI TOUT DE SUITE ! C'EST PRESQUE FINI DE CHERCHER LA BAGARRE ?????" Peut-on dire ça de moi ? Je suis une chatte si gentille, si tendre, si attachée à sa famille ! Si attentionnée aussi... Tenez, je vais vous en donner la preuve. L'autre jour, j'arrive dans la salle de bains. Scouby est dans la baignoire, paresseusement étalée, les yeux fermés, les doigts de pied en éventail. Je me juche sur le rebord de la cuve où elle macère dans ce qui me semble être une marinade blanchâtre. Qu'est-ce que c'est que cela ? Ca sent l'orange, en plus ! Je n'aime pas quand un membre de ma famille est plongé dans l'eau : ça me fait peur. J'envisage immédiatement les pires catastrophes ! Bouleversée, j'arpente le rebord de la baignoire en me lamentant comme une véritable tragédienne : "Mon Dieu, mon Dieu, quelle imprudence ! Tu vas te noyer ! Mon Dieu !" Je me penche aussi bas que possible pour humer de mon petit nez délicat ces épouvantables effluves fruités. - Ardoise, arrête de gigoter comme ça, tu vas tomber dans le bain ! - Mon Dieu ! Tu vas te noyer ! Et dans quel immonde cloaque ! - Cloaque, mon eau aux huiles essentielles d'agrume ? C'est de l'aromathérapie, ma chère : le parfum de l'orange est censé me donner vigueur et énergie ! Une bougie s'allume dans mon cerveau et je saute à terre : l'aromathérapie, ça me donne une fameuse bonne idée. Comme par hasard, ma litière se trouve dans la salle de bain. ..Si je mélangeais un subtil parfum d'ammoniaque à l'odeur de l'agrume, Scouby ne resterait pas ainsi nonchalamment allongée dans son eau perfide et dangereuse ! Sitôt pensé, sitôt réalisé : je me plante des quatre pattes dans le sable et me concentre... Un glapissement me démontre la justesse de mon plan. -Ardoise ! Quelle idée de faire pipi dans ton bac alors que je suis dans mon bain ? -Juste un petit besoin pressant, dis-je sur un ton d'excuse. Je ne pouvais pas savoir pour combien de temps tu en as... Elle se lève, quitte la baignoire en soupirant. - Ce n'est pas ta faute, mon Ardoise, mais vraiment, ça sent le produit chimique à plein nez ! Comment est-ce possible ? Je suis vraiment fière de moi! Je lui ai sauvé la vie une fois de plus !
  5. Chapitre 14 : UN PEU D’EGYPTOLOGIE Pendant ce temps, notre voisine est occupée à soigner son jardin avec amour et compétence. Assis sur son derrière tout près d'elle, Négatif admire en connaisseur. -Pas mal, M'dame Belot, vous ne voulez pas que je vous aide un peu à creuser la terre ? Avec mes pattes, ce serait vite fait ! Je peux même arroser, si ça peut vous être utile ! - Quel adorable chat ! s’exclame Madame Belot toute émue. Négatif se rengorge : il a intérêt à être dans les petits papiers de la voisine, c’est elle qui le nourrit quand nous ne sommes pas là ! Plus tard, lui et moi nous retrouvons de part et d'autre de notre fenêtre de salle à manger. Je trouve que l'animal semble soucieux. - Koikilia ? m'enquiers-je. - Oh, Mam 'zelle Ardoise, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on ne voit plus Roublard. . J'écarquille les yeux. C'est vrai : ces derniers temps, Négatif est toujours seul. Quelle famille fugueuse, décidément ! D’abord la mère, ensuite le frère ! - Où peut-il être passé ? soupire le délaissé. - Il s'est peut-être fait écraser par une voiture ? dis-je, encourageante et optimiste comme toujours. -On le saurait, Mam’zelle Ardoise ! On l'aurait vu ! Surtout un chat du gabarit de notre Babar ! C'est juste. -Naïf comme il est, il a peut-être suivi une chatte de rencontre, se lamente Négatif. « Ou alors, il est allé se promener dans la forêt et s'est perdu... « - Beuh non, dis-je, cette forêt est toute petite I Même un bêta comme votre frère ne pourrait s y égarer ! - Ou alors, il a trouvé une famille quelque part... Devant mon visible scepticisme, il y va de ses arguments: "Vous savez, Mam'zelle Ardoise, il y a des gens qui aiment bien les gros patapoufs tout blancs avec une tête à la Chaplin, comme notre Roublard ! Ils trouvent ça mignon. .." Bon, d'accord. Certaines personnes ont des goûts bizarres... -C'est comme P’pa, hein, Mam'zelle ! Il était pas si beau que ça... Il était même affreux, je dirais, mais je le garde pour moi. Pas la peine de vexer mon interlocuteur : la famille, c'est sacré ! - …et pourtant, M'sieur Dan et M'dame Scouby l'aimaient beaucoup! Vous l'aimiez beaucoup aussi, Mam’zelle Ardoise, malgré vos airs !... - Bon, d'accord, d'accord, c'est pas la beauté qui compte! capitulé-je, évitant de laisser glisser la conversation sur mes petites mines snobinardes. -Peut-être que notre Roublard se cache quelque part au chaud, comme M'man qui avait disparu pendant si longtemps! continue l'animal pour se rassurer. - C'est bien possible, approuvé-je. » A propos, comment va-t-elle, votre maman? » - Elle est incroyable, Mamzelle Ardoise ! Elle a de ces inventions !... Vous savez qu'elle n'aimait pas mon prénom, Négatif ? Eh bien, maintenant, elle commence à l'accepter... Devinez pourquoi ? J'ouvre grand mes oreilles pointues. -Elle a découvert que Nég-Atif, ça a un petit aspect égyptien ! Il est obligé de m'épeler pour que je comprenne. Les pattes m'en tombent. -Et même parfois, reprend la bestiole en prenant un air misérable, elle m'appelle Nég-Aton ! Je manque dégringoler de mon appui de fenêtre et reprends ma dignité à grand-peine. -Elle est occupée à réinventer toute l'égyptologie, Mam'zelle Ardoise. Son histoire d'Egypte à elle, c'est ça : "Il était une fois un immense royaume où coulait le Nil. Sur ce royaume régnait une jolie petite chatte noire à jabot blanc, nommée Néfertiti. Cette petite chatte était mariée à un pharaon noir et blanc, répondant au nom d'Or-Kâ, et avait deux enfants, Nég-Aton et Bab-Hâr... Un triste jour, pourtant, Or-Kâ partit sur la barque du destin. .." ...et ainsi de suite, Mam’zelle Ardoise! Notez bien, on ne le dirait pas, mais c'est une intellectuelle, ma M'man ! Au fond, j'aurais bien aimé vivre en Egypte, au temps où nous étions si bien considérés, nous les chats !. .. - C’est vrai ? Que faisions-nous, en Egypte ? demandé-je, intriguée. Un peu d'instruction n'a jamais fait de mal à une honnête chatte ! - Nous gardions les temples, Mam'zelle Ardoise! Nous avions même une déesse à notre effigie ! Ca devait être cool, non ? Moi, Ardoise, gardienne d'un temple ? Je ne crois pas que ça me plairait... Vous me voyez déjà exercer une fonction pareille, avec le petit caractère enjoué que vous me connaissez ? .Je périrais d'ennui ! Est-ce qu'il y avait des radiateurs surmontés de coussins moelleux, dans ces temples ? Ca m'étonnerait... Non, non, je suis bien contente de n'être pas chat d'Egypte à l'époque des pharaons!... Par contre, Sa Seigneurie Caramel aurait adoré ça !
  6. Chapitre 13 : JE DISPARAIS. Pourtant, c'est une nouvelle fois avec soulagement que je vois arriver le week-end et la perspective d'un séjour régénérant dans une maison accueillante, n’appartenant qu’à moi. Après (tout de même) les traditionnels trémolos que je vocalise du fond de mon panier, nous voilà arrivés à la campagne. Comme d'habitude, il fait froid et Daniel court dans le fenil casser du petit bois pour le feu, tandis que Scouby range les blousons dans ce qu'elle appelle son "vestiaire" : une gigantesque armoire ancienne, propriété de ma Bobonne (la « mamy » de la Bidou !). Mue par une légitime curiosité et un sempiternel besoin de vérification (les meubles n'auraient-ils pas bougé en mon absence ?), j'entre dans l'armoire sans que Scouby s'en aperçoive... et la porte se referme sur moi. Comme il fait noir ici! Et bien tiède, dites donc ! Pas comme dans le salon où je claque des billes ! J'explore, à tâtons. Tiens, voici la chemise de Daniel, je la reconnais: elle porte son odeur parce qu'il vient de l'enlever pour revêtir un gros pull. Des deux pattes de devant, je fais glisser du cintre ladite chemise, la roule en boule dans le fond de l'armoire et m’y installe en fermant les yeux d'aise. En dehors de l'armoire, les événements se déroulent sans la moindre sérénité... - Daniel, tu n'as pas vu le chat ? J'ai beau chercher partout, je ne la vois pas... - Elle n'est pas dans le fenil ! - Peut-être est-elle montée dans la chambre, je vais regarder... Quand elle redescend, l'angoisse se fait jour dans sa voix. -Pas de chat !... Pourvu qu'elle n'ait pas découvert le système de la chatière ! - Ardoise, mon minou ! ARDOISE ! Daniel abandonne son bois en fulminant. Les voilà tous deux occupés à fureter avec rage, en hurlant sur tous les tons mon doux prénom. Moi, comme Orca vous l’a déjà dit en son temps, je suis le chat qui ne répond JAMAIS au nom d'Ardoise. Tranquille dans ma cachette, j'écoute avec ravissement la scène de ménage qu'a provoquée ma disparition. Ils en sont aux mots d'oiseaux. J'adore les mots d'oiseaux, ceux qui volent haut comme ceux qui volent bas... Ca me donne envie de les attraper... -Tu peux bien parler, clame Scouby, c'est quand même TOI qui avais perdu Ardoise l'été dernier !... -Et c'est TOI qui as oublié de fermer la chatière quand nous sommes arrivés ! Intelligente comme elle est, elle aura vite compris !. .. Compris quoi ? Décidément, cette fameuse chatière m'intrigue de plus en plus. Va falloir que je vérifie, un de ces jours. .. Les voilà qui sortent de la maison, l'un par derrière, l'autre par devant. Désespérément, ils scrutent l'obscurité et poussant des appels angoissés : "Ardoise ! ARDOISE !... ". -C'est pas possible, s'exclame Scouby en rentrant. Elle ne peut pas avoir disparu si vite I Je vais encore voir en haut I Elle monte l'escalier, munie d'une lampe de poche, et s'aplatit par terre pour regarder sous tous les meubles. Daniel, lui, regagne le salon et... ouvre la porte de mon armoire. J'entends les trompettes de Jéricho: "JE L'AI ! ELLE EST LA !" Soulagement général. Je sors de l'armoire, la queue haute. -Vous n'avez même pas encore allumé le feu ? dis-je, réprobatrice. Décidément, vous ne vous souciez pas beaucoup du bien-être de votre chatte adorée ! Le lendemain matin, Daniel est parti en voiture pour aller chercher ma Bobonne qui venait passer la journée chez nous. Je l'aime bien ma Bobonne, parce qu'elle dit toujours que je suis une chatte si gentille et si mignonne, et aussi parce qu'elle s'extasie à chacune de mes petites mines. Le seul ennui, c'est qu'elle parle aussi beaucoup de son monstre familier: "Et Scoubidou ceci, et Scoubidou cela... Ah, elle me manque, Scoubidou !" Même ici, la bestiole ne me laisse pas tranquille ! Dommage qu'on ne puisse l'accepter, à la maison de repos ! Malheureusement, les responsables des lieux sont intraitables là-dessus : pas d'animaux domestiques ! Et encore, ils n'ont jamais vu la Bidou. S'ils la connaissaient, le règlement serait sûrement encore plus draconien : pas de Scoubidou même en effigie ! Heureusement, ils ne la connaissent pas et Bobonne peut conserver pieusement, sur sa table de nuit, une photo du fauve bien-aimé.
  7. Chapitre 12 : HEUREUSEMENT, IL Y A LES WEEK-ENDS ! Heureusement, je passe mes week-ends à la campagne ! Si on m’avait dit, il y a quelques mois, que je serais heureuse de quitter de temps à autre mon appartement, je ne l’aurais pas cru ! Là, au moins, j'ai affaire à des chats normaux (ou à peu près) et sociables. Chaque vendredi soir, je reçois l'hommage de mes vassaux. -Bonjour, Mamzelle Ardoise ! s'exclame joyeusement Négatif en me voyant perchée sur mon sempiternel appui de fenêtre. D'un bond, il se juche à ma hauteur, de l'autre côté de la barrière sociale (la vitre). Le Roublard ne souffle mot. Il me dévisage avec défiance, comme si j'étais un cobra, moi, la délicieuse Ardoise ! -Quoi de neuf, mon brave ? dis-je avec bienveillance à l'attention de son frère, ignorant superbement le balourd. Négatif soupire tristement. -Mam’zelle Ardoise, je commence à craindre que Roublard et moi ne soyons deux fois orphelins, avoue-t-il en baissant ses beaux yeux en forme d'amande. Je sursaute. - Quoi ? Comment ? Néfer… ? - Trois semaines qu'on n'a plus vu M'man, Mam‘zelle Ardoise! C'est beaucoup, vous ne trouvez pas ? Si, je trouve. Surtout de la part de Néfer. Elle qui se précipite toujours bonne première sur notre terrasse, quand elle voit la voiture arriver le vendredi soir ! - Vous savez, je l'évitais le plus possible, mais au moins je savais qu'elle était là ! poursuit le Négatif. « Maintenant, je me sens tout bizarre !... » En effet, le week-end s’écoule sans que la moindre Néfer n’apparaisse à l’horizon… Bizarre et inquiétant ! Le vendredi suivant, nous arrêtons la voiture devant la maison et, avant de décharger les bagages (c'est-à-dire moi dans mon panier, et le frigo-box), nous scrutons les environs. Pas de Néfer ! - Pauvre Néfertiti, peut-être n'a-t-elle pas survécu longtemps à son Orca I soupire Scouby. Bien entendu, Roublard et Négatif sont fidèles au poste, prêts à recevoir la manne providentielle que sont des gamelles copieusement garnies. Nous leur offrons satisfaction et nous rendons au salon où je me tasse frileusement devant le petit réchaud à pétrole que Daniel vient d'allumer. -Kaï kaï kaï ! Glaglagla ! Vous ne croyez pas qu'il faudrait allumer aussi le poêle? suggéré-je de ma voix la plus mourante. -Minute, Ardoise ! Laisse-moi au moins le temps d'aller chercher du bois au fenil ! -Si tu veux, je peux t'accompagner au fenil ! m'exclamé-je aussitôt, alléchée par la perspective des suaves odeurs qui hantent ce lieu qui (faut-il une fois de plus le préciser ?) m'est en principe interdit. Ma proposition n'est pas agréée. Tant pis, je vais me contenter de rester ici, dans les vapeurs de pétrole, et je m'asphyxierai et Daniel et Scouby pleureront sur leur pauvre chat martyr et ce sera bien fait pour eux, na ! -Néfer ! s'exclame Daniel, à peine la porte de la salle à manger ouverte. Nous nous précipitons tous. J'ai oublié ma mauvaise humeur, vous pensez bien ! Mais oui, c'est bien elle, toute noire avec son petit jabot blanc, qui se tient derrière la vitre dans sa coutumière attitude modeste et réservée. -M'man ! dit Négatif qui, la première joie passée, ne peut s'empêcher d'exprimer au peu de reproche. "Il faut prévenir, quand tu pars en vacances ! On ne savait pas où tu étais !" - Comment, vous vous êtes inquiétés, mes chéris ? s'étonne ingénument Néfertiti. « Si j'avais su... ! Oh merci, M'dame Scouby, c'est bien gentil de me servir à manger, mais je n'ai pas tellement faim, vous savez... Je goûte juste un petit morceau, pour vous faire plaisir. ..Et vous pouvez un peu me caresser aussi, si vous voulez. ..Oui, comme ça, merci. .. Un peu plus à gauche… Ouââââh ! « -Mais, M'man, où étais-tu ? Ce fait quatre semaines qu'on ne te voit plus ! - Si longtemps que ça ? roucoule Néfer. « En fait, je suis restée tranquillement à la maison, vous savez, il a fait tellement froid et je ne suis plus toute jeune. J'ai hiberné quelque temps, bien au chaud. Mais maintenant, c'est fini de paresser, il y a comme un petit frisson de printemps dans l'air, je me trompe ? « Elle a raison. Cela ne se voit pas encore, mais le printemps survient à pas de loup. Les jonquilles sortent de terre, tout doucement. Néfer reprend du poil de la bête... et ses anciennes habitudes. -Aménophis, commande-t-elle, n'ouvre pas comme ça la bouche en me regardant, on dirait un des poissons de l'étang ! Et essuie ton oeil gauche avec le dos de ta patte ! Le malheureux, en effet est atteint d'une conjonctivite tenace. Je crois que cela vient du fait qu'autour des yeux, son poil est blanc. Il n'a pas, comme son père, des pigments noirs pour se protéger des infections. C'est du moins ma théorie, j’ai constaté à diverses reprises, en effet, que beaucoup de chats blancs ont les paupières enflammées. On dirait des lapins albinos. -Je ne m'appelle pas Amen-Au-Fils, mais Négatif, tu le sais bien, M'man ! Je suis le CHArmant Négatif !... Néfer soupire: "Quel prénom !... » Je ne puis résister au désir d’y aller de ma taquinerie: "Vous pourriez l'appeler Négatou ! Lou pitchoun Négatou, c'est joli, non ? C'est du provençal !" Tout le monde semble sceptique. Le pitchoun, lui, est carrément contre. - Ca va pas la tête, Mam’zelle Ardoise ? Quand nous discutons, tous les deux, il me vient parfois une grosse bouffée de nostalgie. -Mais arrêtez de ressembler à votre père comme ça! Vous me donnez le cafard ! Il écarte les deux pattes antérieures en un geste d'impuissance. -Qu’y puis-je, Mam’zelle Ardoise ? Je ne le fais pas exprès ! C'est vrai que c'est hallucinant: la même façon de marcher, de miauler, de se tenir, de manger... Le même caractère serein et débonnaire... La même façon d'aborder la vie, avec humour et appétit. C'est bien simple, s'il n’y avait pas certaines dissemblances physiques, je jurerais que notre Orca n’est jamais parti ! D'ailleurs, Scouby et Daniel n’y ont pu résister... Après cinq mois, la chatière est à nouveau ouverte, l'animal entre et sort à son gré... passe ses journées de week-end confortablement lové dans un fauteuil ou sur des genoux accueillants.. puis, à six heures du soir, ponctuellement, il repart avec quelques paroles polies. Aurait-il à présent une famille qui l'attend pour le souper ? Je dois bien l'avouer : c'est vrai qu'il est CHArmant, ce Négatif ! On ne peut vraiment pas en dire autant de certaine créature diabolique… ! Je parle, bien sûr, de la perturbatrice en fourrure noire qui, il y a déjà plus d'un mois et demi, est venue squatter mon home sweet home et se permet d’y rester ! Parce que, figurez-vous qu'elle s’imagine que l'ancienne chambre d'Olivier est sa propriété exclusive, Mademoiselle Scoubidou ! Quand je me permets d’y entrer (parce que moi je suis chez moi), elle me lance des injures de l'endroit où elle se tapit, principalement sous le lit comme vous le savez. Alors, froissée, je me contente de m'asseoir devant sa porte ouverte, l'oeil aux aguets, l'expression réprobatrice. Ca ne lui plaît pas non plus ! Qu’est-ce qu’il lui faut ? Quand Scouby apporte au stupide animal une assiette copieusement garnie, je l'escorte, bien sûr ! Pas question qu'on m'écarte de la vie familiale ! Quand la gamelle est posée sur le sol, je la renifle, évidemment, faut que je contrôle la tambouille ! Pour contrôler, c'est incontournable: je dois goûter, sinon ce ne serait pas une vérification sérieuse ! Je teste donc le steak haché de Scoubidou, le mien se trouvant bien en sécurité dans ma propre écuelle, à la cuisine. Eh bien, pour récompense de mes bons soins, je ne reçois que noire (c'est le cas de le dire) ingratitude, vous imaginez ! La bestiole prend mal ces marques d'intérêt et s'avise de mugir et souffler dans ma direction ! Voilà-t-il pas que, l'autre jour, je la rencontre dans le hall de nuit, entre la salle de bains et sa chambre ! -Keske tu fais là ? éructé-je, les poils gonflés. -Je me promène, grogne la ténébreuse. Je suis pas prisonnière, non ? -Si, dis-je en barrant fermement le passage qui mène au salon et au reste de l'appartement dont je suis l'incontestée maîtresse. -Et pourquoi je pourrais pas me balader dans le hall de nuit, si je peux savoir ? rétorque la créature à l'aspect méphisto-félin. Bonne âme, je consens à expliquer : - Parce que ce passage mène à la salle de bains où se trouve MON bac de sable, et je ne veux pas te rencontrer quand je me rends au petit coin, vu ? -Sale caractère! grommelle l'intruse en réintégrant dignement sa chambre où je m'apprête à la suivre pour continuer cette édifiante conversation. Un rugissement me coupe les pattes - Pas de grisouille dans MA chambre ! - Rien n'arrête la vaillante chatte Ardoise, clamé-ie pour la galerie. Ceci étant dit, je me retire avec vaillance et diligence afin de méditer sur ma majesté outragée. Une seule attitude est de mise, en une telle occurrence : le dédain absolu ! La négation intellectuelle de la moindre notion scoubidienne ! Peut-ètre que si je me concentre suffisamment longtemps, la bestiole finira par disparaitre, à force de ne pas exister ? Ensuite, rien que pour m'embêter, la Bidou a fait des efforts de sociabilité. Pas à mon égard, non, non ! Elle est sortie de sa cachette alors que Scouby garnissait sa gamelle et a gambadé dans la pièce en se tortillant de manière coquette, tout en émettant des miaulements presque amicaux. Miaulements qui sont allés crescendo lorsque, l'assiette proprement vidée, elle a voulu faire comprendre qu'elle désirait encore un peu de steak. - Eh bien, on dirait que tu as moins peur de nous, Scoubidou ! l'a complimentée ma mère d'adoption tout en évitant de faire le moindre geste brusque susceptible de provoquer une rechute de paranoïa Mol, oubliant ma résolution, je suis venue aux nouvelles. Il faut croire que je suis le monstre du Loch Ness, parce que j'avais à peine pointé le nez sur le seuil de la chambre que… -HIIIIIIIIIII ! s'est époumonée la maniérée. Outrée, je suis retournée sur mon radiateur où Scouby est venue me prodiguer, une nouvelle fois, ses consolations bien intentionnées. - Ne t'en fais pas, mon Ardoiseke ! - Oh, pas de raison pour que je m'en fasse ! dis-je en regardant paresseusement le boulevard. C'est quand même moi qui ai la meilleure part… Et puis, à mes yeux, sincèrement (?), cet animal n'existe pas !!!! C'est tellement vrai que lorsque, quelques instants plus tard, la Bidou (ayant pris son courage à quatre pattes), a passé une tête précautionneuse dans mon salon, je me suis contentée de fermer les yeux en faisant mine de plonger dans un profond sommeil. Le dédain absolu, j'ai dit !
  8. Chapitre 11 : COHABITATION DIFFICILE J'ai pris l'habitude de rendre visite à ma "cousine" tous les soirs, afin de la surveiller de près. Nous nous considérons d'un oeil méfiant, assises à quelques pas l'une de l'autre. Parfois, nous échangeons des propos gracieux. - Eh bien, andouille ? - Ben quoi, grisouille ? - Motus, .fripouille ! - Non mais, gargouille ! - Gargouille, moi ? Annule, capsule ! - A d'autres, pustule ! - Noiraude ! Pruneau ! - Sale raciste ! - Raciste, moi ? (j'étouffe d'indignation) -Tu m'as dit: Noiraude! C'est pas parce que j'ai le teint foncé que... - Tu me traites bien de grisouille ! - C'est tout à fait différent ! Arrivées à ce stade de nos discussions quotidiennes, nous nous mettons à rugir et à souffler. C'est à qui prendra la voix la plus perçante. - Tu me les casses, fripouille ! - Attrape, grenouille ! - Ouille ! Vlan ! Un coup de patte a été asséné, par l'une ou par l'autre. C'est alors qu'un de nos bipèdes, attiré par le bruit, surgit en catastrophe, persuadé que nous nous étripons, juste quand on commençait à bien rigoler ! - C'est presque fini ce raffut ? Ardoise, sors ! Arrête de faire peur à la pauvre Scoubidou qui n'a plus sa mamy l Et gnagnana ! Et gnagnagna ! Et je dois être douce et charmante! Et je dois donner l'exemple ! Et patati et patata ! C’est toujours la même qui trinque ! La 'pauvre Scoubidou" me lance un regard torve. Bon, je sors, mais pas trop vite, pour ne pas avoir l'air de décamper. J'emboîte dignement le pas à Scouby tout en jetant négligemment, par-dessus mon épaule : « Bye bye, Bidou, je reviendrai ! » Elle me fait une grimace affreuse. Décidément, le dressage s'annonce difficile A présent, elle quitte sa chambre le soir pour se faufiler sous le lit de Daniel et Scouby. Comme elle est toute noire, personne ne la voit. Ma mère à deux pattes, en faisant son petit tour d'inspection dans l'antre scoubidien, constate que l’occupante des lieux s'est absentée. C'est pourquoi elle laisse la porte ouverte durant la nuit. Evidemment, ça ne rate pas: à trois heures du matin, nous recommençons à nous chat-mailler. Excédé par les rugissements, Daniel a décidé que ces "sales chats" avaient dorénavant intérêt à se tenir tranquilles en sa présence. Pour commencer, on nous a séparées la nuit : la Bidou consignée dans sa chambre et moi, dans le reste de l'appartement. Me traiter de sale chat, moi ! Bon, Daniel dit ça, mais quand je vais vers lui en ondulant et en faisant des petites mines, il fond. Je sais comment le prendre. .. Mais je ne sais toujours pas comment prendre la Scoubidou ! Ca m'énerve ! Et vous pensez peut-être qu’au fil des jours, les choses vont s'améliorant ? Que nenni ! Maintenant, la bestiole refuse toute discussion: elle reste dans l'obscurité, tapie dans sa cachette. On ne la voit plus que sous forme d'une ombre vague. On l'appelle la "chatte-fantôme". Quant à moi, je dois bien avouer que je n'ai jamais fréquenté une créature comme ça, jamais, même quand j'étais au refuge Veeweide ! - Mais Ardoise, me demande Scouby, pourquoi veux-tu absolument imposer ta loi à cette pauvre bête ? - Mais tout simplement parce que je suis un CHAT DOMINANT I dis-je, toute surprise par la question. Et tous les chats qui prétendent vivre avec moi doivent s’y faire, c'est aussi simple que ça ! Entre nous, je ne crois pas avoir jamais réellement dominé l'Orca, quand j’y réfléchis sérieusement. L'animal se contentait d'appliquer avec moi son fameux principe : "Tact et diplomatie !" et je n’y voyais que du feu. Toutefois, l'important n'était pas la situation réelle, mais la perception que j'en avais, évidemment. - Et. ..il y a longtemps que tu es un chat dominant ? demande ma mère d'adoption, un peu sceptique. - C'est de naissance, Madame ! - Mais... - Décidément, vous les humains, vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez: pourquoi penses-tu qu'à Veeweide, toutes les autres chattes de la cage me laissaient toujours manger la première ? Pourquoi elles n'osaient rien dire quand j'engouffrais la moitié de la pitance commune ? Hein ? Scouby ouvre des yeux effarés. C'est vrai qu'elle ne s'était jamais posé la question. Elle me dévisage avec une considération nouvelle qui, je dois le dire, me fait bien plaisir. - Comment ? Toi, si petite, si grise, si invisible, si... ? Décidément, elle en rajoute ! Je finirais par me vexer ! Je gonfle le poil. - Et alors ? Tu n'as jamais entendu parler des éminences grises ? Tu en as une devant toi I Soufflée, qu'elle est I C'est vrai; quoi ! Personne ne m'apprécie à ma juste valeur, dans cette maison ! Je tente une autre approche. Assise sur mon derrière devant le lit sous lequel se terre la rétive Scoubidou, je prends mon air le plus bénin. - J'ai une proposition à te faire, Bidou. Ouvre bien tes oreilles, parce que je ne le répéterai pas deux fois ! - Pffffffft ! - C’est une proposition très généreuse: veux-tu faire partie de ma meute ? Silence sous le lit. - Parce que, tu sais, je suis chef de meute ! - C'est quoi ça, une meute ? Je suis renversée ! Elle ne sait pas ce qu'est une meute ! - C'est un groupe de chats subalternes qui se placent sous l'autorité d'un chef, expliqué-je pompeusement. " Les chats obéissent à leur chef qui, en retour, dans sa magnanime bonté, leur octroie sa haute protection. " Un ricanement (qui ne me plaît pas beaucoup) se fait entendre sous le lit. - Et où elle est, ta meute ? - Les temps se suivent et changent, dis-je doctoralement. Dans ma jeunesse, j'ai eu sous mes ordres une quinzaine de chattes obéissantes. .. En fait, si je me souviens bien, elles étaient plutôt somnolentes, mais passons. - Puis, je les ai quittées pour venir vivre ici et elles, à leur tour, ont dû être dispersées... Je suis sûre qu'elles pensent encore à moi avec nostalgie... En réalité, elles doivent se féliciter d’être débarrassées du goinfre qui les limitait à la portion congrue, mais chut ! Certaine de mon petit effet, je fais une pause. La voix sous le lit dissipe mes illusions. - Tu radotes, Charlotte ! Supérieure, je décide d'ignorer l'interruption. - Puis, j'ai. eu sous mes ordres un dénommé Orca et une certaine Petite-Goulaffe... J'ai été obligée de chasser la Petite-Goulaffe qui me manquait du plus élémentaire respect. Le pauvre Orca, qui m'était resté fidèle, a perdu la vie... Maintenant, c'est toi ma meute. Rugissement indigné. Je recule, un peu inquiète quand même. - Moi ? Je suis pas une meute ! Moi je ne vis pas en groupe ! Moi je suis le cow-cat solitaire et loin de son foyer !... V'là la Bidou qui se prend pour Lucky Luke, à présent ! - D’ailleurs, ronchonne-t-elle, c’est pas les félidés, mais les canidés qui vont en meutes ! T’es pas un chien ni un loup, hein ? Je suis suffoquée ! C’est n’importe quoi !... Et même si… Qu’est-ce qui peut m’empêcher, MOI, d’être chef de meute, hein ? - Et arrête de me casser les pattes, je dors ! poursuit ma meute irascible. - Je n'ai pas dit mon dernier mot ! rétorqué-je, ulcérée, en quittant la pièce de mon allure la plus royale. Mon dernier mot, je l'ai dit hier soir. Selon une autre de mes tactiques d'approche (ou d'intimidation, comme on voudra), je m'étais confortablement assise devant le fameux lit et je fixais la pénombre dans laquelle se tapissait ma proie. J'avais calculé, il y a un petit temps déjà, qu'en me plaçant à cet endroit stratégique, je faisais obstacle à la progression de la créature vers son assiette de nourriture et son bac de sable. Qui veut la fin veut les moyens : une Scoubidou affamée serait plus facile à mater qu'une Scoubidou en pleine forme. Je connais déjà assez la bestiole pour savoir que, moi présente, elle ne se risquera pas à manger ni à faire ses petits besoins : elle a de ces méfiances... Donc, j'étais là, immobile et attentive. Aucun bruit, pas même un "Miow !" excédé ne me démontrait si ma ruse avait des chances de réussir. Coriace, l'animal ! Alors moi, la vaillante chatte Ardoise, j’ai perdu ma légendaire patience ! Hors de moi, je me suis précipitée sous le lit afin de donner à la mijaurée la correction qu’elle méritait cent fois ! Oh, mes aïeux, j’en suis encore toute étourdie : un tourbillon noir s’est abattu sur moi et m’a poursuivie, dans ma fuite peu glorieuse, jusque dans la salle de bains ! Je ne sais ce qu'il serait advenu de nous si, sur ces entrefaites, Daniel n'avait fait irruption sur le champ de bataille. La Bidou n'a fait qu'un bond jusqu'à son refuge habituel, me laissant seule à essuyer les reproches. -Ardoise! Cette fois-ci, tu ne pourras pas nier, je t'ai vue! C'est toi qui as commencé ! Bien sûr que c'est moi ! C'est aussi moi qui suis ici chez moi, non ? Je ne vais pas me laisser faire, non mais !... Le voilà qui va dans l'ancienne chambre d'Olivier tenter de calmer un peu la locataire des lieux, à nouveau pelotonnée sous le lit, tandis que je prends place sur le radiateur du salon, en ruminant de sombres pensées. Scouby entreprend de me consoler. -Ne t'en fais pas, Ardoise! Si Ça ne va vraiment pas, on gardera la porte fermée, voilà tout ! -J'ai vraiment l'impression que Scoubidou se sent plus heureuse dans la solitude, dit Daniel qui vient de quitter le fauve. Et il est vrai que, quand elle pense que personne ne l'observe, la Scoubidou batifole volontiers dans sa chambre, se promenant sur les armoires et sur l'appui intérieur de la fenêtre (Daniel l'a déjà vue ainsi de la rue, en rentrant du bureau). Moi, cela me sidère qu'un chat refuse ma si agréable et enrichissante compagnie. Scoubidou, chatte grande et forte, aurait fait une meute si présentable ! Quel gâchis, vraiment ! - C'est vraiment dommage qu'elle soit si épouvantablement timide! soupire Scouby. - En tout cas, moi, je ne veux plus m'occuper de sa réinsertion sociale, c'est mon dernier mot ! dis-je d'un ton résolu, comme un candidat au jeu de « Voulez-vous gagner des millions ? ». Et c'est vrai que j'ai gagné le gros lot avec ce monstre! Le gros lot des emm... ! Toutefois, passant devant la porte close de l'intéressée, je ne peux m'empêcher de clamer: "Tu ne sais pas ce que tu perds, Bidou, yeah !" - J’y gagne une paix royale, miow ! rétorque-t-elle. Actuellement, les choses en sont là.
  9. Chapitre 10 : UNE INTRUSE ! Le dimanche matin, comme de coutume, je me réveille très tôt et je trottine vers la chambre afin de réveiller Scouby et lui faire savoir que je souhaite mon petit déjeuner. Arrivée à hauteur de la porte fermée de l’ancienne chambre d’Olivier, je m’arrête net et tends l’oreille. Qu’ai-je entendu là ? Ce n’est pas possible, je rêve, j’ai des hallucinations auditives ! Il va falloir me faire soigner par un psy-chat, mon Dieu, mon Dieu !... Et si c’était grave ? Si j’avais une sorte de tumeur au cerveau ? Si… Mon imagination fonctionne à plein rendement. Juste pour me rendre compte de la persistance des symptômes alarmants, je risque un timide « Miaou ? » et j’attends l’écho… qui ne tarde pas. - MIOW ! OOOOOOOOOOOOOOOOh !... Le poil tout hérissé, je me précipite vers le lit de mes parents. - Ya...yayayayaya... un chat qui est entré cette nuit dans mon appartement ! Il… il… il est caché dans la chambre d'à côté ! Il miaule ! Il pleure ! Keskon va faire ? - Ne t'affole pas, Ardoise, on va t'expliquer... Et j'ai droit à l'explication, un peu tardive je trouve. Pourquoi me met-on devant le fait accompli ? Pourquoi ne m'a-t-on pas d'abord demandé mon avis ? C'est indélicat, ça, vous ne trouvez pas ? Je suis froissée au-delà de toute expression ! - Moi, j'aurais dit non ! Pas d'autre chat chez moi ! -Il faut comprendre, Ardoise, la pauvre Scoubidou n'a plus sa mamy… Sa mamy est placée en maison de repos et Scoubidou se retrouve seule au monde... Etc. etc... On croirait un remake des "Deux orphelines", ma parole ! Je renifle avec dédain. - Allez Ardoise, un bon mouvement ! Tu es sa seule famille féline, à la pauvre Scoubidou ! Cela ne me fait ni chaud ni froid ! Le soir, Scouby se risque à ouvrir la porte de la chambre condamnée, afin de nous permettre, à l’intruse et moi, de faire connaissance. Le museau fureteur, l’œil aux aguets, j’explore les lieux. Bon, il y a là un bac rempli de sable. Je vais faire un petit pipi dedans. .. Il y a là une assiette pleine de Sheba... Je n'aime pas le Sheba, comme nul n’en ignore, mais j'en mange un petit peu. Il y a de l'herbe pour chat... C'est un pot identique à celui qui trône à côté de ma gamelle, dans la cuisine, mais goûtons quand même le contenu de celui-ci. Après quoi, je recommence à arpenter la pièce d'un pas de propriétaire. Pas de chat ! Pourtant, je hume sa présence. .. Où est-il donc passé ? Jetant un coup d'oeil au ras du sol, j'aperçois soudain, sous le lit, blottie contre le mur, une grosse silhouette noire dont les yeux phosphorescents me fixent avec appréhension. Intriguée, je m'approche. .. -Oooooooooooooooh ! sanglote la créature, « Une vilaine bête grise ! Je veux ma mamy ! Ooooooooooooooh ! » Stupéfaite, je regarde autour de moi. Complètement mythomane, cette Scoubidou ! Je ne vois aucune vilaine bête grise ici ... Elle se remet à sangloter. Décidément, ça commence à bien faire ! -Viens, Ardoise, ça suffit pour le premier jour, dit Scouby en me faisant sortir de la pièce. « La pauvre Scoubidou a peur de toi. « Je ricane intérieurement et me gonfle de fierté : laissez passer la redoutable Ardoise I La porte de la chambre étant refermée, je ne me soucie plus de la créature qui y demeure. Tranquille, je poursuis ma petite vie ordinaire, apparemment pas traumatisée pour un sou. Daniel et Scouby semblent ravis de mon égalité d'humeur. C'est au point qu'à présent, quand ma mère d’adoption rentre du bureau, elle se risque à ouvrir la porte de la chambre pour toute la soirée. -C'est pour encourager la pauvre Scoubidou à prendre part à la vie familiale, dit-elle. Hé là, pas si vite ! Scoubidou enfermée dans une chambre, bon, je peux encore l'admettre. Mais Scoubidou vagabondant dans mon appartement, c'est une autre paire de manches et j'ai bien l'intention de le faire savoir à l'intéressée ! La mine conquérante, je m'introduis dans le cachot de la prisonnière et pars à sa recherche. Enfin, je la vois distinctement ! Elle ne s'attendait pas à ma visite et s'était risquée à faire quelques pas afin de reconnaître les lieux. Elle est IMMENSE ! Toute noire, avec de longs poils touffus et des yeux flamboyants ! Les miens, d’yeux, m'en sortent de la tête ! Hum! Hum ! Heureusement que rien jamais n'impressionne la vaillante chatte Ardoise ! Je respire un bon coup. Depuis le premier jour, la créature semble s'être légèrement ressaisie. Assise sur son derrière, elle me dévisage, sa queue frappant le sol à côté d'elle: tap, tap, tap... A mon tour, je m'assieds de la même façon, battant de la queue selon un rythme identique: top, top, top. .. Silencieuses, nous restons à nous dévisager dans le vert des yeux, sans faire d'autre mouvement. Une heure se passe de cette manière. Je crois que le rite ancestral des présentations entre chats s'est déroulé de manière convenable. Il est temps de passer aux choses sérieuses. Je prends mon air le plus patibulaire, le colt à la ceinture. -C'est toi qu'on nomme Bidou ? Ecoute-moi bien, je ne répéterai pas : le chat de cette maison, c'est moi ! Pigé ? Mentalement, je fais tournoyer mon colt. Yeah ! Elle semble légèrement effrayée. C'était le but recherché. Pourtant, elle ne cède pas d'un pouce. Serait-ce une dure à cuire, sous ses airs effarouchés ? -Et moi alors ? dit-elle avec une arrogance inqualifiable. « Je suis pas un chat, peut-être ? » Ecrasons la rébellion dans l’œuf. -Toi, tu es une orpheline recueillie par charité. Un genre d'animal sans importance... Elle me lance un regard qui n'a rien d'insignifiant. Quelque chose me dit tout bas qu'il ne me sera pas tellement facile de la mettre au pas. La Scoubidou, bien que native de notre village campagnard, ne semble pas aussi malléable que mes charmants compagnons de là-bas. .. - D'abord, dis-je, tu restes dans ta chambre. Je ne veux pas te voir ailleurs. Vu ? - Pour le moment, j'ai pas envie d'aller ailleurs ! Après, je verrai ! Décidément, cela ne sera vraiment pas facile. La lutte sera serrée… Mais l'issue n’en fait aucun doute dans mon esprit.
  10. Chapitre 9 : LE MYSTERE S’EPAISSIT Après cet édifiant flash-back, revenons à la minute présente… et à mes interrogations sans réponse, du moins pour le moment. Il va sans dire que je reste sur le qui-vive, malgré mes airs nonchalants ! Nous sommes samedi… et Scouby est partie travailler. D’habitude, Daniel profite de la circonstance pour faire la grasse matinée. Mais aujourd’hui, surprise : je le vois surgir dans le living, tout habillé, à neuf heures sonnantes ! Moi, j’émerge à peine du délicieux sommeil qui fait suite à mon premier petit déjeuner. - Keske tu fais debout si tôt ? m’étonné-je. Il ne répond pas, mais me lance un drôle de regard. Il n’a vraiment pas l’air à son aise, je trouve. Qu’est-ce qu’il manigance, projetterait-il de m’emmener à la campagne ? Méfiante, j’inspecte le hall d’entrée du regard. Aucun sac n’est placé devant la porte. Le frigo-box rouge brille par son absence… Bon, je ne crois pas que nous partions en voyage. Soulagée, je m’étire voluptueusement sur mon radiateur bien chaud. Daniel enfile son blouson. - Où cèke tu vas ? m’enquiers-je, talonnée par une légitime curiosité. - A l’appartement de Bobonne, marmonne-t-il. Ah oui, c’est vrai : ma Bobonne a déménagé. Elle habite à présent une maison de repos pour personnes âgées et Daniel consacre une partie de ses journées à vider l’appartement qui doit être remis en location. Je suis sur le point de me satisfaire de cette explication… Mais que fait-il ? Sur le point de partir, il prend sur le buffet une petite boîte en carton qu’il fourre dans sa poche. Ma curiosité est à son comble : je sais en effet de ce contient cette petite boîte, j’ai lu la notice (mais oui, je suis une chatte exceptionnelle !). Il s’agit d’un puissant calmant pour animaux de compagnie ! Un somnifère pour quadrupèdes agités ! Au début, j’ai cru que ce médicament était destiné à m’abrutir, lors de mes trajets en voiture. Mais toute réflexion faite, je ne vois pas pourquoi on m’infligerait ce traitement maintenant, au bout de plusieurs années de trajets hebdomadaires auxquels, d’ailleurs, je me suis petit à petit accoutumée, malgré mes spectaculaires trémolos… Alors, à qui est destiné le contenu de la petite boîte ? Demeurée seule, je rumine ces pensées sans y trouver de réponse. Puis, épuisée par cet intense effort intellectuel, je me rendors. C’est à peine si je me rends compte du retour de Daniel, tout hérissé et porteur d’un grand carton agité de soubresauts, qu’il a l’air de maintenir à grand-peine. Le carton et son invisible contenu disparaissent dans l’ancienne chambre d’Olivier. Au retour de Scouby, j’entends une conversation qui ne manque pas de m’intriguer. Daniel, encore sous le coup de l’émotion : - D’abord, je lui ai mis un demi-comprimé de calmant dans son steak tartare, comme la vétérinaire l’avait conseillé… Puis j’ai attendu les premiers effets. Rien ! Elle ne s’est pas calmée du tout ! J’ai mis le second demi-comprimé… Rien ! J’ai été obligé de la poursuivre à travers l’appartement jusqu’à ce qu’elle se réfugie sur l’appui de fenêtre de la cuisine, alors j’ai pu la faire basculer dans une boîte en carton et j’ai fermé le couvercle… - Oh la la ! La pauvre ! Et comment va-t-elle maintenant ? - Maintenant, elle dort ! Une myriade de points d’interrogation tourne par-dessus ma tête. - Et Ardoise, elle n’a rien remarqué ? chuchote Scouby en me coulant un regard sournois qui ne me dit rien qui vaille. - Ben non, pas encore… Ce qui démontre leur manque total d’observation ! Evidemment que je sais qu’il se passe quelque chose qui, peut-être, me concerne ! J’aimerais bien qu’on me mette au parfum, si ce n’est trop demander ! Mais j’ai beau accumuler les petites mines et les « Kwâ ? Kwâ ? Keskyâ ? », personne ne daigne me mettre au courant de la situation. On me regarde avec quelque chose qui ressemble à de la commisération… - J’espère que notre pauvre Ardoise ne sera pas trop traumatisée… - Mais non, elle a appris à connaître d’autres chats, à la campagne ! La soirée s’écoule paisiblement. J’ai renoncé, du moins pour l’instant, à éclaircir le mystère. Je somnole béatement sur le radiateur. Nous sommes samedi soir, nous restons bien au chaud dans l’appartement et je me prépare à passer un dimanche paisible et familial. Juste nous trois, mes parents-z-et-moi !
  11. Chapitre 7 : UN MYSTERE Quelque chose se trame, je le sens ! Daniel et Scouby me regardent parfois d'un drôle d'air. Tandis que je prends mes aises, bien étalée sur le dos au sommet de mon radiateur, je les entends chuchoter. Et un nom revient dans leurs chuchotis : Scoubidou. - Bzzzzzzz Bzzzzzzz... Faut trouver une solution, pour Scoubidou... - Oui... Mais que va dire Ardoise ? ... Mes oreilles pointent. Mes yeux prennent la forme de points d’interrogation. - Bzzzzzzz Bzzzzzzzz… La préparer à l'idée… La vétérinaire a dit d'apporter à chacune quelque chose qui porte l'odeur de l'autre... Bzzzzzz... une couverture... Scouby me sourit d'un air engageant. -Tu sembles bien triste depuis que notre Orca n'est plus là, ma pauvre Ardoiseke !... - Heu, voui, quand même, j’ai parfois le cafard… dis-je avec précautions. - Tu te sens seule, hein ? - Heu... C’est pas spécialement ça... Où veut-elle en venir ? Je me méfie, je me méfie ! Elle va chercher dans l'armoire une couverture de bébé qui a appartenu à Olivier, il y a très longtemps. - Couche-toi là-dessus, ma minette ! Fais une petite sieste ! Son comportement me semble de plus en plus suspect. Dans le doute, abstiens-toi, Ardoise ! J'évite soigneusement la couverture. Quand Scouby l'étale sur mon repose-pied, je vais dormir sur le dossier du divan. Quand je découvre l'objet déposé comme par hasard sur mon lieu de repos, je déménage dans l'ex-chambre d'Olivier. Et ainsi de suite. A malin, malin et demi ! Mes soupçons s'intensifient. Hier, en reniflant par hasard le bas du pantalon de Daniel, j'ai senti comme un parfum félin étranger. Késaco ? J'ai fini par craquer et me coucher sur la couverture, durant plusieurs jours. C’était trop tentant : elle est tellement duveteuse, tellement douce, cette couverture ! Hier, .surprise : elle avait disparu, remplacée par une autre (pas aussi jolie) sur laquelle j'ai détecté... quelques longs poils noirs et soyeux qui ne m'appartiennent pas ! J'ai reniflé, reniflé. .. - Quel air a-t-elle ? a chuchoté ma mère d'adoption. - Un air offusqué, a répondu Daniel. - Aie aie aie... - Si elles ne s'entendent pas, faudra les séparer... En mettre une dans la chambre d'Olivier... A quoi riment ces cachotteries ? La moutarde commence à me monter au museau ! Scoubidou, bien sûr, c'est un nom que je reconnais : il s'agit de ma "cousine" si j’ose dire, la fille adoptive de ma Bobonne, la mère de Daniel... Mais qu'est-ce que cela a à voir avec MOI ? Je nage dans des abîmes de perplexité. Chapitre 8 : LA CHATTE SCOUBIDOU Vous savez, c’est un fameux calibre, ma « cousine » Scoubidou ! Quelqu’un de vraiment spécial ! Elle est de mon âge à peu près, mais plus grande et, de l’avis des humains qui n’y connaissent rien, absolument superbe. Personnellement, je ne vois pas quel charme on peut trouver à une chatte vaguement angora, toute noire et dont la fourrure prend des reflets roux au soleil… C’est d’un commun ! En plus elle a de grands yeux dont la couleur oscille entre le vert et le jaune, pfffft ! Un vrai chat pour sorcière d’Halloween ! Et un caractère, je ne vous dis que ça ! Surtout, ne pensez pas que je sois jalouse ! Je suis tout simplement objective : avouez qu’une belle chatte grise un peu ronde, c’est quand même plus « classe » qu’une espèce d’armoire à glace toute noire ! Sur ce, maintenant je suis obligée de lisser ma fourrure, parce que je me sens toute ébouriffée quand je pense à cette grande bringue de Scoubidou. Pourtant, il faut bien que je continue à parler d’elle, pour vous mettre au topo. Tout ce que je ne fais pas pour vous, hein ? La ténébreuse créature est native de notre village, à la campagne. Ben oui, c’est une chatte de la Belgique profonde, comme notre Orca. Quand elle était toute chatonne, elle est arrivée un jour d’été, par hasard, sur notre terrasse où mes parents prenaient leur repas, en compagnie de ma Bobonne. Le ventre creux, la bestiole noire a accepté de bon cœur les restes de viande qu’on lui offrait et, mise en confiance, a pénétré sans façons dans la maison pour faire sa sieste sur le plus beau fauteuil du salon ! Je n’étais pas là à cette époque… La chatte Caramel, « Sa Seigneurie », régnait encore en maîtresse incontestée sur la maison comme sur le cœur de mes futurs parents… et l’intrusion, dans son antre, d’un chaton guère plus grand qu’une crevette n’a pas été de son goût ! Les yeux exorbités de surprise, pétrifiée, elle a contemplé fixement le bébé félin tranquillement endormi. Visiblement, elle ne savait quel parti prendre… Sa Seigneurie, vous la connaissez déjà, je vous ai parlé d’elle : théâtrale et exclusive, du style « Je t’aime pour la vie, mais si tu oses en regarder une autre, je te tue, je la tue, je me tue ! » Sous son regard courroucé, Scoubidou a continué à sommeiller paisiblement… Peut-être son instinct lui soufflait-il qu’en fait, elle ne courait aucun danger réel ? Après sa sieste, elle a manifesté le désir de rester dans la maison… Pour couper court aux véhéments reproches de Caramel, mes parents ont installé dans le fenil une petite couchette où le chaton a passé la nuit. Ne voyant plus l’intruse, Sa Seigneurie s’est calmée… Cela se passait à une époque où ma Bobonne se sentait fort seule : elle avait perdu son mari et son chien à quelques mois d’intervalle et ce chaton surgi de nulle part, sans doute perdu ou abandonné, lui est apparu comme un don du ciel : l’âme-sœur avec qui elle pourrait partager son petit appartement à Bruxelles. C’est ainsi que, le week-end écoulé, Daniel a percé de petits trous une grande caisse en carton dans laquelle il a installé le bébé chat et… en route ! Une fois arrivée dans les lieux où elle vivrait désormais avec sa nouvelle compagne à deux pattes, Scoubidou a fait part d’un légitime mécontentement : - Comment, je choisis une maison qui me plaît, avec un jardin et tout et tout… et on m’offre CA ? Malgré son extrême jeunesse, elle a immédiatement fait preuve d’un caractère bien trempé : - Bon, je condescends à vivre ici avec toi, puisqu’après tout, je n’ai pas le choix, mais attention ! Il faut que tout soit IMPECCABLE ! Je veux une nourriture raffinée et un bac de sable immaculé ! Sinon, gare aux représailles ! Tu as vu mes dents ? Tu as vu mes griffes ? Et je vais encore beaucoup grandir… A bon entendeur, salut ! En un tour de patte, Bobonne s’est retrouvée réduite en esclavage, au point de ne plus même oser sortir de chez elle, sauf pour de brefs instants. - Une journée à la mer, vous n’y pensez pas ! Je ne peux pas laisser ma pauvre Scoubidou toute seule, elle pleure tant chaque fois que je m’absente !... Les relations entre Bobonne et Scoubidou s’avèrent houleuses et passionnées. Un jour, c’est la révolte : « Sale bête ! J’aurais mieux fait de me casser une jambe le jour où j’ai eu l’idée de t’adopter ! » Le lendemain, c’est une autre chanson : « Ma poupousse ! Mon bébé ! Que deviendrais-je sans toi ? « Et la Scoubidou, tour à tour, lance des coups de griffe ou émet de voluptueux ronrons ! Etrangement, si elle se montre hardie et autoritaire avec Bobonne, elle est, au contraire, d’une timidité maladive à l’égard des étrangers. Sitôt qu’elle entend la sonnette de la porte d’entrée, elle se rue dans le lit de Bobonne et va se dissimuler sous la couette, pour ne reparaître qu’une fois le visiteur en allé. Quand, poussée par la faim ou par un petit besoin pressant, elle est obligée de traverser le salon, elle le fait en rasant les murs et en se cachant derrière les meubles avec l’espoir d’être invisible. Un cas à part, cette Scoubidou, vraiment ! Les mois, les années ont passé. Sa Seigneurie Caramel a achevé sa vie et moi, j’ai fait mon entrée dans la famille… Petit à petit, cependant, Scoubidou a commencé à s’ennuyer dans son petit appartement. « La vie d’hôtel, c’est très joli mais un brin monotone… Et si j’allais voir dehors ce qui s’y passe ? » Mine de rien, elle a guetté le moment opportun pour fausser compagnie à sa compagne. Elle a dû se montrer très patiente, car Bobonne veillait sur elle comme sur la prunelle de ses yeux ! Mais ce que chatte veut… Par une nuit d’été, Bobonne est réveillée en sursaut par un grand bruit dans la rue… Poussée par la curiosité, elle se lève, remonte légèrement ses volets… et Scoubidou, qui n’attendait que cette occasion, s’est précipitée comme une flèche au-dehors, pour se volatiliser dans la nuit ! Aussitôt alerté par sa grand-mère affolée et sanglotante, Olivier a parcouru tout le quartier en voiture… Mais comment retrouver un chat noir dans l’obscurité ? Il est revenu bredouille… Le lendemain, il a photocopié à de multiples exemplaires une photo de la disparue et a collé des affiches un peu partout : « Perdu chat noir (femelle) « Scoubidou » Très peureuse. N° de téléphone : … » Cette photocopie semblait représenter une énorme tache d’encre où se discernaient deux grands yeux diaboliques. C’est dire qu’elle n’était pas très nette… Pour s’assurer l’aide du ciel, Bobonne a fait brûler des bougies devant une statuette de saint Antoine, en le suppliant de lui rapporter l’objet perdu. A l’heureux étonnement de mes parents, beaucoup de personnes se sont intéressées au sort de la fugitive. En même temps, le nombre de chats noirs en vadrouille dans cette partie de la ville a semblé se multiplier ! Nous avons reçu d’innombrables coups de fil émanant de gens bien intentionnés qui voyaient vagabonder « Scoubidou » dans leur rue. A chaque fois, Daniel et Olivier allaient vérifier, l’espoir au cœur. A chaque fois, ce n’était pas elle… Nouvel appel téléphonique. Voix : « Allo, Monsieur C… ? La chatte que vous avez perdue attend-elle des petits ? « Olivier : « Heu, non, madame, mais elle est effectivement assez volumineuse… » (l’effet des bons petits plats préparés par Bobonne !) Voix : « Alors, je crois que je la vois ! » (Quel prodige, une voix qui voit !) « Elle est devant ma porte !... Je vais demander aux passants de l’empêcher de partir. Voici l’adresse : … » Daniel et Olivier se précipitent sur les lieux. Arrivés à trois mètres de la chatte : « C’est elle ! » Arrivés à un mètre : « Non, ce n’est pas elle ! » Désillusion. Les passants compatissent. - C’est votre chat qui s’est perdu ? Ah, celui de votre maman ! Et si vous preniez celui-ci à la place ? Imaginant la tête de Bobonne devant la fausse Scoubidou, Daniel a poliment décliné cette suggestion. La chatte noire a profité du remue-ménage pour s’esquiver en catimini, en secouant la tête : « Ils sont fous ces humains ! Je me demande bien ce qu’ils me voulaient ! » Le surlendemain de la disparition, nouveau coup de fil : - Allo, Monsieur C… ? Je suis une voisine de votre maman et je viens de trouver son chat bloqué dans une fenêtre en sous-sol ! Pouvez-vous venir le récupérer ? » Toute la famille s’est déplacée ! Arrivés à l’endroit indiqué, non loin de chez Bobonne, mes parents aperçoivent un attroupement : les habitants de la rue palabraient en se penchant sur une fenêtre en sous-sol d’où montaient des clameurs déchirantes. Cette voix, ce pelage couleur charbon, ces yeux de braise… pas moyen de se tromper ! C’était bien elle, enfin ! Bobonne a couru à toutes jambes jusque chez elle pour préparer une assiette bien garnie à l’intention de la malheureuse rescapée, tandis que Daniel repêchait Scoubidou au moyen d’un filet à crevettes… Pauvre Scoubidou, si timide ! Elle devait se sentir profondément bouleversée de voir tout ce monde autour d’elle. En outre, elle avait faim et froid, la pluie n’ayant pas cessé de tomber depuis sa fuite. Et quel sauvetage humiliant ! Le filet à crevettes, comme un vulgaire crustacé ! Pour une chatte partie joyeuse à la conquête du vaste monde, l’aventure se terminait en queue de poisson…
  12. Chapitre 6 : ROUBLARD A LA PAROLE Comme je suis une brave chatte, j’ai décidé d’offrir un cadeau au Roublard. Par pure bonté d’âme, je lui ai permis de vous écrire quelques mots de sa plus belle patte. Il a eu l’air complètement paniqué. - MAIS QU‘EST-CE QUE JE LUI DIRAIS, MOI, A VOTRE FOROME ? HEIN, MAM’ZELLE ARDOISE, HEIN ? - N’importe quoi ! Bavardez à tort et à travers ! Racontez votre vie ! - MA VIE, HEU ! - Et surtout, il ne faut pas en parler à Négatif, c’est un secret ! dis-je d’un ton pénétré. - UN SECRET ????????? - Oui, parce que sinon il voudrait écrire lui-même sur le forum et il ne vous laisserait plus tracer un mot ! (et à moi non plus ! ajouté-je in-petto) - AH, MAIS J’AIME AUTANT ! PARCE QUE MOI, JE SAIS PAS QUOI DIRE ! - Non, non, ça fait partie de votre psychothérapie ! C’est pour vous dégager du ghetto moral où vous vous êtes imprudemment fourvoyé ! Il faut dégager votre moi profond, vous exprimer ! - JE COMPRENDS RIEN A CE QUE VOUS RACONTEZ, MAM’ZELLE ARDOISE ! - Motus et bouche cousue, compris ? Vous écrire au forum n’importe quoi qui passe dans votre tête ronde et vide, pigé ? Exécution ! Je surveille ! - OUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIN ! Bon, heu, alors je vous écris, vu qu’elle surveille ! Et c’est vrai, vous savez, elle a l’œil ! Faut pas vous étonner si je suis timide avec vous, c’est parce que c’est la première fois que ça m’arrive, une aventure comme ça. Puisque je dois raconter ce qui passe dans ma tête, comme a dit Mam’zelle Ardoise, ce sera vite fini, parce que j’ai beau courir après, je crois qu’il y a rien qui passe dans ma tête ! C’est pas comme Négatif ! Il sait miauler de belles phrases, longues, avec des mots bizarres. Il ferme les yeux et il lit tout ça derrière ses paupières. J’ai essayé aussi : j’ai serré fort les yeux et j’ai regardé à l’intérieur de ma tête. Mais j’ai rien vu, à part de noir ou alors un peu de rouge à cause du soleil. Négatif, il court partout, il connaît tout le monde. Moi, quand je suis pas occupé à jouer avec lui, je reste avec M’man, dans le fourré où je suis né, ou alors dans la haie de M’sieur Dan et M’dame Scouby, là où on a une bonne vue sur les gamelles. C’est pour ça que c’est si difficile pour moi de parler avec les gens. Mon grand talent, c’est pas parler, c’est manger. Là, je suis imbattable. Un chef. Ou plutôt, je le croyais… mais paraît que c’est pas tout à fait vrai. Ca, c’est une histoire que je peux raconter ! Un jour, j’étais bien occupé, toute la figure enfoncée dans l’écuelle que M’dame Scouby venait de déposer, quand j’ai entendu un miaulement : « Bonjour, intéressant jeune homme ! » Je me suis effrayé, vous pensez ! J’ai regardé en tremblant, et j’ai vu une jolie dame tricolore qui se tenait près de moi. Elle avait l’air gentille, alors je ne me suis pas enfui. Et puis, la gamelle n’était pas vide, ça compte aussi, vous savez ! - Voyons, jeune homme, qu’elle m’a dit la dame chatte, ce n’est pas ainsi que l’on mange, allons ! - AH NON ? que j’ai fait. Pourtant je croyais que je me débrouillais bien ! - Manger est un art ! Il faut le maîtriser à bon escient ! Allons, faisons une petite démonstration : mangez, que je voie comment vous faites. Ca, je comprenais, c’était pas difficile. J’ai sauté tête baissée sur mon assiette et j’ai commencé à dévorer. - Et voilà, qu’elle a dit au moment où je relevais le nez, vous êtes déjà tout essoufflé et la gamelle est encore à moitié pleine ! Vous y mettez trop de fougue, jeune homme ! Vous ne mangez pas, vous engloutissez ! Ce n’est pas du tout pareil ! - EUH ? - Regardez comment on fait ! Elle s'est mise à déguster à toutes petites bouchées, tranquillement. Quand elle s'est arrêtée, y restait plus rien ! -Voilà le secret de l'art du mangeur de fond : prendre son temps et ne pas avaler de trop grosses quantités à la fois! Vous remarquerez, intéressant jeune homme, que je n'ai pas le souffle court ! Je remarque. Je remarque surtout que l'assiette est vide. Mais elle est gentille, cette dame! Et puis, personne n'a encore dit "intéressant jeune homme" en parlant de moi ! Voilà que la porte de la maison s'ouvre. Quelle joie ! M'dame Scouby apporte une autre gamelle ! -Bonjour, ma petite Gourmande, dit-elle en se penchant pour donner une petite caresse à la dame. Maintenant je la reconnais : je l'ai vue parfois se promener avec P'pa. Elle habite dans le bas de la rue, là où y a des chiens qui aboient quand je passe. Mme Gourmande, qu'elle s'appelle. -Je vous laisse cette pâtée, mon jeune ami, qu'elle dit de sa petite voix (Comme si elle avait pas déjà mangé la mienne !). Vous avez vu comment on fait, n'est-ce pas ? Et vous remarquerez que, malgré tout ce que je mange, je garde la ligne ! Croyez-moi, si vous appliquez mes méthodes, avec vos dispositions innées, vous deviendrez un grand artiste ! Elle s'en va tranquillement. Un grand artiste, moi ? J'en reviens pas ! J'essaie. Je fais des efforts. Mais c'est difficile, difficile! J'ai beau faire, ma bouche s'ouvre toute grande pour tout enfourner à la fois! Ah, que c'est compliqué, la vie d'artiste ! Vous le savez peut-être pas, j’ai oublié de vous le dire, mais Négatif, c'est mon frère. On a deux ans et demi, tous les deux! On est toujours ensemble, sauf quand il va faire ses promenades dans le village et que moi je reste dans mon fourré. A part ça, on dort ensemble, on mange ensemble, on joue dans les arbres, on parle, on se bagarre... On peut pas se quitter, quoi ! Je me sentirais tout bizarre si j'avais plus Négatif. Et c'est la même chose pour lui. On serait chacun comme coupé en deux. Et puis, y a la chatte Ardoise. Vous la connaissez ? Ah oui, bien sûr, que j'suis bête ! C'est elle qui m'a donné votre adresse, pour ma psyki… psykotérafie ! Paraît que si je dis tout ce qui passe dans ma tête, et même tout ce qui y passe pas, je serai un autre chat! C'est ça qu'elle a dit, Mam'zelle Ardoise ! Moi, j'ai un peu peur d'être un autre chat. Qu'est-ce qui arriverait si je me reconnaissais pas ? Je passerais à côté de moi sans me voir et je me perdrais ! C'est ça que je lui ai répondu, à Mam'zelle Ardoise! Elle m'a répliqué : " Andouille !" C'est pas vraiment une réponse, je trouve! Ca me laisse avec mes angoisses ! Elle est bizarre, la Mam'zelle. Au début, je voulais pas croire que cette chose grise, là, derrière la vitre, avec son regard tout glacé, était un chat. - Ca ressemble pas à un chat ! que j'ai dit à Négatif. - Pourtant, c'en est un! qu'il m'a répondu. C'est même une chatte ! - L'a de drôle de z-yeux ! Comme la grenouille de l'étang ! - C'est une manoeuvre d'intimidation ! a dit gaiement Négatif. Dans sa tête, elle n'est pas comme ça, rassure-toi ! Quand je l'ai un peu mieux connue, c'est vrai, j'ai été rassuré. Mais pas à ce moment-là, vous savez ! Il a fallu du temps ! Et même, encore maintenant, parfois, quand elle me regarde fixement, je me sens devenir tout petit et j'essaie de m'enfoncer dans un mur. Ca ne marche pas, évidemment. Alors Mam'zelle Ardoise tourne la tête et, juste quand je suis un peu remis de mes émotions, elle me relance un sale regard qui dit: " J'vous tiens à l'oeil, vous !" J'en tremble ! -Sois pas si cloche, c'est du cinéma! dit Négatif. Elle est un peu gendarme, aussi, Mam'zelle Ardoise. Quand elle a décidé, il faut sauter ! Et quand elle sort au bout de sa corde, y faut se tenir pas trop près d'elle, pour pas lui "pomper l'air" comme elle dit, et rester droits comme des piquets, Négatif et moi. Moi, c'est pas difficile, elle me donne les jetons et j'en reste sans pouvoir bouger, mais Négatif rigole en douce. Il trouve ça très drôle, Négatif ! Elle dit qu'elle va faire mon éducation, que M'man a complètement ratée. Je crois que quand elle va voir quel travail que c'est, elle va laisser tomber. J'espère. Et M'man ! Elle est super-gentille, ma M'man, mais à côté de ses pompes, comme dit Négatif. Elle est aussi timide que moi, mais elle essaie de se soigner. Ca réussit pas toujours. Dernièrement, elle s'est trouvé une vraie maison, alors elle ne sort presque plus. Elle préfère être timide à l'intérieur, là où personne ne la voit, sauf son Monsieur qui la prend pour une reine d'Egypte. Et elle en est persuadée aussi, M'man, vous savez ! Y a qu'avec Négatif qu'elle est pas timide : elle arrête pas de lui chercher des puces, quand ils se retrouvent par hasard ensemble. Heureusement, c'est pas souvent. Parce que Négatif, il file en douce quand il aperçoit le bout du nez de M'man, de l'autre côté de la rue. Parfois, il a pas de chance: elle le voit s'enfuir et le poursuit. Et elle court vite, ma M'man, malgré son âge, vous savez ! On dirait un éclair tout noir. Un éclair au chocolat fondant (c’est vrai, je ne pense qu’à manger). Alors elle le houspille. Elle pousse de grands cris aigus et Négatif court encore plus vite, mais M'man finit toujours par le rattraper. Une sportive, je vous dis ! Après, Négatif doit écouter toute une "Ho-Mélie" comme il appelle ça, avec ses mots savants. Il doit répondre: "Oui, M'man, non, M'man, t'as raison, M'man !" jusqu'à ce qu'elle soit calmée. Puis tout va bien pendant quelque temps. Dans ma vie, y a aussi M'sieur Dan, et M'dame Scouby, celle qui me donne à manger. J'ai un peu peur de M'sieur Dan, parce qu'il a pas l'air normal. Une fois, il m'a enfermé dans le fenil et j'y suis resté cinq jours, vous vous rendez compte ? J'ai fouillé les poubelles pour manger. Y avait des restants de poulet. C'était bon, mais pour cinq jours, c'était pas assez. Tout le monde me dit qu'il a pas fait exprès de m'enfermer, mais j'en suis pas si sûr, alors quand il sort dans le jardin, je m'éloigne un peu. Vaut mieux être prudent, pour le cas où il aurait envie de recommencer. En plus, il arrive pas à se souvenir de mon nom, M'sieur Dan. Quand il me voit arriver de loin, il crie: "Michèèèèèèle ! Gros-Bazard est là !" J'ai beau lui dire : « Je m’appelle Roublard, pas Gros-Bazard ! », rien à faire ! Oh ! J'ai quand même trouvé kêke chose à vous raconter, dans ma tête, on dirait ! J'aurais jamais cru ! Elle va être étonnée, la chatte Ardoise! Qu'est-ce que vous en dites, hein ? Peut-être que je pourrai la continuer, ma psyki... psyko... Vous savez quoi ! Même si moi je sais pas ! Allez, salut !
  13. [b] Chapitre 5 : PETITS CHERIS ET FIERES DEVISES[ Et voilà, l’hiver s’écoule peu à peu et le réveillon de Nouvel An s’est passé au fameux village de prédilection de mes parents d’adoption, dans la maison sans chauffage central, kaï kaï kaï ! Evidemment, comme d’habitude, il paraît que j’exagère ! Quand je me mets à grelotter ostensiblement, en grattant des pattes le tissu qui recouvre le canapé afin de m’en recouvrir, j’ai droit aux commentaires désobligeants. - Voyons, Ardoise ! Tu ne vas quand même pas dire qu’il fait froid ? Avec le poêle, la température est plus élevée qu’à l’appartement ! - Possible, Madame, mais moi j’ai besoin de la chaleur qui vient d’en bas ! Et comme je ne peux pas me coucher sur le poêle (pas si folle la bête), je me glace le ventre et les coussinets ! - Mais le carrelage est chaud ! On ne peut presque pas y poser la main ! - C’est le « presque » qui est de trop ! Chez MOI, le radiateur est brûlant ! Je tourne dédaigneusement la tête d’un autre côté et pousse un profond soupir. Puisque c’est comme ça, l’Ardoise martyre ne voit qu’une solution un pis-aller : se coucher dans son Titanic, devant le feu et s’y lover tout au fond ! C’est une honte d’ainsi maltraiter une pauvre chatte qui n’a même pas droit à la parole ! A moi toutes les ligues de défense des animaux ! Offrez-moi un avocat pro deo ! Et un bon, hein ! Parce que Daniel et Scouby sont tellement obtus qu’il faudra bien un maître Vergès pour les convaincre que, pour la bonne santé physique et morale de leur chatte bien-aimée, il faut qu’ils fassent installer le chauffage central dans leur maison des champs ! Le matin, quand j’ouvre un œil, bien pelotonnée sous la couette du grand lit familial, Daniel est déjà debout, apparemment plein de vitalité. - Alors, on se lève, on se lève ? J’ai déjà allumé le feu ! - Compte pas sur moi, dis-je en refermant l’œil que je venais d’entrouvrir. A présent que je me sens bien, je ne vais quand même pas me déranger ! C’est d’une oreille sereine que j’entends Scouby se lever à son tour, rabattre l’édredon sur le petit tas de béatitude que forme la chatte adorée et quitter la chambre, non sans avoir demandé, pour le principe : « Eh bien, Ardoise, tu ne te réveilles pas ? » - Pas de danger, marmonné-je. Laisse-moi dormir, je vais encore piquer un petit roupillon. Mais tu peux revenir d’ici une heure ou deux, quand il fera potable en bas. Alors, j’accepterai peut-être de me lever… Elle quitte la chambre, pendant que je m’étire voluptueusement. Ah, les petits matins sous la couette, c’est chouette ! Dans un demi-sommeil, j’entends Scouby descendre l’escalier. Apparemment, je ne suis pas la seule à avoir l’oreille fine, car sur la terrasse se déchaîne un concert. - Miââââââââ ! Miaâââââââââ ! M’dame Scouby, on est là, on est lààààà ! Roublard et moi, tous les deux ! - Ouais, moi aussi j’suis lààààààààààààààààààà ! Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin ! - Comment, déjà levés, les petits chéris ? s’exclame Scouby. Sous la couette, je lève les yeux au ciel. Les petits chéris ! - On attend depuis quatre heures du matin, M’dame Scouby ! - Mais c’est pas vrai ça, on n’attend que depuis une demi… - Tais-toi, cornichon ! - Mais… - Si on lui dit qu’on est là depuis longtemps, on recevra à manger plus vite, Babar ! - Ah bon, comme ça je comprends ! On est ici depuis une heure du mat ‘, M’dame Scouby ! - Hé, faut quand même pas exagérer non plus ! Elle va nous prendre pour des potiches ! Jamais content ce Négatif ! Pendant cet intéressant dialogue, Scouby s’est rendue à la cuisine pour y ouvrir une appétissante boîte (format économique), de marque Delhaize, Spar ou Carrefour. Pas du produit blanc, non, les petits chéris n’aiment pas… Elle revient avec deux assiettes copieusement garnies, qu’elle dépose sur le sol de la terrasse. Aussitôt, c’est la ruée. Roublard avale une bouchée d’une assiette, puis se précipite sur l’autre, en un incessant va-et-vient. Négatif, plus calme, attend que la frénésie de son frère s’apaise. Quand Roublard est fatigué de sauter d’un point à l’autre, Négatif s’installe posément devant la gamelle restée libre. Puis Scouby apporte un grand bol de lait tiède dans lequel les deux frères plongent leurs museaux. Ils sont gâtés… mais quoi ! Ils sont logés à la même enseigne que feu leur pauvre papa : bombance le week-end uniquement ! Il est visible qu’ils n’ont pas de famille humaine. Je pense que Négatif pourrait se faire adopter facilement, mais voilà : il y a Roublard qui ne le lâche pas d’une patte ! Ils sont unis comme les doigts de la main et, si je ne craignais de faire un mauvais jeu de mots, je dirais que ce sont de vrais chats siamois (sauf votre respect, Seigneurie !). Celui ou celle qui aurait le coup de foudre pour Négatif devrait prendre Roublard en prime. Et Roublard, c’est un fameux paquet à adopter, ça vous pouvez le croire ! Le malheureux est peu gracieux, pas très malin et doté d’une grosse voix qui porte loin ! Les fées qui se sont penchées sur son berceau s’appelaient toutes Carabosse, hélas… Il fait pourtant de gros efforts, il faut le reconnaître. Quand Scouby met le pied dehors, il ne mugit plus comme une sirène d’incendie, il essaie d’articuler correctement : Miaou ! Miaou ! Le résultat, bien sûr, c’est MIAAOU ! MIAAAAOU ! mais ce n’est pas bien grave. L’important n’est pas de gagner, mais de participer ! C’est ça que je lui dis souvent, à Roublard, pour l’encourager. Evidemment, il ne saisit pas l’astuce. - PARTICIPER A QUOI ? - Mais… à la vie ! A tout ! Etre là, et bien là ! Comme moi ! Il se perd dans un abîme de réflexions. Cet hiver, comme d’habitude, il a élu domicile près de notre haie. Mais quand même pas par terre, non ! Il ne tient pas à se geler les pattes : il a trouvé un arbuste sur lequel il demeure juché. Quand nous regardons par la fenêtre, nous voyons un gros ballon blanc, à un mètre de hauteur. Roublard est bien installé dans son arbre : il y rêve, il y dort, il observe les alentours, il est aux premières loges quand Scouby sort sur la terrasse : il n’a que trois bonds à faire ! Quand il veut un peu se réchauffer, il joue, avec Négatif, à courir aussi vite que possible sur les branches du petit saule qui frémit sous ce double poids de chats sautillants. Dans le jardin, un gros merle passe ses loisirs à se moquer de Négatif. Il se perche sur une branche du prunier, siffle quelques mesures et attend. Négatif s’approche de l’arbre en rampant, silencieusement. Je ne sais pas si c’est Néfer qui lui a appris ça ou s’il est, comme son père, un self-made-cat, mais c’est du travail bien fait, du boulot de professionnel. De mon rebord de fenêtre, je contemple le spectacle. Négatif se coule contre le tronc de l’arbre et se met à grimper tout doucement. Pour l’encourager, le merle sur sa branche fait : « Tuit ! Tuit ! » Négatif atteint la branche où se trouve l’oiseau. A peine a-t-il effectué un mouvement coulant très réussi que… fffrrrrt ! Voilà la proie qui s’envole et va se poser au sommet du grand sapin, en se tenant visiblement les côtes de rire : ‘Tuîîîît ! Je t’ai vu, le chat blanc et noir ! » A peine Négatif, tout déconfit, a-t-il regagné le sol que le merle se repose sur la même branche du prunier ! - Je ne vois pas pourquoi vous voulez absolument attraper ce merle, fais-je remarquer du haut de ma supériorité intellectuelle. Avec tout ce que vous mangez sur MA terrasse, vous n’avez tout de même plus faim ! - C’est pour entretenir la souplesse de mes muscles et l’acuité de mon cerveau, rétorque modestement l’animal. C’est toute une tactique, attraper un oiseau, vous savez, Mam’zelle Ardoise ! Il faut être intelligent, prévoir les coups de l’adversaire… - Dans ce cas, c’est raté ! dis-je avec une secrète satisfaction. - Négatif jamais ne s’avoue vaincu ! Toujours sur le métier remettez votre ouvrage ! C’est en forgeant qu’on devient forgeron ! Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ! La tête m’en tourne. A mon avis, il a dû potasser le dictionnaire des citations, ou alors il s’est acheté « Comment briller en société, en dix leçons » ou « Comment épater la chatte Ardoise ». - C’est fini ? demandé-je. Mais non, ce n’est pas fini ! - Vous savez, Mam’zelle Ardoise, moi aussi je me suis trouvé une fière devise, comme vous et mon P‘pa ! Ca devient d’un commun, maintenant, les fières devises ! Tout le monde en a. Je soupire. Prenant mon silence pour un encouragement, la bestiole se campe fièrement sur le sol de la terrasse, ferme les yeux d’un air inspiré, rejette en arrière une cape imaginaire et déclame : « Chéri de toutes les dames, Hardi et imaginatif, Plein de fougue et de flamme, Tel est le charmant Négatif ! » Je manque défaillir sous le coup. La dépression me menace, je le sens. Moi qui étais si fière de l’orgueilleuse devise de ma noble famille ! Vous vous souvenez, hein ? « Oncque ne cherche noyse à la vaillante chatte Ardoyse ! » - Et puis, vous avez remarqué le jeu de mots ? s’enquiert mon tortionnaire. - Lele… jjjeu de mots ? répété-je d’une voix expirante, submergée par une jalousie galopante. Quel jeu de mots ? - Oui, CHArmant Négatif ! CHA-rmant ! CHAT ! CHAT ! - Heu, chat en effet… Bien sûr, c’est la première chose que j’avais remarquée… Beuh heu ! Il me regarde, semble hésiter. Puis s’exclame : - Vous savez, Mam’zelle Ardoise, je voulais d’abord dire « Vaillant et imaginatif », puis je me suis souvenu que « vaillant » était déjà pris ! C’est vous la « vaillante » chatte Ardoise, hein ? Alors j’ai dû trouver autre chose… Evidemment, ma devise n’est pas aussi belle que la vôtre ! La vôtre, elle est super ! Géniale ! Il multiplie les adjectifs enthousiastes. Je me sens revivre. C’est quand même vrai, ce qu’il dit ! Roublard, qui a suivi bouche bée ces brillants propos, se risque timidement : - J’aimerais bien aussi avoir une… heu ! … devise, moi ! C’était quoi, celle de P’pa ? - « Orca, Maître-Chat ! » dis-je avec attendrissement, tandis que me revient à la mémoire ce lointain jour d’été, où l’Orca était venu claironner à mes oreilles son fameux « slogan ». Où est donc passé ce temps-là ? Ah, nostalgie, nostalgie… Ardoise, secoue-toi ! - MAIS MOI JE PEUX PAS PRENDRE LA MEME, HEIN ? JE SUIS PAS ENCORE UN MAITRE-CHAT ! SEULEMENT UN PETIT ELEVE ! - Et même le cancre du fond de la classe, ne puis-je m’empêcher d’ajouter finement, reprise par le temps présent. Mes aimables propos glissent sur sa conscience comme l’eau sur les plumes d’un canard. Il ne pige rien au second degré, cet obtus ! Ca ne vaut pas la peine de gaspiller mes talents avec lui. - J’en ai une pour toi, dit soudain Négatif : « Roublard, cas à part ! » ou « chat à part », comme tu voudras. - TU CROIS QUE CA M’IRAIT ? - C’est tout toi, sois tranquille ! Il est fier comme un paon, le Roublard ! Son principal souci, maintenant, c’est le choix, cornélien comme il se doit : CAS ou CHAT ? Cruel dilemme ! Souveraine, je tranche. - « Cas à part », c’est mieux, dis-je péremptoirement. On le voit bien, que vous êtes un chat, c’est pas la peine de le préciser ! En fait, j’ai quelques doutes : le Roublard pourrait aussi passer pour une baleine blanche ou un ours polaire… Mais il n’y en a pas en Belgique, sauf au zoo d’Anvers peut-être. Alors, je suppose quand même que les gens remarqueront les oreilles pointues, les moustaches, les quatre pattes et la queue formant, dans l’ensemble, un félin ! Il y a bien des individus peu aimables qui osent me comparer, moi, la belle Ardoise, à un phoque ! C’est de la jalousie, bien sûr… Néanmoins, même en admettant le fait, personne n’a encore dit, en me voyant : « Tiens, un phoque ! Comment est-ce possible ? » Non, on dit : « Tiens, c’est marrant ! Un CHAT qui ressemble à un phoque ! » Donc, je suppose que le Roublard aussi peut compter sur la reconnaissance de son statut de chat. C.Q.F.D.
  14. Comme vous pouvez le constater, Mlle Akkeza, je n'abandonne pas les lieux... Je me suis retirée, pour la nuit, dans un petit coin discret de la salle de bains. Même pas vu le flash de l'appareil-photos ! Je ronfle déjà... Bien sûr que je vous tiendrai au courant de la suite des événements ! Bone nuit tout le monde !
  15. Chapitre 4 : MALHEUREUSE ARDOISE ! Je suis une victime, je l’ai toujours dit ! Jeudi passé, j’étais bien confortablement couchée sur la table de la salle à manger lorsque Scouby est rentrée de son travail. Daniel n’était pas là. - Bonjour, ma gentille Ardoise ! J’ai levé languissamment la tête pour accuser réception, puis me suis à nouveau plongée dans ma coutumière méditation. Lorsque j’ai repris contact avec la réalité, Scouby posait à côté de moi mon panier « Félix », vous savez, la prison ambulante dans laquelle s’effectuent mes trajets Bruxelles-Campagne et vice-versa. Je fais un rapide calcul mental. Nous sommes rentrés il y a quatre jours, donc il n’est pas possible que nous repartions déjà. Et puis, je ne vais jamais à la campagne avec Scouby toute seule : nous partons toujours en famille. Par conséquent, je peux méditer tranquille : ce panier n’a manifestement rien à voir avec moi ! J’en suis tellement convaincue que je ne réagis même pas quand elle me soulève et me pose dans le « Félix » ! Elle ferme la grille de ma prison avant que je ne puisse réaliser ce qui m’arrive ! Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ? Nous prenons l’ascenseur. Je suis muette de surprise. Nous sortons. Elle marche d’un bon pas, moi balancée dans le panier au bout de son bras. Je commence à paniquer : Daniel et elle se seraient-ils disputés ? Serais-je victime d’un rapt parental ? Ca arrive ces choses-là, on en a beaucoup parlé à la télé récemment. Vous voyez le topo, hein : les parents se chamaillent et l’un des deux s’empare du pauvre enfant (moi). Et le pauvre enfant est attiré dans un endroit inconnu, sans ses petites souris, sans son radiateur bien chaud, sans son repose-pied, sans… Je me mets à gémir. Le vrombissement des voitures qui passent sur le boulevard couvre le son lugubre de ma voix. Nous dépassons la porte du garage. Bon ! On ne prend pas la voiture… Scouby a peut-être loué, pour nous deux, un logis pas trop loin de mon paradis perdu ? Je pourrai toujours essayer de m’enfuir et de rentrer à pattes ? J’imagine la joie de Daniel quand je sonnerai à la porte ! Comme il sera heureux de retrouver sa pauvre chatte kidnappée ! Tandis que je peaufine mon scénario, nous pénétrons dans un autre immeuble. Je hume l’air, autour de moi. Ne serais-je pas déjà venue ici ? Une petite blonde ouvre une porte d’appartement… et j’ai le cœur qui fait boum ! La vétérinaire ! Mon Dieu quelle horreur !... Je me pelotonne dans mon panier « Titanic » qui, subitement, me paraît le plus doux refuge qui soit au monde. Sans pitié, la vétérinaire m’en extrait comme un escargot de sa coquille. Me voilà sur la table d’examen. Je veux sauter à terre, on me retient. Pendant une seconde, je me sens complètement affolée : où est Scouby ? Je ne la vois plus ! Ah, la voilà, juste derrière moi ! Je me retourne et me serre contre elle, lui entourant le cou de mes pattes antérieures. - Allons, ma Minette, n’aie pas peur ! dit-elle. - Oh, ils savent tous bien où ils se trouvent ! remarque la toujours souriante petite blonde. Elle m’examine, comme d’habitude : les oreilles, les yeux, les dents… Rien à signaler. La vétérinaire prépare une seringue, l’emplit d’un liquide incolore. Je m’agrippe à ma mère d’adoption et ferme les yeux. Tiens, c’est fini et je n’ai rien senti ! Je suis à nouveau protégée contre tous les microbes qui pourraient me prendre pour cible ! Immensément soulagée, je ne me fais pas prier pour réintégrer mon panier. - Vous avez un très gentil chat ! dit aimablement la vétérinaire. Elle complète mon petit livret de santé, tandis que Scouby règle le prix de la consultation tout en constatant en son for intérieur que la santé du chat fidèle est beaucoup plus onnéreuse que celle de la modeste humaine attachée à son service ! Enfin, nous traversons la salle d’attente pour sortir. Un affreux molosse est installé là et, visiblement, il n’éprouve pas une folle affection pour les chats ! Il me fixe avec des yeux de fauve, injectés de sang, en secouant ses babines. Un aboiement aigu retentit : « Wouiiif ! Wouiiiif ! Miam ! Y a bon matou ! Miam ! » On ne pourrait plus clairement exprimer ses intentions. Je me rencogne, terrorisée, tout au fond de mon panier. - Oncque ne cherche noyse à la vaillante chatte Ardoyse ! chevroté-je d’une voix tremblante. Ah, il est loin le temps où je claironnais à l’oreille d’Orca la fière devise de ma noble famille ! Aujourd’hui, les mots ont du mal à passer… Lorsque nous nous retrouvons sur le trottoir, je me sens mieux. Quand je pense que ce monstre sanguinaire a dû se poser après moi sur la table d’examen ! Ma petite odeur l’a sûrement rendu fou de rage !
  16. Eh bien, ce week-end et aujourd'hui, j'ai pu respirer : j'avais ma salle de bains rien qu'à moi ! Mon bipède voulait y travailler mais je l'ai fixé d'un oeil fulgurant : Du coup il a changé d'avis... Se sentait un peu fatigué aussi ! Je reste maîtresse du terrain... normalement jusque mercredi, car demain on vient installer la nouvelle porte d'entrée, donc ma chambrette restera inviolée ! Olé ! Notez, la pose du nouveau revêtement de sol sera bien nécessaire... J'ai un peu sali... Mais à mon âge, plus personne ne pense à me réprimander !
  17. Mais, cher Gysmo, vous me semblez passer de bien bonnes vacances ! Amusez-vous bien à la plage... Pour ma part, je n'y suis jamais allée... Je crois que je me perdrais dans cet immense bac de sable !
  18. Chapitre 3 : NEGATIF A DES PROBLEMES - A quoi vous pensez là, Mam’zelle Ardoise ? Ca, c’était au cours de l’avant-dernier week-end, quand Scouby ignorait encore tout des méfaits du vilain virus qui allait faire d’elle sa prochaine victime. Je méditais sur mon rebord de fenêtre lorsque Négatif a sauté d’un bond devant ma vitre, de l’autre côté évidemment. Gardons nos distances sociales, même si celles-ci ne se symbolisent que par une paroi transparente. Toujours joyeux et plein d’entrain, cet animal ! Même moi, je ne puis totalement résister à son charme, mais je dissimule jalousement cette faiblesse, indigne de la noble et vaillante chatte Ardoise ! - Je réfléchis à des réalités supérieures, dis-je en levant bien haut le museau vers les étoiles, encore invisibles puisque nous sommes en plein jour. Négatif prend un air inspiré. - Ah oui, les mystères de l’existence ! opine-t-il en hochant la tête. Quels problèmes, hein, Mam’zelle Ardoise ? Moi aussi, je suis confronté à certains dilemmes fondamentaux… - Ah tiens ? On peut savoir ? Mes oreilles se tendent, s’allongent… Qu’a donc à raconter le digne fils d’Orca ? - Les relations mère-fils sont rarement au beau fixe ! soupire-t-il. - Ah bon ? Très intéressant ! Je suis alléchée. Les potins, y a que ça de vrai ! Enfin quelques nouvelles croustillantes à se mettre sous la dent ! - M’man est peut-être une chatte adorable, mais elle en a toujours après moi ! Ca, je l’avais déjà remarqué : quand on entend des cris retentir sur la terrasse, on peut être sûr que Néfer est en train d’houspiller Négatif. La semonce se termine généralement au sommet du grand noyer où Négatif s’est réfugié pour avoir la paix et où Néfer, impitoyable, le rejoint. Quand elle a terminé ses récriminations, elle redescend, calmée, et retourne chez elle, dans son buisson. Négatif ne repose la patte sur le sol que lorsqu’il est sûr qu’elle est partie et ne s’occupe plus de lui. - Depuis qu’elle a retrouvé son nom complet de Néfertiti, elle se monte la tête, continue-t-il. Elle est persuadée qu’elle est vraiment la réincarnation d’une reine d’Egypte. - Z’avez pas de chance avec les femmes de votre vie, remarqué-je. Votre petite amie se prenait pour la princesse Diana, votre maman… - Et c’est pas tout ! Elle trouve que Négatif, ça fait coiffeur… - ????????? - Ben oui… Néga-Tif… Non aux tifs … Compris ? - C’est un peu tiré par les cheveux, à mon avis ! dis-je sincèrement. - Vous pouvez le dire ! Maintenant, elle m’appelle « Amen-au-Fils ». Vous y comprenez quelque chose, Mam’zelle Ardoise ? Mes oreilles et ma queue dessinent des points d’interrogation dans l’air. Je suis perplexe. Flash ! La lumière se fait dans mon esprit. Amen-au-Fils… Aménophis… Elle fait un joyeux patchwork de l’histoire d’Egypte, la Néfer ! Négatif reparti en promenade, je coule un œil vers le Roublard, blotti dans un tout petit coin de notre terrasse. D’une griffe affûtée, je tape sur la vitre. - Hé, venez ici, vous ! Il regarde derrière lui avec espoir, en pensant que c’est un autre chat que je vise. Pas de chance, il n’y a personne. Personne d’autre que lui. Il approche tout doucement, comme s’il avait du plomb à chaque patte. Son regard se fait encore plus méfiant que d’habitude, ce qui n’est pas peu dire. Scouby vient se mettre près de moi, devant la fenêtre. Nous observons toutes deux la bestiole qui n’en mène pas large. - Pauvre Roublard, dit ma mère d’adoption, je me suis bien trompée sur son compte, au début ! Je croyais qu’il était une grosse brute rusée… et il n’y a pas plus innocent que lui ! Ce n’est pas sa faute s’il ressemble à un ours polaire. - Ca t’apprendra à juger les gens sur la mine ! dis-je sévèrement. J’admets qu’elle a des excuses : l’animal n’est pas précisément mignon ou craquant. On peut tout juste le qualifier d’original, avec ses étranges marques noires sur sa fourrure blanche et sa grosse voix dont on a du mal à croire qu’elle soit d’un chat ! Et de plus, en ce moment, il a un énorme furoncle qui lui pousse sur le crâne. Ca fera un cratère dans son pelage, plus tard ! - C’est vrai que l’est vraiment pas beau, baragouiné-je en mon langage. - Mais quand même assez attendrissant, marmonne Scouby, pas trop haut étant donné qu’elle est la seule de cet avis. Elle retourne vaquer à ses occupations pendant que je m’installe confortablement sur le rebord de la fenêtre. - Pourkoike vous m’avez appelé, mam’zelle Ardoise ? s’enquiert la bestiole, toujours debout comme un cierge sur la terrasse. - Pour bavarder, dis-je gracieusement. Pour savoir si vous avez des problèmes avec votre M’man, vous aussi. Il faut tout me confier, vous savez : Ardoise voit tout, sait tout, comprend tout ! Là, j’exagère un peu. Mais c’est vrai que j’aime être au courant de tout ce qui se passe, c’est mon côté pipelette. Il a l’air soulagé par mon apparente bonhomie : je ne suis peut-être pas si terrible que ça, après tout ! - Moi, j’ai pas de problème avec M’man, Mam’zelle Ardoise ! Elle dit toujours, M’man, que je suis un cas désespéré, sans amélioration possible, alors elle me laisse tranquille ! Elle m’appelle son petit Babar. Pourtant, Mam’zelle Ardoise, j’ai rien d’un nez-léphant, nespa ? - Heu-hum ! fais-je sans me compromettre. - Alors, puisque pour moi c’est pas possible, M’man veut que de tous les chats du village, Négatif soit le plus intelligent, le plus beau, le plus… tout, quoi ! Elle est toujours occupée à lui dire : « Amène-Office, tiens-toi droit et garde la tête haute ! Amène-Office, essuie-toi les pattes ! » Et patati et patata ! Et Négatif il en a marre ! Quand M’man se balade dans la rue, il fait le tour par les jardins, pour pas risquer de tomber sur elle… Pauvre Néfer ! Son épouvantable timidité l’ayant empêchée peut-être de réaliser ses propres rêves, elle essaie de les concrétiser en la personne de son rejeton le plus doué. Mais elle s’y prend mal, comme tout le monde dans ce cas-là… C’est la féline nature !
  19. Merci pour vos encouragements, les amis, j'en ferai bon usage ! Cet après-midi, j'ai goûté un long moment de repos. Mon bipède était dans son bain, pour se décrasser de toute cette poussière, et moi nonchalamment étendue devant le radiateur brûlant ! Cela m'a remonté le moral... mais j'attends demain avec une certaine appréhension !
  20. Moi je veux bien, vous savez, Mlle Taiga, mais je me méfie ! Comme je connais mon père d'adoption, il risque d'en avoir marre et de laisser tout tomber avant d'en avoir fini ! Et moi je vivrai où, alors ? Dans un chantier ! Si je crachais encore trois ou quatre fois par terre ? Je ferais tellement de taches qu'il placerait ce lino vite fait... et je pourrais y exercer mes griffes ! Qu'en pensez-vous, c'est pas une bonne idée ?
  21. Faire mes griffes... ca c'est une idée, je n'y avais pas pensé ! Mes pensées s'éclaircissent, merci cher Noisette, pour cette judicieuse suggestion !
  22. Mes amis, il y a des jours où je m'interroge... vais-je rester ici ? Je suis perturbée en ce moment : tout bouge dans ma salle de bains ! Vous le savez, je vis tranquille sur l'un ou l'autre petit tapis, avec à côté de moi, un en-cas composé de quelques croquettes... Mais depuis hier, tout est bouleversé ! Mon père d'adoption est devenu fou ! Il s'est mis à poncer les murs... après avoir sorti mon petit tapis, mes croquettes et mon eau. Il voulait me sortir, moi aussi, mais j'ai refusé, vous pensez bien ! Pendant qu'il travaillait, j'ai arpenté la pièce comme un fauve en cage, en le surveillant... Je suis très inquiète pour ma salle de bains ! "Ardoise, tu es un cas !" a-t-il grincé, alors que j'éternuais à cause de la poussière. "Je t'avais dit de sortir !" C'est ça : quitter mon refuge... et risquer qu'on me ferme la porte au museau ? Ah non alors ! Je suis restée, stoïque. Quand le travail a été fini, Scouby a tout nettoyé et je me suis installée sur un bout de plastique qui traînait là... Mes pensées sont moroses : ils vont peindre, tapisser, mettre du vinyle par terre (le grand rouleau que vous voyez)... Et moi ? Je suis perdue dans de sombres pensées : ma salle de bains me plaira-t-elle encore quand elle sera aménagée ? J'aimais bien son petit air rustique et inachevé... J'aimais bien renverser mon bol d'eau sur les plaques en triplex... Un peu cracher par terre pour imprégner les lieux de mes effluves ardoisiens... Ah mes amis, je suis déboussolée ! Que feriez-vous à ma place ?????
  23. Voici le début du second volet de mes aventures... Vous y ferez la connaissance de nouveaux venus dont vous avez peut-être déjà entendu parler par les posts de Scouby : Geisha, Cendrillon, Scoubidou, Charlot… et d’autres encore. Allez, c’est reparti ! Chapitre 1 : ME REVOILA, ARDOISE En ce moment de mes mémoires, j’ai pris mes quartiers d’hiver… c’est-à-dire que je somnole toute la journée, bien roulée en boule dans celui de mes paniers « Félix » qui n’est pas encore complètement mou. Celui-ci, Scouby ne l’a lavé qu’une seule fois, ce qui fait qu’il se tient encore à peu près droit ! Quand j’ai envie de me déplacer, c’est facile : les yeux toujours clos (c’est trop fatigant de les ouvrir pour vérifier où le destin me mène), je joue de la tête et des pattes pour faire rouler le panier… La première fois qu’elle m’a vue à l’œuvre, Scouby n’a pu en croire ses yeux ! - Ca alors ! Quelle fainéante tu es ! a-t-elle lâché, aimable comme toujours. Je ne me suis pas troublée pour autant. C’est la jalousie qui la fait parler, je le sais. Elle sauterait à pieds joints pour être à ma place, si elle le pouvait ! Pour me faire courir, elle a acheté deux nouvelles petites souris en tissu. Toutes les vieilles ont disparu, allez savoir où ! Je suppose qu’on en retrouvera une ou deux lors du déménagement. Les autres se sont volatilisées dans l’espace… ou, qui sait, dans mon estomac ? Comme je suis une chatte conciliante et obligeante, je cours consciencieusement derrière les bestioles que Scouby jette aux quatre coins de l’appartement. Elle s’extasie sur mon esprit joueur. Qu’est-ce qu’il lui faut ? Si je dédaignais ces menus plaisirs, elle croirait que je suis malade. Et puis, il faut dire que cela me plaît bien d’envoyer, d’une patte précise, une souris sous un meuble bien bas. Alors je me mets devant la cachette, me couche sur le dos et gigote frénétiquement des quatre pattes, histoire de prouver que je fais de louables efforts pour récupérer mon jouet. Ensuite, je pousse un profond soupir éploré. - Ma souriiiiis ! Je n’peuxs plus la faire sortiiiiir ! Ca ne rate jamais : Scouby se met à quatre pattes, comme moi, jette un coup d’oeil dans l’obscurité poussiéreuse où se tapit ma proie, avance une main exploratrice… L’instant d’après, je récupère ma souris et peux me livrer au plaisir de la pousser sous le divan, bien bas lui aussi. C’est pour ça, finalement, que j’en possède plusieurs : pas pour me faire plaisir à moi, non non ! C’est pour Scouby qui n’a pas envie de passer ses soirées à ramper dans le salon ou la salle à manger ! Donc, quand je suis à l’appartement, je passe le temps de cette manière paisible et conviviale… Du moins, à partir du moment où ma famille rentre de son travail. Avant, inutile de me chercher, je dors ! Je me réveille quand j’entends une clé tourner dans la serrure de la porte d’entrée. Alors, je me dirige vers la cuisine pour vérifier si on remplace bien ma vieille gamelle par une fraîche. Après quoi, rassurée, je pirouette sur la table de la salle à manger et jette allègrement sur le sol le courrier que Daniel ou Scouby y ont déposé. Je suis, en effet, une fanatique de l’ordre : j’aime que cette table soit bien nette pour me permettre de l’arpenter à grands pas décidés, la queue bien droite et ondulante ! Aïe ! Un de ces prochains soirs, je vais devoir passer la visite médicale obligatoire : j’ai détecté, sur le buffet, une carte illustrée représentant un chat. Au dos de cette carte, ma vétérinaire a soigneusement indiqué, de sa petite écriture appliquée : « Je vous signale qu’il y a lieu de procéder aux rappels de vaccins pour votre chatte Ardoise, contre… » là suit une litanie de termes scientifiques retraçant les maladies que l’on veut m’éviter. Il y en a beaucoup ! Du typhus au coryza (que j’ai déjà eu quand j’étais petite) en passant par la leucose, la rougeole, la scarlatine, la coqueluche, les oreillons… Je vois d’ici votre air épouvanté. J’exagère, d’accord ! Il n’empêche que je n’y couperai pas, à la corvée, d’autant plus que maintenant, on n’a plus besoin de voiture pour aller me faire « soigner » : la nouvelle vétérinaire, piqueuse sanguinaire, habite à deux maisons de la nôtre ! Pauvre Ardoise ! Sainte martyre ! Chapitre 2 : SCOUBY A LE CORYZA Le vendredi soir (sauf quand, par chance pour moi, ma « mère » travaille le samedi, ce qui arrive une fois par mois), mes parents prennent des airs de conspirateurs. Moi, toujours tombée de la dernière pluie, je mets des heures à m’apercevoir qu’ils ont subrepticement fermé la porte des chambres et que mon panier Félix « Titanic » m’attend dans un coin du hall de nuit. Je n’ai plus d’autre issue que la cuisine (où se trouve ma gamelle) et la salle de bains (où je puis, si je le souhaite, satisfaire un petit besoin urgent). Toutes mes cachettes habituelles, si ingénieuses, me sont fermées ! Quand je vois Scouby se saisir du frigo-box rouge et y entasser des tonnes de victuailles, un sinistre déclic se fait dans mon esprit. En un éclair, j’entrevois l’inéluctable : nous partons pour la campagne ! Je pousse un miaulement lugubre, plus impressionnant qu’une corne de brume. Mes parents bêtifient à qui mieux mieux : - Où c’est kelle va aller jouer la mignonne ? Dans le jardin ! Hou que c’est gai le jardin ! Hou la bonne herbe bien fraîche ! - Arrêtez de vous payer ma bobine, que je réponds du tac au tac. « Je vais pas aller claquer des castagnettes dans le jardin en plein hiver, rien que pour vous faire plaisir, sales sadiques ! » Et gnagnagna et gnagnagna… Je râle sec. Evidemment, j’ai beau dire, personne ne m’écoute ! On m’enfourne dans mon panier et en avant pour la tournée des sept douleurs ! C’est la ballade du chat hurleur… car je ne me prive pas de manifester mon déplaisir, à grands trémolos, comme vous le savez déjà ! Inutile de préciser qu’une fois sur place, je m’amuse comme une petite folle… En rentrant du dernier week-end, j’ai eu le plaisir de constater qu’un destin justicier avait frappé : Scouby a récolté un énorme RHUME ! Hilare, je me juche sur le dossier du canapé où agonise l’intéressée. - Atchoub ! Atchoub ! - Alors comme ça, tu as aussi attrapé le coryza ? Comme moi quand j’étais petite ? dis-je avec une fausse compassion. Je penche la tête pour la fixer d’un regard innocent. Je soupire ostensiblement. - Tu sais, cela peut être très dangereux, le coryza ! A l’époque, je parlais comme ça, je ne savais pas ce que ce fléau de coryza allait, quelques années plus tard, infliger à ma future meute… Mais n’anticipons pas. - Dangereux, un rhube ? Tu crois ? - Oh oui ! Atterrée, elle ferme les yeux. Quand elle les rouvre, l’oiseau de mauvais augure n’est plus perché sur le dossier du canapé. Silencieusement, il est descendu tout près d’elle et tend le bec… pardon, le museau à deux centimètres de son nez. Au lieu du paysage familier et rassurant du salon, Scouby ne distingue que deux grands yeux verts en face des siens. - Ardoise, tu be pompes l’air ! proteste-t-elle. - Je venais tâter ton museau pour prendre ta température, dis-je obligeamment. C’est vrai qu’il est chaud, ton museau ! Et tout rouge ! Et tout gonflé ! On dirait une tomate… - Ude tobate !... - Pas une grosse tomate, rassure-toi. Une moyenne… - Oh, que je be sens boche, boche ! gémit-elle. - Boche ? Ah oui, moche ! Tu as peut-être trop respiré l’air pur du jardin ce week-end ! L’être humain est ainsi fait que lorsqu’on lui assène une vérité qui le vexe, il répond par des insultes. Scouby ne déroge pas à cette règle. - Stupide adibal ! fait-elle. - O réveils d’Hannibal ! Lendemains d’Attila ! déclamé-je avec sentiment, puisant sans vergogne dans l’œuvre d’un auteur connu. Elle a compris qu’elle n’aurait pas le dernier mot. Elle referme les yeux et s’absente en esprit. Je reste seule sur le champ de bataille. Mais qu’elle ne s’en tienne pas quitte pour autant ! Le lendemain matin, très tôt, je m’introduis dans le chambre et saute sur le lit. Confortablement installée sur la couette et, par la même occasion, sur l’estomac de ma mère d’adoption, j’attends que Scouby se réveille. Pour l’y inciter, je tapote délicatement de la patte la tomate citée plus haut. Un rugissement répond à mon initiative. - Ardoise ! Bon dez ! Tu be fais bal ! Rentre ta griffe ! Ravie, je prends un petit air contrit, typiquement ardoisien. - Je n’avais pas vu que cette griffe était sortie, comme c’est bizarre ! Je venais simplement vérifier si tu allais mieux… (à l’évidence, non) et si l’heure de mon petit déjeuner n’avait pas sonné… Elle jette un coup d’œil au réveil-radio encore silencieux. - Y be reste encore un quart d’heure ! Laisse-boi dorbir ! - Bon… Je vais prendre mon mal en patience… Mais que j’ai faim ! Que j’ai FAIIIIIM ! Miaou ! Miaou ! Et puis tu sais, il y a encore ma litière à changer ! Miaou ! Miaou ! Miââââââou ! Rien à faire, elle reste encore immobile comme une statue pendant quinze minutes. C’est fou ce qu’elle peut être butée, parfois ! Le fichu quart d’heure académique étant écoulé, j’obtiens enfin satisfaction. Puis, comme d’habitude, je me recouche pendant qu’elle part à son travail, le nez gonflé et le cheveu en bataille. C’est bon d’être un animal domestique !
  24. C'est toujours pareil ! Quand je sors de ma chère salle de bains pour un peu prendre l'air, Scouby me suit... armée de son appareil-photos ! Je vous jure : on n'a pas droit à la moindre intimité dans cette maison ! Hier il faisait relativement beau, je suis allée sur la terrasse... Elle a mitraillé ce qu'elle appelle mes "petites mines ardoisiennes" ! Pffft ! Tiens, elle sent bon, cette pierre, je n'avais pas encore remarqué... Maintenant toilettons-nous un brin... Si on veut absolument une photo de moi, voici mon meilleur profil... A présent je m'étends... mais sans relâcher ma vigilance !!! Soyez sages les poilus, je vous ai à l'oeil !
  25. Grosses lélèches à vous aussi, Filou et Litchi ! Je ne crois pas que ma meute m'ait vraiment oubliée... Je ne néglige pas de faire une apparition remarquée dans la cuisine, chaque matin... En plus, il paraît que ma chère salle de bains va bientôt subir quelques modifications : peinture, revêtement de sol... De moins, si mes deux humains en ont le courage ! Du coup je déciderai peut-être de redescendre (provisoirement) vers les régions habitées par mes semblables. Quant à mes mémoires... Vous avez raison ! Je vais intimer à Scouby l'ordre de s'activer ! Elle lambine, me semble-t-il !...
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