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Mam'zelle Ardoise

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Tout ce qui a été posté par Mam'zelle Ardoise

  1. Chapitre 36 : VACANCES BIS A peine étais-je remis de cette émotion que j’ai eu un deuxième choc ! Un vendredi soir, j’étais bien paisiblement assoupi dans cette maison que je considère comme mienne, quand j’entends la voiture s’arrêter devant la porte. - Chouette, Scouby et Dan sont là ! Je vais recevoir un bon souper, des caresses, des paroles gentilles ! Allons les accueillir ! Je me lève et vais les attendre à la porte du fenil. Oui, ils entrent toujours par là, allez savoir pourquoi ! Je crois que la porte de rue, trop vermoulue, est condamnée à cause des courants d’air et des coups de froid. D’ailleurs ça n’a pas d’importance, vous serez d’accord avec moi. La porte s’ouvre, ils sont là, portant leurs sacs de vêtements et de provisions et aussi un panier auquel, d’abord, je ne prête pas attention. Embrassades, exclamations : « Orca, mon gentil chat-chat ! » «Miââââaâââ ! » Après ces effusions, je remarque un mouvement dans le panier. Je m’en approche, regarde… Ciel ! L’animal gris qui me fixe sans ciller n’est que trop reconnaissable ! - Glups ! C’est vous, chère Ardoise ? fais-je, sidéré. Depuis le temps qu’elle n’était plus venue, j’avais un peu fini par l’oublier. Il va falloir que je sois prudent, ce week-end ! Que je prenne des gants blancs pour m’adresser à la charmante qui, elle aussi, se considère comme la légitime propriétaire des lieux ! Que, plus que jamais, j’use de tact et de diplomatie ! Mais comme ça va être barbant ! Je m’arme de courage. Elle sort du panier, me considère d’un œil abasourdi. - C’est bien vous ? Je vérifie ! Elle flaire, flaire, flaire… Je reste immobile, résigné. Je l’entends murmurer dans ses moustaches : « C’est lui ? Pas lui ? L’est devenu affreux ! Maigrichon ! » - Mais enfin, chère Ardoise, je sais bien que je suis moi ! - Bien sûr que z’êtes vous, mais z’êtes bien l’Orca ? C’est ça que je vérifie ! Et zou ! Elle fourre son petit museau froid dans mon cou. Stoïque, je la laisse faire encore un instant, puis, quand elle a acquis la quasi-certitude de mon identité, je m’éloigne avec une fausse nonchalance et vais m’allonger à quelques pas. Il va falloir que je tourne sept fois ma langue dans la bouche avant d’articuler un mot, ces deux jours-ci ! Elle est tellement susceptible… - Je ne suis pas ici pour le week-end, précise-t-elle avec une lueur narquoise dans le regard, je suis en vacances ! Pour neuf jours ! Ca promet ! Pourquoi Dan et Scouby me jouent-ils un tour pareil, à moi, leur vieux chat ? La mignonne daigne m’expliquer : « Olivier a déménagé et mes parents peuvent pas me laisser à la maison toute seule ! D’ailleurs, il paraît que je dois m’habituer ! » S’habituer à quoi ? J’ai peur de comprendre… Au souper, nous avons partagé du colin d’Alaska. J’adore ! L’Ardoise vous a d’ailleurs certainement déjà raconté notre soirée, alors je ne vais pas tout redire après elle. Peut-être juste préciser ce qu’elle aurait oublié… Scouby remplit consciencieusement nos assiettes et les pose par terre, sur deux sets de table qui nous sont destinés et sur lesquels sont dessinés des chats. Ardoise vérifie si je ne suis pas mieux servi qu’elle et si mon chat n’est pas plus beau que le sien. Rassurée sur ce point, elle commence son repas à petites bouchées. Je vide mon assiette mais n’ose pas toucher à la sienne, bien qu’elle y ait laissé du poisson, ce qui est du gaspi à mon avis. Je m’éloigne donc à regret de notre coin-repas et je saute sur ma chaise, devant le feu. Ardoise s’approche de sa propre chaise et renifle le journal qui y est déposé. Avec une moue dégoûtée, elle s’éloigne dignement. - Elle ne veut pas de ce journal parce que, tout à l’heure, je me suis déjà assis dessus, dis-je à Scouby, sans m’émouvoir outre mesure (J’ai eu mon compte d’émotions, maintenant je récupère !) J’ajoute quand même, désapprobateur : « Elle est un rien snob, votre chatte ! » - Mais non, Orca, dit Scouby. Ardoise essaie de dissimuler sa timidité naturelle sous des allures de matamore, voilà tout ! » Timide, l’Ardoise ? Je suis sceptique, mais je ne demande qu’à voir : l’avenir me fournira bien une réponse ! Scouby change le journal. La chère Ardoise revient, renifle et consent à installer son auguste popotin sur le papier non pollué. Nous nous regardons en chats de faïence. J’ai comme l’impression que nous sommes vaguement ridicules. J’en ai la certitude lorsque, nous éloignant du poêle dont la chaleur se fait suffocante, nous sautons d’un même élan sur la table de cuisine et nous immobilisons de part et d’autre d’un vase de fleurs artificielles. Dignement posés sur nos derrières, nous ressemblons à deux potiches. Heureusement, Dan a encore oublié sa caméra à Bruxelles. J’aurais DETESTE que ces instants soient immortalisés sur pellicule ! Et les jours passent… Visiblement, la chatte Ardoise « s’habitue ». Elle se montre même, à certains moments, relativement amicale à mon égard. Toutefois, elle ne peut s’empêcher de me gifler régulièrement l’oreille lorsque, d’aventure, je me trouve à ses côtés. - Clap ! - Aïe ! - J’y peux rien, m’explique la gracieuse sans l’ombre d’un remords, c’est nerveux ! Quand je vous vois approcher, ma patte se détend toute seule ! - A ce compte-là, vous auriez pu donner une claque à la Petite-Goulaffe, l’autre jour, ça m’aurait fait plaisir ! - Ca va pas, non ? Pour me faire massacrer ! Ses réactions « nerveuses » ne visent manifestement qu’un inoffensif chat noir et blanc ! L’une des distractions préférées de la créature consiste à se jucher sur le rebord de la fenêtre de notre salle à manger et de détailler mes copines qui viennent prendre un petit en-cas sur la terrasse. Quand la visiteuse lui semble particulièrement intéressante, elle va carrément se poster devant la chatière pour regarder de plus près. - Oh, une noire ! Oh, une rouquine tricolore ! Qu’est-ce qu’elle mange, celle-là ! Toujours serviable, j’explique : « C’est Gourmande. Elle est charmante, et si je n’étais pas déjà fiancé à Néfer, j’aurais bien fait ma vie avec elle… mais elle a commis un jour une grande bêtise, quelque chose d’irrémédiable : elle a donné naissance à Petite-Goulaffe. Je ne connais PAS UN CHAT AU MONDE qui accepterait de devenir le beau-père de la Petite-Goulaffe ! Surtout pas moi ! » L’Ardoise enregistre mes informations. Un fait surtout l’intrigue. - Pourquoi la chatière ne fonctionne-t-elle que dans un sens ? Il est vrai qu’elle m’a surpris plus d’une fois alors que, revenant d’une petite promenade digestive, je franchissais allègrement la porte par le moyen qui m’est propre. Elle s’est approchée de la chatière, l’a poussée du nez… Rien à faire ! Elle se perd en conjectures. Je sais très bien que Dan a bloqué la chatière de l’intérieur pour qu’elle ne puisse pas sortir, mais pas question que je vende la mèche ! Quand je veux, moi, faire un petit tour dehors, je le signale discrètement à Scouby qui m’entrouvre la porte. Pour rentrer, pas de problème, la chatière fonctionne dans le bon sens. Je tourne sept fois ma langue dans la bouche, comme je me le suis promis, puis je me lance. - C’est une chatière spéciale, dis-je. Une chatière sélective. - Kèksèksa ? - Elle enregistre mon empreinte génétique, dis-je d’un air inspiré. Elle ne laisse passer que moi. D’ailleurs, personne d’autre n’est entré ici, n’est-ce pas ? Forcément, aucune de mes copines n’ayant encore compris à quoi peut servir cette drôle de petite fenêtre ! Heureusement, d’ailleurs… La belle Ardoise en reste bouche bée. - Demandez-leur de vous acheter, à vous aussi, une chatière sélective, suggéré-je. - C’est une idée, dit-elle. C’est vrai, kwâ ! Pourkwâ les autres peuvent vagabonder dehors et moi pas ? Moi aussi, j’aimerais sortir pour aller croquer de l’herbe fraîche. Et quand je le lui dis, Scouby me met mon collier et je dois faire le tour du jardin avec elle, comme une malheureuse prisonnière ! Je compatis ostensiblement. Pas plus tard qu’hier, Petite-Goulaffe m’a, elle aussi, fait part de ses doléances : « C’est scandaleux ! Pourquoi cette drôle de chatte grise peut rester à l’intérieur de la maison alors que moi, on me donne à manger dehors ? Moi aussi, je veux m’asseoir au coin du feu ! C’est de la discrimination ! Du racisme ! » J’ai pris un petit air pénétré, sans faire de commentaire. Avec ces chattes, il vaut mieux se tenir à carreau. A peine pensais-je que nos relations allaient s’améliorant, que la chère Ardoise a tenté de m’assassiner ! Bon, après coup, je pense qu’elle ne l’a pas fait exprès. Mais ça m’a quand même fait un drôle d’effet, je vous assure ! Je vous explique. Quand Ardoise n’était pas là, j’avais l’habitude de me prélasser sur les genoux de Scouby, dans un fauteuil du salon. Avec l’arrivée de la charmante, les choses ont mal tourné : dès que Scouby s’installait confortablement avec son livre, qui arrivait en courant pour bondir sur ses genoux ? Devinez ! Et qui s’amenait toujours second ? Devinez encore ! Quand j’arrivais sur les lieux, la bête à fourrure grise était déjà installée, me considérant avec un petit sourire supérieur parfaitement insupportable. L’autre jour, elle était distraite, elle est arrivée avec un rien de retard. Moi, j’étais déjà couché sur les fameux genoux, tout content. L’Ardoise saute sur l’accoudoir du fauteuil, me flaire. - Kèske vous faites là, vous ? C’est MA place ! Je ne réponds pas. Je fais mine de regarder ailleurs. - Allons Ardoise, dit Scouby, laisse un peu ce pauvre Orca tranquille ! - M’enfin ! Comme je suis maigre, il restait encore un peu de place sur les genoux de Scouby. Un tout petit peu de place. Quelle idée est passée par la tête de l’étrange et imprévisible bestiole ? A-t-elle pensé s’asseoir à côté de moi ? Ou nourrissait-elle de sombres desseins ? (c’est fou ce que je cause bien !) Toujours est-il que, d‘un seul coup, elle s’est affalée, pouf ! Sur moi ! De tout son poids ! Hou, j’ai cru qu’un autobus me passait dessus ! En un instant, je me suis senti écrasé, enseveli sous des montagnes de fourrure à triple épaisseur ! J’ai poussé une clameur déchirante : « A l’aide, j’étouffe, j’étouffe ! Keuf, keuf ! » En me débattant, je suis arrivé à me dépêtrer de ce piège mortel et, en deux bonds, me suis réfugié sur ma chaise. Ici au moins, je ne risque rien ! - Ardoise ! Tu n’as pas honte ? gronde Scouby, sidérée. Les choses s’étaient passées si vite qu’elle n’avait même pas eu le temps de réagir ! - Ben kwâ ? marmonne la créature en écarquillant des yeux innocents. Meurtrière par intention ? Ou par distraction ? Je m’interroge. En tous cas, prenons nos précautions ! J’ai décidé de ne plus dormir au pied du lit quand elle est là, dissimulée sous les couvertures. Prudence étant mère de Sûreté, je me suis trouvé une couchette à ma taille : je dors à présent sur un gros pull de Scouby, dans une vasque de faïence placée sur un meuble. De là-haut, je peux voir venir ! Déjouer les coups bas ! Je dois reconnaître qu’elle n’a pas récidivé. Au terme de ses neuf jours de vacances, elle est repartie et j’ai poussé un grand soupir de soulagement. Mais, hélas, elle revient chaque week-end, maintenant ! Le vendredi soir et le samedi matin, je ramasse force coups de patte ; « J’y peux rien, c’est nerveux ! » Le samedi après-midi et le dimanche, elle s’adoucit, mais à peine ai-je le temps d’apprécier cette trêve, qu’ elle repart ! Et cinq jours après, tout recommence ! - Vous ne pouvez pas lui donner un calmant ? ai-je suggéré à Scouby. Une bonne dose de soporifique dans son Félix… J’aurais la paix ! C’est un cas, la chère Ardoise, je vous le jure ! Oh la la !
  2. Chapitre 35 : LA FUITE DES ANNEES J’espérais avoir des nouvelles plus glorieuses à vous raconter, eh bien c’est pas vraiment réussi, vous allez voir ! D’abord, l’autre jour, j’ai eu un choc. J’étais tranquillement assis sur la table de ma cuisine, quand une fermière amie de Scouby est entrée pour blablater avec elle. Comme elle me regardait, je lui ai fait mon plus joli sourire. C’est normal, hein, « Tact et diplomatie ! » qu’elle disait toujours ma maman ! - Oh ! s’est exclamée la fermière, je ne savais pas que vous aviez un vieux chat ! J’ai sursauté : vieux, moi ? - Je ne sais pas quel âge il a, dit Scouby d’un ton incertain. La vétérinaire pense une bonne douzaine d’années… La fermière me jauge d’un œil expert. Elle a l’habitude, avec les vaches… - Oh non, il a bien quatorze ans, dit-elle. Mon frère a un vieux chat comme ça, eh bien il a exactement la même tête ! Scouby a verdi. Elle calcule que la vie moyenne d’un chat dure quinze ans et que par conséquent, il ne nous reste plus tellement de temps à être ensemble… Moi, je suis anéanti ! Tant et tant d’années ! Qu’en ai-je fait ? Je me croyais encore si jeune ! Où sont passés tous ces printemps, tous ces étés ? Ai-je été si insouciant, pour ainsi gaspiller mon temps ? Vous me direz que tout le monde fait pareil. Ce n’est pas une consolation. Je pose la question à ma Néfer. - Depuis combien d’années nous connaissons-nous ? Elle est ébahie. - Comment veux-tu que je le sache, Orca, je ne suis qu’un petit chat, je ne sais pas compter ! Il y a très longtemps, en tout cas ! - Est-ce que tu me trouves vieux ? - Mais non, Orca, quelle idée ! Peut-être veut-elle me faire plaisir ? Si je demandais à quelqu’un d’autre ? Pas à Petite-Goulaffe, non : elle me prend pour Mathusalem. A Gourmande peut-être ? - Si je vous trouve vieux ? Heu… Aucune certitude. Il faut avouer que, depuis l’avant-dernier été, je ne me sens plus aussi pétulant qu’autrefois. Je dors davantage, je reste plus longtemps à la maison, même quand Scouby et Dan ne sont pas là. Je n’arrose plus, d’un mouvement de la queue plein d’orgueil, les arbres de mon territoire, je tolère la présence d’autres chats et même, parfois, j’y prends plaisir. Bref, je deviens philosophe. Vieux ? - Ne t’inquiète pas, Orca, me dit Scouby, tu as beaucoup changé depuis l’année passée, parce que tu as perdu tes poils à cause de vilains petits parasites, tu es un peu plus maigre d’accord, mais nous allons te donner des vitamines, tu verras ! Il faut bien que je me contente de cette consolation, néanmoins mes doutes demeurent. L’année passée, j’étais peut-être un vieux chat qui ne faisait pas son âge ? Qui sait ?
  3. Le soir, le poêle brûle dans la cuisine, il fait bien chaud. Scouby installe deux chaises devant le feu, pour Orca et pour moi. Nous y grimpons et nous mettons à l’aise, Orca roulé en boule, moi étalée, ma luxueuse fourrure occupant toute la surface de la chaise, les pattes de devant pendantes. Ah, que nous nous sentons bien ! Tout à coup, mon œil à demi-ouvert surprend quelque chose, une petite chose minuscule qui court dans la cuisine. Je me redresse. - Vous bilez pas, charmante Ardoise, ce n’est qu’une musaraigne, grommelle Orca sans bouger. - C’est kwâ ça ? m’ébahis-je. - Une toute petite souris des champs. N’allez pas l’effrayer, elle ne vous a rien fait ! - J’veux pas l’effrayer, j’veux la voir de près ! dis-je en me levant. La petite chose court dans le salon, je la suis. Elle se faufile sous la cassette du feu ouvert, dans une fissure entre les briques. Je m’approche pour y jeter un coup d’œil. Il fait sombre là-dedans ! - Tiens, je crois qu’Ardoise a flairé une musaraigne, dit Scouby. - Elle est peut-être meilleure chasseresse que notre chat des champs ! commente Daniel. C’est kwâ, chasseresse ? Comme il n’y a plus rien à voir, je retourne sur ma chaise. Un peu plus tard, il me vient une petite faim. Je trottine vers mon assiette, y enfouis le museau. - Bonzour ! C’est de nouveau vous, zoli çat gris ? - Il me semblait bien vous avoir reconnue ! dis-je joyeusement. Ma petite copine de l’autre fois ! J’aime bien quand elle m’appelle « zoli çat gris » ! - Alors comme ça, z’êtes pas une souris ordinaire, z’êtes une musaraigne, vraiment, voui ? dis-je émerveillée. - Mais zoui ! confirme-t-elle avant de s’attaquer une nouvelle fois à mon repas… que je partage sans regret, vu qu’elle est toute petite et ne mangera sûrement pas grand-chose, la pauvre ! Nous nous régalons de concert, tandis que Scouby se plaint bruyamment d’ENCORE avoir oublié la caméra pour immortaliser l’instant. Après le repas, nous regagnons nos pénates, moi la chaise au coin du feu et la musaraigne, son petit trou dans le mur. Daniel, armé d’une balayette et d’une boîte en carton, a bien essayé de l’intercepter au passage, mais elle a été plus rapide que lui. - Pourquoi veut-il l’attraper ? m’étonné-je. - Il veut la relâcher au fond du jardin. Il espère qu’ainsi elle ne retrouvera plus le chemin de la maison et qu’elle ira ailleurs, daigne m’expliquer l’Orca, les yeux toujours clos. Je médite sur la question. Et si on me faisait ça à moi, que deviendrais-je ? J’espère que la musaraigne ne va pas se laisser capturer ! J’ai à peine eu le temps d’assimiler ces informations nouvelles, que j’ai eu une autre surprise ! Scouby avait ouvert la porte du jardin, histoire de prendre l’air. Moi je préférais rester dans la cuisine, il y faisait bien chaud et puis, ma gamelle s’y trouvait. Il faut bien que je garde l’œil sur ma gamelle ! Subitement, quelque chose déboule dans la pièce, manquant me heurter. Je regarde et crois avoir une hallucination : cette couleur grise… cette petite taille… Non, non, ce n’est pas mon amie la musaraigne, c’est une autre Ardoise ! Tout mon portrait, il y a quelques années ! Médusée, l’autre chatte s’est immobilisée dans son élan. Elle me contemple fixement. - C’est qui, vous ? fait-elle en me flairant le museau, l’air méfiant. Ce ton ! Je monte sur mes ergots. - Je suis Ardoise, la chatte de cette maison ! clamé-je, ayant repris du poil de la bête. Maintenant que je la vois mieux, je trouve qu’elle ne me ressemble pas tellement, tellement. Bon, elle a une belle grosse fourrure grise avec de vagues reflets roux, mais sûrement pas à triple épaisseur, comme moi ! Elle a une queue d’écureuil, ce qui est un peu incongru pour un chat… et des yeux en amande, dites donc ! Pas de beaux grands yeux ronds comme les miens ! Apparemment, ma réponse ne la satisfait pas, car elle prend un air féroce. - Grrrrrrrr ! Grrrrrrrrr ! - Scoubyyyy ! Elle me grogne dessus ! gémis-je, pétrifiée de surprise. Ma mère d’adoption survient et se saisit de la créature. - Allons, Petite-Goulaffe, au jardin ! dit-elle. Tu ne peux pas rester ici si tu es méchante avec la pauvre Ardoise ! Elle a déposé dehors une assiette bien garnie pour la dénommée P’tite-Goulaffe. Je suis allée dans la salle à manger et me suis posée sur le rebord de la fenêtre pour mieux voir. Elle a un appétit d’ogre, cette P’tite-Goulaffe ! - Tu dois la comprendre, dit Scouby, elle est toujours dehors, exposée à toutes les rencontres… Il faut bien qu’elle se fasse respecter, alors elle grogne ! A part ça, elle est adorable, cette petite chatte, tu verras ! Derrière mon dos, j’entends l’Orca réprimer un petit ricanement. On dirait qu’il en sait long sur la bestiole, je le soumettrai à un interrogatoire en règle sitôt que j’en aurai l’occasion. Décidément, il s’en passe des choses, à la campagne ! Un peu plus tard… - Michèle, il est temps d’aller se coucher. Je prends les chats, tu prends les gamelles… Daniel nous soulève, l’Orca et moi, et se dirige vers l’escalier, un chat sur chaque bras. - Je sais marcher ! proteste dignement l’Orca. - Oui, c’est ça, et puis tu vas faire un tour dans le fenil et on ne te voit plus ! rétorque Daniel. Tiens, l’Orca serait-il indiscipliné ? - Orca, Maître-Chat, sa volonté fait loi ! clame l’animal, les poils hérissés. J’achève la citation : « Sauf quand Ardoise est là ! » Non, mais des fois ! - Vous prenez quel côté du lit, en général ? m’enquis-je, méfiante. - Je dors au pied, sur ma petite couverture bleue, répond la bestiole avec précaution. - Ah bon, alors comme ça, ça va ! Bougez pas de là, surtout ! - Et vous-même, où allez-vous dormir ? - A Bruxelles, j’ai mon lit personnel, mais ici c’est la vie rustique, je devrai faire avec ! Je vais me trouver une petite place confortable sous les couvertures… Ne me marchez pas dessus la nuit, hein ? - Soyez tranquille, répond-il précipitamment, je ne me lève que pour utiliser mon petit bac de sable ! - N’allez pas dans le mien, surtout ! Le bleu tout neuf, c’est le mien ! Le brun usé, c’est le vôtre ! - J’essaierai de m’en souvenir, dit misérablement la créature, prête à tout pour conquérir mes bonnes grâces. Satisfaite, je me coule au pied du lit, tout contre Daniel qui n’ose plus bouger. Et je dors d’une traite jusqu’au matin. - Za y est ! L’est encore là avec zon carton et za ramazette ! maugrée la musaraigne en levant le nez de son petit déjeuner, que nous sommes occupées à partager. - Il veut vous lâcher au fond du jardin, dis-je, la bouche pleine. - Ze sais. La dernière fois, z’ai mis deux zours pour revenir ! Z’avais perdu le nord. L’est un peu zadique, votre papa ! Heureuzement, ze cours plus vite que lui ! Du coin de l’œil, j’observe Daniel à l’affût. Il attend que la musaraigne ait terminé son repas pour tenter de la capturer. Sadique peut-être, affameur quand même pas. Je pousse un profond soupir : « Ils sont fous ces humains, il paraît que mon rôle serait de vous poursuivre, comme la dernière fois, vous vous souvenez ? » Pourtant, si je faisais mine de dévorer la petite créature, je suis sûre que Scouby et Daniel s’interposeraient. Ils ne savent pas ce qu’ils veulent ! - Bah, faut pas les croire, votre copain ne m’agrezze pas non plus ! dit la musaraigne en haussant les épaules. « Tout za, z’est des bobards ! » C’est vrai, l’Orca est assis bien tranquillement sur sa chaise, les yeux mi-clos. La visiteuse ne semble guère l’intéresser. Et voilà, Daniel a capturé la musaraigne ! Il est passé à côté de moi avec le carton duquel sortait une petite voix piaulant : «Zut ! Ze suis cuite ! Au revoir, zoli çat gris, à la semaine proçaine !» - A bientôt ! dis-je en agitant la patte. Et j’ajoute, pour faire bonne mesure : « Revenez vite ! Bon voyaze ! » Tiens, voilà que ze zozotte, moi aussi ! - Ardoise, tu n’es pas un véritable chat ! soupire (une nouvelle fois) mon père d’adoption. Pas un véritable chat, moi ? Je me chauffais au coin du feu quand, prise d’une impulsion irrésistible, je me suis retournée, présentant à la flamme mon dos et ma belle queue. - Allez Ardoise, espèce de folle, a poursuivi aimablement le bipède, arrête d’imiter les chats qui annoncent la neige ! Le temps est splendide ! - Patience, ai-je dit sans me fâcher. Deux jours après, il neigeait.
  4. Chapitre 34 : VACANCES J’ai enfin quitté mon appartement douillet pour aller passer quelques jours de vacances dans notre cabanon, à la campagne ! C’est pas que ça m’amuse particulièrement, mais comme vous le savez, fallait que j’aille inspecter les lieux et mettre fin à certains abus : quand le chat est parti, les souris dansent, c’est bien connu ! Et encore, je ne parle pas de vraies souris, mais d’un certain matou qui a certainement profité de mon absence un peu prolongée pour prendre ses aises… Moi si délicate et citadine jusqu’au bout des griffes, j’ai fait une plongée dans le terroir. « Il faut que tu t’habitues ! » a dit Scouby. Contre toute attente, je me suis bien amusée, mais commençons par le commencement. Et le commencement n’a pas été très drôle, je vous le jure ! Quelques jours avant le départ, hop ! Scouby m’empoigne et me fourre dans mon panier. Je pousse des braiments indignés : « Ca va pas, non ? Tu veux me faire sortir, moi ? Où allons-nous ? » - Chut mon Ardoise ! Guili-guili joli minou ! C’est fou ce qu’elle peut être mielleuse quand il s’agit de me torturer ! Je me débats furieusement, tandis qu’elle saisit le panier, prend l’ascenseur… Tout cela ne me dit rien de bon, mais alors, RIEN ! Nous sortons dans le crépuscule, moi toujours hurlant et gigotant. Je l’ai déjà dit : je déteste le bruit des voitures, les vapeurs d’essence… Je déteste qu’on me traite comme ça ! - Je ne suis pas un vulgaire paquet, je suis un animal libre ! glapis-je bien inutilement. Tiens, nous ne prenons pas la voiture… Bizarre. Nous remontons le boulevard, bifurquons… Devant nous, un immeuble avec une plaque rutilante. Je déchiffre, non sans stupeur : « Docteur Annabelle A…., Vétérinaire ». Le docteur qui a fait maigrir le chien du cinquième étage !!! Argh ! Argh ! Je suffoque, je meurs ! Nous entrons, moi contrainte et forcée, bien sûr. Une blondinette souriante nous accueille dans la salle d’attente et nous invite à pénétrer dans le cabinet médical. C’est la vétérinaire ! Hou la la ! Elle ne ressemble pas du tout à mon précédent médecin, chez qui nous allions quand Scouby avait encore sa vieille voiture pour me transporter. Celle-ci habite à côté de chez nous, c’est bien ma veine ! - Quel est le problème ? demande la blondinette. - il n’y a pas de problème. Je me porte très bien et je voudrais m’en aller, siouplaît ! dis-je, pitoyable, tandis que Scouby, sans prendre garde à mes miaulements, explique le topo : je suis une chatte d’appartement mais, sous peu, je vais me retrouver en présence d’un chat des champs (peut-être même de plusieurs) et il serait préférable que je reçoive les vaccins nécessaires contre toute attaque virale ou microbienne ! Sans me demander mon avis, on m’extirpe du panier et on me pose sur la table d’examen. - Elle est trop grosse, peut-être qu’elle devrait suivre un petit régime… insinue Scouby. La traîtresse, l’abominable ! Je lui voue une haine éternelle ! -Mais non, dit la vétérinaire. « Elle est très bien, pour une chatte d’appartement ! » O douce musique ! Choeur céleste ! J’en flageole de soulagement. Scouby n’en croit pas ses oreilles. Elle regarde ma luxuriante fourrure qui s’étale complaisamment sur la table d’examen et elle pense que, tout de même, je prends beaucoup de place… - Il est vrai qu’elle a un pelage très épais, concède-t-elle sans conviction. - Mais oui, sourit la vétérinaire en me palpant. Au risque de me répéter (je sais que je l’ai déjà dit, m’enfin !...), tous les vétérinaires ont la même manie : ils me tirent les oreilles, examinent ma langue, me scrutent le fond de l’œil… Si je me mettais à loucher subitement, que dirait celle-ci ? J’y vais ? J’y vais-t-y pas ? Sans doute un peu dangereux : pour un moment de rigolade, elle me prescrirait des lunettes, ils n’ont pas le sens de l’humour ces gens-là ! Elle prend une seringue et m’injecte un cocktail de vaccins. Je devrai revenir dans un mois pour le rappel. Je suis une pauvre victime… - Et il faudra aussi, continue la vétérinaire tout naturellement, prendre un rendez-vous pour un détartrage ! Scouby ouvre des yeux ronds. Moi aussi. - Regardez, dit le docteur. Elle m’ouvre la bouche. Je commence à en avoir marre, mais marre ! - Vous voyez, votre chat n’a déjà plus de dents d’un côté… Elle s’enquiert de mes antécédents et, une fois de plus, Scouby brosse un tableau terrifiant de ma malheureuse petite enfance, maltraitée, affamée… puis de mon sauvetage par l’équipe de Veeweyde. Il est vrai que, dans les refuges pour animaux abandonnés, on pare au plus pressé. On ne s’occupe pas principalement de dentisterie et il est plus que probable que je ne possédais déjà plus mes dents du côté droit quand j’ai été adoptée. Heureusement, j’ai encore mes dents de devant ! Mes superbes canines ! Elles ne me servent pas à grand-chose, mais mon sourire est intact. La visite s’achève… Nous sortons, et tombons nez à nez avec le chien du cinquième étage, venu lui aussi en consultation. Du fond de mon panier, je le jauge d’un œil expert : il me semble qu’il a repris du poids… ça ne sert à rien, les régimes ! Heureusement, j’en suis dispensée ! Après cela, blindée contre les microbes et les maladies insidieuses, je suis partie en vacances dans la cambrousse. Mon enthousiasme était mitigé, mais Scouby a décrété que j’avais besoin de me changer les idées après la désertion d’Olivier et je n’ai pas eu le choix. La situation d’animal de compagnie, si elle a certains côtés appréciables, a ceci d’ennuyeux que, même quand on est adulte, on ne fait pas encore ce qu’on veut ! C’est toujours les autres qui décident : Ardoise va faire ceci, va aller là-bas… et si Ardoise n’a pas envie, c’est le même prix ! Aucune indépendance, je vous dis ! Et les ligues de défense des animaux s’avouent incompétentes dans ces cas-là. A quand la déclaration universelle des droits du chat d’appartement ? - Si tu crois qu’au bureau, je fais ce que je veux ! rétorque Scouby. Ce n’est quand même pas pareil, à mon avis….. Donc, bon gré mal gré, ils m’ont embarquée dans la voiture. Comme d’habitude, j’ai agrémenté le voyage de mes chants les plus mélodieux : « Miâââââââ ! Oôôôôôôôôô ! Aââââââââââââââââh, je riiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiis… » Eux ne riaient pas. Ca console un peu. - Ardoise, espèce de casse-pieds ! - Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin ! Nous arrivons. Toujours dans mon panier, je suis transportée à l’intérieur de la maison. Et là, devinez qui attendait, incontournable ? - Orca ! Mon minet chéri ! Je pousse un profond soupir. Lui, naïvement, s’approche du panier pour voir ce qu’il y a dedans. A peine m’a-t-il reconnue qu’il roule des yeux en boules de lotto. - Tiens ! Chère Ardoise ! Quelle… heu… agréable surprise ! - B’jour, dis-je sobrement. On me libère. Je m’étire en prenant tout mon temps, puis je considère de près l’animal figé à quelques centimètres de moi. Est-ce bien l’Orca ? - Z’avez maigri ! constaté-je. Et z’avez les poils courts, maintenant ! Permettez que je vérifie si c’est bien vous ? - Faites, balbutie-t-il. Je fourre mon museau dans les poils rabougris et me mets à flairer. Chaque centimètre carré de l’animal y passe. - C’est bien votre petite odeur, concédé-je. Comme j’entreprends de vérifier une nouvelle fois, il s’écarte pudiquement et va s’asseoir sur le tapis du salon. Il ne dit rien : il me surveille du coin de l’œil. - Les retrouvailles ont l’air de bien se passer, chuchote Scouby. Rassurée, elle prend deux assiettes qu’elle garnit de colin d’Alaska et les pose sur le sol. L’Orca et moi nous précipitons d’un seul élan. - C’est bon ! s’exclame-t-il. - C’est mon plat préféré ! souligné-je. En un clin d’œil, son assiette est vide. Il reste un peu de poisson dans la mienne, mais j’avertis : «Pas touche à MA gamelle ! Je suis LA CHATTE de cette maison, ne le perdez surtout pas de vue ! C’est MOI qui commande ici, vu ? » Il baisse le nez. Scouby m’a acheté un bac à sable tout neuf, un bleu. Je vais le flairer : pas question que je pose mon délicat séant dans le bac de l’Orca, quand même ! - Et pas touche à MON bac ! ajouté-je pour faire bonne mesure. Il consent à tout. Y a pas à dire, il est coopératif. Ma méfiance se relâche, je me radoucis. Qu’y a-t-il encore de changé, ici, depuis que je ne suis plus venue ? J’explore. Ah, ils ont déplacé quelques meubles ! Ah, ils ont installé… - Tiens, une chatière ! dis-je d’un air connaisseur. Daniel et Scouby se regardent, éberlués. - Tu sais ce que c’est, TOI, Ardoise ? - Bien sûr, dis-je, j’en avais une chez Veeweyde, vous ne vous souvenez pas ? Y avait une chatière entre la grande cage et le petit jardin où je courais ! Je n’oublie jamais ce qui pourrait un jour m’être utile ! D’ailleurs, les amis, je vous rassure : au moment où j’écris ces lignes, je ne me suis JAMAIS servie de cette chatière. L’entrée de service, c’est pour les autres ! Moi, il faut qu’on m’ouvre la grande porte !
  5. Chapitre 33 : MOUVEMENTS D’HUMEUR Je me suis aperçu que la chatte Ardoise a encore ajouté quelques pages à la grande histoire de sa vie ! Diplomatie oblige, je prends la suite, honneur aux dames d’abord, n’est-ce pas ? Mais qu’est-ce qu’elle peut bien vous raconter ? Elle reste cloîtrée dans un appartement toute la sainte journée et elle noircit des pages, des pages… Quelle bavarde ! Ce n’est pas comme moi !... Moi, je parle quand j’ai des choses intéressantes à dire ! - Alors, taisez-vous, qu’elle me dit comme ça. Non mais, de quoi je me mêle ? Il paraît que ses séjours dans ma maison vont se faire de plus en plus fréquents. Honnêtement, cette perspective ne me laisse pas très chaud. Ma petite vie est si bien réglée, si confortable ! C’est au point que Dan et Scouby me trouvent chaque vendredi soir devant la maison, à guetter l’arrivée de la voiture. Plus question que j’en perde une miette, de mes précieux week-ends ! Le vendredi soir, donc, je suis là, dans la maison ou sur le seuil. Mes gamelles sont vides depuis mardi, j’ai chassé ou mendié mercredi et jeudi et j’attends une nouvelle ration de victuailles et de tendresse. Titi attend, lui aussi, dans son abri de feuillages. J’ai pris le malheureux sous ma haute protection, après m’être aperçu que, non content d’être l’innocent du village, le pauvre matou avait perdu une partie de ses dents ! Et un chat sans canines ne mange pas souvent à sa faim, je vous le garantis ! C’est pourquoi Titi attend avec impatience que Scouby s’occupe de lui. Il se laisse même caresser, à présent ! Je lui marque mon auguste satisfaction. - Titi, je te félicite, tu fais de gros efforts pour vaincre ta timidité ! - Merci, Orca ! - Ce n’est pas comme ta sœur Nefer ! Elle boude ou quoi ? Je ne la vois plus ! - Je ne sais pas, Orca ! - Evidemment, tu ne pourras jamais entrer dans la maison, c’est mon privilège absolu… Mais la terrasse, ce n’est déjà pas si mal ! - Je suis très content comme ça, Orca ! Je suis très content quand Petite-Goulaffe n’est pas là ! Apitoyé, je lui donne un coup de langue amical sur l’oreille. Mais oui, le pauvre garçon ! Il a une peur bleue de ce monstre de Petite-Goulaffe qui n’a pas hésité à le pousser brutalement du museau pour s’approprier le contenu de sa gamelle ! Quand il voit, de loin, arriver la petite peste, Titi s’éloigne et fait un grand détour pour l’éviter. Evidemment, la coquine use et abuse de son avantage ! J’ai beau la sermonner, rien n’y fait ! Elle me dévisage de son petit air espiègle et en fait absolument à sa tête. Le samedi et le dimanche, elle entre dans ma maison comme chez elle, inspecte le contenu de mes assiettes… Il est vrai que si elle me surprend occupé à manger, elle ne pousse pas l’outrecuidance jusqu’à me pousser du museau, moi. Elle attend son tour ou tourne les talons. Je dois lui inspirer un soupçon de respect, c’est déjà ça ! Elle habite toujours avec sa mère, dans la maison du bout de la rue, mais passe ses week-ends chez nous. La nourriture est meilleure, paraît-il… Comme elle est intelligente, elle ne salit plus le tapis, elle se conduit correctement … en apparence ! Mais je ne me départis pas de ma vigilance, car je pense être le seul à avoir décelé le côté démoniaque de sa nature. Gourmande vient nous voir de temps en temps, mais moins souvent qu’avant, me semble-t-il. Tant mieux, parce qu’après son départ, toutes les gamelles semblent passées au lave-vaisselle ! Dan et Scouby l’ont surnommée « l’aspirateur universel ». La chatte tricolore ne s’en offusque pas, rien ne la vexe. Son estomac est la plus grande préoccupation de son existence. Comme elle est jolie et plaisante, avec sa belle robe écaille-de-tortue et ses grands yeux clairs, elle n’a qu’à demander pour recevoir. Je trouve ça particulièrement injuste : mon Titi, lui, n’a pas cette chance. Comme il lui manque des dents, il a une figure bizarre et quand il a bu du lait, son menton tout barbouillé de blanc ne lui confère pas un air très intellectuel. En outre, il a le regard craintif et s’enfuit à la vue de tout être vivant. Il commence seulement à s’habituer à Scouby, après tant d’années ! Il a enfin compris qu’elle ne veut pas le dévorer, bien au contraire, elle lui donne de la bonne pâtée. Aussi ose-t-il lui témoigner sa reconnaissance en se frottant contre ses chevilles et en acceptant de se laisser câliner. Parfois, il se pose sur le rebord de la fenêtre du salon et regarde à l’intérieur de la pièce en arborant son air le plus sentimental. Il se conduit un peu comme moi au début, mais le problème pour lui c’est qu’il arrive second, la place est déjà prise. Il devra se contenter, comme domicile, de son abri dans le bosquet d’en face, tandis que moi je peux me prélasser sur ma petite couverture « Sole Mio » bleue. C’est le premier arrivé qui est le mieux servi. Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, comme on dit. Et à propos de se lever tôt… Dernièrement, Scouby et moi avons été un peu en froid. Je vous explique ! Comme vous le savez déjà, j’adore me prélasser au lit le matin. Allongé de tout mon long sur ma couverture, je me crois au paradis. Il fait agréablement tiède, l’endroit est confortable, je me sens bien… Il faut vraiment utiliser la force pour me faire émerger de mes plumes ! Dernièrement, donc, Scouby et Dan se sont levés de très bonne heure parce qu’on venait livrer et installer une cassette (un insert, je crois que c’est le mot), pour le feu ouvert du salon. En rechignant, j’ai bien dû descendre à la cuisine avec eux. Scouby ne veut pas me laisser seul dans la chambre, elle se méfie de mes idées farfelues en matière de petits pipis. Les ouvriers sont arrivés dans une camionnette qu’ils ont garée devant la maison. Déjà, je me préparais à sauter dans ce véhicule quand Scouby m’a récupéré in extremis. - Orca, on ne t’aurait pas vu, tu te serais retrouvé à des kilomètres d’ici, ce soir ! - Monte-le dans la chambre, il est toujours dans nos pieds et il empêche les gens de travailler, a décrété Dan, impatienté. - C’est vrai, je peux retourner au lit ? me suis-je exclamé, ravi. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Les ouvriers ont mis deux heures à installer la cassette, tandis que je ronflais comme un bienheureux sur ma couverture. Vers onze heures du matin, Scouby a voulu me tirer du lit. - Nooooooooon ! Pitiéééééééé ! Je suis si bien ! - Il est tard, il faut te lever, Orca, je vais faire le lit ! La cruelle, la sans-cœur ! J’obtempère, la mort dans l’âme. Je me vengerai ! De retour dans le salon, tandis que Dan et Scouby admirent la cassette fraîchement installée, je regarde autour de moi, arborant un petit air sournois qui ne m’est pas habituel, loin de là. D’un pas de crabe, je me dirige vers un coin de la pièce… Evidemment, c’est toujours quand vous ne voulez pas vous faire remarquer que toutes les paires d’yeux de la pièce convergent vers vous. En l’occurrence, ils peuvent me voir, je m’en fous. C’est même mieux comme ça. - Orca ! Que fais-tu ? - Je me venge ! Regardez ! Je les fixe dans le blanc de l’œil et dépose, bien en vue sur le sol, une petite crotte de protestation. - Ah ! On a osé me tirer du lit ! Ils sont scandalisés. La tête et la queue hautes, je sors dignement, sous les insultes. Ils devront me supplier, pour que je revienne ! Cinq minutes plus tard, je suis de retour, l’œil joyeux et amical. - Dan, Scouby, ne pleurez plus, c’est moi, votre Orkatteke ! Je reviens, je ne suis plus fâché !... Tiens, c’est bizarre, ils n’avaient pas l’air si désespéré que ça ! C’est vrai qu’elle fonctionne bien, la nouvelle cassette. Il fait à présent une température agréable dans la pièce, ce qui n’a jamais été le cas auparavant. Quand le feu brille, je me pose sur la table du salon, devant la cheminée, et je me laisse hypnotiser par les flammes, tout en me chauffant. Le roi n’est pas mon cousin, je vous assure ! Il y a quelques jours, nous avions de la visite : le fils de Dan et Scouby, accompagné de sa fiancée. Vous savez comme je suis irrésistible, hein ? Eh bien, j’ai eu beau déployer toutes mes séductions, je ne suis pas arrivé à conquérir ladite fiancée ! Chaque fois que j’approchais d’elle avec un sourire engageant, la malheureuse se recroquevillait sur elle-même en me surveillant d’un œil terrorisé. La nuit, de me savoir si près d’elle, elle a fait des cauchemars ! Je n’en revenais pas ! Il fallait absolument que je fasse un geste pour qu’on m’apprécie. Si je lui offrais un petit présent ? Je suis allé chercher une grosse boulette de « Kitekat » dans ma gamelle et l’ai déposée à ses pieds alors qu’elle regardait d’un autre côté. - Siouplaît ! Mademoiselle Nathalie : « Bouchées tendres bœuf et foie » ! Cadeau ! Je me suis ensuite diplomatiquement éloigné, en attendant qu’elle remarque mon initiative amicale. Hélas, les amis, pas de chance ! Elle n’a pas vu mon cadeau et a marché dedans ! Elle était un peu confuse. Olivier, lui, a éclaté de rire : « Quel bête chat ! Répandre sa nourriture partout ! » Je suis un incompris ! - Pauvre Nathalie, a dit Scouby par la suite, je ne savais pas qu’elle avait peur des chats à ce point ! - Et surtout de MOI ! C’est incroyable ! me suis-je écrié. - Euh, mon Orca, si on ne te connaissait pas, on te prendrait facilement pour un brigand des grands chemins ! Bon, je suis maigre, d’accord. Grand et maigre. Et noir. Et un peu pelé. Et j’ai une mine patibulaire. Et un nez de boxeur et de larges pattes. Admettons. Mais j’ai un regard si bon ! Doré et tendre. Je crois que ça rachète tout le reste. - Tu sais, Orca, tu n’es pas en cause, dit Scouby pour me tranquilliser. Nathalie a peur de tous les chats, pas seulement de toi ! La prochaine fois qu’elle viendra, fais-toi très discret, d’accord ? Discret, moi ? Pas très évident… Ce n’est pas ma faute si je suis un chat remarquable ! Que je vous raconte encore une petite chose… Vous savez que Scouby me laisse chaque semaine une bonne quantité de nourriture ainsi qu’un grand bol de croquettes. Je ne suis pas un fana des croquettes et j’en mange très peu. Pourtant, ces derniers temps, le contenu de mon bol diminuait de manière sensible. Et même la nourriture dans ma gamelle, dites donc ! Je me posais des questions : Petite-Goulaffe avait-elle pénétré le secret de la chatière ? Dans ce cas, je n’avais plus qu’à me faire hara-kiri ! Vendredi passé, je me reposais sur les genoux de Dan, presque assoupi devant le feu. Qu’est-ce que je me sentais bien ! C’était le soir. Scouby lisait un livre, lorsqu’elle a distraitement levé les yeux vers la cuisine. - Daniel, a-t-elle dit, incrédule. Est-ce bien une souris que je vois là ? - Impossible, dis-je en me réveillant à moitié. Là où je me trouve, il n’y a pas de souris, croyez-moi ! Vous pouvez faire confiance à Orca Maître-Chat ! Et je me suis rendormi, la conscience en paix. Des souris ? N’importe quoi ! Pendant ce temps, Dan et Scouby contemplaient deux petites silhouettes bien typiques qui festoyaient dans ma gamelle ! - Ce ne sont pas des souris, a dit Dan, ce sont des musaraignes ! Qu’est-ce que je disais ! Impossible que ce soient des souris ! Les musaraignes, c’est différent, hein ? Rien ne m’empêche de prétendre que j’ai signé un pacte de non-agression avec les musaraignes ! Pour sauver la face… Pourquoi est-ce que tout se ligue pour me tourner en ridicule, ces derniers temps ? J’entends déjà la chatte Ardoise ricaner dans ses moustaches…
  6. Chapitre 32 : GYM ET REGIME Et moi, pendant ce temps, qu’est-ce que je deviens ? Bah, rien de bien nouveau : je mange, je dors, je mange, je dors… Dans les intervalles, je joue un peu avec ma balle de tennis, histoire de prouver à Scouby que je fais bien ma gymnastique quotidienne. Elle aussi, chaque matin, elle fait sa gymnastique ! Je trouve ça à mourir de rire, d’ailleurs. Moi je suis au spectacle, je m’installe confortablement sur mon fauteuil, en face d’elle et je regarde en arborant une petite expression sérieuse. - Ardoise, si tu me fixes comme ça avec tes yeux en boule de lotto, je ne pourrai pas faire ma gymnastique à mon aise ! Impavide, je ne réponds pas. Elle soupire et commence ses exercices. Elle s’est acheté une sorte d’appareil en plastique garni d’élastiques, idéal, paraît-il, pour les muscles abdominaux et ceux des bras. - Un, deux, trois, quatre… compte-t-elle. - Tchac , tchac, tchac, tchac, fait l’appareil. Ca devrait aller comme ça jusque cent. Ca se ralentit toujours vers la fin, avec le souffle qui manque. - 96… pffff ! …97 … 98 … pffffffffft ! 99 … 100 ! Pouffff pouffff ! Ne te moque pas de moi comme ça, Ardoise ! - Je ne dis rien, moi ! - Tu n’as pas besoin de parler, je lis tes pensées dans ton regard goguenard ! Si les résultats de la gym sont concluants ? Heu… au bout d’un mois, je ne vois toujours pas la différence ! - Si, si, Ardoise, je sens que mes muscles durcissent ! - Si tu le dis… Moi aussi, ma gymnastique fait de l’effet ! Tu ne vois pas une minuscule amélioration quand je suis de profil ? - Tu appelles ça de la gymnastique : gigoter sur le dos en agrippant une balle de tennis des quatre pattes ? Tu ferais peut-être mieux de courir dans l’appartement comme tu le faisais avant ! - Je le fais encore, Madame, mais z’êtes pas là pour le voir ! La preuve : quand vous rentrez le soir, la nappe de la table est toute plissée, parce que je me suis entraînée dessus ! Non mais ! La sadique a trouvé le moyen de me faire suivre un régime sans en avoir l’air : elle m’achète des boîtes que je n’aime pas ! C’est vicieux, ça, hein les amis ? Comme cela me met de très mauvaise humeur, j’use d’arguments mordants : « gnac ! » - Aïe, Ardoise, arrête de me grignoter les orteils ! - Tu ne me donnes rien de bon à manger, faut bien que je me rabatte sur autre chose ! Je sens que je deviens orteillivore ! dis-je en la considérant de mon œil le plus belliqueux. Je suis une crème de chatte, mais faut pas qu’on touche à mes menus ! Je vais hisser le drapeau de la rébellion ! Organiser une grande manifestation : 100 participantes grises (selon les syndicats) une seule (selon la police) ! Arpenter l’appartement de mon pas le plus martial, avec une banderole déployée au-dessus de ma tête : « A BAS LES TYRANS ! J’VEUX DU COLIN D’ALASKA ! » Scouby, mine de rien, est impressionnée par ma détermination. Elle tente pourtant de discuter. - Mais Ardoise, la dernière fois que tu as reçu du colin d’Alaska, tu l’as avalé si gloutonnement que tu l’as vomis directement après ! - C’est ta faute, je mourais de faim ! Là, je suis un peu de mauvaise foi, mais si peu ! C’est vrai que j’ai l’habitude de me précipiter comme un bolide sur mon assiette de colin et de tout avaler en une bouchée… C’est vrai aussi que mon estomac a tendance à rejeter ce que j’y enfourne de manière si brutale… Le colin d’Alaska, censé m’apporter des protéines (pour la régénération des cellules de mon petit corps potelé) et du phosphore (pour me rendre encore plus intelligente que je ne le suis) finit ainsi tristement son destin dans la poubelle. Moi, pas très fière, je me réfugie sous la table de la salle à manger pour me faire oublier. Même si je suis très, très sage, je devrai me contenter d’une boîte de pâtée ce soir ! Scouby a trouvé un compromis : elle m’achète de nouveau du colin d’Alaska mais m’en sert très très peu à la fois, de manière à ce que je ne puisse avaler de trop grosses bouchées. Dans une autre assiette elle met de la pâtée. Evidemment c’est le colin qui part en premier lieu, mais je ne suis plus malade. Mon humeur est de nouveau au beau fixe. Il en faut si peu pour me rendre heureuse ! Nous avons eu une aventure, l’autre jour ! Faut dire que s’il avait fallu compter sur moi pour éviter la catastrophe… Scouby et Olivier étaient partis visiter ma Mamie (la Mme Maman d’Orca) qui est fortement grippée. Daniel est rentré à la maison comme d’habitude après le travail (et peut-être aussi après le bistrot avec les collègues), il a enfilé un short et un T-shirt pour être à l’aise et il a mangé du rôti qui restait du souper d’hier. Comme il y avait un fond de sauce durcie dans la casserole, il a allumé la cuisinière par-dessous, pour liquéfier la graisse avant de la jeter. Puis, se sentant un peu fatigué (peut-être l’effet des bières bues avec ses collègues ?), il s’est étendu sur son lit… et s’est endormi. Moi, impavide, tapie sur une chaise de la salle à manger (un de mes postes de guet favoris), j’ai regardé d’un œil intéressé une épaisse fumée grise envahir l’appartement, accompagnée d’une horrible odeur de sauce brûlée. J’étais dans l’expectative : j’attendais les flammes. Soudain, une espèce de fusée en short est sortie de la chambre, se précipitant vers la cuisine. Puis Daniel, toussant et suffoquant, a ouvert les fenêtres et la porte de la terrasse. Après quoi, se souvenant du chat fidèle et bien-aimé, il a tenté de le découvrir dans la brume ambiante. - Ardoise ! Réponds ! Tu n’es pas asphyxiée ? - Mais non, tu ne devras pas me faire de bouche-à-bouche, dis-je en soulevant de mon museau le bout de la nappe qui me dissimulait. - Tu es un beau chat de garde, toi ! - Ben kwâ ? - Tu aurais pu m’avertir que ça sentait le brûlé ! - Mwâ ? Je suis sincèrement surprise. Il n’a pas insisté. M’aurait-il fait du bouche-à-bouche si la fumée m’avait intoxiquée ? J’en doute fort ! Il m’aurait fourrée dans mon panier et transportée illico-presto chez la vétérinaire qui habite sur le boulevard. Vous savez, la fameuse vétérinaire qui a fait maigrir le chien du cinquième étage ? Je l’ai échappé belle ! D’un autre côté, une fois ranimée, j’aurais pu dire, comme les stars : « Je reviens d’une cure de désintoxication ! » Histoire de produire son petit effet au village où je vais passer chaque week-end ! Mine de rien, ça vous pose une chatte ! L’Orca en serait vert de jalousie ! Méditant là-dessus, je sors sur la terrasse, histoire de prendre un peu l’air pur de notre boulevard. Que vois-je ? Le petit bananier qu’on avait mis là à l’abri de mes dents… eh bien à son tour, il a eu un bébé ! Une petite feuille toute verte et vigoureuse qui jaillit de terre. Je m’approche pour contempler ce phénomène de près. - Y a bon bananier ! - Ardoise ! Rentre ! Quand je ne fais rien, on me critique ! Quand je bouge, on me gronde ! Quelle famille ! L’ex-Grand-Amour-de-Ma Vie, Olivier pour ne pas le nommer, est sur le point de me quitter et d’aller s’installer ailleurs avec une bipède nommée Nathalie… O trahison ! Alors moi, j’ai bien réfléchi et j’ai pris une grande décision. Comme je suis une chatte sensée, équilibrée, pas masochiste pour un sou, n’ayant pas la vocation du martyre, je ne vais pas être assez bête pour me payer un chagrin d’amour et une dépression nerveuse, par-dessus le marché ! Alors, je vais changer de « Grand Amour de Ma Vie » ! Mais sur qui jeter mon dévolu ? Daniel ? Il est tellement distrait, quand il regarde la télé, que je devrais toujours faire des efforts pour attirer son attention… Sa Seigneurie Caramel, elle, n’y allait pas par quatre chemins : quand il ne passait pas son temps libre à l’admirer, elle lui tapotait impatiemment les joues de sa patte, afin de le remettre dans le droit chemin : « Hé, c’est pas la télé, c’est moi que tu dois regarder ! MOI ! » Suis-je prête à déployer la même énergie, la même opiniâtreté ? Non. J’aime mes aises et ne tiens pas à être constamment sur le qui-vive : « Que fait-il ? Où va-t-il ? S’il n’est pas rentré dans cinq minutes, je fais une scène ! » La chatte Caramel excellait dans ce rôle. Rien n’était excessif pour elle, elle se donnait à fond dans ses passions. Très peu pour moi, merci ! - En attendant de rencontrer un autre prince charmant, je te nomme « Amour de Ma Vie » par intérim, dis-je à Scouby très étonnée de cette décision. Du jour au lendemain, je lui accorde donc une particulière attention. Partout où elle va, je vais. Je m’affale sur ses genoux quand elle lit son livre, je me couche sur le lit (dans le sens de la largeur, bien sûr) quand je souffre de solitude en plein cœur de la nuit, je m’installe allègrement sur son estomac quand j’entends sonner le réveille-matin : « Hep, hep ! Il est temps de te lever et de me donner à manger ! » - Encore cinq minuuuuuuuutes, Ardoiiiiiise ! Je me promène de long en large sur le lit, imbue de mon importance. Si je n’étais pas là, tout irait à vau-l’eau dans cette maison. Sévère, je réplique : - Non pas cinq minutes, sinon je vais faire des bêtises, je le sens ! Les bijoux qu’elle a enlevés hier soir traînent sur la table de nuit. Il suffirait d’un bon coup de patte… Et ses appareils auditifs ! Ben oui, elle en a, sinon elle n’entend rien… J’en ai volé un, une fois. Subrepticement, je l’emportais dans ma gueule pour jouer avec lui, quand j’ai appuyé, par inadvertance, sur un petit bouton. L’appareil s’est mis à siffler, avertissant Daniel qui m‘a bondi dessus pour me confisquer mon nouveau jouet. Après cette émotion, Scouby dissimule chaque soir ses appareils dans un endroit inconnu de moi… Il faudra que je cherche sérieusement. Je me demande bien quel goût ça a, un appareil auditif ! Est-ce que ça craque sous la dent ? Est-ce que mon estomac se mettrait à faire bip-bip ? Je brûle de faire de nouvelles expériences… L’autre soir, Scouby et Nathalie étaient en train de papoter. Les deux hommes étaient partis étaler une ultime couche de peinture dans le nouveau petit appartement du jeune couple. Moi je somnolais sur le dossier de mon fauteuil préféré. - Je n’ai plus peur de votre Ardoise ! a dit Nathalie. - Zut alors, me suis-je dit. - … mais j’ai un peu peur de votre chat des Ardennes ! Il est si bizarre ! Il faut avouer qu’elle a du bon sens parfois, cette Nathalie ! Décidément, il n’y a que Scouby et Daniel pour ne pas s’apercevoir que le chat des champs est in-fré-quen-ta-ble ! Il y a longtemps que je me suis fait mon opinion là-dessus ! - Oui, dit Scouby, c’est vrai qu’il a un peu une tête de gangster… Ah ! Quand même ! Je ronronne. - … mais il est tellement gentil ! Tellement affectueux ! Je m’arrête de ronronner. Et voilà, le petit couple a déménagé ! La vie me semble toute bizarre sans Olivier… Parfois, j’ai le cœur lourd, spécialement quand il revient nous dire bonjour. Il me câline, je lui chuchote des gentillesses à l’oreille, je recommence à y croire… Et puis il s’en va ! Faut que je me secoue, je suis une chatte raisonnable, je ne dois pas oublier ça ! L’autre fois, il est venu me nourrir le samedi et le dimanche, parce que Scouby et Daniel devaient faire des travaux dans notre maison des champs et je ne pouvais pas les accompagner cette fois-là. Quand il est reparti chez lui, je me suis quand même sentie un peu solitaire… Lorsque mes parents d’adoption sont rentrés, le dimanche soir, je n’étais pas trop contente. Pour les accueillir, j’avais comme d’habitude, frémi de la truffe dans tous les sens et, bien sûr, il y avait comme un petit parfum d’Orca dans l’air. Maussade, je me suis installée sur le dossier de mon fauteuil en leur tournant ostensiblement le dos. - Ardoise ! Psssst ! Pssst ! - … (Silence dédaigneux, regard lointain). - Viens ici, belle minette ! - … (Tenir le coup ! Ne pas se laisser embobiner !) - Viens dire bonjour ! Je leur jette un regard furtif. Ils me sourient d’un air engageant. Les traîtres ! Bien sûr que je vais me laisser amadouer, mais pas maintenant ! Pas trop vite ! Qu’ils mijotent encore dans le jus de leur culpabilité pendant quelques minutes ! Malheureusement, ils connaissent tous les trucs : Scouby agite une de mes petites souris (une verte que j’affectionne particulièrement) et la fait glisser sur le sol. Je me rue à sa suite et me mets à jouer de bon cœur. C’est le problème avec moi : je ne sais pas rester fâchée ! Le week-end prochain, je les accompagnerai à nouveau à la campagne, il faudra que je mette le gangster au pas !
  7. Chapitre 31 : NEFER ET TITI Me voilà de retour pour déverser dans votre oreille attentive les petits heurs et malheurs de mon existence quotidienne… C’est pas bien dit, ça ? Malheur n° 1 : vous vous souvenez, Petite-Goulaffe, ignominieusement chassée de mon home sweet home ? Eh bien, elle est de retour, la tête haute et la queue en panache ! Qu’est-ce que vous dites de ça ? Je ne comprends vraiment pas Dan et Scouby : ils se font littéralement rouler dans la farine par cette petite chipie. Moi, à leur place, croyez-vous que je me serais soucié des mines sucrées et des roucoulements de la perfide créature ? « Dehors ! » aurais-je dit sur un ton sans réplique, avec une intense satisfaction. Mais il paraît que ce n’est pas encore moi qui commande ici… Cela changera quand nous nous installerons dans cette maison à demeure, Dan, Scouby, l’Ardoise et moi ! Qu’est-ce que vous dites ? Que c’est Ardoise qui sera le chef ? Vous croyez ? Malheur n° 2 : je suis toujours aussi affreux ! Comment est-ce possible ? Je me sens pourtant bien, je suis souple et vigoureux… J’étais patraque le week-end passé, mais il a suffi que Scouby et Dan retournent à la ville pour que moi, je reprenne du poil de la bête. Ils n’y comprennent rien ! - Donnerions-nous à notre pauvre Orca une nourriture débilitante ? s’inquiète ma mère d’accueil. Apparemment non, puisque Néfer et Titi (ben oui…), Gourmande et Petite-Goulaffe profitent largement du contenu de ma gamelle et ont l’air en pleine forme. Je suis le seul à me promener tête baissée, avec tout le poids du monde sur mes épaules. Dan a entrepris de me raisonner. Après avoir remarqué des cicatrices nouvelles sur ma fourrure déjà si mitée, il a voulu me faire comprendre, en douceur… - Comment ? Je ne serais plus le Maître-Chat du village ? - Il faut commencer à te rendre compte que tu vieillis, mon petit Orca. Tu as plus de mal à t’imposer ! Pourquoi ne te reposerais-tu pas un peu, au lieu de faire le caïd chaque nuit ? - Me reposer ? Jamais de la vie ! « Orca Maître-Chat Toujours prêt au combat, Plutôt mourir que fléchir, Non mais des fois ! « Ils sont bien gentils de s’inquiéter pour moi, mais le boulot de chat des champs a ses exigences ! Je ne peux pas démissionner comme ça, je tiens à mon poste ! Pas question qu’un matou quelconque se pavane sur mon territoire sans que je réagisse, j’ai ma fierté ! Et puis, vous me voyez déjà vivre aux crochets de mes chattes ? De quoi j’aurais l’air ? Alors, même s’il est vrai que je ne suis plus de la première jeunesse, je ne suis pas encore croulant au point de prendre ma pension de retraite. - Avant l’hiver, on emmènera Orca chez la vétérinaire, pour une bonne cure de vitamines, dit Scouby. Parfait, comme ça, j’aurai encore plus d’énergie pour la bagarre ! Tremblez, jeunes matous aux dents longues ! Orca le super-chat vitaminé vous réserve des surprises ! - De toute façon, en hiver on te laissera beaucoup de nourriture, Orca, avec le froid elle va se conserver ! - Et s’il gèle dehors, tu peux toujours te réfugier à l’intérieur de la maison, maintenant qu’il y a une chatière. Même s’il n’y a pas de chauffage, c’est mieux que rien. Sauf peut-être s’il fait moins vingt… Cela s’est passé, paraît-il, il y a quelques années, je ne les connaissais pas encore à ce moment-là. Il y a eu un hiver dur, mais dur ! La preuve : Scouby avait oublié au fond de son lit une bouillotte. Quand, le week-end suivant, elle a soulevé la couette, la bouillotte était toujours là, dure comme un roc : l’eau était entièrement gelée ! La même année, le compteur d’eau a éclaté. J’espère que l’hiver qui vient ne me réservera pas de semblables surprises : je risquerais de me retrouver dans le rôle-titre de « Hibernatus » ! Enfin, si j’ai la jouissance de la maison, je pourrai toujours m’enfouir dans ma petite couverture « Sole Mio » bleue pour me réchauffer. Et ils ont promis de revenir chaque week-end, qu’il neige ou qu’il gèle, rien que pour moi ! Avant de me connaître, ils venaient très peu en hiver… C’est beau l’amour ! En attendant, il fait toujours splendide dehors. Les feuilles commencent doucement à tomber, mais les arbres sont encore bien verts. Les hirondelles, toutefois, parlent de départ. Chaque fois que ma famille d’accueil se pointe à l’horizon, j’arrive à fond de train, vous pensez bien ! Je ne veux pas refaire la même boulette que la dernière fois : figurez-vous que j’ai fait irruption dans la cuisine en poussant les miaulements rauques par lesquels j’avise traditionnellement Dan et Scouby de ma présence. - Miâââââââââ ! Miââââââââ ! C’est moi ! Bonjour, on est déjà vendredi ? Chic alors ! Dan soupire. - On est dimanche, mon pauvre Orca ! Ca fait deux jours qu’on se demande ce qu’il est advenu de toi ! Zut ! Deux jours sans pâtée, sans caresses, sans mots doux… Qu’est-ce que j’ai été distrait, quand même ! Après, bien sûr, j’ai fait attention : j’ai gardé l’œil sur ma maison. Si je vois la voiture, j’accours et je ne quitte plus Dan et Scouby. Si je suis TOUJOURS là, les suivant pas à pas, peut-être qu’ils ne partiront plus ? Hélas, jusqu’à présent, ce naïf espoir a toujours été déçu. J’ai pourtant fait un gros effort, l’avant-dernier week-end : j’ai renoué avec une habitude de l’année passée et j’ai dormi dans la chambre, sur ma petite Sole Mio. J’ai été très sage, je me suis servi de mon bac de sable avec toute la discrétion d’un chat bien élevé. Le matin, je ne les ai pas réveillés, j’ai attendu qu’ils se lèvent. Y a pas à dire, quand je veux, je suis vraiment un gentlecat civilisé ! Petite-Goulaffe, elle, ne quitte plus notre jardin. La raison de cette soudaine fidélité est visible : Petite-Goulaffe est amoureuse ! Mais non, pas de moi ! Qu’allez-vous penser là ? Petite-Goulaffe, qui ne sait rien faire comme tout le monde, n’a pas eu le coup de foudre pour un chat, comme on pourrait le croire. Non, Petite-Goulaffe aime… un arbre ! L’heureux élu (si l’on peut dire) est un petit saule qui pousse sur notre pelouse. C’est encore un enfant-arbre, comme Petite-Goulaffe est un enfant-chat. Parfois, confortablement allongé sur le muret qui sépare le jardin de la terrasse, j’observe l’étrange manège de Petite-Goulaffe qui converse avec son saule. Dans un élan d’amour, elle entoure le tronc de ses pattes antérieures, fait des petits bonds autour de l’arbre. Puis, elle saute légèrement jusqu’à la naissance des branches, redescend dans une cabriole. Je l’ai même vue s’élever dans l’espace pour s’agripper aux feuilles les plus basses. Un vrai Tarzan ! Elle passe des heures entières à contempler son arbre, à jouer avec lui. Je vois les choses d’un bon œil : pendant qu’elle est ainsi occupée, elle ne pense pas à me poursuivre de ses agaçantes diableries, ce qui est bien reposant pour moi ! Je commençais à me détendre, pensant en avoir provisoirement fini avec toutes les émotions qui m’ont assailli ces derniers temps, lorsque… - Je commence à bien pouvoir distinguer Néfer de Titi, remarque Scouby. - Moi aussi, ai-je approuvé nonchalamment. « Titi a la fourrure un peu plus rousse que Néfer ! » - Tu as remarqué, Orca, on les voit ensemble, maintenant ! C’est vrai ! Pour la première fois depuis au moins trois ans, et sachant que leur ruse a été éventée, Néfer et Titi daignent se présenter ensemble à nos regards. Toujours aussi timides, cela va de soi ! Mais enfin, il y a de l’amélioration, ce n’est plus de la névrose, comme naguère. - Oui, elles commencent à devenir raisonnables, dis-je. Scouby prend l’air étonné. - Elles ? Tu sais Orca, je crois que Titi est un garçon ! Je manque m’évanouir. Me voici dans l’abri de feuillages de ma dulcinée. Elle est seule. - Nefer, tu es une menteuse-née ! Pourquoi as-tu prétendu que Titi était ta sœur, alors qu’il est ton frère ? Quel mélo ! J’ai l’impression de jouer un mauvais vaudeville. - Parce que je ne voulais pas te traumatiser, Orca ! Et puis, quelle importance ? - Comment, quelle importance ! Je me suis couvert de ridicule en minaudant quelquefois avec un MATOU, dans l’illusion qu’il s’agissait de toi ! - Justement, Titi a été très touché de ta gentillesse à son égard ! Et puis, je ne sais pas si tu as remarqué, Orca, mais Titi est un peu retardé… il a gardé une âme de chaton ! Il est adorable, très doux, mais si innocent ! Et tellement timide ! Je suis estomaqué. C’est elle qui dit cela ? Elle qui ne supporte pas qu’un humain l’approche, elle qui se réfugie à l’abri des regards pour manger, elle qui a peur des bêtes noires que lui montre son imagination débridée ! Tiens, au fait, pourquoi alors n’a-t-elle pas peur de Titi qui est ténébreux comme la nuit ? Insondable mystère de la psychologie féminine féline ! Je n’y comprendrai jamais rien ! Au moins, la situation a son avantage : je ne me croirai plus bigame, puisqu’il n’y a ici qu’une seule chatte : elle est superbe, toute noire avec une petite cravate blanche, c’est Elle, ma Néfer ! Mon grand amour est sauf ! Ouf ! Je suis rasséréné et décidé à me conduire en frère avec le dénommé Titi, l’alter ego de ma Néfer. Je vais continuer à le tolérer dans mon jardin, je ne dois pas perdre de vue qu’il est mentalement un peu à la traîne… Justement, le voilà qui rampe sous la haie, dans l’espoir de trouver la gamelle pleine. C’est vrai qu’il a un peu l’air d’un innocent de village, le pauvre animal ! Je me dévoue. - Scouby, regardez, voilà Titi qui a faim ! - Eh bien, donnons un peu à manger à Titi ! J’assiste à l’opération. Scouby va porter la gamelle entre les deux maisons, là où l’attend déjà Titi. Mais que vois-je ? Ce dernier se met à roucouler et accepte de se laisser caresser ! Je me rue chez ma fiancée : « Regarde, Néfer ! Le plus timide des deux n’est pas celui qu’on pense, pas vrai ? » Elle ouvre des yeux grand comme des soucoupes ! Visiblement, elle n’en revient pas. - Allez, Néfer, un peu de courage ! Tu ne vas quand même pas te laisser distancer par Titi ? Il n’a plus peur de Scouby, lui ! D’une voix expirante, elle me dit qu’elle va réfléchir. - Ne réfléchis pas trop longtemps, Néfer ! Pendant que tu es ici, Titi vide la gamelle ! A bon entendeur… Je crois avoir fait une bêtise, hier matin, dimanche … Après une bonne nuit passée sur ma petite Sole Mio bleue, je me suis réveillé à l’aube, assailli par quelques crampes d’estomac. - Scouby, Scouby, j’ai faiiiiiiim ! Miââââââââ ! Dan pousse du coude la forme béatement assoupie à côté de lui. - Michèèèèèèèèle ! Le chat a faim ! Pas bien réveillée, elle se lève et me sert mon petit déjeuner. Puis nous retournons nous coucher. J’ADORE dormir dans cette chambre, sur la petite Sole Mio ! Au point que… - Orca ! Il est neuf heures ! Grand temps de se lever ! - Noooooooooon ! Je dooooooooors ! - Orca ! Rien à faire ! De toutes mes forces, je me cramponne à mon lit. Je fais semblant de dormir profondément. Elle me soulève. Je suis furieux et proteste à grands cris indignés. - J’ai encore sommeil ! Je veux dormiiiiiiir ! - Tu pourras continuer ta sieste en bas, dans le salon, si tu veux ! Elle me pose sur le sol. Je suis raide comme un piquet, tétanisé par l’indignation. - Allez, Orca, avance ! On va dans la cuisine ! A contrecoeur, je me traîne jusqu’à la porte de la chambre, m’immobilise sur le palier. Scouby descend les escaliers en me faisant signe de la suivre. Feignant de ne pas comprendre, je reste là. Plus moyen de rentrer dans la chambre, elle a fermé la porte ! J’ai une petite lourdeur dans la vessie, mais pas envie de descendre l’escalier, pas envie de sortir au jardin ! Je fais quelques pas sur le chantier de la future salle de bains et m’aventure sur une poutre surplombant le fenil. De gros ballots de foin, vieux d’au moins vingt ans, sont posés sur les chevrons, au-dessus du fenil. De la paille… Si j’y faisais mon petit besoin, ni vu ni connu ? Sitôt pensé, sitôt effectué. D’une patte légère, je dévale les escaliers et vais rejoindre Scouby à la cuisine. Je prends un second petit-déjeuner, la vie est belle ! Un peu plus tard… Dan se rend au fenil, renifle : « Bizarre ! Ca sent le chat ! » Que voit-il au milieu du passage, bien en vue ? Une petite flaque de liquide ambré… Le pipi discret avait traversé la paille pour terminer sa course là. Ma réputation de gentlecat en a pris un coup ! Pourquoi est-ce que ça m’arrive TOUJOURS, à moi ?
  8. Merci M'dame Pascoolette ! Je dois vous dire que ma secrétaire à deux pattes a un certain entraînement, l'écriture lui a servi à quelques reprises dans sa carrière professionnelle et elle a publié quelques nouvelles dans des revues, mais cela reste principalement un loisir. Si mes mémoires pouvaient être publiées un jour, nous en serions évidemment très contentes, elle et moi, mais notre plus grand plaisir c'est d'amuser les amis qui nous lisent !
  9. Chère meute virtuelle et fidéle, et beaucoup moins enquiquinante présente que la bande de pique-assiettes féline qui communément me tient compagnie !... Je vous remercie du fond du coeur de vous soucier ainsi de ma santé ! J'ai atteint un certain âge, comme vous le savez, et ces derniers jours je n'étais pas vraiment dans mon assiette, mais ça va mieux ! Ce matin je suis sortie brouter déguster quelques brins d'herbe, puis j'ai craché mon herbe dans une cachette de moi seule connue, je me suis bien reposée, j'ai flanqué par terre écarté de mon passage un livre qui se trouvait trop près de ma nouvelle place favorite, et pour le moment, je jouis de la chaleur du petit radiateur à pétrole mis à ma disposiiton dans le salon. Voilà, j'espère que ces quelques nouvelles vous rassureront un peu... Je vous dirai ce que Scouby aura trouvé pour me rendre un peu de mon agressivité tonus habituel ! Bonne soirée mes chers amis Litchi et Filou !
  10. Chapitre 30 : PETITE-GOULAFFE REVE… Bien sûr, Petite-Goulaffe n’attache aucune importance au fait que le Maître-Chat la prenne pour un suppôt de Satan. Toutefois, cette pensée a dû insidieusement lui trotter dans la cervelle car, étendue assoupie au pied d’un saule, Petite-Goulaffe rêve… qu’elle arrive aux portes dorées du paradis. Orca, le Maître-Chat est là, lui aussi, ainsi que les autres chattes du village. Et même Ardoise, dites donc ! Tout le monde veut assister à l’examen d’entrée de l’ « infernal chaton ». Va-t-elle réussir ? Morte de peur, Petite-Goulaffe voir venir vers elle le grand Saint Pierre, tout de blanc vêtu. Tiens, physiquement, le grand Saint Pierre ressemble un peu à Orca, comment cela se fait-il ? Comme lui, il a de superbes moustaches blanches et des oreilles noires et pointues. Son regard amical se pose avec bienveillance sur la Petite-Goulaffe toute tremblante. - Voyons, dit-il en consultant son ordinateur (Saint Pierre s’est mis récemment à l’informatique, il faut progresser avec son temps !), voyons, qui donc nous arrive là ? Quel est votre nom, joli chaton gris ? Petite-Goulaffe (très émue et bafouillant) : Je suis… Pppppetite-Gou… Hou ! Hou !... Saint Pierre (consultant son PC, perplexe) : Petite Gouhou… Drôle de nom. Il ne me semble pas l’avoir vu dans les archives ? Orca (s’en mêlant) : Vous ne le trouverez pas, grand Saint Pierre ! Ca m’étonnerait que Petite-Goulaffe ait une place au paradis ! C’est le diable en personne, croyez-moi ! Saint Pierre (conciliant) : Même si tel est le cas, il reste au chaton gris assez de temps à vivre pour s’amender… Voyons, jeune Gouhou… Petite-Goulaffe (faiblement) : Pe… Pe… Petite-Goulaffe, grand Saint Pierre ! Saint Pierre (dur d’oreille : c’est normal à son âge) : Voyons, Gou… ha ? Comment vous définissez-vous, en cette vie ? Quelle question difficile ! Petite-Goulaffe réfléchit à toute allure. Petite-Goulaffe : Heu… Je suis chaton… et philosophe, grand Saint Pierre ! Saint Pierre (tapotant sur le clavier de son PC) : Pas mal, pas mal… Et quelle est votre ambition, jeune Gouha ? Petite-Goulaffe (mise en confiance) : Je veux devenir… rêve-volutionnaire, grand Saint Pierre ! Saint Pierre (très surpris) : Rêve-volutionnaire… J’en ai vu défiler ici, des chatons, mais c’est le premier qui me dit ça ! Orca (triomphant) : C’est normal, la Petite-Goulaffe n’est pas un vrai chaton, grand Saint Pierre ! C’est un esprit malin envoyé sur terre pour me harceler ! D’ailleurs, regardez sa figure, est-ce que c’est une figure de chat, ça ? Tout le monde regarde attentivement Petite-Goulaffe qui se sent rougir. Voyons, ces yeux un peu petits, ce nez un rien trop long… Saint Pierre : C’est vrai, la jeune Gouha n’a pas vraiment un visage de chat… On dirait plutôt un lionceau. Très bizarre ça… Petite-Goulaffe (étonnée) : Pourtant j’ai pas de lion dans ma famille ! Va falloir que je demande à M’man ! D’ailleurs y a que ma figure qui cloche, hein ? Le reste, c’est du chat ! Garanti ! Saint Pierre : Sans aucun doute. Voyons, mon bon Orca, ne vous laissez pas emporter par votre imagination. La mignonne Gouha n’a rien d’un démon ! C’est tout juste un chaton turbulent !... Orca (peu convaincu) : Pourtant, vous avez bien vu que son nom ne figure pas sur votre liste, grand Saint Pierre ! Saint Pierre : Voyons que je vérifie… GOU… GOU… Pas de Gouhou ni de Gouha… Petite-Goulaffe (dans un cri) : Faut regarder à la lettre P, grand Saint Pierre ! Je m’appelle Petite-Goulaffe comme on dit Marie-Thérèse ou Anne-Sophie ! C’est un prénom composé ! Saint Pierre : Ah, je comprends mieux, maintenant… Voyons, Pa… Patou… Pastis, Pastelle… Ardoise (sursautant) : Pastelle ! Je la connais, c’est la chatte de ma tante Chantal ! Saint Pierre (poursuivant) : Pistou, Petiot, Petit… Ah, voilà, Petite-Goulaffe, fille de Mme Gourmande ! C’est bien vous, chaton gris ? Eh bien, j’ai le plaisir de vous apprendre que votre place est réservée au paradis ! Félicitations ! Orca (médusé) : C’est pas possible, grand Saint Pierre ! Quand je partirai pour l’autre monde, ne me dites pas que la Petite-Goulaffe m’y rejoindra un jour ! Ce ne serait pas le paradis, pour moi ! Une enquiquineuse pareille ! Ardoise (réalisant à son tour) : Et moi, je devrai passer mon éternité avec l’Orca ? Plutôt mourir… Heu, plutôt aller en purgatoire, ce sera moins stressant ! Saint Pierre (apaisant) : Le paradis est si grand, mes amis, que vous ne serez pas obligés de vous rencontrer si vous ne le souhaitez pas ! Petite-Goulaffe (ravie) : Mais moi j’veux rester avec M’sieur Orca ! Je veux pas le quitter, M’sieur Orca ! Il est si comique !... Moi je l’aime bien, M’sieur Orca ! Un ange passe… Néfertiti (d’une voix timide) : Il y a beaucoup de chats au paradis ? Saint Pierre : Oui, beaucoup, petit chat noir ! Beaucoup plus d’animaux que d’humains à mériter le paradis ! Ceci étant dit (et bien dit), il les bénit tous et disparaît. Ardoise : Je me demande quand même pourquoi le grand Saint Pierre a parlé si longuement avec Petite-Goulaffe alors qu’il ne m’a dit qu’une phrase, à moi, quand je suis arrivée et que je lui ai dit bonjour ! Pourtant je suis beaucoup plus importante que Petite-Goulaffe ! Orca (courtois) : Que vous a donc dit le grand Saint Pierre, jolie Ardoise ? Ardoise : Il a dit « Heureux les simples en esprit, le royaume des cieux est à eux ! ». Ca veut dire quoi, dites, ça veut dire quoi ? Orca (pris au dépourvu) : Heu… C’est alors que Petite-Goulaffe se réveille, bien contente d’avoir mérité le paradis !
  11. Chapitre 29 : ARDOISE = ORSON WELLES Et voilà, les vacances sont passées et Scouby a repris le travail avec l’entrain qu’on lui connaît en ces circonstances. Encore attendre 11 mois avant les prochaines vacances ! Pffft ! Ces trois semaines de détente se sont bien vite écoulées pour moi aussi, d’ailleurs, car je les ai passées à sommeiller, confortablement étendue, ma petite silhouette déjà grassouillette prenant tout doucement une ampleur à la Orson Welles, si vous voyez ce que je veux dire… Comme Nathalie avait commencé son activité professionnelle, Olivier et moi étions seuls. C’était vraiment idyllique… sauf qu’il s’est montré vraiment mal inspiré en ce qui concerne le choix de mes aliments ! Vous savez, c’est bien beau de vivre d’amour et d’eau fraîche, mais il faut y ajouter du consistant ! - C’est abominable ce que tu me donnes là ! Montre voir : « Foie et cœur en pâtée » !!! Pouah ! Tu sais très bien que je n’aime pas les abats, le cœur et le foie ! Encore moins la pâtée ! Pourquoi tu ne m’achètes pas du colin d’Alaska ? Bon, il faut bien que je me dévoue… Je vais manger… mais juste assez pour ne pas mourir de faim, je t’assure ! Je suis finalement venue à bout de toutes ces denrées. Mes siestes digestives se sont faites de plus en plus longues. Je crois qu’à présent, ma petite personne emplit le fauteuil du salon. Je vous laisse imaginer les cris d’horreur de Scouby et Daniel quand ils m’ont vue ! - Ardoise ! Mon Dieu ! On dirait un ballon de football avec une petite tête et une queue ! - Moi ? - Quel dommage qu’on n’ait pu t’emmener, on t’aurait fait un peu courir ! Mais on n’a pas osé prendre le risque, avec les petites bêtes d’Orca… - Il en a encore, des petites bêtes, l’Orca ? - Beaucoup moins qu’avant les vacances ! Zut, si l’Orca redevient nickel, je n’y couperai pas : sport intensif dans notre jardin à la campagne ! Pauvre, pauvre Ardoise ! Je m’insurge : « Je ne suis pas SI énorme ! C’est parce que l’Orca est maigre comme un clou que la vue d’une chatte épanouie, en pleine santé, vous semble bizarre ! Tout est relatif ! » Qu’à cela ne tienne, à présent, tous les soirs, Scouby me fait jouer avec mes petites souris factices. Un cadeau empoisonné, ces souris ! - Cours, Ardoise ! Où elle est, la souris ? Hop, je la jette, la souris ! Cours ! Et je cours, pour lui faire plaisir. On dira encore que je ne suis pas une brave chatte ! En récompense, je le reçois enfin, mon colin d’Alaska ! Il faut rendre cette justice à Scouby, elle comprend bien mon langage gestuel. Ainsi, elle me sert de la pâtée… Je regarde mon assiette, renifle, affecte un air dégoûté. - C’est pas bon, le miam-miam ? Mais si ! Y a bon miam-miam ! Dédaigneuse, je tourne le dos, sors de la cuisine sans me presser, la tête et la queue bien droites, une sorte de petite lassitude désenchantée dans la démarche… - C’est si mauvais que ça ? Elle se penche, prend la gamelle, renifle à son tour… Je surveille les opérations de loin, sans en avoir l’air. Je fais semblant de ne pas être là. Elle ne sent rien. Aucune odeur suspecte. Aucune odeur du tout, d’ailleurs : Scouby a le rhume des foins en ce moment. Dans le doute, elle jette le tout à la poubelle, ouvre le frigo… Réapparue comme par magie, à la vitesse de l’éclair, je roucoule en me frottant contre ses jambes. Elle prend une boîte de « Félix ». Après un bref regard sur l’étiquette, je me détourne d’un air accablé, amorce une nouvelle sortie. Elle hésite, ouvre le compartiment à glace. Je bondis à ses côtés en miaulant fiévreusement. Enfin, elle a compris ! Elle prend un paquet de poisson surgelé ! En dépose deux morceaux dans une assiette ! Ouvre le four à micro-ondes ! Je ne me lasse pas de ce spectacle, je manifeste bruyamment ma joie. Bzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz ! L’appareil est en marche ! Je bondis allègrement sur la tablette, devant la porte du four, et je contemple avec ravissement mon colin d’Alaska qui baigne dans une lumière dorée. Un délicieux parfum emplit l’atmosphère. Bzzzzzzz ! Ding ! C’est prêt ! Mais où est Scouby ? Je saute sur le sol, me mets à chercher. Que fait-elle dans la salle de bains alors que mon poisson est cuit ? C’est un monde ça ! Je fais irruption dans la pièce en poussant des cris aigus. - Que se passe-t-il, mon Ardoise ? C’est pas possible ! Elle n’a quand même pas oublié ! - Iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiih ! Iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiih ! - Ah, ton poisson ! Ouf ! Je la précède triomphalement jusque dans la cuisine, la regarde ouvrir le four. Je me précipite à la place où, dans quelques secondes, elle va déposer ma gamelle odorante… Et voilà que, sans raison apparente, elle fourre mon poisson dans le frigo ! Elle me fait toujours le même coup ! Je brame de déception. - C’est encore trop chaud, Minette, tu brûlerais ta petite langue ! Faut que ça refroidisse quelques instants ! Quelques instants ! Cela s’éternise… Emplie de découragement, je vais me coucher. Enfin, enfin, quand elle le juge bon (c’est très subjectif), elle sort le poisson du frigo et le pose sur mon assiette. Alors, le roi n’est pas mon cousin ! Mais que de peines et d’anxiété pour en arriver là ! Je suis épuisée… … et un peu inquiète ! Hier soir, j’ai entendu Scouby dire à Daniel : - J’ai rencontré le voisin du cinquième étage avec son chien, tu sais, le toutou qui était si gros ? Qu’est-ce qu’il a maigri ! C’est la vétérinaire qui habite un peu plus loin, qui a réussi cet exploit… On n’y emmènerait pas Ardoise ? Au cours d’une communication téléphonique, ma « mamie » (la maman de Scouby) y va de son grain de sel : - Tu sais, Mimiche (surnom de Scouby dans sa famille), le chat de Didine (surnom de la sœur de Scouby) avait aussi grossi et maintenant, il est au régime. Il passe ses journées à regarder le frigo ! J’en flageole sur mes pattes. Mon Dieu , mon Dieu, qu’est-ce qui m’attend encore ? - Je ne suis pas si grosse que ça, dis-je pour la centième fois. C’est ma superbe fourrure à trois épaisseurs qui fait illusion. Scouby m’a prise au mot : elle s’est emparée d’un peigne spécial et a ratissé allègrement la magnifique fourrure. Elle en a tiré un fameux paquet de poils. - Tu vois ? dis-je lamentablement. - C’est vrai que tu as beaucoup de poils morts dans ta fourrure… Dorénavant, je te peignerai tous les soirs ! Je soupire. Choisir entre deux supplices, la faim ou le toilettage, tel est mon lot ! Et je crains fort que le peigne soit impuissant à éliminer mon excédent de poids. La faim ET le toilettage, quelle triste destinée ! Ayez pitié de la pauvre Ardoise ! Quand fera-ton une étude scientifique sérieuse sur la question ? Je vois déjà les articles qui ne manqueront pas d’attirer l’attention de ma mère d’adoption, par exemple : « Les dernières découvertes en la matière prouvent indiscutablement que les chats bien enveloppés sont plus intelligents, plus doux et plus résistants que les avortons ! » ou alors : « Titre de l’article : JAMAIS DE REGIME POUR LES CHATS ! Les dernières découvertes en la matière ont indiqué que les félins mis au régime peuvent devenir enragés… »
  12. Hi hi, à l'époque ce n'était que le week-end, et il n'y avait pas tant de chats que ça ! Par la suite, les chats errants mangeaient avec plaisir ce que ma meute et moi ne voulions plus... Nous sommes difficiles ! Pour le moment, il n'y a pas de chat errant dans le voisinage... Ma meute ne les accepte pas ! Ca a déjà été difficile pour Trilili qui fait des efforts d'intégration depuis trois ans !
  13. Chapitre 28 : CE DEMON DE PETITE-GOULAFFE ! Bof, je ne suis pas très chanceux en ce moment… Récapitulons : l’année dernière, à cette époque, j’étais presque borgne. Puis, quelques mois plus tard, je me suis esquinté une patte. Maintenant, j’ai attrapé je ne sais où des petites bestioles féroces qui s’attaquent à mon pelage ! Si c’est pas de la poisse, ça ! Dur dur, le métier de chat des champs ! Parfois, je me surprends à envier la belle Ardoise. Elle ne change pas, elle ! Elle garde un visage de chaton, sa fourrure est brillante et épaisse, les coussinets de ses pattes sont propres et intacts… Mais toute médaille ayant son revers, je suppose que parfois elle doit s’ennuyer ! Elle prétend que non, que son imagination lui fait vivre une foule d’aventures extraordinaires dans l’espace restreint de son appartement, mais je doute… Moi, je n’ai pas une imagination débridée, mes aventures m’arrivent vraiment, je n’ai ni le temps ni l’envie de fabuler ! Lequel de nous deux est le mieux loti ? Faut dire que je ne me pose la question que lorsque je suis un peu déprimé, comme en ce moment. En temps ordinaire, je suis très heureux de ma condition : je vais, je viens, je fréquente qui je veux, je suis mon seul maître. Les week-ends, je suis alimenté comme un pacha et, en semaine, je chasse pour me nourrir, ce qui entretient la sveltesse de ma silhouette et la souplesse de mes articulations. Si j’ai envie de faire une sieste au soleil, couché de tout mon long dans le potager de Dan, je le fais. Si je préfère grimper au sommet d’un arbre pour explorer les alentours, personne ne songe à m’en empêcher. Si d’aventure on me cherche des puces, je ne suis pas obligé de le supporter, je m’en vais… Ah, satanées bestioles ! Elles me chatouillent, me gratouillent… Le mois dernier, j’avais perdu tout le beau poil de mon encolure, presque jusqu’au milieu du dos ! Heureusement, il repousse, tout doux et soyeux, mais encore un peu court à mon idée. Quand elle me caresse, Scouby dit que je suis en velours, ce qui me console un peu. Il faut avouer que j’ai vraiment une allure bizarre en ce moment : le haut tout maigre et déplumé, le bas hirsute… je ressemble à un vautour de bande dessinée. Durant leurs vacances, Dan et Scouby se sont donné beaucoup de mal pour me faire grossir, sans beaucoup de succès. Pourtant, je mange avec un appétit d’ogre. Faut croire que je dépense toutes les calories que j’avale. Ils se sont aussi attaqués à mes horribles petites bêtes et j’ai constaté une réelle amélioration de mon état. Je n’ai pas retrouvé mon look de jeune premier, je ressemble toujours plus à Columbo qu’à Depardieu, mais patience ! Ma beauté reviendra, du moins je l’espère ! Je n’ai pas encore digéré l’épisode « Néfertiti ». Quand je vais retrouver ma fiancée dans son abris de feuillage, je me sens étreint par un doute : laquelle vais-je rencontrer ? Dans l’ombre environnante, je ne vois pas très bien la petite étoile blanche qui, paraît-il, distingue la mienne de l’autre ! Et si cette dernière vient de boire un bol de lait, la ressemblance est tellement frappante qu’il me faut la pleine lumière du jour pour déterminer à qui j’ai affaire ! Ma Néfertiti à moi me semble plus mince, haute sur pattes. L’autre est un peu plus trapue et son pelage noir prend des reflets roux au soleil. Mais elles ont exactement le même petit visage craintif, la même expression timide ! Dire que j’ai mis tant de temps avant de comprendre ! Et encore, si Néfertiti n° 2 n’avait pas attrapé les mêmes petites bestioles que moi, je n’aurais peut-être jamais rien su ! - Je ne peux pas continuer à vous appeler toutes les deux Néfertiti ! dis-je à la mienne sur un ton agacé. - C’est bien simple, rétorque-t-elle, appelle-nous Néfer et Titi ! - Mais dans le noir, comment puis-je savoir qui est Néfer et qui est Titi ? Pas de réponse. Je la soupçonne de ne pas très bien savoir elle-même laquelle des deux elle est ! Lors de sa dernière visite chez nous, Mme Maman m’a trouvé vieilli. Il est vrai que mon visage patibulaire a pris une expression soucieuse. Avec mon allure dégingandée et mes pattes qui ont foulé d’innombrables chemins, je ne ressemble certainement plus au jeune chat à qui sa mère conseillait : « Tact et diplomatie ! ». Doucement, j’avance en âge et mon existence aventureuse n’est pas de tout repos ! Mes nombreuses cicatrices témoignent de multiples bagarres avec des intrus briguant mon territoire… et s’il n’y avait encore que des intrus ! Z’imaginez pas ce que je souffre avec UNE intruse ! Bien sûr, vous avez deviné de qui je veux parler : Petite-Goulaffe, alias Attila, le fléau de Dieu ! Non contente de faire fi de mon autorité et de me rire au nez chaque fois qu’elle en a l’occasion, elle s’est carrément installée chez moi ! Elle entre, elle sort, elle va flairer ma gamelle dans la cuisine… L’autre jour, je l’ai surprise à arpenter le salon à petits pas. - Que fais-tu ici, Petite-Goulaffe ? dis-je d’un ton sévère. Avec les enfants, il faut être ferme ! Surtout ne jamais se laisser déborder, sinon ils ne feront qu’une bouchée de vous ! - Je visite les lieux, répond-elle d’une petite voix sereine. Quand M. Dan et Mme Scouby viendront habiter ici, qu’est-ce que nous allons être heureux tous les deux, M’sieur Orca ! - Tous les deux ? - Ben oui, vous-z-et moi, M’sieur Orca ! Enfer et damnation ! Envisagerait-elle… ? Je n’ose penser la suite ! - Mais, Petite-Goulaffe, tu n’es pas chez toi, ici ! - Ca sera chez moi ! Si ! Elle envisage… ! Je crois que je vais me sentir mal ! - Petite-Goulaffe, je ne suis pas d’accord ! Et M’sieur Dan et M’dame Scouby non plus ! Et la noble chatte Ardoise non plus ! Elle fait onduler sa superbe queue touffue d’un petit air moqueur et ne daigne pas prendre acte de ma désapprobation. - Ce sera bien, dit-elle d’un ton pénétré. Dans quelques années, quand je serai devenue célèbre, on mettra une plaque sur la porte : « Ici vécut la grande Petite-Goulaffe qui rêve-volutionna le village. » Ca ne vous plairait pas, M’sieur Orca, de vivre avec quelqu’un de célèbre ? Et quoi encore ? Je suis déjà servi avec la chatte Ardoise ! Je n’ai pas la force de répondre. Comme je suis d’avis que la meilleure des défenses, c’est l’attaque, je mets ce principe en application : je bondis vers Petite-Goulaffe qui s’enfuit à toutes pattes. Je la raccompagne ainsi jusqu’à la porte du jardin et la regarde s’éloigner à petits bonds. J’espère lui avoir fait peur, mais je ne me fais pas d’illusions : elle reviendra ! - Pauvre Orca, dit Scouby, elle te fait tourner en bourrique, celle-là ! Tu en as perdu ta légendaire patience avec les chattes ! Je renchéris : « Cette Petite-Goulaffe viendrait à bout d’un saint ! Ca une chatte ? Me faites pas rigoler, c’est un véritable démon ! » Au crépuscule, je suis tranquillement couché sur le rebord du muret séparant la terrasse de notre jardin. Je goûte un peu de fraîcheur après la canicule du jour. - Bonsoir ! me susurre Petite-Goulaffe. C’en est trop ! Mes nerfs cèdent. De curieux petits cris s’échappent de mon gosier. - Grouuuuuïk ! Grooooouuuuuuiiiiik ! - Que se passe-t-il, mon Orca, s’inquiète Scouby, toujours en retard d’une guerre. Sans répondre, je me dresse comme un ressort et me rue sur la petite insolente qui détale une fois de plus. Comme je suis un chat civilisé malgré la colère qui me secoue, je veille à ne pas la rattraper et me contente de la pourchasser jusqu’aux limites de mon domaine. Puis je retourne sur mon muret. Pas pour longtemps ! A peine me suis-je confortablement installé qu’une longue queue grise et touffue vient ondoyer à quelques pas de moi. C’est qui, devinez ! - Groooouuuiiik ! Et c’est reparti pour un tour ! Il va falloir que je trouve une solution. Que faire ? Sermonner Gourmande et la prier de surveiller étroitement sa progéniture ? Inutile ! Ca fait longtemps que j’ai évalué à leur juste valeur ses talents d’éducatrice ! Rallier la chère Ardoise à ma cause ? Comme je la connais, elle ne supportera jamais la présence d’une Petite-Goulaffe chez elle ! C’est une idée à creuser. Je pourrais lui envoyer une lettre anonyme parsemée de subtiles fautes d’orthographe : « Jollye Ardoys, Sessi pour vous dir qu’une créatur sanguinèr et sans scrupul veut vous voler votre méson. Orka essè de l’ampaicher mais rien à fère ! Ouvrez l’œil et le bon ! Dite à Scoubi qu’il en è pas kestion ! S.O.S. c’è urgen, Orka en devien singlé ! Prené pitié du chat des chants ! Le monstre sappell Petite-Goulaff et est daiguisé en chaton ! Signé : un ami qui vous veut du bien. » Pas mal, qu’en pensez-vous ? De quoi mettre le feu aux poudres, sans me mouiller ! Personne ne devinera jamais que c’est moi l’expéditeur et la belle Ardoise fera tout le boulot ! J’en étais là, à envisager des mesures extrêmes, quand le ciel m’a exaucé : Petite-Goulaffe est devenue persona non grata dans mon domicile. J’en pavoise ! Cela s’est passé d’une manière bien indigne de l’intelligence de l’infernal chaton. Dans la salle à manger, Scouby a placé sous la table un tapis rouge qui ornait jadis le salon de Mme Maman. Pour une raison obscure, Petite-Goulaffe, reniflant ce tapis, l’a trouvé à sa convenance. - Tiens, c’est bizarre, il y a comme une trace humide sur mon tapis ! dit Scouby en se penchant. Je cours vérifier : les énigmes me passionnent ! - C’est Petite-Goulaffe qui a fait pipi ! dis-je frénétiquement. Horreur ! Scouby n’a pas l’air de comprendre mes paroles… et Petite-Goulaffe, débouchant du jardin comme si de rien n’était, vient se faire caresser en me décochant un coup d’œil triomphant. - Jolie Petite-Goulaffe ! dit Scouby. Je voudrais bien savoir pourquoi tout le monde tombe dans le panneau et considère la rusée comme un mignon petit animal sans défense ! Ca m’énerve, vous ne pouvez pas comprendre à quel point ! Deux jours plus tard… Petite-Goulaffe s’oublie sérieusement sur le tapis ! Elle aurait pu prendre ses pattes à son cou et sortir vite fait, puisque personne ne l’avait vue ! Scouby était dans le fenil et Dan au salon, en train de regarder le tour de France cycliste. Le désastre n’aurait été constaté que plus tard et… aurait-on même soupçonné Petite-Goulaffe ? J’aurais fait un suspect plus probable… C’est alors que la friponne a fait une grosse bêtise. N’écoutant que son instinct qui la poussait à dissimuler un objet si répugnant, elle s’est mise à gratter bruyamment le tapis… avertissant Dan qui est sorti du salon pour se rendre compte de ce qui se passait. Je dois avouer que ce qui suit fut une musique bien douce à mes oreilles : - Petite-Goulaffe ! Cochon ! Dehors ! Les chats qui ne savent pas se servir d’un bac de sable n’entrent plus dans la maison ! Le tapis a été nettoyé et l’assiette de Petite-Goulaffe déménagée sur la terrasse. Grandeur et décadence… - Pauvre Petite-Goulaffe ! dit Scouby en lui servant un petit morceau de viande pour la consoler. Je triomphe silencieusement : je sais me servir d’un bac de sable, moi ! Mais vous savez quoi ? J’ai l’impression que mes ennuis ne sont pas terminés : le petit démon reviendra !
  14. Chapitre 27 : UNE CHATTE NORMALE Et maintenant, c’est presque le départ en vacances… mais pas en ce qui me concerne : Olivier et Nathalie vont me garder et me dispenser toute la nourriture, la boisson et l’affection dont j’aurai besoin durant les trois semaines où Scouby et Daniel iront travailler dans la vieille maison de campagne avec, toutefois et s’il fait beau, un intermède de trois ou quatre jours en France ! Pourquoi ne puis-je les accompagner ? Eh bien, en premier lieu, parce que je déteste voyager en voiture, comme chacun sait, et en second lieu… parce que l’Orca a attrapé des parasites dans sa fourrure et que Scouby a peur de la contamination pour moi ! Pauvre Orca, il en est tout traumatisé ! C’est vraiment la grande affaire de sa vie en ce moment ! Je dois avouer que je suis plutôt embêtée… Vous vous en souvenez peut-être, j’avais composé, il n’y a pas longtemps, des vers de mirliton souhaitant la gale à mon chevalier noir et blanc… Et si c’était la conséquence de mon vœu si peu charitable ? Serais-je une sorcière jeteuse de sorts sans m’en douter ? Je me contemple dans le miroir : a-t-on jamais vu une sorcière tigrée et toute ronde, avec des yeux naïfs et un petit museau rose ? Je serais bien la première de ce style mais… on ne sait jamais ! Une fois de plus, Daniel est parti pour quelques jours dans notre vieille maison et je me retrouve seule avec ma mère d’adoption. Le soir, ma compagne à deux pattes nettoie et fait du repassage en prévision de son départ. Moi, confortablement étalée sur le dossier de mon fauteuil, je la regarde, les yeux mi-clos, image vivante de la béatitude. Ca a du bon, la vie de chat ! Au fond, je suis à l’hôtel toute l’année, moi ! Quelque chose ne me convient pas ? J’appelle le personnel de cuisine : « Hep ! Scouby ! Veuillez remplacer cette infâme tambouille par du colin d’Alaska bien frais, je vous prie ! Je ne mangerai plus une miette d’ici-là ! Hep ! Veuillez remplacer ma litière ! Il y a comme une petite odeur qui m’incommode ! » - Tout de suite, Votre Altesse ! Je ne garantis pas la véracité absolue des dialogues, mais c’est quand même à peu près ça… Il paraît que mes mimiques sont tellement expressives que tout le monde comprend ce que je veux dire ! Et tout le monde se met en quatre pour me satisfaire car « Pauvre Ardoise ! Tu as été si malheureuse quand tu étais petite ! Tu mérites bien une bonne vie douillette, maintenant ! » Après avoir repassé son linge, Scouby pense aux loisirs. Elle s’installe bien à son aise et regarde une cassette-vidéo qu’elle n’a pas encore vue. Il faut vraiment profiter de l’absence de Daniel pour regarder un programme : quand il est là, il est constamment vissé devant le petit écran et il zappe ! Il adore ça, regarder plusieurs chaînes à la fois. Pendant ce temps, Scouby s’énerve. Moi, je m‘en fous. Si je suis satisfaite des services de mon maître d’hôtel, je grimpe sur ses genoux et fais mine de regarder, moi aussi, la cassette. Sinon, je me réfugie sur une chaise glissée sous la table et me rends invisible, dissimulée par la nappe qui recouvre mon museau. Ah, Scouby ne m’a pas acheté de bœuf haché ! Je ne lui ferai pas l’honneur de ma compagnie, na ! A neuf heures, ni plus tôt ni plus tard, je vais me coucher sur un vieux repose-pieds (MON lit) et je m’assoupis, satisfaite de ma journée. Je somnole, en entrouvrant de temps en temps les yeux pour surveiller ce qui se passe. Vers dix heures du soir, je me réveille pour casser la croûte, puis reviens me coucher. Une bonne petite vie de chat, vraiment ! Mon ex-grand amour, Olivier, a terminé ses études et cherche du travail. Nathalie, elle, en a déjà trouvé. De temps à autre, le tout récent diplômé ne peut dissimuler ses craintes : et s’il ne trouvait rien ? Il aurait l’air fin, vis-à-vis de sa dulcinée ! - Ne t’en fais pas, lui dis-je réconfortante, si tu ne trouves pas de boulot, tu resteras avec moi. Tu partageras ma petite existence confortable, tu me soigneras, on mangera du colin d’Alaska, puisque maintenant on ne peut plus rien manger d’autre, avec ces histoires de vaches cinglées et de poulets dioxinés. On restera ensemble toute la journée pendant que Nathalie travaillera… Déjà je fais des rêves roses, mais la vie idyllique que je lui décris ne semble pas sourire au principal intéressé. Lui qui, il y a deux ans à peine, prétendait tellement m’aimer ! Je râle. Scouby s’en mêle : « Je t’ai déjà dit, Ardoise, qu’Olivier ne veut pas mener une vie de chat ! » - Mais pourquoi ? Pourkwââââââ ? Vraiment, je ne comprends pas ! Les humains sont tout à fait étranges, vous ne trouvez pas ? Toujours à courir après ce qu’ils n’ont pas ! Ils devraient faire comme moi, je suis contente de ma situation actuelle et n’en veux pas changer… Bon, il m’arrive de bouder, c’est vrai, mais ça ne dure jamais bien longtemps… - En quoi tu as tort, murmure une voix désapprobatrice près de mon oreille. - Tiens, vous voilà, Vot’Seigneurie ? - Un chat digne de ce nom (moi, par exemple) sait bouder longtemps, très longtemps ! - C’est fatigant, ça, Vot’Seigneurie ! - Tu n’as pas assez de suite dans les idées ! Comment veux-tu qu’on te respecte, si… - J’veux pas qu’on me respecte ! J’veux qu’on m’aime ! Qu’on me fasse des petites caresses, qu’on me grattouille le menton ! - Oh, dans cette famille, ce n’est sûrement pas ça qui te manque ! Je me souviens, moi, je me prêtais en général de bon gré à leurs manifestations d’affection (il faut avouer que c’est assez agréable) mais quand j’en avais assez des caresses, je levais une patte en guise d’avertissement : « Fini, maintenant, sinon je mords ! » et ils me laissaient tranquille. Il faut leur montrer que tu as de la PERSONNALITE ! - Voui, Vot’Seigneurie ! - Que tu n’es pas un animal en peluche ! - Non, Vot’Seigneurie ! Mais soyez tranquille, avec tout ce que je bouffe, je leur coûte cher et ils voient bien que je ne suis pas une peluche ! - Bon ! Continue à suivre mes conseils et dans très, très longtemps, tu ressembleras peut-être à une chatte normale. Tu n’auras jamais mon quotient intellectuel, mais personne ne te demande d’être une surdouée, ne t’en fais pas ! » Sur ces paroles de réconfort, elle s’évanouit dans l’air, tandis que je rumine : c’est quoi, une chatte normale ?
  15. Chapitre 26 : HISTOIRE DE PELADES Ils se sont absentés quelques jours. Au retour… Cri d’horreur : - Orca! Que t’est-il arrivé ? Tu es tout pelé ! - Affreux ! Littéralement hideux, s’exclame Dan, péniblement impressionné par mon aspect. Et il ajoute pour faire bonne mesure, tandis que je courbe la tête sous le poids de la honte : « Répugnant ! » C’est pas gentil ça ! Je trouve quand même qu’il exagère un peu ! Bon, c’est vrai, ma belle fourrure s’en est allée. N’en subsiste qu’un poil ras qui repousse peu à peu. On dirait que j’ai fait mon service dans l’armée américaine. Scouby et Dan, remis de leur stupeur, m’examinent : « Oh, pauvre Orca ! Il y a plein de petites bêtes sur ton poil ! Où es-tu allé te promener ? » - Je n’en sais rien, dis-je lamentablement, j’ai attrapé ça tout à coup ! - Et ta figure toute sale ! Et ton museau ! C’est du sang séché ? - Mais non, c’est de la sauce tomate ! Il faut bien que je me nourrisse quand vous n’êtes pas là ! La voisine a fait du spaghetti à la Bolognaise et elle m’en a donné une assiette… - Tu es quand même maigre, mon pauvre minet ! Nous allons bientôt venir en vacances, Orca, on te remplumera ! Ouf ! Ils m’aiment encore, malgré mon aspect si peu engageant ! J’en ronronne de plaisir. Tant pis si, pour le moment, je suis le chat le plus affreux du village ! Passons à autre chose, ça vaudra mieux. La timidité de ma pauvre Néfertiti me sidérera toujours ! Comment peut-on être timorée comme ça, alors qu’on connaît depuis des années tout son entourage, hommes et bêtes ? Néfertiti se conduit en tous points comme si elle vivait dans une jungle peuplée de monstres féroces n’ayant en tête qu’une idée fixe : la dévorer toute crue ! Ainsi, l’autre jour… Vous savez comme je suis prévenant avec ma fiancée toute noire, hein ? Je l’accompagne dans ses promenades, quand elle mange je fais le guet… Vraiment un chevalier servant irréprochable, je suis ! Scouby a déposé une assiette de nourriture à son intention dans le passage entre notre maison et celle du voisin. Les autres chattes viennent manger sur la terrasse, en notre compagnie, mais pas Néfertiti ! Ou alors elle attend que la terrasse soit déserte… Mais à ce moment-là, Mme Gourmande et Mlle Petite-Goulaffe sont déjà passées et la gamelle est vide. C’est pourquoi on lui a mis un petit couvert à part. Bon, l’autre jour, donc, elle arrive, se faufile jusqu’à l’assiette avec d’infinies précautions et commence à manger. Moi, gentiment, sans penser à mal, je penche la tête en avant pour la contempler. A peine le temps de dire ouf, la voilà qui détale à toutes pattes ! - Qu’arrive-t-il à Néfertiti ? demande Scouby toute étonnée. - Elle a eu peur, dis-je. Peur de moi ! Ca alors ! Il faut dire qu’à ce moment-là, je n’étais pas encore pelé. J’étais tout ce qu’il y a de normal. Je m’en vais retrouver l’éplorée dans sa tanière, au milieu d’un bosquet très feuillu et enchevêtré, situé devant notre maison, de l’autre côté de la rue. Entre parenthèses, c’est comme ça que Néfertiti est toujours avertie la première de l’arrivée de ma famille le vendredi soir : dans son fourré, elle est aux premières loges pour voir arriver la voiture ! - Qu’est-ce qui t’a pris, Néfer ? - C’est horrible ! hoquette-t-elle… J’ai vu… Une effrayante bête noire de l’autre côté du mur, qui me regardait fixement ! - Ta bête noire, c’était moi, Néfer ! - C’est pas vrai, t’es pas tout noir ! - Justement, ton imagination te fait voir des trucs qui n’existent pas, Néfer ! Faut faire un effort, ou alors aller voir un psy-chat ! - J’ai peur des bêtes noires, murmure-t-elle. Pourvu qu’elle ne se retrouve jamais devant un miroir ! Elle a décidé de faire un effort, un gros effort ! Un soir, tandis que Dan et Scouby admiraient les étoiles sur la terrasse, la porte du jardin étant ouverte, Néfer a plongé : subrepticement, elle s’est introduite dans le fenil pour l’explorer. Comme son cœur devait battre ! Hélas ! Voilà qu’au même moment, Scouby, prise d’un besoin naturel subit (le petit coin se trouve dans le fenil), s’est rendue au même endroit en… refermant la porte derrière elle. Pauvre Néfertiti ! Elle s’est mise à pousser des gémissements lugubres. Très étonnée, Scouby, qui regagnait le jardin, a scruté l’obscurité. Elle n’a rien vu, Néfertiti se confondant avec l’ombre environnante. Au dernier moment, elle a cependant discerné deux yeux apeurés qui brillaient comme de petites lampes. Elle a évidemment laissé la porte ouverte en regagnant la terrasse. Aussitôt, elle a vu filer près d’elle une petite fusée noire et terrorisée qui s’est précipitée au-dehors et a disparu dans la nuit. Une nouvelle fois, je suis allé raisonner l’infortunée, blottie dans son nid de feuilles et de branchages. - Tu as voulu en faire trop d’un seul coup, Néfer ! Un pas à la fois, tu finiras bien par y arriver ! J’ai été récemment confronté à un mystère. - Orca, me dit Scouby, la pauvre Néfertiti a attrapé les mêmes petites bestioles que toi : je l’ai vue tout à l’heure, son encolure est toute pelée ! - Pas possible ! dis-je. Je ne m’en suis pas aperçu ! Dans la soirée, alors que Scouby lisait tranquillement sur la terrasse, mon copain le chat gris (vous savez, la créature soyeuse et ondulante avec un long, long dos ? Eh bien oui, il est devenu mon copain ! Vous voyez que je ne suis pas si terrible avec les jeunes chats!) mon copain le chat gris, donc, est venu me dire bonjour. Néfertiti le suivait, mais comme le crépuscule était tombé, je n’ai pas pu distinguer sa pelade. Tous trois, nous nous sommes tranquillement assis en rond, sur des pierres plates, pour deviser. Mon attention a été attirée, à ce moment, par Petite-Goulaffe qui essayait de s’intégrer à notre cercle. - Non, Petite-Goulaffe ! Laisse les adultes tranquilles ! Va jouer ! - Mais je peux bien parler avec vous ! J’suis aussi maligne que vous trois ensemble, non? Je la regarde de travers. Je crains fort qu’elle n’ait raison, la petite délurée ! - Cela ne change rien à l’affaire, dis-je sans me fâcher. Tu es un NENFANT et tu ne te mêles pas de nos affaires ! - C’est pas juste ! - C’est ta faute : tu refuses de grandir ! Mouchée, la petite s’en va, un peu confuse. Je parie qu’elle va sérieusement réviser sa position et qu’elle aura gagné quelques centimètres bientôt ! Le lendemain, en plein jour, je revois Néfertiti. - Vous vous êtes trompée, dis-je à Scouby, Néfer n’est pas pelée du tout ! Elle est sidérée. - J’avais pourtant bien cru voir… Une heure plus tard, Néfertiti mange, entre les deux maisons. Je m’approche, incrédule : elle a l’encolure toute mitée ! C’est Dan qui a trouvé la réponse à cette énigme. - C’est bien simple, se rengorge-t-il. Il y a deux Néfertiti, voilà ! Deux Néfertiti ! Laquelle est la mienne ? L’amour de ma vie ? - A mon avis, celle qui a un tout petit triangle blanc sur la gorge, me renseigne aimablement Dan. Eh bien ça alors ! Deux Néfertiti, toutes deux aussi timides l’une que l’autre, toutes deux habitant dans la même tanière et ne se montrant qu’à tour de rôle, jamais ensemble ! - Tu aurais pu m’avertir ! dis-je à « ma » Néfertiti, celle qui heureusement, n’est pas pelée. - Oh, Orca, c’est tellement amusant d’intriguer ainsi les gens ! minaude-t-elle. Incroyable, vous ne trouvez pas ?
  16. Chapitre 25 : LE BANANIER L’autre jour, Scouby et moi étions un peu en froid… Nous avons eu des « mots » à cause d’un stupide bananier ! Vous allez comprendre ! Il s’agit d’un vrai bananier, en pot, que nous a offert un membre de la famille, il y a déjà longtemps. Scouby l’a installé dans le salon. On se croirait dans un pays exotique, avec cette espèce de palmier dont les feuilles se balancent doucement ! Moi, ça m’intéresse, vous pensez ! J’ai commencé par effleurer les feuilles du bout de la patte. Après, j’y ai planté mes griffes quand j’avais envie de me défouler sur quelqu’un. Je vous conseille de faire de même : votre patron vous tape sur les nerfs ? Prenez à votre tour une tête de Turc, ça fait un bien fou ! Chaque fois que Scouby m’avait grondée pour une raison ou pour une autre, crrrrr ! Un coup de griffe dans une feuille du bananier : tiens, attrape ça !!! Malgré ces petites avanies, le bananier a prospéré. Un jour, miracle ! Il a eu un bébé bananier qui poussait à sa base ! Puis, quelque temps après, un deuxième petit ! Intriguée, je suis allée regarder ça de plus près. Quelle jolie petite pousse vert tendre, à la fois moelleuse et croquante ! Ce qui devait arriver arriva : je n’ai pu résister à la tentation, j’ai mangé le bébé-bananier. - Sale bête ! Mon pauvre bananier ! C’est rarissime qu’on me traite de « sale bête » (ce qui me vexe beaucoup, parce que je ne suis ni sale, ni bête), mais là, c’était vraiment ma fête ! Scouby a voulu déplacer le bananier de manière à me le rendre inaccessible, mais ce que chatte veut… Je me débrouillais toujours pour contourner les obstacles posés sur mon chemin. Au bout d’un certain temps, la maman-bananier s’est mise à dépérir. Par ma faute peut-être. Puis, elle est morte, il a fallu l’enlever. Ne restait plus dans le pot que l’aîné des deux bébés bananiers. Juchée sur mon fauteuil, je le contemplais rêveusement, les yeux mi-clos, en chantonnant distraitement, sur un air des sixties : « J’m’en vais te bouffer bananier, yé yé ! Crois-en Ardoise la tigrée, yé yé ! » Le bananier ne disait rien. D’une patte gourmande, j’ai soulevé une feuille et en ai approché mon museau. - Ardoise ! Sale bête ! Ca y est : on me sonne les cloches ! C’est Pâques ou quoi ? Prise d’une inspiration subite, Scouby saisit le pot et installe le bananier sur la terrasse. Puis elle referme la porte vitrée. Le bananier frissonne un peu, mais du moins est-il à l‘abri de mes entreprises. Je le vois agiter ironiquement dans ma direction ses petites feuilles tendres et juteuses. Je fredonne : « Bon sang ne me saurait manquer, yé yé ! Je te boufferai bananier, yé yé ! » Il murmure : « Essaie donc de m’attraper, hé hé ! » Je rétorque : « Attendons la fin de l’été, hé hé ! » Avec les premières gelées nocturnes, le bananier réintégrera, contraint et forcé, notre salon. Et alors, on verra ce qu’on verra ! Parlons d’autre chose… mais n’oublions pas ! Pour le moment, Olivier (vous savez, hein, l’ex-grand-amour-de-ma-vie) est en période d’examens à la fac. C’est sa dernière année d’études… si tout va bien ! Je prends grand soin de ne pas le déranger. Parfois, je le vois passer dans la cuisine, l’œil halluciné. On dirait un fantôme. Il révise sa matière. C’est tout juste si j’ose me placer devant le frigo quand il se sert à manger. Je pousse un tout petit « Mia-ou ! » presque inaudible, pour ne pas troubler le travail qui s’effectue dans son cerveau. Pour un peu, j’en entendrais les rouages grincer. - Mia-ou ? Si tu me vois… Tu veux bien me donner un peu de steak haché ? Il réagit vaguement : « Tiens, un chat… » Parfois, il manque de m’enfermer dans le frigo. - Hé, ça va pas ? - Oh, pardon, Ardoise… Je n’ai pas reçu mon steak haché. Il m’a oubliée ! Il retourne dans sa chambre où la lumière brille jusque tard dans la nuit et se rallume avant l’aube. Scouby émerge à peine de ses plumes que son rejeton est déjà sur pieds, vêtu d’un costume-cravate, le visage blême comme s’il avait rendez-vous avec la guillotine : il a un examen oral ce matin. Les jours où l’examen n’est qu’en « écrit », l’étudiant est légèrement plus détendu : vieux T-shirt usagé, visage non rasé, il se perd dans la masse de ses semblables. Heureusement, il n’est pas solitaire dans cette épreuve : Nathalie (vous savez, ma rivale à deux pattes), qui suit les mêmes études que lui, traverse aussi les mêmes affres ! C’est mieux de souffrir à deux. Je ne savourerai jamais assez la chance qui m’est échue d’être une chatte ! Pas d’examens, pas d’études… Le farniente du matin au soir ! Plus je connais les humains et leur façon de vivre, plus j’apprécie mon statut d’animal aimé, chouchouté, cajolé… Ah elles sont loin mes premières années de galère !!! J’ai même écrit un petit poème en mon propre honneur : Ils m'ont donné pour nom "Ardoise", Séduits par mon pelage gris... Et je me dis, un peu narquoise, Que si mes plats sont bien servis, Ils peuvent m'appeler Framboise, Ou même, pourquoi pas ? ... Souris ! De mon regard feuille-de-saule, Je les observe sans ciller. Tour à tour tragique et drôle, Experte dans l'art d'étonner, Je puis, connaissant bien mes rôles, A tout instant me transformer En Cendrillon version féline, Robe poussière et oeil inquiet... En roucoulante Colombine Miroitant de mille reflets... En pythonisse sibylline, Les yeux mi-clos sur mes secrets. Adossée d'humaine manière, - Voit-on un chat s'asseoir ainsi ? - Je songe, ronronnante et fière, Au chemin suivi jusqu'ici. Vrai ! Pour être née "de gouttière", Je n'ai pas si mal réussi ! Suis-je vraiment simple et naïve, Ou de subtile réflexion ? Ma candeur est-elle native Ou façonnée par la raison ? A volonté placide ou vive, Je me ris de leurs déductions... Et à leurs muettes questions, Jamais, jamais je ne réponds !
  17. Chapitre 24 : JE ME FACHE !... Pour le moment, j’ai du travail, mais du travail ! Je ne sais plus où donner de la tête. D’ailleurs, paraît que j’ai l’air fatigué. Le week-end passé, Scouby m’a regardé dans le vert de l’œil avec inquiétude. - Qu’est-ce qui t’arrive, Orca ? Tu ne manges presque pas… Tu es toujours aussi maigre ! - Je cours tout le temps ! Comment pourrais-je prendre du poids, avec la vie que je mène ? - Tu as pourtant une maison, maintenant… Malgré cela, tu ressembles de plus en plus à un clochard ! Comment cela se fait-il ? Tu me fais penser à quelqu’un… - Depardieu, je suppose. Les filles du quartier disent… Elle secoue la tête, navrée. - Non, pas Depardieu, mon pauvre minou ! Columbo !!! La paupière tombante, le pelage avachi, je la regarde sans comprendre. C’est qui, d’abord, ce Columbo ? En bon propriétaire terrien, je suis obligé de surveiller mon territoire toute la journée, pour éviter les intrusions inopportunes d’autres matous désireux de prendre ma place. Le statut de « Maître-Chat » fait des envieux… Je suis même obligé de garder un œil sur Scouby pour éviter qu’elle ne fasse des bêtises, vous imaginez ! Ainsi, dernièrement, une créature ondulante et soyeuse est apparue sur la terrasse où se trouve le très sélect (et très privé) restaurant que fréquentent mes amies les chattes. - Oh, s’est écriée Scouby, la jolie chatte grise ! Elle ressemble un peu à Ardoise ! Viens manger, minette ! La créature ondulante-et-soyeuse ne se l’est pas fait répéter et a fait honneur au repas si gracieusement offert. Sur ces entrefaites est apparue mon amie Gourmande, grande habituée du restaurant. Poliment, la créature grise s’est effacée pour laisser manger Gourmande. Là, Scouby aurait pu se douter de quelque chose, vous ne trouvez pas ? Cette galanterie… Moi, je commençais à sentir mon poil se hérisser. La créature ondulante-et-soyeuse a commencé une sorte de danse de charme pour le bénéfice de Gourmande. Peine perdue ! Quand Gourmande prend son repas, le monde pourrait crouler autour de son assiette, elle ne s’en apercevrait même pas ! - Regardez comme je suis agile ! a dit la créature. Avec vélocité, elle a grimpé au sommet du grand sapin et en est redescendue gracieusement en se promenant sur chaque branche et en se balançant. Applaudissez l’artiste ! - Miam, miam ! faisait Gourmande pendant ce temps. Dan a commencé à avoir la puce à l’oreille. Mes puces à moi dansaient le cha-cha-cha sur mon crâne. J’entrais en ébullition. - J’ai l’impression que ta jolie chatte grise… c’est un jeune CHAT ! a-t-il dit. La créature ondulante-et-soyeuse dûment examinée, il a bien fallu se rendre à l’évidence. Un CHAT, même adolescent, dans MON jardin ? Inacceptable ! Un grondement est venu tout seul au fond de ma gorge. - Oh, il est si beau ! a dit Scouby, sans se rendre compte de ma rage croissante. Subrepticement, elle l’a caressé, à un moment où je détournais la tête. Si j’avais surpris ce geste, vous pensez bien que les choses ne se seraient pas passées comme ça ! On aurait mangé du civet de créature ondulante ce soir ! Le jeune chat s’est esquivé sans insister… il a bien fait. Il paraît pourtant que, lorsque je suis absent, il passe de temps en temps dire un petit bonjour, mais ne s’attarde pas. Je crois qu’il se méfie du maître des lieux (moi) ! En quoi il n’a pas tort ! J’ai encore d’autres soucis ! Vous savez quelle affection j’éprouve pour mes chattes. Je dois reconnaître qu’elles me le rendent bien et jusqu’à présent, jamais je n’avais eu à me plaindre d’elles. Néfertiti, toujours douce et timide, occupe la première place dans mon cœur. Quand on voit Néfertiti, je ne suis jamais très loin : sans moi, elle n’oserait jamais sortir de la tanière qu’elle s’est aménagée dans le fourré de l’autre côté de la rue, à l’abri des regards indiscrets. C’est bien agréable d’être ainsi indispensable à quelqu’un, aussi j’en rajoute : en sa compagnie, je plastronne et elle bée d’admiration. Chère Néfertiti ! Gourmande non plus ne me pose pas de problème majeur, encore que… vous verrez tout à l’heure. C’est une bonne copine, agréable, toute mignonne avec sa robe tricolore et sa petite bouche en forme de cœur. Son principal défaut, c’est la gourmandise, justement. Quand elle voit une assiette pleine, il faut qu’elle la vide impérativement, même si elle n’a pas faim. C’est pathologique. Elle engouffrerait dix fois son poids. Pourtant, je ne l’ai jamais vue malade et elle garde la ligne. Comment fait-elle ? La chère Ardoise, bien sûr, est un cas à part… Pas méchante, mais un peu snobinarde. Peut-être a-t-elle un complexe d’infériorité qu’elle s’efforce de compenser ? Elle passe son temps à me surveiller comme si j’allais lui escamoter sa maison. Pourtant, il y a largement place pour deux ! Elle n’a pas l’air de le comprendre… Bah, malgré ses humeurs changeantes, elle est brave fille au fond ! C’est Petite-Goulaffe qui m’a donné du fil à retordre, récemment. Au début, je ne me suis pas méfié. Vous imaginez, un chaton ! Une créature minuscule qui marchait benoîtement à côté de sa mère Gourmande et qui affectait un petit air effacé… du moins jusqu’au week-end dernier. C’est samedi passé qu’elle a pris une initiative qui m’a déplu ! D’abord, elle arrive, toute frétillante : « Bonjour, M’sieur Orca ! » Moi, débonnaire et paternel : « Bonjour, Petite-Goulaffe ! » Après coup, je me dis que j’aurais dû remarquer depuis longtemps ces yeux brillants et moqueurs, cette petite physionomie intelligente… Mais comment aurais-je pu me douter que cette brindille était une forte tête ? - Oh, constate-elle, ma M’man est déjà passée ! Il n’y a plus rien dans l’assiette ! - Je vais m’en occuper, dis-je. Tout pénétré de mon importance de maître de maison, je m’apprête à signaler à la cuisinière (Scouby) que ma petite protégée attend quelques miettes à se mettre sous la dent. - Oh, pas la peine de vous déranger, M’sieur Orca, je sais ce que j’ai à faire ! s’écrie l’effrontée. Je suis déjà un peu vexé. Petite-Goulaffe ne me couve pas d’un regard extasié, comme les autres, mais bon ! Ce n’est pas encore trop grave : elle est jeune, elle ne connaît rien. Mais voilà qu’elle envisage maintenant de se passer de ma protection, offerte de si bon cœur ! Moi qui me montre toujours si dévoué à l’égard de mes chattes ! Eh bien, qu’elle se débrouille, je ne fais rien. Je suis curieux de voir… Ah ! Ah ! C’est tout vu : elle trottine vers Scouby et se frotte contre ses jambes avec de petits miaulement ravageurs. - Petite-Goulaffe ! Tu as faim, ma pauvre chérie ? Et voilà : une bonne pâtée est présentée à l’insolente qui se régale. Je bous, j’écume, mais je me contiens. - Il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu plutôt qu’à ses saints ! fait Petite-Goulaffe, hilare, en me regardant. Un feulement s’échappe de ma gorge. - Orca ! Que se passe-t-il ? demande Scouby, toute surprise. Moi qui me fâche si rarement, j’explose ! Je me rue sur la Petite-Goulaffe qui détale sans demander son reste. Je la rattrape sous la haie. - Mon Dieu, il va la massacrer ! s’exclame Scouby. Me prend-on pour un sauvage ? Je me contente d’abattre la patte sur l’épaule de la minuscule enquiquineuse en vociférant : « Toi ! Ecoute-moi ! » Elle s’immobilise et lève les yeux au ciel. - Ici, c’est comme partout ailleurs, il y a une hiérarchie, dis-je pompeusement. Quand on s’appelle Petite-Goulaffe, on ne s’adresse pas directement à Mme Scouby, on soumet respectueusement ses desiderata à Monsieur Orca qui transmet. Pigé ? - Voui, M’sieur Orca ! Mais… - Y a pas de mais ! - Mais… vous trouvez pas ça complètement stupide ? - Même si c‘est stupide, c’est la règle ! dis-je d’une voix décidée, peu désireux de me lancer dans une discussion oiseuse et, surtout, de me mettre en péril de devoir défendre des arguments pas tellement solides, tous comptes faits… - Pourtant, ma M’man… - Ta maman aurait bien dû t’apprendre les bonnes manières ! dis-je avec réprobation. - Ma M’man, elle fait aussi tout ce qu’il lui plaît ! Elle est même déjà entrée dans votre maison pour manger dans votre assiette ! Quand Mme Scouby regardait pas ! Et elle m’a dit, ma M’man : « Faut profiter de l’absence du grand hé-chat-là !!! » C’est vous le grand hé-chat-là, M’sieur Orca ! Mes moustaches frémissent dangereusement, mes illusions sont mises à mal. La charmante Gourmande aurait-elle un double visage ? - Ta maman, je lui secouerai les puces, la prochaine fois que je la verrai ! - Elle en a pas, des puces, M’sieur Orca ! Elle et moi, on est très propres ! Je manque abandonner. Je me reprends. - Quoi qu’il en soit, Petite-Goulaffe, tu m’obéis, sinon c’est la raclée ! - Oh, vous pouvez pas, M’sieur Orca ! s’écrie la Minuscule, très sûre d’elle. - Et pourquoi cela ? dis-je, ébahi. - Parce que je suis un NENFANT, m’assène-t-elle triomphalement, et que les droits d’un NENFANT, c’est sacré ! J’en reste comme deux ronds de fan. Je n’ai encore jamais rencontré une Petite-Goulaffe comme ça ! Je m’efforce, sans trop d’espoir, d’avoir le dernier mot. - Eh bien, j’attendrai que tu sois grande ! - Je grandirai pas, M’sieur Orca, je préfère rester petite ! Vous pourrez attendre longtemps ! - Tu préfères rester… ?????? Tu n’as pas peur des animaux plus gros que toi ? - Oh, j’suis costaud, M’sieur Orca, je sais me défendre toute seule ! Je suis une chatte de la nouvelle génération : une self-made-cat ! Et elle arque d’un air fiérot sa minuscule colonne vertébrale, fait onduler sa superbe queue d’écureuil. J’en reste bouche bée. Si elle est aussi indépendante et volontaire dans son jeune âge, que sera-ce quand elle sera adulte ! Une révolutionnaire dans notre petit village ! Nous regagnons la terrasse, côte à côte. Scouby soupire de soulagement. - Ah, il ne lui a pas fait de mal ! Brave chat ! Il faut être gentil avec les chatons sans défense ! A mon tour, je lève les yeux au ciel : si elle savait ! Depuis lors, j’ai capitulé. Je ne dis plus rien quand la Petite-Goulaffe vient quémander directement sa nourriture à Scouby, sans passer par mon intermédiaire. Faut dire que je suis un peu dépassé par les événements ! La maigrichonne n’a pas menti : j’ai vu, de mes yeux vu, la charmante Gourmande entrer chez moi comme chez elle. Scouby l’a croisée dans l’escalier alors que la nouvelle visiteuse venait d’explorer le grenier. - Gourmande ! Que fais-tu là ? Ce n’est pas ta maison ici ! La friponne a le bon goût de feindre la confusion. D’un saut alerte, elle regagne la terrasse. - Il faut faire attention vous deux ! dit Scouby d’une voix sévère. « Si vous vous trouvez à l’intérieur de la maison quand nous la fermons un dimanche soir, vous resterez une semaine sans manger ni boire ! » Ce qui serait déjà un supplice pour un chat normal serait la fin du monde pour Gourmande, privée de ses dix repas quotidiens ! Et ce n’est pas moi qui lui montrerai comment fonctionne la chatière, ah non alors ! Je la laisserai mijoter, ça lui apprendra ! Foi de grand échalas ! Dimanche passé, quand Scouby est repartie à Bruxelles, les deux phénomènes, mère et fille, se reposaient sur ma terrasse, au soleil. Dans la maison du bout de la rue, les enfants commencent à se poser des questions : « Où sont notre chatte et son chaton, on ne les voit plus ? » - Elles ont fugué, dis-je, elles sont en ce moment en train de squatter mon jardin ! Venez les chercher ! Ils ne me comprennent pas Paraît que je parle avec un accent. Bon, autant faire contre mauvaise fortune bon cœur : je vais devoir encore supporter longtemps les petites mines de ces deux traîtresses… Avec mes chattes, je ne m’ennuie jamais !
  18. Chapitre 23 : BAIGNOIRE ET JALOUSIE La semaine passée, Scouby et moi étions à nouveau toutes seules dans l’appartement. Daniel est parti bricoler à la maison de campagne : il monte les murs de la future salle de bains. Je ne vois vraiment pas pourquoi ils tiennent tant à disposer d’une salle de bains ! S’ils étaient raisonnables, comme moi, il suffirait qu’ils passent des heures, chaque jour, à se lécher et ils seraient tous propres sans se ruiner ! Evidemment, pour Scouby, se laver ne suffit pas. Elle est un peu narcissique à mon avis. Sur la tablette de son lavabo, il y a toutes sortes de petits pots qui ne servent à rien… si ce n’est à me faire sourire avec commisération. Quand elle s’enduit le visage d’une matière gluante, je n’assiste pas à une métamorphose fracassante, contrairement à ce qu’on pourrait croire : le lendemain matin, malgré tous ses efforts, les petites rides sont toujours là. Elle a la même tête qu’hier et avant-hier, elle n’est toujours que Scouby et pas Claudia Schiffer ! Moi seule, je conserve un air d’éternelle jeunesse : un vrai chaton (la sveltesse en moins). Il paraît que cela vient de la candeur de mon regard… Et puis, pourquoi prendre des bains, au risque de se noyer ? Je sais de quoi je parle : j’ai failli glisser dans la baignoire, un jour que je batifolais sur le bord en toute innocence ! - C’est vrai ! approuve Caramel surgie mystérieusement, rien de plus dangereux que les baignoires ! Ainsi, moi-même… - Z’avez bu la tasse, Seigneurie ? Je suis pleine d’espoir. Un faux pas la rendrait plus accessible, moins intimidante… Elle me lance un éclair de son regard bleu et renifle. - Non, non, pas si bête ! (Merci, Vot’Seigneurie !) mais il fallait que je veille sur Daniel quand il prenait son bain. J’étais chargée de sa sécurité, tu comprends ? Comme je savais qu’il avait tendance à s’endormir béatement dans l’eau chaude, ce qui n’est pas bon pour la peau, je me plantais près de la baignoire, je miaulais de toutes mes forces, jusqu’à ce qu’il en sorte ! Ah, je l’ai sauvé de nombreuses fois… malgré lui ! Figure-toi que par la suite, il a imaginé de prendre son bain tout seul, en fermant la porte de la salle de bains et me laissant à l’extérieur ! Tu imagines ! Elle est frémit encore, la pauvre siamoise. J’ai toujours entendu dire qu’elle était très possessive à l’égard de Daniel. Une chatte abusive, tyrannique… mais allez comprendre les hommes ! Il l’adorait ! Cela le flattait d’être l’objet d’un amour à ce point exclusif… Heureusement, moi, je suis plus raisonnable ! Avec mon Olivier, je me conduis de manière subtile, mais oui, mais oui ! J’ai bien dû comprendre que l’épisode Roméo-Juliette, entre lui et moi, ce n’est plus vraiment ça. J’accepte ses câlineries et ses déclarations d’amitié d’un petit air réservé, ce qui l’inquiète, ah ah ! Il se dit : « Ardoise m’aimerait-elle moins ? » Et il redouble d’attentions. Ma rivale, Nathalie, me dédie elle aussi de charmants sourires. - Bonjour, Ardoise ! En réponse, je hoche la tête avec politesse et, ensuite, fais semblant de m’absorber dans mes pensées. Quand ils sont tous les deux assis sur le divan, je me juche sur les genoux de Scouby et contemple, les yeux mi-clos, le petit couple qui se murmure des tendresses. Parfois, je lève les yeux au ciel et pousse un profond soupir, moqueur et explicite. Vous vous direz peut-être, là : « Allez, c’est de l’exagération ! Un chat ne se conduit pas comme ça ! » Eh bien, vous vous tromperiez fameusement : mes mimiques sont claires comme de l’eau de roche ! - Ardoise, chuchote Scouby, arrête ton cinéma ! Qu’est-ce qu’elle va penser de toi, à la fin, Nathalie ? - Kwâ, keskelle va penser Nathalie ? Je peux quand même regarder en l’air et respirer fort, non ? - Elle va penser que tu es une vilaine chat-louze ! Une vilaine chat-louze ! Moi ! Outrée, j’ai proféré un gros mot, en cinq lettres : « Miaou ! »
  19. Chapitre 22 : IMAGINONS UN PEU… Confortablement étalée sur le dossier de mon fauteuil préféré, les yeux clos, je semble dormir… En fait, je médite profondément. J’imagine, je rêve, je souris dans mes moustaches… Je vois une grande scène de théâtre tout illuminée. C’est la répétition générale de mon œuvre grandiose et immortelle. Au centre de la scène se tient l’héroïne. Elle n’est pas seulement l’Actrice Principale, mais aussi l’Ecrivaine-Metteuse en scène. Rien que ça ! Elle est reconnaissable entre toutes : comme les héroïnes de Barbara Cartland, elle a une petite figure ravissante, en forme de cœur. Mais elle est la seule qui soit vêtue d’une robe grise, rayée et chatoyante. Son séduisant visage s’orne de superbes moustaches tombantes. Elle a aussi de grands yeux verts dont elle est très fière, avec raison d’ailleurs ! Elle dirige la scène et miaule sur un ton d’autorité qui en impose à tous les acteurs de seconde zone qui l’entourent, muets d’admiration. Fantasmons, fantasmons et ne faisons pas les choses à moitié ! Les acteurs de seconde zone, béats d’admiration pour notre noble héroïne (mais oui, mais oui !), ne sont autres que Daniel, habillé en Zeus courroucé avec des éclairs en carton doré qui lui entourent la tête (c’est très, très joli ! D’un chic ! D’une classe !), Scouby, déguisée en Héra (Héra, paraît que c’est la déesse épouse de Zeus. On l’appelle « Héra aux yeux de génisse ». Scouby n’était pas contente, mais je lui ai fait remarquer que si on dit ça d’une déesse, c’est que c’est très beau, des yeux de génisse ! Oui, hein ! C’est vide mais beau !), avec une robe blanche dont le bas traîne par terre, ce qui nettoie le plancher du théâtre (la Grande Metteuse en Scène, avec toutes ses qualités, a également le sens de l’économie : elle ne doit pas faire l’achat d’un aspirateur, dans ces conditions). Gourmande et Petite-Goulaffe (oui, tout le monde est réquisitionné !) se tiennent devant le micro pour faire le choeur (antique comme il se doit) et enfin, Orca, dans le rôle du Chevalier Noir et Blanc, à la dévotion de la belle héroïne. Pour enjoliver les choses, je lui ajoute un plumet sur la tête. (« Il faut vraiment que je me montre comme ça, chère Ardoise ? » La Grande Metteuse en Scène, chat-égorique : « Voui ! ») Voilà, la distribution est au complet ! Reste à savoir ce que l’on va jouer. La Grande Ecrivaine-Metteuse en Scène-Vedette annonce le titre de la pièce : « Les malheurs de la pauvre Ardoise ». Aussitôt, les acteurs commencent à protester : « Ardoise, tu exagères ! Tu mènes une vie de pacha chez nous ! » - Ce n’est pas de la vérité, c’est de l’Art ! déclame l’intéressée en levant vers le ciel ses magnifiques yeux verts. « C’est de l’art avec à peine un zeste de vérité, un soupçon ! Vous allez voir ! » Au premier tableau, on admire la jeune Ardoise (« Ben oui, je suis une éternelle adolescente ! » assène la Sarah Bernhardt à moustaches sur un ton péremptoire, en percevant les murmures étonnés de l’auditoire), on voit donc la jeune Ardoise (oui, on sait ! je vais finir par me vexer !) au désespoir devant ses gamelles aux trois-quarts vides. Elle se tord les pattes antérieures en un geste théâtral (c’est de circonstance) et pousse des miaulements déchirants (Mais non, je ne miaule pas, je chante !) : La jeune Ardoise Miââââââââou ! Miââââââââou ! Triste sort ! Ici-bas tout m’abandonne ! Ma pitance n’est pas bonne Et dans ma famille, personne N’en éprouve du remords ! Miâââââââââou ! Miââââââou ! Triste sort ! Zeus (étonné) Mais qu’est-ce donc que ce chat Qui hésite entre ses plats, Qui ne sait lequel choisir Et ne pense qu’à gémir ? La jeune Ardoise (bouleversante de vérité) Goûte, toi, et tu verras ! C’est tout sec et raplapla ! Miââââââââ ! Miâââââââ ! Zeus (inspectant les gamelles) Et ce colin d’Alaska ? La jeune Ardoise (pathétique) Aujourd’hui, ça m’inspire pas ! J’y peux rien, je suis comme ça ! Tu me laisses mourir de faim, C’est trop triste à la fin ! Le chœur (antique mais cacophonique) Hélas, hélas, pauvre Ardoise ! La voilà toute pantoise ! Hélas, hélas, pauvre Ardoise, Comme Zeus lui cherche noise ! Héra (apitoyée) Pauvre minette adorée, Quitte donc ces airs frustrés, Cesse de te lamenter, Que souhaites-tu manger ? Zeus (sévère) Ce chat n’en fait qu’à sa tête, Il finira son assiette ! Ainsi l’ai-je décidé Et ne le veux répéter ! Le chœur (s’égosillant) Hélas, hélas, pauvre Ardoise ! Etc etc… Orca (s’éclipsant) Moi je pars en catimini, Ils sont tous cinglés ici ! Cette chatte qui chante Me dispense le tournis ! Combien m’est plus reposante La douce Néfertiti ! La jeune Ardoise (vexée) Fréquenter un chat génial N’est quand même pas si mal ! Va, retourne dans ton terroir, Et attrapes-y la gale ! Quel beau chevalier blanc et noir, Vraiment ! Au revoir ! Après quoi, la Grande Ecrivaine-Metteuse en Scène, de très mauvaise humeur, houspille le chœur pas assez dynamique à son gré. Puis elle décrète « Relâche ! » et chacun de s’esquiver… Je rouvre les yeux. Je m’y voyais réellement ! Il est vrai que cette scène dramatique n’est pas le reflet de ma vie tranquille. Zeus-Daniel ne me tourmente pas, au contraire. Si j’ai souhaité la gale à l’Orca, c’était pour la rime… et pour la frime ! Je ne suis pas si agressive, en réalité, je suis même plutôt bonasse (comme dirait sa Seigneurie Caramel). Peut-être que je devrais m’affirmer davantage… Tandis que je médite, l’heure a tourné et la porte de l’appartement s’ouvre. - Bonsoir, mon gentil petit chat ! dit Scouby. Je lui dédie un sourire angélique, purement ardoisien. Emue, elle me caresse le haut du crâne. - Si mignonne et si discrète ! s’extasie-t-elle. Si elle connaissait les rêves qui me trottent par la tête ! Mais connaît-on jamais le chat avec qui on vit ?
  20. Chapitre 21 : Mme BOBONNE EN CONVALESCENCE Vendredi dernier, Scouby est arrivée par le train et a poussé un cri de joie en me voyant. Décidément, la nouvelle de ma disparition s’était répandue ! « Madame Bobonne » est aussi venue passer le week-end chez nous. Elle sort de l’hôpital et est encore très faible. C’est le fils de la maison, Olivier, qui l’a conduite jusqu’ici. A peine s’est-elle installée sur une chaise, dans la cuisine, que je bondis sur la table à ses côtés. - Tiens ! dit Olivier. Tu es revenu ? Décidément ! Il suffit que vous tourniez le dos un instant pour que ça devienne une nouvelle interplanétaire ! - Oh ! dit Madame Bobonne en m’examinant d’un œil attendri, la petite chatte est là ! Mon sourire de maître-chat faiblit un brin. Ah c’est vrai, c’est la dame qui s’obstine à me croire du sexe féminin ! Si mes copines entendaient ça, elles rigoleraient bien ! Je crois qu’il va me falloir composer, parce qu’elle ne veut pas en démordre, Mme Bobonne ! Enfin, en brave chat que je suis, je me pose sur ses genoux pour qu’elle guérisse plus vite. Je vais lui infuser une partie de ma formidable énergie et elle sera vite sur pieds, Mme Bobonne ! Personne n’a jamais pu résister au flux d’énergie, d’enthousiasme, de joie de vivre qui m’amine et que je distribue généreusement. On n’est pas maître-chat pour rien, c’est un art ! - Quelle gentille petite minouchette ! s’exclame-t-elle. Je soupire. Je boirai le calice jusqu’à la lie mais n’en montrerai rien. - Voyons, maman, on t’a déjà dit que c’est un garçon ! intervient Dan. Je prends mon air le plus patibulaire, mais apparemment, le message ne passe pas. La convalescente n’est absolument pas sensible à mon charme viril ! Tout le week-end, elle m’a prodigué des compliments. J’en aurais pavoisé, n’était le malentendu fondamental qui nous sépare… - Minette ! Minette ! Où es-tu ? Oh, elle est installée sur le frigo ! - Oui, IL est très intelligent ! IL sait où se trouve le pâté que je viens d’acheter, dit Scouby en insistant bien sur le « il ». Puis est venue l’heure de la piqûre quotidienne : Mme Bobonne souffre d’un diabète. Je me plante devant elle pour l’encourager. - Vous en faites pas, dis-je. A moi aussi on a fait une piqûre quand je suis allé chez la vétérinaire ! Regardez comme je suis requinqué ! Ca va vous remettre en moins de deux, vous verrez ! Il est vrai que moi, je suis sensiblement plus jeune que Mme Bobonne… La guérison sera peut-être plus lente pour elle. Comme toujours, la fin du week-end arrive trop vite. - On revient dans cinq jours, mon Orca ! Regarde toute la bonne pâtée dans ton assiette ! - Au revoir, petite minette ! dit Mme Bobonne. Et les voilà partis. J’attends que la voiture se soit éloignée et je cours au jardin. Ah, la voilà ! -Je suis un peu en retard, mes locataires n’arrivaient pas à décoller, dis-je. - Ce n’est pas grave ! répond gracieusement la jolie Gourmande. Si nous allions faire une petite promenade ? Cinq jours… ils passeront peut-être très vite : j’ai tant de rendez-vous !
  21. C'est très vrai, M'dame Janick, tout ce que je raconte dans mes mémoires s'est réellement passé... Je faisais subir de nombreuses petites avanies à l'Orca, mais au fond je l'aimais bien, c'était le premier chat étranger que je fréquentais depuis mon adoption ! Depuis lors, j'en ai eu ma dose, de chats ! Je vous raconterai tout ça par la suite !...
  22. Chapitre 20 : DEUX NOUVELLES VOISINES Salut tout le monde ! Eh bien oui, c’est moi ! Je suis de retour ! La chère et douce Ardoise vous avait sûrement dit que j’avais disparu, hein ? Je n’avais pas disparu du tout, mais comme personne n’avait pensé à m’aviser des vacances de Dan, je me suis présenté à la maison avec deux jours de retard. Il aurait pu m’avertir, non ? Au moins mettre un petit mot sur la table : »Cher Orca, je serai en congé à partir de mardi, attends-moi, je te servirai de la bonne pâtée. Signé Dan. » Mais rien, rien ! Croit-il que je possède une boule de cristal ? Que je me nomme Orca Soleil ? Au lieu de quoi, moi, bêtement, j’ai encore crié famine le mardi et le mercredi, avant de m’apercevoir que la voiture était stationnée devant ma maison ! Je suis entré en poussant de grands « Miââââââ ! » réprobateurs. - Ah, Orca, j’étais inquiet, j’ai même fait le tour du village en voiture pour essayer de te trouver ! » s’est exclamé Dan en me voyant surgir. Je lui jette un petit regard oblique. Dit-il vrai ? Il semble sincèrement soulagé de me voir. Je remballe mes reproches. - Tu comprends, dit-il, continuant à se justifier, tu es TOUJOURS là, alors… Je soupire. Pour une fois que je déroge à mes habitudes ! Mais est-ce ma faute si j’ai fait la connaissance de deux nouvelles voisines ? Cela s’est passé il y a quelques jours, un dimanche pour être précis. Comme vous le savez, Scouby dépose toujours, pour mes copines les chattes de la rue, un peu de nourriture sur la terrasse. En faisant ma promenade quotidienne pour me dérouiller les pattes (en fait, j’avais rendez-vous avec Néfertiti mais elle m’a posé un lapin…), j’ai aperçu une inconnue qui avait le nez fourré dans la gamelle. Elle mangeait (si je n’étais pas si courtois, je dirais même « bâfrait ») avec une conviction absolue. - Bonjour, Mademoiselle ! ai-je modulé d’une voix flûtée. - Gloumph ! Miam ! Miam !... - Je me présente : Orca, Maître-Chat ! - Miom ! Ourk ! Ourk ! - C’est moi le maître de cette maison… Elle ne relève la tête que lorsque l’assiette est soigneusement nettoyée et pousse un profond soupir de bien-être. - Pardon ? dit-elle en s’essuyant délicatement les moustaches. Je tombe sous le charme. Quel amour de chatte ! Tricolore (roux, blanc, gris, ce qui s’appelle écaille-de-tortue, je crois), un peu dodue (ça ne m’étonne pas), elle a une ravissante petite bouche en forme de cœur et des yeux verts qui brillent d’une lueur candide et amicale. Je roucoule : «Vous habitez chez vos parents ? » Elle minaude : « Oui, ma fille et moi-même occupons la maison du bout de la rue. Si le cœur vous en dit, passez donc nous dire bonjour un de ces quatre ! » La maison du bout de la rue… Ah, je vois ! C’est la maison où piaillent constamment des enfants humains. Un peu bruyant pour mon goût, en général j’évite, mais la chatte tricolore mérite bien un petit sacrifice ! Je susurre : «Et où se trouve Mademoiselle votre fille ? » - Là, sous la haie, répond-elle avec un naturel parfait. Elle attend que j’aie fini de manger pour se nourrir à son tour… Effaré, je contemple la gamelle. « Mais… vous avez tout vidé ! » - Oh, votre locataire… Cmment s’appelle-t-elle, au fait ? - Scouby. - Mme Scouby viendra bien remplir à nouveau cette gamelle, vous ne croyez pas ? Si, je crois. Il suffit d’attendre ici que ladite locataire nous remarque. Mais voici la fille de Mme Tricolore qui se fraie précautionneusement un chemin jusqu’à nous. J’apprécie d’un coup d’œil : un chaton gris, un peu tigré, qui a la même allure que sa mère, avec une épaisse fourrure et des petits yeux vifs et taquins. Me voici en bonne compagnie ! Je me rengorge. Ah ! Voilà Scouby, porteuse d’une boîte de pâtée pour chats. Mes deux compagnes frétillent de la tête à la queue. Avec un ensemble parfait, elles plongent la tête dans l’assiette qui se remplit. - A moi ! A moi ! crie le chaton. Tu as déjà mangé ! - Non, d’abord à moi ! Tu dois le respect à ta mère !... Sachant très bien que, s’il se laisse intimider, il ne lui restera plus rien, le chaton fait la sourde oreille et continue à manger en donnant des coups de tête pour écarter son envahissante génitrice. La gamelle vidée pour la seconde fois… - Ah ! C’était bien bon ! Une adresse à retenir, hein fillette ? - Oui maman ! Pour un petit en-cas, l’après-midi… Elles se pourlèchent les babines. Un petit en-cas ! Je suis confondu… Pourtant, je continue à faire bonne figure. - Madame, Mademoiselle… Heureux d’avoir pu vous accueillir chez moi… Puis-je me permettre de vous demander votre nom ? - On me nomme Gourmande, et la fillette, c’est Petite-Goulaffe. Sois polie, dis bonjour au monsieur, Petite-Goulaffe ! Après leur départ, je demeure rêveur. Comment vais-je faire pour continuer à assurer la subsistance de Néfertiti ? Là où passent Mme Gourmande et Mlle Petite-Goulaffe, plus question de trouver une miette de nourriture. C’est la razzia ! Heureusement, j’ai ma chatière et mon assiette à moi est bien à l’abri ! Il faut avouer qu’elles sont bien mignonnes malgré leur phénoménal appétit ! Nous nous retrouvons bons amis et souvent, Scouby et Dan me voient déambuler dans la rue, accompagné de la jolie Gourmande. Nous marchons, très sérieux, l’un à côté de l’autre en devisant… Sûrement, je me trouvais près de « la maison du bout de la rue » quand Dan est arrivé en vacances, c’est pour ça que je l’ai raté. La Petite-Goulaffe, elle, a établi son quartier général dans notre haie. Quand elle voit Scouby sortir dans le jardin, elle se précipite vers elle en faisant des mines aguicheuses. Elle sait très bien, la futée, ce qui ne peut manquer d’arriver : « Oh, le joli chaton ! Bonjour, Petite-Goulaffe ! Je vais t’apporter quelque chose de bon… » Néfertiti ne prend pas ombrage de mes nouvelles amitiés. Elle sait très bien qu’elle reste « pour toujours mon seul amour » comme dit la chanson. Nous nous rencontrons sous le grand sapin (elle persiste à trouver ce lieu de rendez-vous très romantique, même quand il pleut et que l’herbe vous trempe les pattes). Nous nous embrassons sur le museau. La vie est belle !
  23. Chapitre 19 : OÙ EST ORCA ? Ce mardi, Daniel a pris congé pour une semaine et est parti bricoler dans notre maison de campagne. Il va travailler au jardin et entreposer dans la cave les précieuses bouteilles ramenées de Bourgogne ! Scouby, elle, va au bureau toute la journée et, le soir, elle reste avec moi. Je ne compte plus trop sur la présence d’Olivier : mon Grand Amour a rompu nos fiançailles et s’est entiché de quelqu’un d’autre, quelqu’un à deux pattes… C’est un monde ça, quand même ! Bien sûr, il nous a présentées l’une à l’autre avec diplomatie : « Ardoise, je te présente Nathalie. » et « Voilà Ardoise, la chatte de ma vie ! » Bon, cette façon de parler de moi a mis un peu de baume sur mon cœur meurtri. La personne à deux pattes m’a trouvée très jolie. Toutefois, elle ne m’a pas caressée parce qu’il paraît qu’elle craint un peu les chats… ce qui m’a fait plaisir : personne n’a jamais eu peur de moi jusqu’à présent, alors je pourrai me défouler de mes frustrations en terrorisant cette pauvre fille… Espoir vite déçu : à sa seconde visite, elle se sentait déjà complètement à l’aise avec moi ! Ce n’est quand même pas de ma faute si je suis une vraie gentille… et si ça se voit ! Deux jours après son départ, voilà Daniel qui téléphone à Scouby : « Je n’ai pas encore vu Orca ! » C’est l’angoisse. Qu’est devenu le chat des champs ? Olivier, à sa manière, se veut encourageant : « M’enfin, maman, il faut s’y attendre, avec un chat en liberté ! Il peut arriver n’importe quoi ! » - Ben oui, renchéris-je, confortablement installée sur mon fauteuil favori. « Il s’est peut-être fait mordre par le chien du voisin… ou enfermer dans une grange… ou… » - Ardoise, merci de me remonter ainsi le moral ! - Ben kwâ ? Qui vivra verra. Vendredi prochain, Scouby va prendre le train pour passer le week-end dans notre masure. Elle espère que les nouvelles seront bonnes. Entre-temps, elle contemple d’un œil désespéré la photo d’Orca qui trône sur un meuble, à côté de ma photo à moi. « Kwâ » qu’il en soit, je ne suis pas aussi tranquille que je voudrais le faire croire. C’est vrai qu’il m’agace, le maître-chat, mais je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose : je m’ennuierais sans lui… Je n’aurais plus personne à tyranniser, qu’est-ce que je deviendrais ? Bientôt, quand il fera meilleur, je pourrai à nouveau accompagner mes parents à la campagne, mais avant cela, je devrai subir mon supplice annuel : une visite chez le vétérinaire. A cause de toutes les chattes (sans compter l’Orr-katteke) qui viennent minauder sur ma terrasse, il va falloir me vacciner, moi ! Contre la leucose féline, il paraît… Pauvre Ardoise ! Comme je suis à plaindre ! Un de ces jours, je vais écrire une tragédie (antique) sur ma vie. Et tout le monde sera bien étonné ! Mes malheurs étalés au grand jour… Ma photo dans le journal… La gloire ! Ben kwâ, on peut toujours rêver !
  24. Chapitre 18 : HEURS ET MALHEURS Eh bien je ne sais pas ce qu’il se passe, mais je ne la vois, plus beaucoup, ma famille d’accueil, pour le moment ! Au début, je ne me suis pas trop inquiété : ils avaient passé le réveillon de Nouvel An avec moi et, le dimanche soir comme d’habitude, avaient fait leurs paquets. Comme je vous l’ai déjà dit, lorsque je m’aperçois qu’ils sont sur le point de plier bagage, je leur dédie un regard à fendre le cœur… Ils s’en vont, accablés sous le poids de leur sentiment de culpabilité… et moi, je souris dans mes moustaches ! Tandis qu’ils regagnent Bruxelles en pensant avec nostalgie à leur malheureux chat des champs, moi, je reste confortablement étalé sur ma petite laine, pour apprécier les restes de chaleur que dégage le poêle à bois. Puis je termine les provisions et, lorsqu’il fait à nouveau froid et sombre, je m’en vais. Je n’oublie pas de passer dans la maison une fois par jour, pour m’assurer s’ils ne sont pas de retour. Ce serait trop bête si je ratais ne serait-ce qu’une journée de câlins et de friandises ! Les jours ont passé. A un moment donné, je me suis dit : « Bizarre, ils ne reviennent pas… Il y a pourtant longtemps, maintenant ! » Je commençais à me sentir un peu angoissé… et les jours ont encore passé. Il a neigé, il a plu, il a reneigé… Et pas de famille d’accueil à l’horizon ! Bien sûr, en honorable chat des champs, j’ai plusieurs adresses où je peux me réfugier en cas de coup dur… Mais là, si on ne me laisse pas mourir de faim, on est loin de me gâter comme ici ! On me donne des restants de nourriture… Oui, un jour j’ai reçu du spaghetti à la sauce tomate. J’ai apprécié, mais le poil blanc de mon poitrail est devenu rose à cause de la tomate ! J’étais un peu honteux de devoir me promener dans la rue comme ça… Chez Scouby et Dan, je reçois de la nourriture spéciale pour chat, c’est quand même différent ! Ailleurs, on me tolère mais ici, on m’AIME ! Du moins, je le croyais… Parce que, si ça se trouve, je me suis trompé ! M’aurait-on abandonné ? J’ai quand même du mal à le croire : il y a la chatière, la petite laine et tout ça… Je roulais toutes ces pensées dans ma tête… j’étais très perplexe ! Les chattes qui avaient l’habitude de venir se nourrir à mes frais sur la terrasse (oui, avant de partir, Dan et Scouby déposaient quelques assiettes pour mes copines !), eh bien les chattes, elles commençaient à la trouver mauvaise ! « Hé, Orca-Depardieu, où elle est la tambouille que tu nous as promise ? Tu es fauché ?» Que répondre à cela ? Mon charme naturel suffira-t-il à les faire patienter le temps qu’il faudra ? Je commençais à être aux abois quand, enfin, j’ai vu leur voiture remonter la rue ! Ouf ! J’ai couru dans le jardin, bien content, mais quand même un peu rancunier, c’est normal ! Je me suis dit : « Ah, je les ai attendus si longtemps ! Maintenant, EUX m’attendront, na ! Non mais sans blague ! » Je suis resté là une petite demi-heure. La cheminée s’est mise à fumer : parfait, je rentrerai quand il fera bon ! Scouby est sortie et a posé sur le sol de la terrasse une assiette de victuailles pour mes « invitées ». Visiblement, elle me cherchait du regard, mais ne m’a pas vu : la haie bien touffue me dissimulait parfaitement ! Quand elle est rentrée dans la maison, je me suis approché et ai commencé à manger dans l’assiette, sur la terrasse. Comme je m’y attendais, elle m’a vu par la fenêtre et s’est précipitée dehors. Moi, imperturbable, sans un regard pour elle, je continuais mon repas. - Orca ! Mon minou ! Pourquoi ne viens-tu pas manger dans ta petite gamelle, à l’intérieur ? Il fait bien chaud ! - J’ignore si je suis encore le bienvenu dans cette maison, Madame, ai-je rétorqué noblement. Pas de regard « craquant », aujourd’hui ! Orca Maître-Chat a sa fierté ! Après beaucoup de salamalecs et maintes petites manières, j’ai consenti à la suivre dans la cuisine. Du bout des dents (je m’étais déjà empiffré dehors), j’ai goûté au repas préparé amoureusement pour moi. Je commençais à me sentir bien, mais ne voulais pas le montrer ! - Qu’est-ce qu’il y a, Minou ? Tu boudes parce qu’on n’est pas venus la semaine dernière ? - Moi, bouder, laissons cela aux chats vulgaires, Madame ! Quand je me suis installé dignement devant le poêle, ils se sont mis à deux pour me câliner. Et petit Orca par-ci, et gentil minet par-là… - Regarde, Minou, la jolie couverture « Sole Mio » que je t’ai achetée ! Je jette un coup d’œil vaguement intéressé. Une petite couverture de bébé, de couleur bleue, bien épaisse, étalée sur le divan. Je l’essaie. Peut-être que je vais me laisser attendrir, après tout. Mais pas immédiatement. - Mais, mon pauvre Orca, tu es blessé ? Ah oui, c’est vrai. J’ai une touffe de poils et un morceau de peau en moins sur le haut de la patte droite. Je n’en souffre pas trop, mais ils compatissent. - Pourvu que ça ne s’infecte pas ! - Bah, dis-je avec désinvolture, ce sont les risques du métier de chat des champs ! Je m’amadoue imperceptiblement… d’autant plus que Scouby m’explique les raisons de leur longue absence. Madame Bobonne s’est blessée, elle aussi… Vous vous souvenez, la dame qui avait peur que je fasse pipi sur son sac, l’été dernier ? La dame qui demande toujours des nouvelles de la « gentille petite chatte Orcatte » ? Eh bien, elle est tombée dans l’escalier. Double fracture du crâne, deux semaines dans le coma… Bon, puisque c’est comme ça, je veux bien leur pardonner… mais pas d’un seul coup, hein, pas d‘un seul coup ! Marquons encore un peu d’éloignement. Voici venue l’heure du coucher. D’ordinaire, je les accompagne dans leur chambre, tout heureux à l’idée de passer une bonne nuit sur la couverture. Cette fois, je sors pour faire mes petits besoins… et ne reviens pas ! Pour cette nuit, je ne leur ferai pas la grâce de mon auguste présence. Il est neuf heures du matin quand je déboule, affamé et hirsute, au pied de leur lit. Ils sont en train de se lever… Zut, et moi qui comptais me reposer un peu entre eux deux, dans la bonne chaleur ! Nous descendons au salon. Je fais une drôle de tête, parce que j’espérais vraiment encore goûter quelques heures de sommeil dans la chambre. J’ai peut-être été bête, tout compte fait. Je n’aurais pas dû faire de fugue… - Allez, je ne suis plus fâché ! La nuit prochaine, je reste avec vous, c’est promis ! dis-je, tout rayonnant. Ils échangent un regard navré. C’est dimanche aujourd’hui, ils doivent rentrer à Bruxelles cet après-midi. Je devrai l’attendre cinq jours, la « nuit prochaine » ! Qu’est-ce que j’ai été bête, vraiment ! Je me console en faisant le joli cœur avec les chattes qui reviennent se sustenter sur ma terrasse… Elles aussi, elles devront ensuite attendre cinq jours ! Et la semaine se passe… et moi, je me traîne, fiévreux. Parce que, finalement, elle s’est quand même infectée, ma blessure ! Je me sens horriblement mal, je passe mes journées sur la petite « Sole Mio » bleue, dans le salon. Vais-je me laisser mourir ici ? J’ai les pattes trop cotonneuses pour me lever et aller chasser… Je suis plongé dans un sommeil agité lorsque, subitement, une voiture s’arrête devant la maison. La porte s’ouvre… Nous sommes à nouveau vendredi ! Dan m’aperçoit couché sur le divan. Immédiatement, il se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond. - Que se passe-t-il, Orca ? Tout heureux de le voir, je me lève en flageolant et vais jusqu‘à la cuisine pour accueillir Scouby qui pousse un cri d’horreur à la vue de mes pauvres poils ternes et ébouriffés. La cause du mal est visible : une blessure suppurante le long de ma patte droite. Un souvenir de bagarre, un de plus ! Je ne compte plus mes cicatrices. C’est ça aussi, la vie d’un Maître-Chat ! Ils ont allumé le feu, ils m’ont donné à manger. Je me suis dit que, puisque j’étais blessé, je pouvais bien me montrer un peu difficile. - Je n’apprécie pas tellement la pâtée à la volaille, dis-je d’un ton languissant. - Mon Dieu ! Il n’a même plus d’appétit ! - Peut-être que si vous aviez autre chose… Ce n’est qu’une suggestion, vous savez, je ne sais vraiment pas si je pourrais avaler quoi que ce soit… Je soupire et retourne m’allonger sur ma petite couverture. Il commence à faire bon. On pose une gamelle odorante à côté de moi. Qu’est cela ? J’ouvre un œil. Une petite terrine de saumon… Je vais faire un effort pour manger, après tout… En deux minutes, la gamelle est vide. Je ressuscite à vue d’œil. Ils me couvrent d’un lainage. Il paraît que je ressemble à une poupée, ainsi emmitouflé. - Il a l’air de se sentir mieux, remarque Scouby. - Je vais quand même l’emmener chez le vétérinaire, demain ! Qu’est-ce qu’un vétérinaire ? Où veut-on m’emmener ? Laissant de côté cette question apparemment sans réponse, je fais un bon somme réparateur et me réveille, frais et dispos, en fin de soirée. Ils se préparent à aller au lit. - Je vais faire un petit tour dehors et je vous rejoins ! dis-je en filant par la chatière. Mais… le chat propose et la chatte dispose ! Néfertiti m’attendait sur la terrasse. Néfertiti a des droits sur moi : nous avons eu des petits ensemble. Notez que je ne les ai jamais vus : elle les a cachés soigneusement quelque part. mais il paraît qu’à cause de ces petits, Néfertiti peut légalement me tourner en bourrique autour de sa patte, du moins c’est ce qu’elle dit. Je sais, c’est compliqué, je n’ai pas bien compris non plus, mais je l’aime, ma Nefer ! Alors, je suis tout content de la voir. - Orca ! On ne te voyait plus ! - J’ai été malade, dis-je d’un petit air important. - Tu viens ? Regarde la belle neige ! On va se rouler dedans ! On va bien rigoler ! - Heu… Le jardin est tout luisant, couvert de blancheur. Les étoiles étincellent… Il fait trop beau pour rentrer ! Je repasse la chatière à dix heures du matin. - Eh bien, mon Or-katteke ? On s’est bien amusé ? Montre la papatte ! Elle est toujours infectée, la papatte ! Heureusement, je mange à présent de bon cœur. Quand l’appétit va, tout va, comme dirait la chère Ardoise, grande spécialiste en la matière ! Dan, cependant, n’a pas renoncé à son idée de me faire soigner de façon énergique et a pris rendez-vous chez une vétérinaire de la petite ville proche. - Nous avons rendez-vous à deux heures, Orca ! - Je vais juste faire mes petits besoins et je rentre ! Evidemment, une fois dehors, j’ai oublié. Le ciel bleu, l’air vif, la neige étincelante… Je me suis élancé vers de nouvelles aventures. - Tant pis, dit Scouby, on va aller chez la vétérinaire pour lui dire que le chat n’est pas rentré ! - On n’aurait pas dû le laisser ressortir ! C’est l’évidence même mais… essayez seulement de m’emprisonner durant une heure, si je n’en ai pas envie ! Il y a de quoi devenir fou… Vous comme moi ! Ils s’apprêtent à partir… quand je surgis dans la cuisine pour prendre mon déjeuner ! Pendant que je mange, ils se tiennent derrière moi avec des airs de conspirateurs. Dan ferme subrepticement la porte de la cuisine. Mais que se passe-t-il ? La dernière bouchée à peine avalée, on me saisit et on me fait entrer dans un petit panier d’osier qu’on referme au-dessus de ma tête ! M’enfermer ainsi, moi ! Ca ne m’est jamais arrivé ! Je me débats : « Vous êtes cinglés ! Délivrez-moi ! » Je sens qu’on me soulève et qu’on emporte le panier en me susurrant des paroles apaisantes. Puis, on entre dans la voiture. C’est aussi la première fois que je me déplace en voiture : ça ne me plaît pas du tout ! On s’éloigne… O mon village natal, quand te reverrai-je ? Mon jardin, mes chemins, mes chattes… Heureusement, le supplice du trajet en voiture ne dure pas très longtemps. On s’arrête, on entre dans une maison qui n’est pas la mienne… On ouvre le panier et je cligne des yeux sous une lumière crue. Où suis-je ? Une dame en blouse blanche me tripote. Tous les coins de mon anatomie y sont passés ! Les yeux, les oreilles, le ventre, les pattes… Paraît qu’en général, malgré toutes les traces de bagarres imprimées sur mon épiderme, je suis bon pour le service : chat mâle (je n’en doutais pas), plus très jeune (on ne peut pas tout avoir) mais encore solide ! Dan me maintient fermement pendant que la dame fouille dans ses tiroirs. Elle ne se dépêche pas et moi, je commence à m’impatienter ! Elle revient avec une longue aiguille. Deux piqûres d’antibiotiques et une de vitamines ! Et un joli pansement pour couronner le tout ! Et un vermifuge qu’elle donne à Scouby pour le mettre dans ma pâtée du soir. - C’est un très gentil chat, dit-elle d’un ton connaisseur : il ne fait pas mine de mordre ! Du coup, Dan et Scouby lui racontent mon histoire : et comment je suis arrivé chez eux, et combien j’ai été patient et gentil avec la Mam’zelle Ardoise, et comment je suis arrivé à me rendre indispensable… Moi, j’attends, immobile comme une potiche. Je veux bien qu’on chante mes louanges, mais je ne suis pas tellement à l’aise, sur cette table d’examen ! Puis, à mon grand déplaisir, on me fourre à nouveau dans le panier trop petit pour moi. A nouveau un trajet en voiture et enfin, enfin, me voilà de retour à la maison ! Ouf ! Je ferais bien une petite promenade, maintenant ! - Pas pour l’instant, Orca, dit Dan en essayant de prendre un air sévère, il faut garder le pansement quelques heures ! Quelques heures sans sortir ? C’est comme je le disais : ils sont fous ! Puisque c’est le pansement qui m’empêche de m’amuser, je vais m’en occuper sérieusement… Je prends un air innocent et, au bout de cinq minutes : - Regardez, Dan ! Mon pansement a glissé, il ne recouvre plus la blessure, je ne comprends pas ce qui s’est passé ! Que vais-je faire ? Essayez de me le remettre, si vous pouvez ! (là je ne risque rien). - Oh, zut, tant pis, il faut l’enlever… Une paire de ciseaux entre en action et me voici libre comme l’air ! - Je peux sortir maintenant ? Puisque je n’ai plus mon pansement ! On m’ouvre la porte. Je me précipite dehors, la tête haute, la patte alerte, triomphant !!! Le soir, j’ai dormi du sommeil du juste et me suis réveillé au grand matin, pelotonné sur la couverture, au pied du lit. Je me sens tout à fait bien et rassuré : puisqu’ils ont fait tout ça pour moi, c’est qu’ils m’AIMENT, évidemment ! Je n’en douterai plus, désormais ! Comme d’habitude, ils sont partis le dimanche soir, en me laissant deux assiettes bien remplies et un poêle encore tout ronronnant. Pourvu que je ne m’esquinte pas une autre patte, cette semaine !
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