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Mam'zelle Ardoise

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Tout ce qui a été posté par Mam'zelle Ardoise

  1. Voici mes nouvelles toutes fraîches. Je suis toujours dans ma salle de bains, avec ma collerette. Ca commence à me sembler bien long, et je n'apprécie pas de devoir avaler deux fois par jour un comprimé ! Pour la pommade ça va, elle fait du bien à mes pauvres oreilles. Aujourd'hui je boude, je râle ostensiblement. Pour me consoler je bouffe ! Hier j'ai reçu du poisson et de steak, aujourd'hui j'ai du thon en boîte... Je ne sais pas ce qu'il y aura au menu ce soir. .. Ah oui, j'ai aussi des croquettes pour chats "sénior" ! Merci à vous toutes de prendre si gentiment de mes nouvelles !
  2. Merci, M'dame Janick ! Pour le moment je reçois du poisson... mais deux jours de poisson, ça commence à bien faire ! J'ai dit ce matin à Scouby que pour aujourd'hui, je voulais du steak tartare et elle va aller m'en acheter. Je continue à prendre mon mal en patience et, à chaque apparition de mes humains dans la salle de bains où je réside, j'arbore une expression de reproche bien réussie... Ca les culpabilise. Je commence à bien me débrouiller avec ma collerette, ce matin, j'ai réussi à laver mes pattes et mes cuisses... mais pour le reste, ce n'est pas facile, et j'aimerais tant me gratter ! Encore quelques jours, qu'elle a dit, Scouby. Pffft !
  3. Vous êtes bien aimable, cher ami !... Je compatis : je sais ce que c'est une visite chez le véto !... Argh ! Sur ce je me retire dans ma caisse en carton pour la nuit... Je vais y méditer sur ma canine perdue. Bonne nuit, cher Litchi... et à Filou aussi.
  4. Bah oui, j'ai un caractère trop accomodant avec mes parents, je n'arrive pas à montrer ma mauvaise humeur, je suis une gentille congénitale ! Et un malheur n'arrive jamais seul. Vous savez ce qui m'est arrivé il y a une heure à peine, alors que je venais tout juste d'avaler mon comprimé d'antibiotiques ? J'ai recraché une dent ! La dernière de mes splendides canines ! Je vais ressembler à une petite vieille maintenant... Comme Mme Gourmande qui habite chez nous et qui n'a plus ses dents non plus...
  5. Hello tout le monde, merci de vous préoccuper ainsi de ma santé ! Je vous jure, c'est pas drôle ! J'ai un tuyau autour de la tête, et des chatouillements aux oreilles... et je ne peux même pas me gratter ! C'est du sadisme, je dis ! En plus, je suis enfermée dans la salle de bains pour que ma meute ne joue pas avec ma collerette... et aussi pour que je ne fasse pas de bêtises, qu'il a dit mon père d'adoption ! Des bêtises, moi ? Allez, je vais continuer à dormir dans ma caisse en carton. Comme ça le temps passe plus vite. Grosses lélèches à vous toutes, mes copines ! Et aussi à vos poilus !
  6. Chapitre 52 : ARDOISE ARDOISE LE CIEL WALLON Quelle traîtresse, cette Scouby ! Elle m’a prise en photo alors que je prenais mon bain de soleil, bien étalée sur le dos, les quatre pattes en l’air ! Moi, bien sûr, je ne savais absolument pas que mon attitude détendue venait d’être immortalisée sur pellicule… Vous pensez bien que si j’avais été prévenue, j’aurais adopté un maintien plus digne… plus « ardoisien », quoi ! Maintenant, ma mère d’adoption rigole comme une bossue, en disant qu’une attitude « ardoisienne » est toujours loufoque. - Comment, dis-je indignée, tu oses prétendre que je ne sais pas me tenir ? - Je ne dis pas ça, mon Ardoise, tu sais très bien te tenir quand tu veux… Mais jamais comme un autre chat ! Tu cours à la manière d’un petit lapin, tu t’assieds dos au mur comme un être humain, tu dors en suçant ton pouce… pardon, le bout de ta patte, tu… - Je sais aussi m’asseoir et me coucher comme un chat, fais-je observer. Et le fait de pouvoir adapter, à ma guise, plusieurs positions est plutôt un signe d’intelligence de ma part, non ? Pourquoi est-ce que je me contenterais d’être le félin domestique et stupide comme tel noir et blanc que je ne nommerai pas ? Submergée sous mes arguments, mon humaine domestique ne pipe plus mot. Ce qui me permet de poursuivre, sans être dérangée, le cours de mes mémoires… Telle que vous me lisez, en ce mois d’août 2000, je rentre donc de vacances ! Je ne suis pas bronzée parce qu’il n’a pas fait très beau (et puis même quand il y a du soleil, j’ai beau m’étaler pattes en l’air comme vous le savez, la couleur de mon pelage ne varie pas !), mais j’ai eu l’occasion d’approfondir ma technique de chasse aux mouches (j’ai adopté un mouvement aérien et dansant, très réussi) et de faire la connaissance de nouveaux visiteurs venus squatter ma terrasse. Comme s’il n’y en avait pas déjà assez comme ça, avec Mme Gourmande et Mlle P’tite-Goulaffe ! Tous les matins, en effet, j’ai à peine le temps de me percher sur mon appui de fenêtre pour inspecter le jardin, qu’un hurluberlu en fait autant, de l’autre côté de la vitre ! Nous nous regardons en chats de faïence, chacun le nez contre la cloison transparente qui nous sépare. Il me bouche le paysage, ce cinglé ! Agacée, je tape de la patte contre le verre. Voilà-t-il pas qu’il en fait autant, de son côté ! - Tac-tac-tac-tac-tac ! Vlan ! Une voix courroucée résonne. - Ardoiiiiiise ! Arrête tes bêtises ! Tu vas casser le carreau ! Evidemment, c’est toujours la même qui trinque ! - C’est pas moi, c’est l’autre ! protesté-je. Il m’embête ! Il m’assomme ! Je veux qu’il s’en aille ! J’en tremble d’énervement, je fais des bonds de puce sur mon appui de fenêtre, j’accroche une griffe dans le rideau, je ne me sens plus ! Pendant que je pique ma crise, le chat étranger, placide, m’observe d’un air intéressé. Ulcérée, je lui dédie mon plus torve regard, jaune et reptilien, celui qui fait trembler de terreur tous les chats de la contrée. La peau de son petit visage se plisse. Non mais, il me fait des grimaces, l’abominable ! Dégoûtée, je saute sur le sol. Je continue à l’observer de dessous la table. Et c’est comme ça tous les matins ! Quel imbécile, ce Négatif ! Comme on dit : tel père, tel fils ! - Vous avez mal éduqué vos enfants ! dis-je, sévère, à l’auteur des jours de l’énergumène. - Je ne savais même pas que j’en avais ! proteste-t-il, la patte sur le cœur. Néfer me les a cachés quand ils étaient chatons et maintenant ils arrivent tout faits, tout adultes ! Que voulez-vous que je fasse ? C’est à leur mère qu’il faut adresser vos reproches, pas à moi ! - Evidemment ! dis-je avec la plus parfaite mauvaise foi, C’est toujours la chatte qu’on accuse ! Sexiste, va ! Il en reste comme deux ronds de flan. Je lui donnerais bien une bonne claque sur la tête, pour ponctuer mes propos, mais je lui en assène déjà tellement qu’il risque de s’endurcir et de ne plus les sentir… Alors, je l’épargne pour cette fois. L’après-midi, comme j’ai déjà beaucoup travaillé, je me pose délicatement sur un siège moelleux et je médite, ce qui, comme chacun sait, est le propre des grands esprits. Qui oserait dire que je dors ? D’accord, mes yeux sont fermés et un léger ronronnement m’échappe, mais en réalité, j’enrichis mon moi intérieur. L’Orca va sans doute en profiter pour vous écrire plus longuement que moi, mais ne vous y trompez pas : faisant partie « des mortels la multitude vile » (merci Baudelaire), l’Orca mène une vie très mondaine : il entre, il sort, il voit du monde… Il se disperse, moi je me concentre. Encore une différence fondamentale entre nous ! - Oooooh Ardwâse Ardwâse le ciel wallooooon ! Quel est ce braiment épouvantable qui me tire de ma douce songerie ? L’Orca, encore ! - Kekseksa ? dis-je, toute hérissée. - Une chanson en votre honneur, douce Ardoise, roucoule mon ennemi intime. « Je me suis dit que, puisque je donne si souvent la sérénade à ma Néfer, je pouvais aussi improviser un petit air pour vous ! » Je sens monter en moi une certaine méfiance. - Et ça veut dire quoi, ça : Ardoise Ardoise le ciel wallon ? - C’est du Brel ! - Brel a écrit une chanson pour MOI ? m’exclamé-je, manquant dégringoler de mon siège moelleux. Je n’y comprends plus rien. - Non, non, Brel a chanté : « Marijke Marijke le ciel flamand » ! J’ai un peu modifié les paroles, en votre honneur. C’est beau, non ? Oooooooooooooh Ardwâze Ardwâze le ciel wallooooooon ! Il miaule faux, en plus ! Vraiment, il y a des gifles qui se perdent ! Je lève une patte menaçante. - A propos, vous avez bien une tante qui s’appelle Germaine, n’est-ce pas ? poursuit l’Orca, imperturbable. Ben oui, Scouby et moi avons une tante qui s’appelle Germaine, une vieille dame adorable qui m’aime beaucoup. Qu’est-ce qu’il veut, l’Orca, à MA tante Germaine ? - NOTRE tante Germaine connaissait très bien Jacques Brel ! - Quoi ? MA tante Germaine ? - Eh ! A qui croyez-vous qu’était dédiée la chanson des bonbons ? - Ca alors ! Je bée de stupéfaction. J’en oublie de le gifler. Se moquerait-il de moi ? En plein milieu des vacances, nous avons dû faire un aller-retour à Bruxelles : j’allais y rester quelques jours (avec Olivier venant me soigner) pendant que mes parents iraient faire un petit tour en Alsace. Je me suis bien reposée. Quand ils m’ont récupérée, j’étais gonflée à bloc. Encore un trajet en voiture ! Je ne m’y ferai jamais ! - Ardoise, arrête de braire ! On n’entend plus la radio ! - Si vous mettiez un peu de Brel, je me tairais peut-être, dis-je. Par exemple « Oh Ardoise Ardoise le ciel wallon » ! Ils n’ont pas compris mes miaulements. Pourtant j’articulais bien et je parlais fort. Ils m’ont hurlé de faire silence. A cause de leurs vociférations, je n’entendais même plus la radio ! Je suis revenue à notre maison de campagne, bouillonnante d’énergie. J’ai commencé par mettre mon petit monde au pas. En ce qui concerne l’Orca, j’ai des arguments frappants. Vis-à-vis des autres, je suis un peu plus subtile : je règne par l’intimidation. Quand les autres chats aperçoivent mes yeux fixes au regard jaune et glacé, ils prennent leurs pattes à leur cou. Scouby n’en revient pas : comment sa gentille Ardoise, son adorable crème de chatte, peut-elle inspirer une terreur pareille ? - Tout est dans l’expression, dis-je doctement. Il faut agir sur leur imagination. C’est un art !... Un art que je maîtrise parfaitement. Assise sur un fauteuil de jardin, sur la terrasse, j’exerce mes talents sur Négatif qui se tient prudemment à quelque distance de moi. - Mam’zelle Ardoise, dit-il pensivement, « Avec ces yeux-là, vous devriez faire du cinéma ! » J’ai déjà entendu cette phrase-là quelque part. Mais qu’on me dise cela, à moi, ça me ravit ! Enfin, quelqu’un apprécie mon génie ! - Vraiment ? Vous me verriez dans quel rôle ? ne puis-je m’empêcher de demander, flattée. - Kâ dans « Le livre de la jungle » ! Vous lui ressemblez rudement ! C’est qui ça, Kâ ? La panthère ? Je m’en enquiers auprès de Scouby. - Kâ, c’est le python diabolique, me dit-elle. Ou le boa constrictor… Je ne sais plus. En tout cas, c’est un affreux serpent aux yeux jaunes ! Je digère l’information. Je le répète, quel imbécile, ce Négatif ! Je ne lui adresserai plus la parole, na ! Maintenant, je suis de retour à Bruxelles. C’est bizarre, j’ai un peu de mal à m’habituer : je me sens si seule, tout à coup, dans mon appartement ! Pas d’Orca, pas de Gourmande, pas de P’tite-Goulaffe, pas d’imbécile de Négatif, pas de… Je pousse un profond soupir. Allons, ne déprimons pas ! Rien jamais ne décourage la vaillante et noble Ardoise ! Mais quand même… Snif !
  7. Chapitre 51 : BLA BLA BLA Dans la principale rue du village, deux chattes, commères impénitentes et un tantinet médisantes, bavardent en observant les passants… - Tiens, voilà Ardoise qui vient en week-end, avec sa suite… Quel moyen de transport, ma chère ! On voit qu’elle peut se le payer ! - Oui, moi aussi j’aurais bien aimé une bagnole « Félix »… mais ça coûte les yeux de la tête : un nombre incalculable de boîtes de pâtée… Chez moi, on n’était pas d’accord. - Chez moi non plus. A la maison, je reçois les restes du repas de mes humains, alors des boîtes de « Félix »… N’en parlons même pas ! Soupir. - Et, voyez, elle n’a même pas l’air contente ! Elle donne de grands coups de tête courroucés contre le petit grillage de plastique… On dirait qu’elle veut en sortir. - Faut dire qu’elle pilote un modèle spécial… Regardez, y a pas d’armature : c’est tout mou ! Et rond comme un spoutnik ! - C’est peut-être le modèle sport ! Il est bien blanc ; l’humaine domestique doit le lessiver souvent ! - Ca se comprend : z’avez déjà vu quelle fourrure elle s’est offerte, l’Ardoise ? Légèrement tigrée sur le dos, ocellée sur le ventre… De la première qualité, et extensible avec ça ! Alors, forcément, le véhicule doit recevoir des poils… Faut laver. - Elle nous regarde… Elle a l’air de nous envier. - C’est de la pose ! Vous seriez pas contente, vous, de vous balader dans un panier comme ça plutôt que d’user vos coussinets sur la route ? - Ah oui alors ! - Si nous allions rendre une petite visite à Mme Gourmande ? C’est une familière de cette maison, elle pourra peut-être nous en dire plus ! - J’en doute, ma chère ! Mme Gourmande a l’observation sélective : elle est capable de vous décrire par le menu le contenu d’une gamelle, mais rien de ce qui se passe autour ! Je ne veux pas risquer une indigestion à l’entendre énoncer de A jusqu’à Z la liste de ses plats préférés… - Vous avez raison. C’est une brave fille, mais rien de plus. Aux innocentes les pattes pleines… - Tiens, voilà Orca. Quel opportuniste, celui-là alors ! Il entre dans la maison à la suite du bolide « Félix ». Il se croit vraiment chez lui ! - En fait, vous savez, ceci entre nous… (elle chuchote) Il veut donner à penser qu’il est propriétaire, mais il n’est que gardien… Il est chargé de surveiller la maison, moyennant salaire… - Vous m’en direz tant ! - Et quand il sera pensionné, il aura le logement gratuit… C’est conclu comme ça avec les humains d’Ardoise… - Oh ? - Son job est une sinécure… Il ne fait que passer une fois par jour, vite fait bien fait, pour s’assurer que tout est en ordre… C’est le vendredi qu’il est le plus consciencieux… - Hi hi, bien sûr ! Mais dites-moi : qu’a-t-elle de si particulier, l’Ardoise, pour mener un train de vie comme ça ? - Il paraît que c’est un chat précieux… Un « Sylvère t’habille », quelque chose comme ça ! - Oh ! J’aurais juré qu’elle était de gouttière, comme nous ! Un « Sylvère t’habille »… Ca doit être rare ! - Rarissime ! Et en plus, elle tient la gazette féline du village ! Elle écrit tout ce qui se passe ! - Ca alors, elle fait de l’espionnage ? - Voui ! Faites attention, ne lui racontez pas vos secrets… Elle écrit ses mémoires ! - Eh bien ! J’en ai appris des choses, aujourd’hui ! Partons, voilà l’Ardoise qui se juche sur l’appui de fenêtre pour inspecter la rue avec ses yeux en rayons X ! - Dissimulons-nous, rampons ! J’ai l’impression de vivre dans un film de 007 ! - C’est palpitant ! Un « Sylvère t’habille » dans notre village !… - Et on raconte qu’il ne se passe jamais rien chez nous ! Les deux commères s’éloignent… Elles aussi sont grises, tigrées et portent, au milieu du front, une magnifique lettre M. Sans commentaire.
  8. Bon anniversaire à mon copain Noisette ! Grosses lélèches !
  9. Scouby prétend que je suis suicidaire. .. Chaque matin, quand je sors, elle me guette à travers les petits rideaux de la cuisine. Oui, je sais, c’est une famille où on passe beaucoup de temps à surveiller les chats, je me demande bien pourquoi. Chaque matin, donc, je m’éloigne en courant, très affairé, avec un air de jeune cadre dynamique se hâtant vers un rendez-vous important. Ma mère d’accueil se pose plein de questions à mon sujet… Elle voudrait bien savoir où je passe mes journées. Je ne le lui dirai pas, Orca Maître-Chat a bien droit à une vie privée quand même ! Parfois, que voit-elle, de son poste d’observation ? Le Maître-Chat en question qui, avant de se rendre à ses mystérieuses affaires, s’étend voluptueusement au milieu de la rue pour entreprendre une grande toilette ! Aussitôt, son imagination se met en branle : elle imagine d’innombrables camions de dix tonnes me prenant pour cible afin de m’écraser ! Au bord de l’hystérie, elle guette (encore !) mon retour (des heures plus tard) pour me demander à brûle-pourpoint quel besoin j’avais de me coucher précisément là, exposé à tous les dangers ! - J’aime l’asphalte, dis-je d’un ton dégagé. « Et mon sens inné de l’esthétique me dicte de me poser exactement au milieu de la route, pour qu’aucun déséquilibre ne vienne rompre l’harmonie en noir et blanc de la composition picturale que je pourrais inspirer… » On le voit : parfois, je m’exprime avec une préciosité frôlant le snobisme, surtout lorsqu’une oreille grise et féline rôde dans les parages. En l’occurrence, je ne suis pas mécontent de moi. Faut bien que l’Ardoise, à la fin, réalise que je ne suis pas si rustique qu’elle le croit ! Hélas, mes propos, si soigneusement choisis, volent très haut par-dessus sa tête ronde et duveteuse. - Pouvez pas parler chat ? J’comprends rien à ce que vous dites ! m’assène-t-elle. Désenchanté, je m’en vais méditer sur la terrasse, couché en boule sur un pied de parasol, un de mes endroits de prédilection. Tiens, voilà Petite-Goulaffe qui baisse languissamment le nez vers la gamelle que Scouby a préparée pour elle. La bestiole ne fait pas montre de son bon appétit habituel : elle mâche longuement chaque bouchée, choisit des morceaux minuscules, soupire… Je m’approche pour l’observer. Serait-elle malade ? - Tu chipotes, Petite-Goulaffe, lui dis-je, tout étonné. Tu n’as pas faim ? Voilà qui me surprend ! Elle lève vers moi une petite mine mélancolique. - C’est pas ça, M’sieur Orca ! J’voudrais un peu mincir ! Ahuri, je la dévisage. Sous sa belle fourrure, elle me semble maigre et efflanquée… Tout le contraire de sa mère, ma chère Gourmande, si belle, si ronde ! - Oui, poursuit l’animal en mastiquant cent fois un morceau de viande, j’voudrais ressembler à la Princesse Diana ! Je manque m’écrouler sur place, assommé par cette déclaration inattendue. - Mais voyons, Petite-Goulaffe, même si tu faisais des efforts pendant cent ans, tu ne ressemblerais jamais à la Princesse Diana ! - Ah non ? Et pourquoi ? - Mais enfin… Tu as des oreilles pointues, des moustaches, une queue d’écureuil, alors que la Prin… - J’voulais pas dire lui ressembler comme ça, M’sieur Orca, que vous êtes bête ! - Merci. - J’voulais dire : être mince et distinguée comme elle, voilà ! Faire sensation dans le village ! - Oh, quant à ça, ne t’inquiète pas, Petite-Goulaffe. Tu as toutes les qualités qu’il faut pour mettre un village en ébullition… pas la peine de devenir anorexique pour ça ! Et puis, tu sais, elle était trop maigre, la Princesse Diana ! - C’est pas vrai ! Vous parlez comme M’man, M’sieur Orca, on voit que vous aussi, vous êtes vieux ! Je suis un peu vexé. On peut être libre de préférer une chatte épanouie comme Gourmande (ou même Ardoise, à la rigueur, en faisant abstraction du fichu caractère), à un tas d’os comme le devient Petite-Goulaffe, sans pour autant être considéré comme un fossile, vous ne trouvez pas ? A chacun ses goûts, non ? Elle est lapidaire, la nouvelle génération ! - Fais ce que tu veux, Petite-Goulaffe, dis-je à la jeune personne, mais je te signale quand même qu’assise comme tu es là, avec tes cuisses maigrichonnes, tu ressembles plus à une grenouille qu’à une chatte ! La Princesse Petite-Goulaffe ne daigne pas répondre au bouseux que je suis. Elle laisse là son assiette et se coule sous la haie d’un mouvement fluide soigneusement étudié. Un peu plus tard, je la revois : elle lèche les dernières miettes de la gamelle. La faim a eu raison de l’ambition. Et savez-vous ce qu’elle fait à présent ? Chaque fois que nous nous rencontrons, elle m’agonit de miaulements rageurs ! Scouby trouve ça comique. Moi, pas tellement. La nouvelle génération commence à me sortir par les yeux. L’autre jour, pourtant, j’ai entendu un autre discours. Plus de reproches ni de regards meurtriers ! La Petite-Goulaffe court vers moi, toute émue. - M’sieur Orca ! Y a un grand qui mange ma gamelle ! - Un grand ? Un grand quoi, Petite-Goulaffe ? - Un grand gros malabar ! Je vais voir. Effectivement, une masse blanche parsemée de quelques taches noires est attablée devant la pitance de notre Lady Di. - Dites donc, vous ! dis-je de mon ton le plus autoritaire. La masse blanche lève la tête. Il m’a suffi d’un coup d’oeil pour évaluer la situation : un chat blanc et noir, un peu obèse peut-être, mais qui a un peu le regard de Négatif, un peu le pelage de Négatif (en plus blanc, mais exactement la même texture), visiblement le même âge que Négatif… - Tiens ! Bonjour, P’pa ! me confirme le malabar. - Mais… mais… combien êtes-vous, à la fin ? bredouillé-je, sidéré. Encore un coup de ma Néfer ! Elle les sort un à un, ma parole, comme des lapins d’un chapeau ! - J’sais pas compter, répond placidement le gourmand qui a vidé jusqu’à la dernière miette l’assiette de la Petite-Goulaffe. - Et quel est ton nom ? - Moi, P’pa, on me dit Charlie parce que je ressemble à Chaplin… Je ne souffle mot. A son âge, je me prenais bien pour Depardieu ! - On me dit aussi Roublard, parce que je suis intelligent ! Sur le moment, je doute de la véracité de cette affirmation, mais ensuite, j’ai bien été obligé de déchanter : Roublard a découvert le secret de ma chatière, vous imaginez ça ? Je l’ai rencontré un jour dans ma cuisine à moi ! Evidemment, il ne restait plus une seule croquette dans mon bol. Dan, averti par mes soins, a essayé de persuader mon second fils qu’il n’est pas vraiment le bienvenu, avec des manières pareilles. Il a fait du bruit pour l’effrayer. Roublard s’est enfui et a filé se cacher dans la haie, histoire de continuer à surveiller la maison tout en restant invisible. Quand Scouby dépose de la nourriture dans le passage entre notre maison et celle du voisin, Roublard est évidemment aux premières loges pour se servir. J’ai constaté cependant que lorsque sa mère, ma jolie Néfer, arrive de son pas léger, toute frêle sur ses hautes pattes, mon herculéen rejeton s’efface pour la laisser manger avant lui. Peut-être, à la longue, pourra-t-on lui inculquer les bonnes manières… Les jours ont succédé aux jours et la fin des vacances est arrivée. Dan a chargé la voiture en laissant longtemps ouverte la porte du fenil (ce détail a son importance, vous allez comprendre pourquoi). Tout le monde m’a embrassé, Ardoise s’est embarquée dans son panier «Félix » et les voilà tous partis ! Et voilà comment se sont passées ces vacances ! Enfin, j’ai mon jardin tout à moi ! Je peux aller et venir sans devoir prendre garde à une patte irascible et querelleuse ! Je peux me promener dans la cuisine sans qu’une créature despotique me surveille du haut de la table ! Je peux me laver à l’aise, sans redouter les critiques soulevées par « ma petite odeur » ! Et surtout, je peux m‘allonger sur les plants de dahlias (mais ça, il ne faut pas le répéter à Dan !). Je suis LIBRE ! A nouveau maître des lieux, j’ai fait le tour de mon domaine. Mais qu’entends-je ? Des gémissements retentissent dans le fenil ! Je colle mon oreille à la porte. - P’pa, P’pa ! Au secours ! Mon sang ne fait qu’un tour. - Toi, Roublard ? Que fais-tu là ? - J’suis enfermé, P’pa ! Ouvre-moi ! J’essaie. Impossible ! Dan a soigneusement verrouillé toutes les issues ! - Roublard, il va te falloir du courage, dis-je. Tu devras rester là-dedans jusqu’à ce qu’ils reviennent ! - Quand, quand, P’pa ? - Vendredi prochain, dans cinq jours… Pauvre Roublard ! Comme je ne pouvais plus supporter de l’entendre pleurer, je suis parti. J’avais l’appétit coupé et la nourriture a moisi dans mes assiettes. Impatiemment, j’ai attendu que vienne le vendredi… Quand j’ai enfin vu la voiture s’arrêter devant la maison, j’ai poussé un grand ouf ! Dan a ouvert la porte du fenil. - Tiens, c’est bizarre, un animal a éventré les poubelles, remarque-t-il. Après quelques pas : « Un animal a gratté la terre de mes plantes ! » - Toutes les vieilles carcasses de poulet sont mangées, a dit Scouiby en considérant un petit amas de détritus sur le sol. Roublard avait fait un sort aux poubelles, bien sûr ! D’abord, les soupçons se sont portés sur moi, d’autant plus que je n’avais pas touché à la nourriture déposée à mon intention. Puis, ils ont admis que c’était impossible : je ne pouvais pas me trouver à la fois dehors, pour les accueillir, et emprisonné dedans ! Pas très rassuré, Roublard a attendu un moment propice pour déguerpir. Il l’a trouvé quand Dan et Scouby se sont installés sur la terrasse. Soudain, un éclair blanc a filé devant eux, si rapide que l’œil sagace de la chère Ardoise ne l’a même pas capté ! - C’est le pauvre Roublard qui était enfermé ! s’est exclamée Scouby. - Ca lui fera une leçon ! dit Dan, tout de même apitoyé. Au moins, il ne se risquera plus à entrer chez nous comme dans un moulin ! A la fin de week-end, nous étions tous certains que Roublard, ne se trouvait pas dans la maison. Nous le distinguions très bien, installé sur la plus haute branche du noyer : le chien des voisins, Maxou, tournait autour de l’arbre et Roublard, fataliste et patient, attendait son départ. J’espère quand même que le chien Maxou ne va pas rester au pied de l’arbre durant cinq jours !
  10. Chapitre 50 : VACANCES ARDOISIENNES Je parie que vous savez ce qui m’arrive : j’en suis encore tout ébouriffé : la chère Ardoise est venue en vacances à la campagne, chez moi, et y est restée quinze jours ! Elle vous a sûrement tout raconté ; je pense cependant qu’elle a dû oublier ( ?) certaines choses que je vais vous relater ici, pour que vous ayez une vision bien complète de tous les événements des vacances ardoisiennes ! Quand elle est arrivée en grande pompe, au volant de son panier Félix, je n’étais pas là. Vous savez que ça l’énerve, que je ne sois pas au garde-à-vous pour l’accueillir. Après une minutieuse vérification (n’étais-je pas sous le tapis ? dans la poubelle ? derrière un pot de fleurs ?), elle s’est postée sur la table de la salle à manger, raide comme la justice, pour me recevoir lorsque je surgirais par la chatière. Après, elle ne m’a plus lâché les baskets. Contrairement au week-end précédent, elle s’est montrée relativement aimable. Elle est lunatique, vous savez, cette Ardoise ! Ce premier jour, par exemple, alors qu’elle était confortablement juchée sur les genoux de Scouby (la largeur de la chère et douce couvre facilement un genou et demi, pour ne pas dire plus…), elle m’a autorisé à m’installer sur le demi-genou qui restait. Nous sommes ainsi restés l’un contre l’autre, moi un peu étouffé entre son épaisse fourrure et l’accoudoir du fauteuil (mais n’osant évidemment rien dire) et elle, épanouie et majestueuse, tolérant magnanimement mon infime présence. Le soir, quand nous sommes tous montés nous coucher, je l’ai vue bondir sans complexe sur la couette à motifs provençaux que j’aime particulièrement. Moi, un peu triste, je suis resté debout, indécis, à côté du lit. Où allais-je passer ma nuit solitaire de pauvre chat des champs ? - Eh bien, a dit la chère et tendre, keske vous faites là, planté comme un pilier ? Montez ! - Z’êtes sûre que je peux ? ai-je demandé, incrédule. - Ben voui ! - Z’allez pas me taper dessus ? Pas m’écraser ? Pas me griffer ? Pas me chasser ? Pas me faire des grimaces ? J’énumère la suite des avanies qu’elle m’a déjà fait subir. Je vais ajouter « Pas me mordre ? » quand je me retiens : elle ne l’a pas encore fait, ce n’est pas la peine de lui donner des idées ! - Ben non, pas aujourd’hui ! Un peu méfiant, je me suis installé à côté d’elle. Nous avons dormi côte à côte, fourrure contre maigre pelage. C’est une première ! Elle ne m’a pas trop taquiné. Bon, en l’espace de ses deux semaines de vacances, j’ai reçu quelques coups de patte sur la tête, au rythme de ses lubies, mais bien moins que d’habitude. Le coeur de la douce Ardoise serait-il enfin touché par mes multiples qualités ? Il faut dire que, quand elle s’énerve, j’ai trouvé le truc : quand je vois son regard fulgurer et sa patte se lever, je crie avant qu’elle ne me touche. C’est efficace. Cela la décontenance : elle rate une gifle sur deux. C’est un peu plus sérieux quand elle vise un de mes yeux (mais oui, elle en est capable !). Là, je serre les paupières très fort, pour me protéger, puis je vais m’installer un peu plus loin, le temps que sa mauvaise humeur soit passée. Notez que ce type d’attaque n’est pas fréquent : il survient principalement quand je suis parti pour une si longue promenade qu’elle a eu le temps de m’oublier. Quand je reviens, elle se souvient soudain que j’existe et cela lui fait un choc. Pour elle, je reste un rival, en quelque sorte. Faut comprendre. Elle a des réactions un peu primaires, la douce et belle ! - Pourquoi vous appelez votre fiston « Orca-Junior » ? me demande-t-elle, critique. - Ben, justement parce que c’est mon fils, dis-je sans comprendre où elle veut en venir. - Et alors ? Il a pas le droit d’avoir un nom à lui ? Ca vous plairait, vous, qu’on vous appelle comme votre père ? Etre un numéro 2 ? - Heu, dis-je. En fait, cela ne me plairait pas à moi, bien sûr. En ce qui concerne mon fiston, c’est différent. J’aime à penser que je suis le premier d’une longue lignée d’Orca. Apparemment, la douce Ardoise va piétiner ce rêve et je devrai me laisser marcher sur les pattes, comme d’habitude. - Finalement, quand on dira « Orca » au village, on ne saura plus de qui on parle, dit-elle. Vous vous imaginez comme c’est idiot : Orca-père, Orca-junior, Orca III, Orca IV… - Comme des rois, dis-je. Elle ricane. J’abandonne la partie. Après tout, ça m’est égal. - Allez, dis-je, soyez franche : quel nom lui avez-vous trouvé ? - C’est pas moi, c’est Daniel, dit-elle, assez honnête quand elle veut. Puisque votre rejeton est noir où vous êtes blanc et blanc où vous êtes noir, ce serait bien de l’appeler Négatif, non ? - Négatif ? Ca ne risque pas de lui donner la déprime ? De l’empêcher de positiver ? - Il en faudrait beaucoup pour qu’il soit déprimé ! C’est vrai. Orca-Junior, dit Négatif, traverse la vie comme il traverse mon jardin, d’un pas conquérant, la queue fièrement dressée, la silhouette robuste. Je suis minuscule à côté de lui, ce qui nuit bien sûr à mon autorité paternelle. Quand il me voit, il a un petit sourire tolérant. Quand je lui fais la leçon comme il est du devoir de tout bon père, il écoute d’une oreille, par pure politesse. Les petits-enfants du voisin en raffolent et jouent avec lui. Pour lui, la vie est une fête ! J’aime beaucoup Dan et Scouby, mais je ne les comprends pas toujours. Ils ont des réactions on ne peut plus étranges, parfois ! Ainsi, Scouby : elle est là pendant deux jours, toute affectueuse avec moi, et le troisième jour, plus personne ! Elle nous a abandonnés ! Il se passe cinq autres jours sans qu’on la revoie et alors, elle se conduit comme si rien ne s’était passé ! - Orkatteke ! Mon chat-chat ! Mon adorable Ardoise ! La naïve Ardoise lui fait fête. Moi, je me renfrogne un peu. Je pense que, durant tous ces jours, son cœur était loin de ses chats adorés ! - Fallait bien que je travaille, mon Orca ! Ca me dépasse : à quoi ça sert, de travailler ? En quoi l’Ardoise, pour une fois, est tout à fait de mon avis ! Et Dan ? Vous le croiriez normal, comme ça, à première vue. Pourtant… Je vous laisse juger. L’autre jour, il travaillait dans notre bac à fleurs. Au printemps, ce bac, enclos dans le jardin, est magnifique, empli de fleurs bleues. Puis, ces fleurs se fanent et le bac devient terne. Dan avait décidé de planter de nouvelles fleurs. Notre voisine lui a donné des plants de dahlias et, toute l’après-midi de samedi dernier, le jardinier amateur a peiné sous le soleil. Il bêchait, plantait… Moi, j’observais du coin de l’œil. J’attendais qu’il ait fini pour aller me rendre compte du résultat de tous ces efforts. Et puis, un bon bac plein de terre fraîchement remuée, c’est bien agréable pour s’y étendre, croyez-moi. Dès que j’ai vu Dan se relever et se diriger vers la maison pour s’y servir un pastis bien tassé, je me suis dirigé nonchalamment vers le terrain labouré. Après y avoir fait une courte promenade de prospection, je me suis étalé de tout mon long dans la terre agréablement humide. Dan revenait de la cuisine, muni de son pastis. A peine s’était-il assis dans son fauteuil de jardin qu’il a sauté sur ses pieds comme si une mouche l’avait piqué. Tout étonné, je l’ai vu courir vers moi en agitant les bras comme des moulinets. - ORCA ! PAS DANS MES DAHLIAS ! Le voisin (qui n’aime pas les chats) a murmuré, entre haut et bas : « Voilà ce qui arrive quand on les attire ! » Froissé, je me suis relevé et suis allé me coucher un peu plus loin, dans l’herbe. C’est pas la peine d’avoir un sympathique chat des champs si on ne se soucie pas de son bonheur, vous ne trouvez pas ? Et mon bonheur immédiat, c’était aller me coucher dans ces plants de fleurs. Je suis un chat bucolique. Après cet épisode, j’ai quand même boudé quelques instants. C’est vrai, quoi ! - Y a pas de quoi fouetter un chat, m’a dit la chère Ardoise le soir même. Si vous saviez ce qu’ils me font à moi, c’est bien pire ! Ils me bombardent avec des produits toxiques ! J’ai peine à la croire. Ne serait-elle pas un peu mythomane ? En tout cas, elle est cachottière ! Figurez-vous qu’un jour, un vendredi après-midi précisément (Scouby devait revenir le soir même), elle a donné à Dan l’émotion de sa vie ! En effet, il construit pour le moment une petite chambre à l’étage de la maison. Ce jour-là, il a gravi l’escalier pour continuer son bricolage. Il n’a pas vu que la malicieuse créature grise s’était glissée à sa suite, impatiente de se livrer à une exploration minutieuse des poutres surplombant le fenil. Moi, chat obéissant, j’étais resté sur la terrasse, au soleil. Il paraît que le soleil est bon pour les poils anémiés, aussi j’en use et en abuse mais n’ai pas encore constaté une notable amélioration de mon état. Dans l’après-midi, Dan redescend, un peu soucieux. Il jette un coup d’œil au-dehors, se met, lui aussi, à explorer la maison. Je l’entends crier : « Ardoise, Ardoise ! Où es-tu, ma minette ? « Il remonte l’escalier : « Ardoise ! » Je dois vous préciser, pour l’avoir souvent observé, que cet animal ne répond JAMAIS au nom d’Ardoise ! Fébrile, il redescend. - Aurait-elle compris le système de la chatière ? J’aurais pu le rassurer : la chère créature a disposé jadis d’une chatière, lors de son séjour au refuge « Veeweyde », mais elle a tout oublié ! Même lorsqu’elle me voit entrer et sortir, aucun déclic ne se produit dans son esprit et elle ne pense nullement qu’elle pourrait, elle aussi, disposer de cette petite porte bien pratique… Dan sort, explore le jardin d’un œil de plus en plus désespéré. Il appelle à tous vents : « Ardoise, Ardoise ! » - Elle est au premier étage, je l’ai vue monter, dis-je apaisant. Il ne m’a pas compris. C’est bête, il y a parfois du brouillage dans nos communications. Ou alors, c’est mon accent ? Il se précipite au volant de sa voiture pour aller explorer le village. Moi, posément, je monte l’escalier pour rejoindre la farceuse qui se nettoie d’une langue méticuleuse, allongée sur une caisse, sous la fenêtre Velux qui lui dispense une douce chaleur. - Dan est très inquiet, dis-je. Il est parti à votre recherche dans le village. Vous ne répondez donc jamais quand on vous appelle, Ardoise ? - Jamais, c’est un principe, dit-elle. J’aime qu’on me cherche. D’ailleurs, z’allez voir, il va finir par me trouver ! Satisfaite, elle regarde autour d’elle. - Ici, il y a des centaines de cachettes encore plus géniales qu’à l’appartement ! s’exclame-t-elle joyeusement. Voilà Dan de retour. Il est effondré. - Qu’est-ce qu’elle va dire Scouby ? Et Olivier ? Quand ils sauront que j’ai perdu Ardoise… Il se remet néanmoins à chercher… et cinq minutes plus tard, découvre la caisse sur laquelle semble dormir profondément la chère disparue ! - Ardoise ! Elle ouvre les yeux, baille de toutes ses forces. Pour un peu, on verrait jusqu’au bout de sa queue ! - Keske j’ai bien dormi ! ronronne-t-elle avec candeur. Je crois que Dan n’est pas complètement dupe… Il paraît que même dans l’espace restreint de l’appartement, la chatte adorée se révèle une véritable spécialiste de la disparition ! Faut avouer que, parfois, elle m’amuse : elle est tellement naïve qu’elle gobe tout ce que je lui raconte. En plus, je deviens astucieux : je commence à connaître ses petites ruses tissées de fil blanc ! Ainsi, par exemple, je reviens à la maison après une bonne petite promenade matinale qui m’a mis en appétit ? Je sais très bien que la douce chatte grise s’est postée devant la chatière, histoire de m’intimider et m’empêcher d’entrer ! Alors j’attends sur la terrasse en poussant des miaulements à fendre le cœur. Pendant ce temps, elle m’observe d’un œil fulgurant à travers la petite cloison transparente. Ca ne rate pas : un humain surgit. - Mon Orca ! Qu’est-ce que tu fais dehors, tu ne veux pas entrer ? - Je ne PEUX pas ! Regardez le monstre qui me guette ! Si vous m’escortiez un petit bout de chemin, Dan (ou Scouby), je me sentirais plus en sécurité ! Vous voulez bien ? Apitoyé, l’humain s’improvise garde du corps pour m’accompagner jusqu’à la cuisine, où je me sustente avec délices. La chère Ardoise, dépitée, s’est tapie dans une de ses retraites. Elle me surveille sans en avoir l’air. Parfois, pourtant, il m’arrive de me montrer imprudent. L’autre jour, je regardais benoîtement Ardoise et Négatif qui se faisaient des grimaces de part et d’autre de la fenêtre. Quels enfantillages, vraiment ! Je renifle avec mépris, du haut de ma supériorité intellectuelle. Tiens, il ne pleut pas, si j’allais faire un petit tour ? Je m’engage dans la chatière au moment précis où la chère Ardoise, excédée par les agaceries de Négatif, se précipite également vers la porte. Mon fiston, survolté, en fait autant de son côté. A peine ai-je mis le nez dehors… Vlan ! S’imaginant que c’était Ardoise qui sortait pour lui demander des comptes, Négatif n’a pas fait dans la dentelle : j’ai ramassé la torgnole en pleine figure ! - Oh, pardon, P’pa ! Je pensais que c’était la grosse bête grise qui… - Grosse bête toi-même ! dis-je, outré, alors que la chère Ardoise, toute égayée, observe la scène derrière la chatière. Je l’imagine sans peine, se roulant par terre d’hilarité derrière mon dos ! C’est malin, vraiment ! Dignement, je pars faire ma promenade quotidienne.
  11. Chapitre 49 : JE M’AMUSE ! A l’heure où je suis arrivée dans mes mémoires, je passe quelques jours de vacances dans notre maison des champs avec Daniel et l’inévitable Orca ! Non, pas Scouby ! Elle doit travailler pour gagner mon Félix et tout ce qui fait mon confort quotidien. C’est à ça que ça sert, les mères d’adoption à deux pattes ! Le week-end, elle nous rejoint par le train. Mine de rien, j’ai beau m’amuser beaucoup, je trouve ça long, une semaine sans elle ! Comme de son côté, elle pense la même chose, nos retrouvailles sont toujours très chaleureuses. Quand elle surgit, mon regard s’éclaire et je commence à ronronner comme un petit moteur. Elle me prend dans ses bras et en avant pour les câlins ! Je m’amuse, je m’amuse ! Je me suis découvert une nouvelle spécialité : la chasse aux mouches ! - Ardoise est peut-être une naïve, mais elle est loin d’être bête ! a commenté Daniel. « Et encore agile, avec ça ! » Je me rengorge. LES REGLES DE LA CHASSE AUX MOUCHES 1) Détection de la mouche Vous levez les yeux au plafond et tournez la tête dans tous les sens. Logiquement, une mouche doit rencontrer votre regard : à la campagne, c’est sûr à 100 % ! Lorsque vous avez aperçu la mouche, vous ne la lâchez plus des yeux et vous vous mettez en position de combat : pattes postérieures légèrement fléchies et prêtes à bondir, patte antérieure droite libre, queue fouettant furieusement l’air derrière vous. Vous y êtes ? Continuons ! 2) Flexion de la patte antérieure droite Très important ! Votre patte doit être fléchie correctement. Si vous la gardez droite, vous n‘attraperez pas la mouche. Si vous la pliez trop, vous risquez de vous faire une foulure. L’idéal, c’est un angle à 30 degrés. 3) Chasse Si la mouche s’obstine à voler près du plafond, vous ne pouvez rien faire. Il faut de la patience, attendre qu’elle se mette à votre niveau. Si elle se déplace beaucoup, vous suivez le mouvement, surtout n’hésitez pas, courez de manière à ne jamais la perdre de vue. Qu’aucun obstacle ne vous arrête ! Au besoin, foncez à travers tout et restez insensible aux glapissements indignés qui retentiront sur votre passage ! 4) Capture La proie se présentant de manière adéquate, vous sautez en l’air et l’abattez de votre patte correctement fléchie. Si vous avez bien coordonné vos mouvements, vous devriez l’avoir du premier coup : assommée, la mouche tombe sur le sol. 5) Mise à mort Là, vous avez le choix : soit vous montrer magnanime et laisser l’animal reprendre ses esprits (vous recommencerez la chasse une autre fois avec le même gibier), soit mener les choses à leur terme, sans souffrances inutiles : vous bondissez sur la bestiole inerte qui se trouve instantanément écrasée sous vos six ou sept kilos. Puis vous la mangez. Pas toujours, seulement quand Scouby ne vous regarde pas. Elle désapprouve : elle dit que vous allez attraper des maladies affreuses. Vous vous regardez dans la glace ; vous avez le teint clair et la mine réjouie. Ouf ! FIN DU TRAITE SUR LA CHASSE AUX MOUCHES Et là ne se limitent pas mes activités de vacances ! Chaque matin, quand nous nous levons et que Daniel (ou Scouby quand elle est là) ouvre la porte de la chambre pour nous permettre d’atteindre le rez-de-chaussée, moi je ne descends jamais immédiatement. Le premier étage étant devenu un chantier, j’adore partir en exploration. Et je me glisse derrière les chaises de jardin, et je me cache derrière les plaques en aggloméré, et je sautille vers le fenil que je surplombe d’un étage ! Là, c’est le pied (pardon, la patte) ! Je me mets à danser sur les poutres, au-dessus de ce lieu que j’aime entre tous ! En faisant des entrechats, je fredonne, sur un air connu : La vie est belle, Chat-la-la-la-la Chat-la-la-la-la ! La vie est belle, Chat-la-la-la-la… - Ardoise, descends ! hurle le trouble-fête de service. Cause seulement ! Je descendrai quand j’en aurai envie. De toute façon, tu ne peux que crier, puisqu’il t’est impossible de me rejoindre là où je me pavane ! Tu te casserais les deux jambes et la tête avec. Y a pas à dire, c’est chouette d’être un chat ! Enfin, un chat comme moi ! Parce que l’Orca, lui, ne fait pas de galipettes sur les poutres de la maison. Majestueusement, avec discipline, il descend les escaliers à côté de Daniel et me lance, de loin, un coup d’œil un peu dédaigneux que j’interprète fort bien : « Quelle puérilité ! Quel manque de tenue ! Un véritable chaton sans éducation, cette Ardoise ! » Mentalement, je lui tire la langue. C’est vrai que je suis particulièrement jeune d’esprit, et alors ? Quand j’ai enfin envie de prendre mon petit déjeuner, je descends et me rends dans la cuisine. Orca a déjà fini son repas, lui ! Il est sorti faire sa promenade quotidienne. Encore une injustice ! Pourquoi peut-il sortir tout seul et moi pas ? On se conduit dans cette maison comme il y a cinquante ans : les garçons peuvent tout se permettre et les filles, rien ! C’est pas parce que j’entre dans les maisons des voisins qu’on doit m’empêcher de sortir seule, tout de même ! J’inspecte mon assiette. Si mon comportement est parfois un peu dissipé, je suis néanmoins très stricte sur l’ordonnance de mes repas : ma gamelle est à gauche, celle d’Orca à droite. Pour moi, des petites boulettes, pour lui, de la pâtée. Pour rien au monde je ne goûterais à sa pitance, c’est une question de dignité ! L’autre jour, Scouby, par distraction, avait placé mon assiette à droite. Je le lui ai fait remarquer : voulait-elle me priver de mon repas ? J’ai boudé devant l’assiette sans y toucher, jusqu’à ce que ma mère d’adoption comprenne son erreur. La gamelle dûment remise à sa place habituelle, j’ai enfin pu manger. Quand j’habiterai ici définitivement, faudra que je remette les pendules à l’heure ! Il y a du laisser-aller pour certaines choses ! Ainsi, le phénomène nommé P’tite-Goulaffe… Comme vous le savez par Orca, j’ai été, il y a quelques semaines, HORRIBLEMENT vexée par le manque de respect que m’a manifesté cette créature qui, après avoir endormi par des chattemites ma juste méfiance, s’est permis de GROGNER dans ma direction ! Crime de lèse-Ardoise ! Depuis, elle regrette visiblement son geste et cherche à regagner mes bonnes grâces. Je reste de glace. Quand elle se présente à la porte et aperçoit le bout rébarbatif de mon museau, elle n’insiste pas et décampe à toutes pattes. Moi, juchée sur l’appui de fenêtre de la salle à manger, je surveille sa retraite… avec une évidente satisfaction. Mais quand elle ne me voit pas et s’imagine que je suis absente… Savez-vous ce qu’elle se permet de faire ? Elle se précipite dans la cuisine à la vitesse d’une fusée et rafle le contenu de nos gamelles, l’une après l’autre ! Moi qui revenais d’avoir fait un petit somme dans le salon, je ne peux qu’assister au désastre. Je m’immobilise, image vivante de la stupeur choquée. Puis mon regard se fait menaçant. Elle dévore. Quand tout est vide et qu’elle s’avise soudain de ma présence, elle prend un petit air gêné… dont je ne suis pas dupe ! - Je passais par hasard, Noble Demoiselle Ardoise, minaude-t-elle en faisant un grand détour pour m’éviter. Une fois hors de portée de mes pattes, elle gagne la porte en courant. Si, toutefois, je me place de manière à lui bloquer la sortie, ne croyez pas qu’elle me laissera lui donner la raclée qu’elle mérite ! Elle se transforme en pauvre chaton pitoyable et attend, clouée sur place, qu’un humain fasse son apparition. Sitôt qu’une silhouette à deux pattes passe par là… - Au secouuuuuuurs ! gémit la P’tite Goulaffe, Y a la chatte Ardoise qui veut me tuer ! Sauvez-moi ! Vraiment, elle n’y va pas molo avec le mélo, la bestiole ! Evidemment, ça ne rate pas ; l’humain, bête comme il n’est pas possible, se penche, prend P’tite-Goulaffe dans ses bras en lui chuchotant des mots gentils et va la déposer dans le jardin où elle se retrouve en sécurité. Je suis écoeurée ! Et quand il fait beau et que nous nous trouvons toutes deux dans le jardin, que croyez-vous qu’elle fait ? Elle a pris depuis longtemps la mesure de ma corde (maudite corde !) et se contente de rester hors de portée de mon périmètre d’action. Là, elle batifole sans plus se préoccuper de mon auguste présence, ni de ma manifeste désapprobation ! Je vous le jure : il y a des baffes qui se perdent ! Va falloir que je me revanche sur l’Orca… Et ce n’est pas tout ! L’autre jour, j’arrive dans la cuisine et qu’est-ce que je vois ? Une chatte tricolore, le nez dans mon assiette à moi ! Elle bâfre avec un redoutable enthousiasme ! J’en reste médusée, hagarde : si tout le village considère mes affaires personnelles comme étant du domaine public, qu’est-ce que je vais devenir, moi ? J’ai pris mon air le plus intimidant : les yeux minéraux, les moustaches vibrantes… La chatte tricolore a fini MON repas. Elle se lèche les babines. - Fameux ! apprécie-t-elle sur un ton connaisseur. Tiens, bonjour mignonne, je ne vous avais pas vue… Je grogne, féroce et terrifiante. Elle ne semble pas s’en soucier. Visiblement, elle n’a même pas remarqué ma mauvaise humeur. Me jetant un regard candide et bienveillant, elle tourne les talons. - C’est pas tout ça, dit-elle. Je vais aller voir chez moi si on m’a préparé un petit en-cas. L’appétit vient en mangeant, comme on dit. Moi, j’ai toujours faim ! Au revoir mignonne, à bientôt ! Elle sort à pas posés, en se toilettant les moustaches. Que faire ? L’attaquer par derrière ? Me mettre à rugir ? Piquer une crise de nerfs ? Le temps que je prenne une décision, elle a disparu. Ca alors, c’est la première fois que je rencontre une chatte encore plus naïve que moi ! A moins qu’elle soit myope… Vous l’avez certainement déjà reconnue : il s’agissait de Gourmande, la mère de l’ineffable P’tite-Goulaffe. Quelle famille, mon Dieu quelle famille !
  12. Le samedi, elle semble un rien plus nerveuse. Alors que je suis allongé sur une pierre, au jardin, pour prendre le soleil, la voilà qui s’approche de moi et me flaire longuement le museau. Puis, sans crier gare, elle lève la patte et me donne une gifle. Bon, d’accord, elle ne tape pas fort, mais le choc de ses griffes sur un petit museau rose et sensible, ça ne fait pas du bien ! Admirez ma patience, les amis. Je ne me suis pas rebiffé. Je suis simplement allé me coucher un peu plus loin, hors de portée de la corde qui limite la liberté de Mademoiselle. Je me demande si ce n’est pas cette corde qui lui aigrit le caractère : elle voit bien que je suis libre moi ! Mais est-ce ma faute si je suis raisonnable et elle pas ? Quand on la libère, elle part n’importe où et c’est la croix et la bannière pour la récupérer ! Quoique, pour ma part, si on ne la récupérait pas, ce ne serait pas un si grand mal, mais n’allez pas lui répéter ça, hein ? Ni à Scouby ! Elles en feraient un foin ! Le dimanche, elle s’est réveillée complètement survoltée ! Elle a déboulé de la pièce où elle passe la nuit (quand il fait chaud, elle refuse de dormir avec nous) et m’a aperçu, allongé sur le sol dans une flaque de soleil. C’était la seule flaque de soleil de la chambre, par malheur. Bon, elle m’aurait dit : « Orca, je meurs d’envie de me coucher aussi dans le soleil, prêtez-moi votre place quelques instants. » je me serais levé et lui aurais cédé la place, bien sûr. Non. Elle s’est élancée sur moi et a voulu me pousser, jouant des quatre pattes pour se retrouver, elle, à l’endroit privilégié. J’ai poussé aussi. Elle a commencé à m’agonir d’injures : - Miaou ! Miâââââââ ! Yââââââk ! Grouignîîîîîî ! - Méééééou ! Miamiamiaou ! Eééééééééééééééééééééééééééééh ! ai-je répliqué de ma voix la plus perçante. - La paix, les chats ! Arrêtez de vous chamailler, nous on veut encore dormir ! a tonitrué une voix venant du lit. On s’est disputés plus bas. On était furieux. Une heure plus tard, Scouby s’est levée. Alors qu’elle entrouvrait la porte de la chambre pour descendre à la cuisine, l’Ardoise et moi nous sommes précipités ensemble dans l’étroite ouverture. Télescopage ! J’en ai profité pour lui donner un bon coup d’épaule. Elle, un coup de tête. Nous étions quittes. J’ai descendu les escaliers à côté de Scouby, posément, pour bien lui montrer comme moi je suis sage et bien élevé, pas comme l’excitée qui est en train de s’exercer à la course à pattes au-dessus de nos têtes, refusant de descendre au rez-de-chaussée comme tout le monde. - Tiens, voilà Petite-Goulaffe qui vient chercher son repas, dit ma mère d’accueil en apercevant une tête quémandeuse qui s’encadre dans la vitre de la chatière. Elle ouvre la porte. Alors que Petite-Goulaffe pose une patte à l’intérieur de la maison, que voyons-nous ? Une boule grise, toute hérissée, qui dévale les escaliers en battant un record de vitesse ! Elles échangent à peine un regard. Petite-Goulaffe, édifiée en un quart de tour, prend ses pattes à son cou et s’éloigne à toute vapeur, préférant se passer de petit déjeuner plutôt que d’affronter une furie ! Sans compter que la chère Ardoise a bonne mémoire et n’a pas oublié certain grognement intempestif… - Z’exagérez un peu ! dis-je à l’énergumène dont les moustaches vibrent encore de fureur. - Vous, P… de B… de M… F… ! m’asséne-t-elle. J’en reste coi un instant. Mais, moi aussi, P… de M…, je connais des noms d’oiseaux ! Je les piaille très fort dans son oreille. - Quel vocabulaire ! dit-elle, pincée. - Autant pour vous ! dis-je. « Je ne savais pas qu’une chatte soi-disant bien élevée connaissait des mots pareils ! » Alors elle m’a boudé. Nous ne nous sommes plus regardés. Dans l’après-midi, brève accalmie. Nous sommes sur la terrasse, tout près de Dan. Il faut en effet être prudents : Maxou, le chien mangeur de chats, se balade dans le jardin voisin. En tant que vagabond toujours obligé de défendre ma vie, je connais bien le chien Maxou et, jusqu’à présent, j’ai toujours couru assez vite pour lui échapper en cas de besoin. S’il m’embête, je file jusqu’au sommet de l’arbre le plus haut du jardin et j’attends qu’il se lasse de me guetter. Mes copines les chattes, elles aussi, sont conscientes du danger et ne se hasardent pas dans les parages quand le fauve (un lévrier) est présent. Quant à la chère Ardoise, elle ne comprend pas ! Pourquoi ne veut-on pas qu’elle joue avec ce grand animal qui court si vite ? Je lui explique, elle ne me croit pas. Elle ne peut concevoir qu’on puisse la chasser comme un vulgaire lapin. Cette innocence me stupéfie. - Ce n’est pas pour vous peiner, chère Ardoise, lui dis-je, mais je crois que lorsque vous habiterez ici, il vous faudra rester à la corde quand vous sortirez au jardin. Vous êtes trop inconsciente pour courir en liberté. Elle est vexée. - Bien sûr, ce n’est pas votre faute, dis-je. Vous êtes une indécrottable chatte d’appartement, c’est tout. Faut croire que je n’utilise pas les mots qu’il faut. Elle m’en veut. Pourtant, j’ai raison, vous savez ! Toujours est-il que, toute la journée du dimanche, nous nous sommes encore querellés. Scouby dit qu’elle ne nous a jamais entendu parler autant ! Paraît que j’émets des sons bizarres, un peu comme l’extra-terrestre de la « Soupe aux Choux » ! L’Ardoise a un langage un peu plus classique, composé surtout de Miaou ! Miâââââ ! tandis que moi, j’innove ! Preuve de notre bonne éducation : nous avons échangé des insultes, pas des coups. La bousculade du matin avait suffi. Le soir, la chère douce est repartie dans son panier « Félix » sans que je lui dise au revoir. D’habitude, je fais des mines, je lui souhaite une bonne semaine, je me mets en quatre pour lui être agréable. Cette fois-ci, rien ! Comme ça, elle comprendra que, moi aussi, j’ai mon amour-propre. L’Orca Maître-Chat n’est pas une carpette ! Elle fera plus attention à ses manières, la prochaine fois… du moins je l’espère. Elle est tellement versatile, cette Ardoise !
  13. Chapitre 48 : RENCONTRE IMPREVUE ET PRISES DE BEC Eh bien, je viens de passer quinze jours super, je dois dire. Je n’ai manqué de rien. Dan était aux petits soins pour moi. Nous étions ici tous les deux, seuls, comme deux vieux copains… Vous pensez si ça m’a plu ! Pendant la journée, Dan travaillait à l’étage. Moi, j’allais me promener, ou je restais couché. Quand on est à nous deux, c’est relax : lui se levait le matin et laissait la porte de la chambre ouverte. J’étais libre de me lever ou de faire la grasse matinée, à mon gré (je dois dire que j’ai souvent choisi la seconde solution). Ce n’est pas comme quand Scouby est là ! Elle a la détestable manie de vouloir que je me lève en même temps qu’elle. Elle emporte au rez-de-chaussée mon bac de sable et ma gamelle, alors je suis bien obligé de la suivre, que voulez-vous ? Elle n’a cure de mes bruyantes protestations. - Orca, si tu veux dormir, tu peux aussi bien le faire en bas ! Elle devrait bien comprendre que ce n’est pas du tout la même chose ! On dort mieux sur une couette provençale, dans une chambre tapissée de bleu, que dans une cuisine ou un salon quelconques ! Mais que voulez-vous ? Elle se méfie de mes petits pipis ! Quand elle n’est pas là, Dan et moi, on se laisse aller. Si on est sale, on s’en fout ! On mange sur un coin de table, en lisant le journal (c'est-à-dire que lui lit, tandis que je froisse les pages en me couchant dessus). On s’enfonce sans complexe dans les coussins du vieux divan. Quand elle est présente, Scouby est toujours occupée à essayer de rendre une forme normale à ses coussins. C’est un total gaspillage d’énergie, je trouve : Dan s’assied… et tous les efforts sont réduits à néant : un énorme creux se dessine dans le divan, la belle housse fleurie se déplace, laissant voir de larges pans de vieux velours couleur or et des franges mitées. Pire : les coutures de la housse cèdent sous le poids… Visiblement, Dan ne s’aperçoit de rien. Scouby s’énerve. Ils ne voient pas les choses du même œil ! - Tu sais Orca, me dit-il le soir, quand nous sommes confortablement installés devant la télé (lui dans le creux du divan, moi sur ses genoux), ce serait moi tout seul, je n’aurais pas besoin de tant de pièces, et d’une salle de bains ! Moi je garderais juste la cuisine, le jardin et une pièce à tout faire ! J’installerais mon lit en bas, j’aurais tous les jours seulement une assiette, une tasse, une casserole et des couverts à laver… - Et ma gamelle, dis-je. - … et ta gamelle, bien sûr ! Ce serait cool : je mangerais les légumes du jardin, j’aurais des petites poules anglaises qui pondraient des œufs… - A moi les petites Anglaises ! - … Je deviendrais comme un vieux paysan, peut-être même que je chiquerais ! Je ne devrais plus me laver ni me raser, c’est ça qui serait bien ! - N’oubliez quand même pas mon bac de sable, hein Dan ? Moi j’ai besoin d’un bac à sable bien propre ! - Mais tu pourrais faire tes besoins dehors… - Non, non, maintenant je suis civilisé, il me faut mon bac ! J’y tiens, moi, à mon bac ! Surtout au bleu, celui d’Ardoise ! Si elle savait !... Peut-être que Dan et moi suivons un chemin contraire : insensiblement, tandis qu’il commence à s’identifier à un paysan du style de Louis de Funès dans « La Soupe aux Choux », moi j’évolue vers la tendance « chat d’appartement »… Malgré ces beaux discours, il a quand même balayé son chantier du premier étage avant de partir et il a refait le lit, pour que Scouby ne pique pas une crise d’apoplexie le week-end prochain. Ces quinze jours ont bien vite passé ! Ils ont débuté le week-end de Pâques, avec la petite famille assemblée : Dan, Scouby, Olivier, Nathalie et, naturellement, la douce Ardoise ! - Orca, ne va pas toujours te fourrer près de Nathalie, tu sais que tu lui fais peur ! m’avait dit Scouby. Moi je n’ai pas tellement écouté : j’étais si sûr d’arriver enfin à la charmer, Nathalie ! Justement, elle est assise à la table de la salle à manger. Elle étudie la matière de ses cours du soir, des mathématiques. Elle est très, très absorbée. Moi, subrepticement, d’un bond aérien, je me propulse à sa hauteur, pas trop près, bien entendu. Je me couche sur la table, à distance respectueuse, et la couve de mon beau regard doré. Si elle se rend compte de ma présence, elle n’en laisse rien voir. J’avance insensiblement et m’installe à sa droite, tout sourires et ronronnements. - Il fait beau ce matin, hein, Mademoiselle Nathalie ? Elle lève un tantinet la tête et prend une expression méfiante. Pourtant, hier, quand elle est arrivée, elle a caressé spontanément la chère Ardoise qui se vautrait sur un appui de fenêtre. Alors, pourquoi pas moi ? Nous restons ainsi, moi la dévisageant d’un air d’adoration manifeste, elle étudiant et me jetant de temps à autre un coup d’œil furtif. - Nathalie ? s’inquiète Scouby. Orca ne te dérange pas trop ? - Heu, non, à cette distance-là, ça va encore, répond courageusement la malheureuse, avec un petit sourire crispé. - Si vous voulez, Mademoiselle Nathalie, je peux m’installer à votre gauche, si vous n’aimez pas trop me voir à votre droite ! Sitôt dit, sitôt fait. Je surgis de l’autre côté de la table et reprends mon manège : regards enamourés, petits roucoulements. Elle semble rétive. Mon charme légendaire n’agit pas sur elle, hélas ! Peut-être qu’elle n’aime pas Depardieu… Quand elle a terminé d’étudier, elle rassemble ses cahiers et les pose en une pile bien soignée sur la table. Je vois aussitôt l’occasion de me rendre utile. - Si vous voulez, Mademoiselle Nathalie, je vais veiller sur vos cahiers, pour qu’il ne leur arrive rien ! Noblement, je m’assieds sur le premier cahier de la pile et reste immobile, pénétré de ma mission. Ils sortent tous, vers sept heures du soir, pour aller se délasser en passant la soirée au restaurant. Enfin, quand je dis tous… j’en excepte la chère Ardoise, bien sûr. Quand ils rentrent, à minuit, je suis toujours à mon poste, l’air sérieux et pénétré de mon importance. L’Ardoise dort depuis longtemps sur sa petite chaise rouge. - Vous voyez ? Personne n’a osé toucher à vos cahiers, Mademoiselle Nathalie ! Je les ai défendus envers et contre tous !... - Orca, tu ne vas pas me dire que tu es resté comme ça pendant cinq heures ! s’écrie Scouby. Si, pourtant. J’ai le sens du devoir, moi ! Contrairement à certaine chatte qui a passé la nuit dernière à faire des bêtises dans le fenil, je l’ai bien entendue ! Je ne dis rien mais suivez mon regard… Nathalie commence tout doucement à se détendre. Je crois qu’elle a moins peur de moi ! Le lundi soir, Scouby et Ardoise se sont embarquées dans la voiture d’Olivier pour le retour à Bruxelles et Dan et moi sommes donc restés seuls, en vieux célibataires. Je me laisse aller à des fantaisies, histoire de montrer à Dan que je suis une agréable compagnie. Un jour, je suis revenu de promenade, triomphant, avec un gros morceau de lard dans la gueule. Moi aussi je peux contribuer aux besoins du ménage si je veux ! Dan n’a pas voulu que je partage la viande avec lui (pourtant il aime le lard) et je ne lui ai pas dit où je l’ai trouvée, malgré ses questions. Souvenez-vous : je connais quelques bonnes adresses pour les chats errants, mais elles doivent rester secrètes, chut ! J’ai fait une drôle de rencontre, alors que je me baladais au jardin. D’abord, j’ai cru que j’avais la berlue : qui voyais-je là, devant moi ? Un autre Orca ! Mais un Orca en négatif : là où je suis noir, il est blanc ! Là où je suis blanc, il est noir ! Et puis, il semble beaucoup plus jeune que moi. Un Orca adolescent. - Qui êtes-vous ? Je ne vous ai jamais vu ici ! - Me voir c’est me reconnaître ! lance joyeusement le jeune chat. - Moi, je devrais vous reconnaître ? Pourquoi ? Comment vous appelle-t-on ? Bien sûr, je le sais déjà. Du moins, mon « moi » subconscient a compris la situation en un clin d’œil. Mon « moi » conscient, plus circonspect, demande confirmation. - On m’dit « Orca-Junior »… C’est chouette de se rencontrer comme ça, hein P’pa ! J’encaisse. Admettez que ça fait un drôle d’effet, se trouver face à sa progéniture sans y avoir été préparé ! Je présume qu’il s’agit d’un des enfants que Néfer m’a si bien cachés, il y a déjà longtemps ! Maintenant ils sont grands et se lancent dans la vie adulte. J’en attrape un coup de vieux, tout à coup. Je l’examine : le poil brillant, bien nourri, il semble se débrouiller dans la vie… Histoire de lui montrer que son père n’est pas un pouilleux, malgré les apparences trompeuses, je lui fais admirer ma maison, de l’extérieur bien sûr. Pas question de divulguer le secret de la chatière à quiconque, même à mes propres enfants ! Mon palais des mille et une nuits semble le laisser indifférent… En fait, son attention est attirée par une petite silhouette blottie dans la haie. - Waouh ! La jolie fille ! s’exclame-t-il. Il se lisse les moustaches et prend un air avantageux. Intrigué, je tourne la tête vers l’objet de son admiration et crois tomber raide. Je me mets à hurler, horrifié : « NON ! C’est pas une jolie fille ! C’est la Petite-Goulaffe ! Et je le dis et le redis : PAS QUESTION QUE JE DEVIENNE LE BEAU-PERE DE LA PETITE-GOULAFFE ! » - Cool P’pa ! T’énerve pas ! répond placidement mon rejeton. Après trois petits tours, il se décide à prendre congé et s’éloigne sur la chaussée. Il ne m’a pas donné son adresse. Je suis encore sous le choc. Je me demande s’ils ne flirtent pas derrière mon dos. Dan les a aperçus se promenant ensemble dans notre rue et ils avaient l’air de bien s’entendre ! J’ai voulu en avoir le cœur net et, alors qu’ils avaient rendez-vous dans la haie (MA haie !), j’ai tendu l’oreille. Pas par indiscrétion, non, non, n’allez pas croire ça ! Juste pour m’assurer que les choses étaient moins avancées que je ne le craignais. J’ai entendu Orca-Junior, pénétré de son importance, pontifiant : - Alors, vois-tu-ûûû, Peûtiteû-Goulaffeû, j’ai alors compris le sens de ma destinéeû profondeû… Et blabla, et blabla. Il se gonfle comme la grenouille de la fable, Orca-Junior ! Il croit que la Petite-Goulaffe le dévisage d’un air admiratif et captivé alors que je ne distingue, moi, qu’une flamme narquoise dans le regard de la charmante. Elle s’en tamponne, de la destinée profonde d’Orca-Junior ! Avais-je l’air aussi stupide, dans ma jeunesse, quand j’ai commencé à faire la cour à ma jolie Néfer ? Il est vrai que Néfer et moi, c’est différent. C’est spécial. Ca n’a rien à voir avec le flirt idiot d’Orca-Junior et Petite-Goulaffe ! - Allons plus loin, chuchote, assez haut pour que je l’entende, l’abominable chaton devenu non moins abominable jeune chatte, « Je vois ton vieux qui nous espionne ! » Les enfants, ça n’a plus aucun respect pour les parents ! Quelle génération ! En tout cas, je ne changerai jamais d’avis : pas question que je devienne le grand-père des enfants de Petite-Goulaffe ! Quelle catastrophe pour ma lignée ! Quel malheur pour moi ! O rage, ô désespoir ! Je me sens dans la peau de Don Diègue tout à coup… Il me fera attraper des poils blancs avant l’âge, Orca-Junior ! Passons à autre chose. Figurez-vous que le week-end passé, Ardoise et moi, on s’est disputés ! Ben oui, une fois de plus… Pourtant, ça avait bien commencé. Dan était déjà reparti depuis une semaine et la solitude commençait à me peser. Alors, Le vendredi, quand ma famille est arrivée, j’étais déjà dans la maison et j’ai accueilli mes invités avec de grands transports de joie, sans oublier (ce qui serait suicidaire) l’occupante du panier Félix. Elle était assez aimable, ce soir-là. Elle m’a même permis de m’asseoir à côté d’elle, dans la petite pièce donnant sur le jardin, pour que nous puissions surveiller ensemble Orca-Junior qui se sustentait dans la gamelle posée par Scouby à son intention, sur la terrasse. Eh oui, chez nous c’est les restos du cœur, vous le savez déjà. Au bout d’un moment, je me suis allongé sur un fauteuil de jardin et j’ai fermé les yeux. - Vous surveillez bien ? me demande l’Ardoise toujours à son poste. - Soyez tranquille, dis-je. Elle me fait un cours ex-cathedra sur l’importance fondamentale de la SURVEILLANCE dans la vie courante. J’approuve tout ce qu’elle raconte, elle est contente. Nous allons ensemble dans la cuisine pour reprendre des forces. Elle mange de toutes petites boulettes au goût de poisson, je n’apprécie pas tant. Moi, je préfère le contenu de ma gamelle : des bouts de saucisson et du pâté. L’harmonie règne entre nous. Une petite voix me dit que c’est trop beau pour durer.
  14. Chapitre 46 : FENIL ET SILVER TABBY Et voilà, je reviens de mon week-end pascal et je m’en remets à grand-peine ! Je suis FATIGUEE, vous ne pouvez vous imaginer combien ! « Pourquoi cela ? « me demanderez-vous. Eh bien, parce que j’ai été obligée de SURVEILLER un monde fou ! Orca, Daniel, Scouby, Olivier, Nathalie et autres bestioles qui venaient flairer ma maison et mon jardin ! Orca, c’est devenu assez facile : il ne bouge pas. A la limite, c’est même assez frustrant de surveiller un chat comme ça… C’est monotone. Mais les autres… C’est tout le contraire ! Daniel et Olivier, armés de scies, de clous, de marteaux, travaillaient à la future salle de bains, alors que Scouby et Nathalie étaient soit à la cuisine, soit à la salle à manger. .. ce qui faisait que la pauvre petite Ardoise devait se trouver partout à la fois ! - Tu es toute excitée, mon Ardoise ! Tu aimes bien les week-ends à la campagne, hein ? dit Scouby qui ne se doute pas de la complexité de mon problème. Effectivement, je courais partout sans savoir où donner de la tête ! L’Orca, lui, me contemplait benoîtement, allongé sur une armoire non loin du feu. Il se la coule douce, l’Orca ! Comme Nathalie a une peur bleue de certain chat noir et blanc au look patibulaire, nous, les félins, avons passé la nuit au rez de chaussée, avec Daniel qui n’aime pas nous abandonner à notre sort… à moins qu’il ne se méfie de ma vive imagination ? Orca s’est pelotonné à ses pieds, sur la couverture, et n’a plus bougé. Moi, encore trop survoltée pour dormir, j’ai résolu de réaliser un vieux rêve injustement contrarié : explorer le fenil ! Au cas où ça vous intéresserait, les amis, voici comment procéder : d’abord, vous attendez que tout le monde soit profondément endormi. Vous, vous êtes déjà sur place : vous avez affecté de choisir, pour votre lieu de repos, l’une des chaises de jardin qui se trouvent (quelle coïncidence !) dans la petite pièce qui jouxte cet intéressant fenil. Quand plus rien ne bouge, vous descendez silencieusement de la chaise où vous avez fait mine de vous assoupir… Enfin, quand je dis « silencieusement », c’est façon de parler. Ca fait « POUM ! » quand vous atteignez le sol, mais, par chance, personne ne l’entend. Vous vous dirigez vers la porte du lieu de tous les délices et vous agrippez de la patte la corde qui permet de l’ouvrir… Vous tirez, doucement. - Grouîîîîîîîîîîn ! fait la porte. Vous vous immobilisez. Heureusement, l’ouverture est juste assez large pour livrer passage à une chatte grise un peu grassouillette : vous ! Ah, l’ivresse de la liberté ! Qu’est-ce que je me suis amusée ! Je suis allée partout où on me défend d’aller : sur le tas de bois, sous les matériaux de fer qui attendent d’être utiles à quelque chose (et qui attendront longtemps), sur la dalle vétuste qui masque un vieux puits désaffecté… Mon exploration a duré des heures ! Et toutes ces délicieuses odeurs, vieilles de deux siècles ! J’ai voluptueusement empli mes narines de ces effluves que ma mémoire, ensuite, va soigneusement me restituer pour que je puisse les disséquer et les analyser à loisir. Des petits bruits exquis nourrissaient mon imagination : piétinements de souris ? Craquements de vieux bois ? Frôlement de fantômes ? La nuit était bien avancée quand j’ai regagné mon fauteuil de jardin, les pattes molles de fatigue. Quels bons moments j’avais passés, vraiment ! Scouby m’a trouvée là, au matin, profondément endormie, la porte du fenil juste entrouverte assez pour permettre passage à une chatte grise (devinez laquelle…). J’aurais pu la repousser, cette porte, personne n’aurait jamais rien su. Je n’y ai pas pensé. Et puis, faut dire qu’en plus, des toiles d’araignée ornaient de manière artistique les pointes de mes oreilles… Des toiles « made in fenil » ! - Mon Ardoise ! Tu aurais pu avoir un accident ! - Meuh non ! Je suis un chat, quoi qu’on en dise ! C’est souple, un chat ! C’est adroit, un chat ! - Oui, sauf quand tu rates ton saut et que tu te retrouves sur la figure ! Admettons, cela m’est déjà arrivé, mais justement pas cette nuit, alors !... Personne n’a le pouvoir de ternir ma joie ! J’aurais quand même dû penser à repousser cette porte : maintenant, Scouby met la corde hors de ma portée. J’ai déjà essayé de tirer le panneau vers moi, avec mes pattes, mais c’est beaucoup plus dur… Il va falloir que je me muscle un peu, mais j’y arriverai, j’y arriverai ! - Comme je suis quand même occupé à refaire ce mur, dit Daniel de l’air inspiré du Grand-Constructeur-qui-a-bâti-le-Monde, je me demande si je ne vais pas remplacer cette vieille porte de fenil par l’ancienne porte d’entrée de notre appartement, celle qui est bien solide… Sans commentaires… Le lundi soir, au moment de repartir, j’étais sur les rotules. Scouby et moi sommes rentrées seules à Bruxelles, dans la voiture d’Olivier : Daniel, lui, avait congé et restait à la campagne avec l’incontournable Orca. Sitôt rentrée dans mon appartement, je me suis précipitée dans l’ex-chambre d’Olivier, sur son fauteuil de bureau et j’ai dormi… dormi… pendant trois jours ! Scouby ronchonnait : « Ayez un petit animal fidèle qui vous tiendra compagnie aux moments de solitude ! La seule personne qu’on ne voit jamais, qu’on ne risque pas de rencontrer, c’est bien le petit animal fidèle ! Tout ce qu’on voit, c’est la gamelle qui se vide régulièrement ! » - Et alors ? Faut que je reprenne des forces : je suis CREVEE ! soupiré-je quand elle se penche au-dessus de mon fauteuil, un peu inquiète malgré tout (Et si le petit animal fidèle avait oublié de respirer ?). Elle s’adoucit. S’aventure dans les méandres de ma personnalité profonde. - Ce qu’il y a avec toi, mon Ardoise, c’est que tu prends les choses trop à cœur ! Tu t’impliques et tu dépenses trop d’énergie ! - Demain, ça ira mieux ! - Peut-être, mais demain c’est moi qui repars à la campagne pour le week-end du 1er mai et j’y resterai jusque mercredi ! Je ronchonne : « Ayez un humain fidèle et affectueux ! Quand vous vous réveillez après une grosse, grosse fatigue, la personne que vous ne risquez pas de voir, c’est l’humain fidèle !... » Bon, il paraît qu’Olivier va venir me nourrir et s’efforcer de me distraire. Il peut bien : parce que si je suis tellement fatiguée, c’est en partie de sa faute. J’ai eu trop de monde à surveiller le week-end de Pâques ! Et Scouby est repartie sans remords et sans état d’âme. Sur l’armoire de cuisine étaient posées en évidence une quantité astronomique de boîtes de nourriture pour chat. Mon bac était bien propre. J’étais nommée « gardienne du foyer ». J’ai profité de ces quelques jours pour me retaper complètement et, le mercredi 3 mai au soir, j’ai accueilli Scouby avec des transports d’allégresse. - Oh, mine de rien, tu m’as manqué ! Je suis bien contente de te revoir ! - Mais moi aussi, mon Ardoise ! Embrassades, nez contre petit museau. Toute la soirée, je suis restée vissée sur ses genoux, à me frotter la tête contre sa main. C’est quand même chouette, la famille ! - Au moins, tu pourrais faire montre d’un peu de dignité ! dit une voix désapprobatrice à mon oreille. - Tiens ! Bonjour Vot’Seigneurie ! Elle apparaît à mes côtés, luisant de toute sa fourrure beige et brune. Parfois, ça me plairait bien d’être un siamois aux yeux bleus… mais il paraît qu’ils ont un fichu caractère, alors, peut-être que je ferais mieux de rester petite Ardoise aux yeux verts, finalement… - Je te l’ai déjà dit, pourtant ! soupire mon mentor. Allons, réfléchis : Scouby t’a froidement abandonnée pendant quatre jours et toi, dès qu’elle arrive, au lieu de lui faire sentir à quel point tu es vexée, tu te précipites pour te rouler sur ses genoux ! - Mais… Mais… J’suis pas vexée, Seigneurie ! Je me suis bien reposée ! Et l’ancien Grand-Amour-de-ma-Vie est venu me soigner et me faire la conversation ! - Si tu n’es pas vexée, au moins, fais semblant ! Ah, les choses n’étaient pas ainsi de mon temps ! De mon temps, on RESPECTAIT le chat de la maison (Moi !). Evidemment, tout dépend du chat… Je baisse la tête : « Je ferai des efforts, Seigneurie… » Elle ne me croit pas. Elle a raison. Jamais, jamais je n’arriverai à être un chat RESPECTABLE ! Et l’Orca, lui, est-il un chat respectable ? Lui, on le quitte toutes les semaines pour cinq jours, et il n’est jamais fâché ! Donc, l’Orca est encore moins respectable que moi… Il est vrai aussi que s’il n’était pas si gentil (là, je reprends les paroles de Scouby et Daniel, ce n’est pas moi, Ardoise, qui irai jusqu’à dire que l’Orca est gentil, même si…), il ne serait pas devenu le chat attitré de notre maison de campagne. Parce que, au fond, il n’a que sa personnalité pour s’imposer… La beauté, n’en parlons pas. Je suis en train de philosopher ainsi, tandis que Scouby est allée rendre visite à l’une de ses tantes, une adorable petite dame très âgée. D’ailleurs, si vous lisez mes mémoires en ce moment, c’est justement grâce à cette petite tantine : un beau jour, j’ai commencé, par jeu, à lui écrire, je lui ai envoyé une lettre de quinze pages tous les mois, cela lui a tellement plu que j’ai continué, et voilà ! Scouby rentre, toute contente : « Regarde, ma petite Ardoise, ce que tante Germaine nous a offert, à toi et à moi ! » Elle pose un grand sac sur la table. Moi, bien sûr, j’y plonge tête la première : j’adore les sacs ! Je ne peux pas en voir un sans m’y enfouir toute entière ! - Le contenu est pour toi, le contenant pour moi ! dis-je péremptoire, en m’installant confortablement au fond du contenant, tandis que Scouby en tire le contenu. - Viens voir, c’est intéressant ! dit-elle. Naturellement curieuse, je sors de mon emballage-cadeau. Scouby est en train de feuilleter un gros livre luxueusement illustré : une encyclopédie des chats ! Il y a plein de photos ! Nous regardons où je peux me trouver. - Je n’y suis pas, dis-je, bouleversée, reprise par tous mes doutes (chat ou pas chat ?). - Mais si, tu y es ! rétorque Scouby en me montrant une page sur laquelle on peut admirer un superbe chat tigré. Comme ma physionomie naturelle est trop mobile, nous étalons une de mes photos sur la table pour comparer. Entre parenthèses, vous n’avez pas idée du nombre de photos sur lesquelles je figure ! On me mitraille constamment ! Clic ! clic ! Je crois bien que mon press-book est encore plus important que celui de Lady Di… - Il y a une indéniable ressemblance… la couleur brique du museau est pareille… - Voui, mais j’ai moins de rayures… - Par contre, tu portes bien sur le front le « M » caractéristique des chats de la race Tabby ! - La race Tabby ? Mon « M », ressemblant au sigle des restaurants MacDonald, est moins prononcé que sur l’image, mais il existe, il n’y a pas de doute ! - En ce qui te concerne, Silver Tabby ! Tu es un chat Silver Tabby ! Nous sommes enchantées. Je n’en reviens pas : tout ce qu’on peut apprendre dans les livres, c’est incroyable ! Même comment on s’appelle, dites donc ! - De plus, continue ma mère d’adoption, une de tes ancêtres a dû batifoler avec un chat bleu, puisque tu as peu de rayures. Lis : « Il arrive que l’on croise des chats Tabby avec des chats bleus, pour une amélioration de la race… » Rejeton d’une race améliorée, je me gonfle et m’épanouis. D’orgueil. Après ça, je ne vois vraiment pas ce que l’Orca va pouvoir raconter d’intéressant !
  15. Chapitre 45 : JE FAIS UN CAUCHEMAR L’autre vendredi, j’étais bien tranquille, allongé sur la table de la cuisine. Il n’y avait personne, la maison était à moi tout seul pour plusieurs heures encore. Je me suis endormi… Et j’ai fait un rêve… Z’imaginez pas ! Un rêve affreux ! La chère Ardoise, subitement matérialisée, prenait place à côté de moi sur la table. Quand je vous disais que c’était affreux ! Je la dévisage. Son petit air narquois a vraiment le don de me mettre mal à l’aise ! - Permettez, dis-je dans mon rêve, le week-end n’a pas encore commencé. Z’avez pas le droit d’être là ! - Z’ai tous les droits ! répond-elle. Comme vous voyez, jusque-là c’était un rêve assez proche de la réalité. Dans la vie réelle, j’aurais peut-être tourné sept fois ma langue dans la bouche avant de lui parler sur ce ton, mais la réponse de la belle elle-même est bien dans sa manière : « Je-suis-le-chef-de-la-meute » ! Puis le rêve est devenu vraiment étrange, au fur et à mesure que mon sommeil se faisait plus profond. La douce Ardoise s’est mise à claquer des pattes de devant, en cadence. Et j’ai vu que mes copines les chattes du village, elles aussi, étaient là ! Elles entouraient la table et claquaient également des pattes ! Un boucan infernal que ça faisait ! Clap ! clap ! clap ! Elles avaient l’air de bien s’amuser. Moi pas. Puis la chère Ardoise s’est mise à chanter. Et là, ça dépassait tout ! Je voulais me boucher les oreilles mais j’étais comme paralysé ! Quel cauchemar ! Ardoise Yé yééééééééééé ! Yé yéééééééé ! J’suis la plus belle minette du monde civilisé, La plus adorable bête qui se puisse imaginer, En ma superbe fourrure toute de gris habillée, Je porte la tête haute et les moustaches rebiquées ! Yé yééééééééééé ! Yé yéééééééé ! Les chattes (en chœur) Yé yéééééééééé ! (Elles se trémoussent en cadence) Ardoise Inutile de le dire et pourquoi le répéter ? (Elle a l’air de se poser la question mais le dit et le répète quand même !) Je suis la prima donna et la coqu’luche du quartier ! La chérie de ma famille et des chats la célébrité ! La plus bell’d’entre les bêêêêêêêêlles, c’est Ardoise la tigrée ! Yé yééééééééééé ! Yé yééééééééééé ! Moi (hagard) Horreur ! (Elle chante faux, ça me grince dans les oreilles !) Pitiéééééééé ! Les chattes (en chœur) Pitiééééééééé ! Yé yéééééééé ! Moi (suppliant) Mais soyez raisonnables ! Le yé yé, c’est fini depuis les années soixante ! Vous n’étiez pas nées, vos mères, vos grand-mères et arrière-arrière-arrière non plus ! Les chattes (claquant des pattes) Pas néééééééééées ! Yé yééééééééé ! Elles se mettent à tourner autour de moi. Je vais avoir une migraine, je le sens. Même ma Néfer, toujours si placide, semble survoltée aujourd’hui ! Comme toujours quand la situation me dépasse, je baisse la tête, l’air accablé, dans l’espoir d’attendrir mes tortionnaires. Elles s’en fichent. J’ai un petit (tout petit) sursaut de révolte. - Et puis, je me demande bien pourquoi la bête grise à grosse fourrure pourrait clamer sur tous les tons qu’elle est le chef de la meute, la plus bêêêêêêlle, la plus charmante et tout et tout et tout… et pourquoi moi, je ne pourrais pas en faire autant ! La bête grise à grosse fourrure me fixe de ses grands yeux étonnés. - Mais tout simplement parce que c’est vrai ! s’exclame-t-elle ? C’est moi la plus belle, c’est objectif, indiscutable, comme deux et deux font trois ! Vous pouvez pas dire que vous êtes beau, quand même, ce serait un mensonge ! Elle me dévisage. - Un ENORME mensonge, précise-t-elle pensivement. - Je suis si moche que ça ? dis-je, douloureusement surpris. - Oh non, c’est encore pire ! fait-elle avec la plus absolue sérénité. Pourtant, j’ai déjà essayé de me rendre compte, je le jure ! Après m’être aperçu que je ne pouvais pas atteindre les rares miroirs de ma maison (ils sont fixés trop haut), je me suis penché sur l’eau de l’étang. Je n’ai vu qu’une ombre de tête de chat, avec deux oreilles pointues. Mais je me suis bien aperçu que les poissons fuyaient dans tous les sens, terrifiés par le spectacle. Suis-je si effrayant ? Maintenant, elles sont toutes là à me regarder sous le nez. - Le malheureux ! s’exclame l’une. - Est-ce possible ? fait l’autre. - A ce point-là, il doit le faire exprès ! opine une troisième. Et de faire des réflexions sur ma ligne-spaghetti, la couleur éteinte de mon poil, l’aspect étrange de ma queue (cassée au bout), la couleur de mon nez (gros et parsemé de petits points rouges comme celui d’un buveur de beaujolais… Non, ce n’est pas une maladie : ce sont les égratignures que m’infligent les ronces quand je traverse les haies)… Je suis tout déconfit. Prêt à me croire le monstre le plus hideux de l’univers félin. La créature de Frankenstein faite chat ! Une lueur d’espoir, soudain, traverse les ténèbres de mon cerveau. - Scouby dit que j’ai de très beaux yeux ! dis-je fébrilement. - Ah, les yeux, peut-être, concède l’une. - Vous aimez les yeux jaunes, vous ? demande une autre (cette peste de Petite-Goulaffe). - Ils sont pas jaunes, ils sont dorés ! rétorque la troisième (merci Néfer !). - Et puis, faut avouer qu’ils ont de l’expression… - Voui, ça rachète un peu le reste ! - Ce mec, l’est peut-être pas bô, mais l’a un regard sympa ! Le cauchemar s’adoucit, se dilue. Dans mon sommeil, je pousse un soupir de soulagement et me retourne sur la table. Insensiblement, les chattes se transforment en nuages, s’éloignent, se dissolvent… J’émerge. Et me retrouve couché, tout seul dans ma maison bien tranquille. Quel rêve ébouriffant, ça alors ! Quel jour sommes-nous ? Comme je me pose paresseusement la question, j’entends une voiture s’arrêter devant la porte, un brouhaha de voix. On entre. Quelle agitation, subitement, dans ma paisible retraite ! - Orca, mon minou, hou hou ! On est làààààà ! - Mwââââââââ aussi, je suis làààààààààà ! clame dans mon propre langage une petite voix bien connue. « J’vais vous surveiller tout le week-end, chouêêêêêtte ! Z’êtes content de me voir, hein ? " Bien sûr que je suis content !
  16. Chapitre 44 : LA POUPEE Pour le moment, Scouby déprime un peu parce qu’il n’arrête pas de pleuvoir. C’est fou ce que les conditions météorologiques ont de l’influence sur le caractère de votre copine à deux pattes ! Votre amie à quatre pattes, elle, est toujours de bonne humeur (sauf quand elle roule en voiture mais là, c’est justifié !). Ma mère d’adoption a commencé ce qu’elle appelle son « nettoyage de printemps », ce qui veut dire qu’en un grand sursaut d’énergie, elle a lavé les rideaux et s’est attaquée aux vitres de la cuisine et de la salle à manger. Du coup, on dirait qu’il fait plus clair chez nous… Les fenêtres des deux chambres, ce sera pour après. Après quoi ? Mystère… J’ai observé, avec une légère inquiétude, qu’elle a mis mon panier « Titanic » dans la corbeille à linge sale. Dans quel état va-t-elle me le rendre ? Encore plus mou qu’avant, et dépouillé de ma si délicate odeur féline, je parie ! Enfin, il faut bien que je supporte Scouby telle qu’elle est : imparfaite. A son âge, ce n’est plus la peine que je me charge de son éducation. D’ailleurs, tout étant à revoir, une vie de chatte n’y suffirait pas ! Et puis, en la matière, je ne possède pas le savoir-faire de Sa Seigneurie Caramel ! J’ai délaissé ma « place favorite » du mois dernier. Durant deux jours, je n’ai pas prétendu sortir de la cuisine où j’avais élu domicile sur un sac à provisions. Puis je m’en suis lassée et, après mûre réflexion, me suis hissée sur le petit fauteuil Louis XV (faux, bien sûr) du salon. C’est une bonne place, j’ai vue sur la porte d’entrée et le couloir qui mène à la cuisine. Il est impossible de se faufiler jusqu’au frigo sans que je le voie ou l’entende. Et pour le moment, il y a un paquet de steak haché dans le frigo… Quand je m’endors, étendue de tout mon long sur le fauteuil, Daniel a la détestable manie de me tirer brusquement de mon sommeil par des cris d’effroi : « Ardwâââââse ! Tu vas tomber ! Attention ! » Tout ça parce qu’il voit ma belle queue et mon arrière-train glisser insensiblement sous l’accoudoir et se retrouver dans le vide ! - Mais non, je ne vais pas tomber ! dis-je, fâchée d’être ainsi réveillée en sursaut. « J’ai le sens de l’équilibre ! » - Sens de l’équilibre ou pas, le poids de ton derrière t’entraîne ! Tu vas te retrouver par terre ! Dédaignant de répliquer, je referme les yeux et, bien que la position de mon corps brave toutes les lois de la physique et de la logique, je ne tombe pas ! Daniel n’y comprend rien. Scouby lui dit de prendre les choses avec philosophie : venant de moi, RIEN ne peut plus les étonner ! J’ai à présent délaissé mon fauteuil Louis XV (faux comme chacun sait) pour un fauteuil Voltaire (tout aussi faux ; s’il était vrai il y a longtemps qu’il serait écroulé) placé contre un mur du salon, entre les deux fenêtres. Oui, vous avez raison : je suis une lunatique doublée d’une fantaisiste, mais que voulez-vous ? On ne se refait pas ! Cette nouvelle « place favorite » était déjà occupée quand j’ai décidé de m’y établir. L’intruse, une poupée de porcelaine assise sur l’accoudoir, ne semblait pas déterminée à me laisser le champ libre. Qu’elle a l’air bête, cette poupée, vraiment ! Elle me dévisage de ses yeux bleus à l’expression bovine, tandis que ses longs cheveux blonds mousseux frisent autour de sa tête. Histoire de la faire enrager, je saisis une mèche entre mes dents et je tire. La poupée tombe à la renverse dans le fauteuil… et y reste, cette idiote, avec sa robe à fleurs et son minuscule pantalon de dentelle ! J’ai encore moins de place que tout à l’heure. Je soupire et me pose précautionneusement à l’avant du siège. - Tiens, ma poupée a basculé ? Scouby repose la poupée en équilibre sur l’accoudoir de MON fauteuil. Cela ne me satisfait pas : quand je veux me mettre à l’aise, les longs cheveux (a-t-on idée de porter des cheveux pareils !) me chatouillent le dos. Et puis, quand je me retourne, le spectacle de cette créature stupide, dans ses ridicules vêtements, me donne de l’urticaire : c’est bien simple, je ne peux pas la voir en peinture ! Est-ce que je me promène avec des pantalons en dentelle, moi ? Une nouvelle fois, je lui tire les cheveux. Elle re-bascule. Scouby a compris : maintenant la poupée est assise dans un coin du divan. Elle se fait discrète. Et moi, j’occupe somptueusement toute la surface du fauteuil Voltaire. Pour combien de temps ? Vous avez déjà compris que mes « places favorites » ne font pas long feu… Le week-end passé, je ne suis pas allée à la campagne. Zut, pour une fois que j’en avais envie ! Quand j’ai vu Scouby et Daniel rassembler leurs affaires, je ne me suis pas cachée dans un petit coin, comme je le fais d’habitude. Je me suis dirigée vers eux, certaine qu’ils allaient m’apporter mon panier. - Eh bien Ardoise ? Que se passe-t-il subitement ? s’est étonnée Scouby. - Mais… nous partons à la campagne, non ? - Pas toi, ma minouchette ! Olivier va venir te soigner… Ce n’est pas la peine de venir cette fois-ci, nous serons tout le dimanche à l’extérieur. Tu t’ennuierais, toute seule avec Orca ! Ca alors ! Moi qui voulais, précisément, passer deux jours entiers à surveiller scrupuleusement ma meute ! Un chef, ça doit montrer son autorité ! Si je m’adonne à l’absentéisme, la discipline de la troupe va en souffrir ! La nouvelle recrue nommée P’tite-Goulaffe n’est pas encore suffisamment formée pour que je puisse relâcher mon attention à son endroit. Bon, d’accord, elle m’admire et me respecte, mais c’est oublieux un chaton ! Je suis contrariée et ça se voit. Ils s’en vont, sous mon regard noir de reproches. Quand ils sont rentrés, le dimanche soir, j’ai voulu leur montrer ma désapprobation. J’ai essayé de bouder… mais je n’ai pas tenu le coup. Cinq minutes après leur arrivée, je m’étais déjà étalée sur les genoux de Scouby, à ronronner comme un petit moteur. Je suis trop bonne fille, trop sentimentale au fond… malgré mes petits airs déterminés !
  17. Chapitre 43 : WEEK-END « SANS », WEEK-END « AVEC »… Il y a une huitaine de jours, Dan et Scouby ne sont venus au village que le samedi, en début d’après-midi. Moi, j’étais déjà tout déçu ! J’étais allé faire un petit tour dans la maison, mais il n’y avait personne ! Tout était morne et froid, mes assiettes vides… - Eh bien ? M’auraient-ils oublié ? Je suis sorti et me suis précautionneusement glissé sous un talus afin d’éviter une voiture qui remontait la rue. Je m’étais à peine éloigné de quelques pas, que j’ai entendu des appels : « Orca, Orca ! » La voiture, c’était eux ! Je suis évidemment accouru de toute la vitesse de mes pattes. - Me voilà, me voilà ! Vous arrivez plus tard que d’habitude ! - J’ai dû travailler ce matin, Orca ! Un samedi par mois, tu sais cela ! Je jette un coup d’œil dans la voiture, saute dans le coffre ouvert. Pas de panier Félix « Titanic » en vue. Pas de chatte furibonde non plus. - Elle n’est pas là ? Chouette ! C’est pas que j’aime pas votre bestiole, croyez bien, mais elle est un peu coincée, non ? Un peu ronchon… Je vais pouvoir prendre mes aises, ce week-end ! Ils déchargent le coffre, entrent dans la maison. Je les suis d’un pas gaillard, sans arrêter mes miaulements de bienvenue et mes commentaires avisés. - Comme vous voyez, j’ai presque tout mangé… J’ai laissé un tout petit peu de la pâtée au lapin parce que je n’aimais pas tant, et puis quand j’ai eu envie de la manger, j’ai trouvé qu’elle était un peu faisandée… Je la jetterais, si j’étais vous. Faut pas se rendre malade avec de la pâtée de lapin faisandée ! Oh, et puis, j’ai utilisé le beau bac à sable bleu, celui de vous savez qui… C’est celui que je préfère, quand même… Vous voulez pas m’en acheter un pour moi tout seul ? Et puis aussi… Un vrai moulin à miaous ! Je suis tellement content que c’est à peine si je touche à la nouvelle pâtée qu’on met dans mon assiette. La vieille pâtée un peu moisie, ils l’ont mise dehors « pour les bêtes ». Ca veut dire les pies et autres volatiles voraces qui se baladent dans le jardin. En regardant un peu plus tard par la chatière, j’ai pourtant vu mon amie Mme Gourmande se régaler… J’espère qu’elle ne sera pas malade. La suite des événements balaiera mes inquiétudes : Gourmande peut avaler n’importe quoi, elle n’est JAMAIS malade ! Un estomac d’autruche, cette chatte ! Dan allume le poêle à bois. De le voir ainsi à quatre pattes, occupé à souffler sur la flamme pour que j’aie bien chaud, un grand élan de tendresse me submerge. Je saute allègrement sur son dos. Je ne vois pas pourquoi on me le défendrait, la chatte Ardoise le fait aussi, je l’ai déjà vu ! - Ca ne va pas la tête, Orca ? Viens sur ta chaise ! Pas encore, pas encore ! J’attends que le feu soit allumé et lorsque Dan s’assied dans le salon, je m’installe sur ses genoux et piétine des pattes de devant sur son pantalon. Ce mouvement bien rythmé a une signification évidente. Il signifie : « Je-suis-con-tent, je-suis-con-tent, je-suis-con-tent… » - Mais oui, Orca, on le sait, que tu es content ! Arrête maintenant, dit Dan qui craint un peu pour le tissu de son pantalon. Inlassablement, je poursuis : « Je-suis-con-tent-je-suis-con-tent-je-suis-con-tent… » - Tiens, tu n’aurais pas un peu grossi, Orca ? remarque Scouby. - Vous croyez ? dis-je, plein d’espoir. On me tâte. Je me laisse faire. - Je sens comme un soupçon de viande entre la peau et les os, commente Scouby. Evidemment, il y aura encore de grands efforts à faire, Orca ! Aïe ! Je crains fort que ce très léger progrès ne se trouve vite anéanti. Vous comprenez, les amis, nous sommes au printemps, c’est la saison des amours. Je suis invité partout ! Mme Gourmande me fait les yeux doux, Néfer m’attire dans son bosquet… La seule indifférente, bien sûr, c’est ce monstre de Petite-Goulaffe qui continue à se prendre pour un chaton. Mais notez bien, ce n’est pas moi qui ferais la cour à Petite-Goulaffe, pas si fou ! Je laisse cela aux autres qui oseront s’y frotter… Et je ricane intérieurement. Quand on parle du loup… Qui vois-je arriver, toute frétillante et souriante ? Devinez ! - Bonjour, M’sieur Orca ! J’peux entrer ? Sans attendre la permission que je ne lui aurais pas donnée, elle se faufile par la porte entrouverte. - Oh, mais c’est la charmante Petite-Goulaffe ! Bonjour, Petite-Goulaffe ! s’exclame Scouby en caressant l’animal qui fait des petits bonds de satisfaction. - Si j’ai bien compris, votre proprio revêche n’est pas là aujourd’hui ! me lance joyeusement ce fléau d’Attila avant de se ruer sur ma gamelle qu’elle vide en trois bouchées. Après quoi, elle se met à tourner à toute allure autour d’un pied de la table de cuisine. - Que fais-tu là, Petite-Goulaffe ? dis-je, ébahi, en me penchant pour suivre du regard ses évolutions. - Je fais du charme, M’sieur Orca ! Ca ne se voit pas ? Et de tourner de plus belle. J’en reste comme deux ronds de flan. Jusqu’à ce jour, je n’aurais jamais choisi pour définition du charme, une sorte de tourbillon gris autour d’un pied de table ! Ca doit être de l’art abstrait… La jeunesse actuelle se révèle décidément incompréhensible… - Petite-Goulaffe, ta maman est venue te chercher ! prévient Scouby. - Oh, la barbe ! soupire la jeune effrontée. Je m’amusais si bien ! Elle sort. Sur la terrasse, Gourmande termine un petit en-cas offert gracieusement par la maison. Sans conviction, par pur devoir parental, elle tance sa progéniture : « Ca ne se fait pas de s’imposer comme ça chez les gens ! » - Mais, M’man, toi aussi… - Moi c’est différent, je suis ta mère ! Allons, raccompagne-moi, on rentre ! Je les vois qui s’éloignent côte à côte. Gourmande, la tête tournée vers son chaton boudeur, semble lui tenir un long discours. Je suis sceptique : malgré des efforts occasionnels et louables, la pauvre chatte tricolore n’a pas l’autorité voulue pour introduire un soupçon de discipline dans le comportement de son rejeton ! Il y a comme ça des gens qui ont des enfants alors qu’ils sont absolument incapables de les prendre en main… pardon, en patte ! Gourmande en est un frappant exemple. Mais par ailleurs elle est si charmante, dotée d’un caractère tellement agréable ! Je l’estime beaucoup. J’apprécie aussi énormément les week-ends sans la divine Ardoise ! Je me laisse dorloter, cajoler… Je joue même un peu à l’enfant gâté… C’est si bon ! Evidemment, ces moments ne sont jamais qu’une parenthèse, puisque, immanquablement, au bout de quelques jours, la chère et tendre est de retour ! Enfin ! J’ai acquis une philosophie de vie qui me permet de toujours voir le bon côté des choses. Ainsi, je me dis : « Bon, elle est un peu sciante, mais pas méchante ! Et puis, avec elle, je ne m’ennuie pas ! J’apprends à m’observer, à me contrôler ! C’est positif ! » Et j’endure avec le sourire ses petites avanies… Enfin, quand je dis « avec le sourire », j’exagère un peu ! L’autre vendredi, j’arrive, tout heureux de pouvoir me faire caresser. Je vais sauter sur les genoux de Scouby quand je m’aperçois, in extremis, que la place est déjà prise. La créature grise pelotonnée là me jette un coup d’oeil triomphant. Cette fois, je le prends mal. C’est quand même injuste, vraiment ! Je m’installe sur l’accoudoir d’un autre fauteuil et contemple ma famille d’accueil d’un œil désespéré. - Pauvre Orca, viens chez moi, mon gamin ! dit Dan, touché par ma détresse. Je ne me le fais pas dire deux fois ! Me voilà, à mon tour, perché sur une paire de genoux accueillants. J’essaie de capter le regard de la chère Ardoise… peine perdue ! Elle a dédaigneusement détourné les yeux et s’est mise à contempler le plafond, apparemment très intéressée par les fissures qu’elle y découvre. Je n’ai pas droit à un seul coup d’œil, elle fait exactement comme si je n’existais pas ! On a beau être un chat philosophe, ça fait un drôle d’effet d’être snobé comme ça ! Et puis, ce n’est pas tout ! Vous vous souvenez comme elle avait magistralement mis à la porte cette péronnelle de Petite-Goulaffe, il y a quelques semaines ? Eh bien, figurez-vous qu’elle a changé d’avis ! Samedi passé, nous étions, elle et moi, béatement allongés sur nos chaises, devant le feu. J’avais les yeux fermés. Elle, selon sa chère habitude, me surveillait. Oui, j’existe, dans ces cas-là ! Même quand je dors, elle m’observe, prête à réprimer dans l’œuf toute tentative de rébellion ! On voit vraiment qu’elle a une très haute opinion de sa petite personne. Moi, je suis le bouseux, même pas digne de respirer le même air qu’elle… Parfois, je ne peux m’empêcher de me sentir froissé, puis je me raisonne : « Du calme, Orca ! Ce n’est pas en prenant la mouche que tu feras avancer tes affaires ! Laisse dire, ce n’est jamais que de la roupie de sansonnet ! » Ce qu’il y a de bien quand on se tient à soi-même ce genre de discours, c’est qu’on se sent très évolué, très sage, très supérieur à la bestiole là, en face ! Une bestiole qui, à ses moments perdus, oublie toute dignité pour jouer comme une folle avec des élastiques ou des sacs en plastique ! Encore un peu bébé, cette Ardoise malgré ses grands airs ! Est-ce que je joue, moi ? En ce qui me concerne, j’emploie mon temps utilement : je médite, je réfléchis… Qu’est-ce que vous dites ? Que j’ai, moi aussi, un petit complexe de supériorité ? A peine, voyons, à peine… Toujours est-il que nous étions bien tranquilles, lorsque la porte s’ouvre. Petite-Goulaffe n’attendait que cette occasion pour bondir à l’intérieur de la cuisine tandis que Scouby s’interpose : « Petite-Goulaffe, reste dehors aujourd’hui ! Ardoise est là et tu sais qu’elle n’admet pas la présence d’une autre chatte chez elle ! » Moi, faux jeton au possible, je souris dans mes moustaches en affectant un petit air détaché. Ah, elle va voir ce qu’elle va voir, la Petite-Goulaffe ! La charmante Ardoise s’étire, laisse tomber sur le cyclonique chaton un regard serein. - Bonjour, noble Demoiselle Ardoise ! minaude la visiteuse, soucieuse de ménager la susceptibilité de ma « revêche proprio ». Ceci étant dit, Petite-Goulaffe plonge le nez dans la gamelle de la maîtresse de céans et se régale, tout en surveillant la noble Demoiselle du coin de l’oeil… Aucune réaction. Enhardie par ce succès inespéré, le satanique chaton se dirige vers le salon et se love dans un fauteuil en faisant mine de fermer les yeux. En réalité, elle est très attentive : jusqu’où peut-elle aller ? La chère Ardoise regarde paresseusement dans sa direction, sans faire montre de la moindre agressivité. Quelle girouette, cette chatte ! Je suis ulcéré. Ce n’est que vers le soir qu’elle a défini sa position… et la nôtre. Petite-Goulaffe s’est réveillée de son somme et se joint à nous, dans la cuisine. Elle veut s’asseoir devant le poêle, quand une petite tape sur la tête la met en alerte. Moi aussi, j’ai droit à une tape sur le sommet du crâne, mais pas une petite, une grosse ! Paf ! - Ecoutez bien ! claironne la chère et douce, le chef de meute ici, c’est MOI ! MOI, je fais ce que je veux et vous, vous faites ce que JE veux ! Compris ? MOI, je mange en premier lieu et vous me suivez ! Pigé ? Petite-Goulaffe et moi baissons la tête. Moi par habitude, pour avoir la paix, et elle par calcul… car personne ne me fera jamais croire à l’humilité de la révolutionnaire à quatre pattes ! En y réfléchissant bien, je crois avoir découvert le motif du revirement de la charmante Ardoise : en tolérant la présence de Petite-Goulaffe, ça lui fait encore quelqu’un à SURVEILLER… Elle adore ça ! Et comme, au printemps, je recommence à mettre le nez dehors et à faire de longues promenades quotidiennes, elle s’ennuie pendant mon absence. Le chaton gris est donc une solution de rechange ! Grande nouvelle ! - M’sieur Orca, vous savez quoi ? J’vais avoir des petits frères et sœurs ! Le premier choc passé, j’exprime ma haute désapprobation. - Enfin, Petite-Goulaffe ! Ta mère est déjà incapable de t’élever, toi ! Que va-t-elle faire avec d’autres moutards, je te le demande ! - Faut le lui demander à elle, M’sieur Orca ! - J’ai peine à concevoir l’idée qu’elle puisse mettre au monde un autre exemplaire de ton espèce ! Si on me gratifie d’une nouvelle Petite-Goulaffe, je m’expatrie, je quitte le village ! Alors là, je suis bien résolu ! J’enfonce encore le clou. - Quel manque de sens des responsabilités ! Comment est-ce possible ? La Petite-Goulaffe se permet un regard entre deux airs… Que va encore me sortir cette jeune peste ? - Heu… M’sieur Orca, quand les chatons naîtront… - Oui ? - Je regarderai s’il n’y en aurait pas un noir et blanc dans le tas ! Je proteste vertueusement. - Petite-Goulaffe, je ne suis pas le seul matou du village ! - Bien sûr, je disais ça comme ça… Faut pas vous inquiéter, M’sieur Orca ! - Moi, m’inquiéter ? Peuh ! Et puis, Petite-Goulaffe, ne te mêle pas des affaires des grandes personnes ! Va jouer avec ton saule, il commence à avoir des feuilles… La regardant s’éloigner en sautillant, je ne peux m’empêcher de m’interroger : et s’il y en avait « un noir et blanc dans le tas » ? Notez, ce n’est pas sûr, pas sûr du tout ! Mais si… ? Non, non, je ne m’inquiète pas ! Qu’est-ce que vous allez chercher là ?
  18. [Chapitre 42 : MON BOUT DE TAPIS Nous sommes à présent au début du printemps 2000… Au bout de cinq années de cohabitation quotidienne avec les humains que je me suis choisis, j’arrive encore à les étonner par mes multiples inventions et mon comportement hautement fantaisiste. Notez que mon apparence est trompeuse : si vous me regardez, vous ne voyez rien de spécialement particulier : un petit visage gris au menton couleur crème, au regard rêveur, à l’expression sérieuse… Vous diriez un chat ordinaire, mais attendez de me connaître mieux ! D’ailleurs, si vous êtes en train de lire mes aventures, je suppose que vous avez déjà votre petite idée sur la question… Et je ne possède même pas un immense espace vital pour donner libre cours à mon imagination débordante ! Je me contente d’un appartement de dimensions restreintes, que je connais par cœur mais où je ne m’ennuie jamais ! En ce moment, ma nouvelle place de prédilection se situe dans la chambre de Scouby et Daniel. Je m’assieds, me couche, médite de longues heures durant, sur quelques centimètres carrés de tapis, devant la garde-robe. Pas question que je dévie d’un millimètre ! D’ailleurs, un petit cercle de poils gris sur le tapis bleu témoigne de mon assiduité. - Ardoise, regarde donc ces poils sur mon tapis ! Tu ne peux pas te mettre ailleurs ? - Non, Madame, j’y suis j’y reste ! Non mais, de quoi j’ me mêle ? Elle passe l’aspirateur. Ca fait un bruit pas possible, je déteste ça ! Si cette machine rugissante allait m’aspirer, par erreur, comme un vulgaire « minou » de poussière ? A regret, je quitte ma place de prédilection pour me mettre à l’abri sur le seuil de la porte, mais mon regard inquiet suit attentivement les va-et-vient du monstre. Sacrilège ! Il passe sur ma place ! Une fois, deux fois… S’il continue, les délicats effluves ardoisiens que j’ai disséminés là vont se dissiper ! Je ne me sentirai plus chez moi, sur ces quelques centimètres-carrés de tapis ! Heureusement, mes poils tiennent bon. Alléluia ! L’aspirateur s’essouffle (il n’est pas très performant). Scouby aussi (elle non plus !). - La prochaine fois … Pfffft ! Pffffft !... si j’en ai le courage… Pfffft ! Pffffft ! … je passerai une raclette humide sur ce tapis. C’est radical. Je suis tranquille. Si je dois attendre qu’elle ait du courage, il me reste pas mal de beaux jours pour profiter de mes acquis ! D’un pas solennel, je regagne ma place inviolée et m’y installe pour faire ma toilette. De nouveaux poils fins et légers s’accrochent au tapis. Scouby soupire mais va passer l’aspirateur ailleurs. Le soir, mes parents d’adoption se sentent un peu seuls… Où est donc passé l’animal dit « de compagnie », censé les distraire par ses mille cabrioles ? Pour m’attirer dans le salon, ils allument le radiateur. - Viens ici, minette, il fait bien chaud ! Viens sur ton petit coussin ! - Pas maintenant, dis-je sans bouger. Je n’ai pas encore épuisé tous les charmes de ma nouvelle place favorite ! Je ne consens à les rejoindre, pour leur faire plaisir, que tard dans la soirée… quand ils s’apprêtent à aller au lit. Nous nous croisons dans le corridor. Conciliante, je fais demi-tour et je les suis, d’un petit pas obéissant. Je me réinstalle sur mon bout de tapis et ferme les yeux, heureuse de cette nouvelle journée passionnante que je viens de vivre. Durant la nuit, bien sûr, je vais à la cuisine prendre un petit en-cas. Zut… des boulettes de lapin en gelée. J’en ai marre de cette boîte, Scouby devrait bien me cuire un petit bout de colin d’Alaska ! Si elle était réveillée, je lui dirais comme elle devient écoeurante, cette boîte… Bon, d’accord, il y a deux heures je l’adorais, mais maintenant j’ai changé d’avis. Gratt, gratt, gratt… Avec mes pattes de devant, je fais des mouvements rythmés autour de l’assiette, pour bien manifester mon ras-le-bol. En pure perte, hélas, personne n’est là pour prendre acte de ma désapprobation. Gratt, gratt, gratt… Je n’aime pas manger la même chose aux trois repas. Il faudrait varier mes menus… Tiens, ces croquettes ne sont pas mauvaises… Je crois bien que je vais vider le bol… Un petit coup d’eau, à présent… Ah, j’ai bien mangé ! Je peux retourner dormir sur mon coin de tapis. J’ouvre un œil. L’aube n’est pas loin, je le sens. Fraîche et dispose, je bondis sur mes pattes et, d’un saut léger et aérien, je me propulse sur le lit. Ca ronfle. Ils dorment. Peut-on dormir alors qu’il est déjà… Quoi ? Cinq heures du matin ? Je me hisse sur l’estomac de Scouby, histoire de la réveiller en douceur. Je ne m’occupe pas de Daniel : il ne m’intéresse que le week-end, à la campagne, quand je me blottis contre lui pour passer la nuit au chaud. Ici, pas besoin d’un chauffage d’appoint ! Elle pousse une sorte de couinement, mais ne se réveille pas. Elle rêve qu’un bulldozer lui passe dessus. J’insiste, me promenant de long en large sur le monticule qu’elle forme sous la couette. Je frotte ma tête contre son menton, lui tapote les joues d’une patte insistante. Finalement, elle ouvre les yeux, tâtonne des deux mains pour identifier le bulldozer. Un bulldozer tout doux, à l’épaisse fourrure bien reconnaissable. - Ardoiiiiiiise ! Tu as vu l’heure qu’il est ? On fait encore dodo ! Je me place, stratégiquement, entre elle et son réveille-matin. Elle est obligée de se redresser pour lire l’heure sur le cadran lumineux. - 5 heures 10 ! glapit-elle. Tu es folle, Ardoise ! - Puisque tu es déjà assise, tu pourrais peut-être te lever pour me servir mon petit déjeuner ? suggéré-je, pleine d’espoir. L’égoïste refuse. Elle tient à dormir encore une heure avant de devoir se lever pour aller travailler. Tant pis pour elle : je reste campée devant le cadran du réveil, ça lui apprendra ! Je vois qu’elle n’est pas tranquille. Quand elle entrouvre un œil pour vérifier si elle a encore un peu de temps devant elle, elle ne distingue qu’une énorme masse sombre, comme un rocher, qui lui dissimule le paysage. Je corse encore les choses en piétinant sur la table de chevet. Elle se demande quelle bêtise je suis en train de faire mais, stoïque, reste couchée. Elle veut profiter de sa dernière heure de repos, na ! Elle est têtue comme une mule, je vous dis ! Parfois, n’y tenant plus, elle lève une main languissante et me grattouille le cou, histoire de me distraire de ma tâche. Elle susurre : « Viens, minette, viens chez maman ! » pour que je dégage la place, mais moi aussi, j’ai de la suite dans les idées. Je reste de marbre, occultant toujours de ma silhouette dodue le cadran du réveil. Finalement, sonne l’heure de se lever. Je saute de la table de chevet pendant que Scouby enfile ses pantoufles à tâtons. Je sautille : « Tu vois que ce n’est pas si terrible, se lever ! » - Si, c’est terrible, dit-elle. - Je suis bien levée depuis des heures, moi ! - Oui, mais toi, tu vas maintenant te remplir la panse et après, tu vas retourner dormir ! Pendant que moi, je travaillerai ! Rien de plus vrai. Le statut de chatte au foyer a de ces avantages … Pendant que je me sustente avec gravité et recueillement (Scouby a ouvert une nouvelle boîte de boulettes en sauce, d’une autre variété), ne voilà-t-il pas que je sens comme une petite humidité sur le cou ! - Tiens, pleuvrait-il ? Dans la cuisine ? Bizarre… Je rumine la chose, en même temps que ma bouchée de boulettes. Plouc ! Je me secoue, lève les yeux. Que vois-je ? Le bananier ! Vous vous souvenez du bananier de l’année passée ? Il est devenu grand et Scouby l’a placé près de l’évier de la cuisine, sur l’armoire qui surplombe justement mon coin-repas. Ce que nous ignorions tous (et que j’apprends à mes dépens), c’est qu’un bananier, qui boit beaucoup d’eau, en perd une partie par les feuilles. Et l’une de ces feuilles, ornée d’une énorme goutte scintillante, se penche malignement sur votre malheureuse petite Ardoise ! Le bananier, qui me considère de haut, n‘a pas perdu son air fanfaron ! Il chantonne : « Tiens, v’là Ardoise la tigrée, yé yé, Le chat bouffeur de bananiers, yé yé ! » Moi, vous pensez bien, depuis le temps, je l’avais complètement oublié, ce végétal ! Je ne m’étais même pas aperçue qu’il avait réintégré l’appartement après son long séjour sur la terrasse ! Et puis, un bananier devenu adulte, dépourvu des charmes de l’âge tendre, cela ne m’intéresse pas. Moi j’aime les jeunes pousses croquantes comme de la laitue. Je n’ai donc pas répliqué. J’ai traité ses moqueries par le dédain et, impavide, je me suis remise à manger. Faudra que je dise à Scouby qu’elle doit tourner le pot de cet énergumène de manière à ce qu’aucune de ses grosses feuilles ne menace d’arroser ma nuque lorsque je suis attablée devant mon repas… Faudra aussi qu’un de ces jours, je saute sur l’armoire pour en avoir le cœur net : ce bananier pourrait se mettre à avoir des petits, lui aussi… Le problème, c’est que si Scouby s’aperçoit de la chose avant moi (et il y a des chances : elle est à la bonne hauteur, elle !), je serai chocolat bleu pâle, comme on dit ! Elle va de nouveau mettre hors de portée de mes dents l’objet de ma convoitise ! On m’a déjà comparée à pas mal d’objets ou d’animaux divers : à un camion, à un autobus, (voire un bulldozer), à une grosse souris, à un nounours… L’autre jour, en rentrant de la campagne, Scouby s’est exclamée en me prenant dans ses bras : « Bonjour, mon adorable jeune dinosaure ! » - Ca va la tête ? ai-je demandé, éberluée. Bon. Il paraît que ce week-end, on donnait à la télé une émission sur les grands sauriens. Une émission très bien documentée, avec des dinosaures, des brontosaures, des tyrannosaures… Bref, toute la galerie en or ! Vraiment comme si on y était ! L’héroïne du troupeau sur l’écran était une jeune dinosaure pleine de charme. Scouby regardait distraitement lorsque, soudain, la silhouette de la bestiole lui a paru étrangement familière : voyons, cette petite tête, cette ligne du cou, si particulière, cette queue ondulante… mais oui, Ardoise, bien sûr ! La jeune dinosaure ressemblait à Ardoise ! Ravie de cette découverte d’une autre des innombrables facettes de ma personnalité, Scouby a ajouté ce surnom à la liste déjà longue de mes multiples identités. Bon, je veux bien admettre qu’ il s’agisse d’une appellation affectueuse, mais je ne peux m’empêcher d’être un peu vexée quand Daniel, me voyant déambuler dans la salle à manger, me traite de « gros brontosaure » ! Il y a des limites, non ? Parfois, je suis dispensée du week-end à la campagne, mais cette semaine, je n’y ai pas coupé. C’est quand même incroyable : j’ai beau m’époumoner de toutes mes forces pendant le trajet, Daniel et Scouby persistent à m’emmener respirer l’air pur de la Belgique profonde ! - Je pourrais bien rester à la maison toute seule, dis-je. Regardez Orca : vous lui laissez trois assiettes de nourriture et il se débrouille ! Moi aussi, je suis capable d’en faire autant ! - Oui, mais en règle générale, Orca sort pour se promener et s’oxygéner ! Ce que tu ne ferais pas, vu que tu vis en appartement ! Et puis, tu as besoin de compagnie, tu es si sensible ! - Moi ? - Oui, nous ne voulons pas que tu deviennes neurasthénique… Que ferais-tu sans nous ? Ou sans Olivier pour te soigner ? - Je ferais ce que je fais maintenant : je me coucherais en boule sur mon bout de tapis et je dormirais. - Mais non, Ardoise, abandonne cette idée ! D’ailleurs, tu ne veux pas l’admettre, mais tu ADORES te trouver à la campagne ! - Moi, ça alors ! - Tu n’aimes pas le trajet en voiture, mais quand tu es sur place, tu revis ! - Bien sûr, puisque j’ai été à l’agonie pendant près de deux heures ! Je ne peux que me sentir mieux ! - Et quand tu vois Orca, tu rayonnes ! Avoue : tu ADORES surveiller et tyranniser ce malheureux animal ! - Bof, bof… Bon, admettons : l’Orca apporte du piment à ma petite vie si confortable, mais parfois un peu fade. Toutefois, point trop n’en faut !
  19. Chapitre 41 : JE SUIS BIEN A PLAINDRE ! Le temps s’écoule doucement et à présent, le printemps pointe le bout du nez… Je suis bien content, vous pouvez me croire ! Bien sûr, en hiver c’est agréable de se pelotonner devant le feu (malgré le regard inquisiteur de la célèbre Ardoise), mais pour moi ce plaisir ne se présente que deux jours par semaine, vous le savez bien ! Le reste du temps, je vadrouille… J’ai bien une maison où me réfugier, mais il n’y a pas de chauffage central et en plus, je ne possède pas une superbe fourrure à triple épaisseur, MOI ! Suivez mon regard… Donc, lorsque se présente le mois de mars, je me sens tout requinqué ! Les jours se font plus longs, les rayons du soleil deviennent presque tièdes, l’herbe recommence à pousser… Excellent pour mon moral tout ça ! Je commence à rêver de nouvelles aventures… Je ne suis pas si vieux, après tout ! Ma jolie Néfer, après s’être éclipsée tout l’hiver, a refait son apparition dans ma rue… et dans ma vie ! A ma grande surprise, j’ai constaté qu’elle avait pris du poids. Où s’était-elle donc réfugiée ? Chez qui ? Aurait-elle suffisamment vaincu sa timidité pour se dénicher une famille humaine ? Je m’apprêtais à courir vers elle pour l’assommer de questions, mais elle ne m’en a pas laissé le temps et s’est à nouveau esquivée. Je n’ai pas encore rencontré Titi, mais je suppose qu’il ne va pas tarder à se manifester. En hiver, vous ne voyez personne dehors mais il suffit d’un souffle de vent printanier et zou ! Tout se repeuple ! J’aime bien ! Dernièrement, je vous ai relaté l’un de mes agréables week-ends « sans » Ardoise, mais à présent, je suis bien forcé de constater que ma vie future devra être envisagée « avec » ! La semaine passée, elle accompagnait ses parents ! La semaine d’avant, aussi ! La semaine prochaine, idem, je parie ! Et tous les autres jours ! Faudra que je m’y fasse, mais je ne vais quand même pas continuer à lui faire de profonds saluts et des salamalecs ad vitam aeternam. Courtoisie et diplomatie, d’accord ! Mais il faudra bien que la charmante comprenne que j’ai ma dignité de maître-chat et que je n’aime pas à être tourné en bourrique au gré de ses humeurs changeantes ! Le plus dur, ce sera de lui faire admettre que sa maison est aussi la mienne… Il va me falloir beaucoup, beaucoup de tact ! Il y a quinze jours, j’ai de nouveau laissé passer le vendredi sans m’en rendre compte. Ce n’est que le samedi midi que je me suis avisé que la voiture était devant la maison et que la cheminée fumait. Nom d’un chat, Orca, quel distrait tu es ! J’arrive à fond de train. Dans le jardin, je croise Petite-Goulaffe qui, visiblement, sort tout juste de chez moi. La queue bien droite, la tête haute, un air de dignité outragée répandu sur toute sa personne. - Que se passe-t-il, Petite-Goulaffe ? dis-je en m’arrêtant, étonné. Tu ne t’incrustes pas dans ma maison, aujourd’hui ? - Paraît que je n’y suis pas souhaitée, répond la Petite-Goulaffe en me décochant un regard noir. Votre proprio, la drôle de bête grise, m’a mise à la porte. Elle a un de ces caractères, dites donc ! Quand on parle de la paille et de la poutre… Je ne dis rien. Elle pousse un profond soupir. - Et ce n’est pas tout ! Hier, le matou du coin de la rue m’a dit « Petite-Goulaffe, tu deviens vraiment une ravissante jeune fille ! » - Eh bien, dis-je sans comprendre, ce n’est pas un compliment, ça ? - Vous n’y êtes pas, M’sieur Orca, réfléchissez ! Si on me dit ça, c’est que je ne suis plus un chaton ! C’est que je GRANDIS ! Quel drame pour Petite-Goulaffe, si attachée à sa condition d’enfant et aux avantages qui en découlent ! Moi, brave chat comme toujours, je compatis, je m’efforce de la réconforter. - En ce qui me concerne, Petite-Goulaffe, je te considérerai toujours comme le plus abominable de tous les chatons de ma connaissance ! - Ca me console un peu, M’sieur Orca, merci ! Elle s’éloigne à petits pas, réfléchissant déjà à une nouvelle tactique pour investir mon home sweet home. Je la considère pensivement : c’est vrai qu’elle a beaucoup grandi, ces dernières semaines. Elle est aussi longue que ma « proprio », à présent. De loin, on pourrait presque les confondre. Ayant éjecté proprement l’indésirable, la chère Ardoise a-t-elle prouvé qu’elle possédait quand même un gramme de bon sens dans sa tête ronde ? J’entre, prêt à la féliciter. A peine ai-je le temps de la saluer qu’elle me passe un savon. Ca alors ! Elle m’attend depuis hier soir ! Elle m’a guetté devant la chatière ! Je n’en reviens pas. Un espoir m’effleure : aurait-elle quelque affection pour moi ? Je n’ose trop y croire. De l’affection peut-être, mais en tout cas, aucune indulgence ! Elle me fait littéralement marcher à la baguette, vous imaginez ! Une deux, une deux ! La voilà qui saute sur ma chaise, devant le feu. La chaise de droite, la mienne. Et elle me jette un regard narquois. Je suis tout déboussolé. Je ne me sens pas aussi bien sur la chaise de gauche (la sienne), mais je fais contre mauvaise fortune bon coeur. Sans rechigner, je m’y installe et ferme les yeux, douillettement enveloppé par la chaleur du poêle. Le douce et gracieuse me surveille étroitement. Je sens son regard fixé comme de la glu sur chaque centimètre carré de mon corps. De la pointe des oreilles jusqu’au bout de la queue. Je m’endors. Je suis sûr qu’elle continue à guetter. Peut-être n’ose-t-elle même pas fermer l’œil une seconde, de peur d’une incartade de ma part ? Elle me couve d’un regard inquiet et vigilant. Il ne peut rien m’arriver avec un garde du corps comme ça. Je ne puis m’empêcher d’être ému. Chère Ardoise ! Comme elle prend soin de moi ! Evidemment, le soir venu, elle est assommée. Vannée. Anéantie. A peine entrée dans la chambre, elle s’enfouit sous la couette, après m’avoir indiqué ma place. Je voulais dormir près d’elle, pour profiter de la chaleur que dégage en continu la luxueuse fourrure à triple épaisseur, mais il paraît que ce serait mal vu. Me voilà prié de demeurer au-dessus des couvertures. J’obéis, naturellement. Elle ronfle jusqu’au matin. C’est le lendemain que j’ai fait la gaffe. Elle a déjà dû vous en parler comme d’un crime. Mais, vraiment, j’avais des excuses !... Nous étions côte à côte sur la table de cuisine. Il faisait bon, mes pensées ont pris un tour sentimental. Je suis une midinette dans le fond… J’étais content aussi parce que des gens étaient en train de nous admirer et une gentille dame blonde s’est exclamée : « Oh, quel mignon jeune chat noir et blanc ! » Quand on connaît mes précédentes angoisses, on ne s’étonnera pas que je me sois senti fondre en entendant ces mots ! Ardoise paraissait un peu fatiguée, elle baissait le regard. Tout attendri, je réfléchissais : « Pauvre Ardoise ! C’est du travail pour elle, venir en week-end ! Voilà qu’elle ne mange plus ! Elle maigrit ! Elle dort à peine ! Tout ça pour veiller consciencieusement sur moi ! Pauvre gentille Ardoise ! » Comme elle tournait la tête vers moi, je n’ai écouté que l’impulsion que me dictait mon bon cœur : SMAC ! Un gros bisou sur son nez rose ! Elle en est restée muette un instant, mais après ! Quel cinéma ! Elle m’a poursuivi sur la table, patte levée, toutes griffes dehors ! Moi, je fuyais pour sauver ma vie. Elle n’a pas voulu entendre mes explications ! Et j’étais un grossier, un dégoûtant, et encore ceci et cela ! Et elle devait se laver à nouveau, maintenant, et gnagnagni et gnagnagna ! Je ne voyais pas en quoi cela pouvait l’incommoder, vous savez ! Elle passe SA VIE à se nettoyer, avec la plus évidente satisfaction. Elle aurait dû être contente que je lui en donne encore une fois l’occasion ! Faut dire que j’étais un peu vexé de l’accueil réservé à ma tentative de rapprochement. Je ne suis pas sale, quand même ! Je me lave aussi, moi ! Elle dit que j’ai une petite odeur. J’ai beau renifler, je ne sens rien. Je commence à croire qu’elle essaie de me déstabiliser. Il va de soi que je lui ai caché ces secrètes pensées. Je me suis fait tout petit, humble et insignifiant, ce qui est un exploit pour un maître-chat ! Mais nécessité fait loi… Le week-end suivant, j’espérais qu’elle avait retrouvé sa bonne humeur et j’avais pris soin d’arriver dès le vendredi soir pour ne pas la froisser. Peine perdue ! Elle a été littéralement infernale avec moi ! Scouby a dû intervenir plusieurs fois pour l’empêcher de me dévorer tout cru ! Ah, je suis bien à plaindre, les amis ! Bon, je dois avouer que j’avais mangé tout son steak haché. Je lui en avais même chipé un bout sous le nez, dans sa sacro-sainte assiette à laquelle je ne peux jamais toucher ! Mais c’était tellement succulent et je n’ai que deux jours par semaine, moi, pour prendre du bon temps ! Elle ne veut pas le comprendre. C’est une rancunière, je vous dis ! Combien de week-ends passeront-ils avant que je sois pardonné ? Si je partais quelques jours ? Si je m’exilais ? Peut-être qu’à la longue, elle me regretterait ? Tout avait bien commencé, pourtant, il y a une quinzaine de jours ! Il a suffi d’un bisou innocent et sincère pour tout gâcher. Ah, la douce Ardoise, ce n’est pas la Belle au Bois Dormant ou Blanche-Neige ! Ou alors, c’est moi qui n’ai rien d’un Prince Charmant ? Pourtant, les filles du village disent que je ressemble à Depardieu… Ce physique serait-il trop rébarbatif ? Faudra peut-être que j’emprunte à Scouby son « Rexona » pour faire la chasse à la « petite odeur » ? Que je me lave les dents ? La demoiselle de céans me considérerait peut-être d’un œil moins féroce ? S.O.S. ! Donnez-moi des conseils ! Je les attends par le prochain courrier ! Vous pouvez mettre sur l’enveloppe : « Orca, Prince pas Chat-rmant » !
  20. Donc, quand P’tite-Goulaffe est apparue, je l’attendais de patte ferme, remontée à bloc. - Bonjour, noble Demoiselle Ardoise, minaude l’intruse, sans remarquer ma mine rébarbative. - P’tite-Goulaffe, dis-je, j’ai bien réfléchi ! - Aïe ! Quand les gens commencent avec une phrase comme ça, c’est toujours pour dire des choses désagréables ! Alors c’est quoi, Demoiselle Ardoise ? - Plus question d’entrer chez MOI comme dans un moulin ! Ta place, c’est dehors, la mienne, dedans, compris ? Pas de chatte ici ! Seulement moi ! - Mais vous disiez pas ça l’autre week-end, noble Demoiselle Ardoise ! - On n’est plus l’autre week-end ! On est aujourd’hui, et aujourd’hui, j’ai décidé que… - Ah, si c’est que ça, j’attendrai demain ou un autre jour, quand vous aurez changé d’avis, Demoiselle Ardoise ! - Je changerai pas d’avis ! Allez, dehors ! Ksssssssss ! Ksssssss ! Grrrrrr ! (Là, je fais mon cinéma ! Très impressionnant, du moins je l’espère !) Alarmés par mes grognements menaçants, Daniel et Scouby se mêlent une fois de plus de ce qui ne les regarde pas. - Sépare ces chats ! crie Daniel, ils vont se battre ! Scouby se précipite vers nous… mais, sur le carrelage de la cuisine un peu obscure (il fait gris dehors), elle ne distingue que deux formes figées, dans une pose aplatie. Deux chattes grises, brumeuses… Laquelle est la chère Ardoise ? Ce n’est pas le moment de se tromper, oh la la ! Ni d’empoigner au hasard un de ces charmants félins, au risque de se faire griffer dans le feu de l’action ! Elle ne voit d’autre solution que d’ouvrir toute grande la porte de la cuisine. Aussitôt, la situation se décante. P’tite-Goulaffe bat dignement en retraite, tête et queue hautes, pas démoralisée pour autant. - Bon, je m’en vais, dit-elle. Un autre jour, vous serez certainement de meilleure humeur, noble Demoiselle Ardoise ! - Ce n’est pas une question d’humeur, c’est une question de principe ! dis-je avec emphase. Je suis très contente de moi ! Quelques instants plus tard, enfin, l’Orca fait une entrée triomphale dans la cuisine. Bizarrement, il semble ravi de me voir, ça je ne l’aurais jamais cru ! - Bonjour, la charmante ! s’écrie-t-il. On est déjà vendredi ? - On est SAMEDI, dis-je avec raideur, et je voudrais bien savoir où vous étiez passé hier, parce que moi je vous ai attendu devant la chatière ! - Sans blague ? Si j’avais su ! Et il se dirige paresseusement vers sa gamelle pour mastiquer quelques bouchées. Visiblement, il n’a pas faim. Où va-t-il se ravitailler quand nous ne sommes pas là ? Il ne me l’a jamais révélé, sans doute de crainte que je ne donne toutes ses bonnes adresses aux autres chats errants du village… Maintenant, il est sur sa chaise et il dort. Je suis à nouveau frustrée ! Ce n’est pas très exaltant de passer sa journée à surveiller un chat qui, visiblement, n’a pas envie de bouger de son siège ! Il est trop sage, si seulement il faisait quelques bêtises, j’aurais matière à m’occuper. Mais rien ! Le soir, nous allons nous coucher. Cette fois, le vagabond est de la partie. Et c’est alors qu’il déroge à ses habitudes. Au lieu de s’éloigner précautionneusement du lieu de mon auguste repos, le voilà qui vient s’affaler tout près de moi ! Je claque des oreilles, étonnée. Arrière, manant ! Ne me craindrait-il plus ? Comment cela est-il possible ? - Je ne vous dérange pas, belle Ardoise ? demande-t-il (tout de même !). Je lâche du lest, mais tiens solidement le gouvernail. - MOI, je dors SOUS les couvertures, dis-je avec fermeté. Si vous voulez rester près de moi, j’ai la bonté d’y consentir, mais faudra que vous restiez AU-DESSUS ! Et il l’a fait ! Il a dormi toute la nuit sur la couette, à deux centimètre du petit monticule bien matelassé qui révélait ma présence. Ce n’est pas tout ! Le lendemain, nous attendions du monde. Beau-frère, belle-sœur, cousine… Quand ils sont arrivés, l’Orca et moi étions assis côte à côte sur la table de la cuisine. C’est notre place préférée en hiver. - Oh, les beaux chats ! Quels amours ! a roucoulé la cousine en nous apercevant. Les invités ont fait cercle pour nous admirer. C’est alors que j’ai tourné innocemment la tête vers le vagabond qui se tenait tout près de moi, histoire de vérifier s’il se comportait bien. SLURP ! Une langue large et râpeuse me gratifie, sur le nez, d’une caresse qui me laisse suffoquée, muette de surprise et de saisissement. - Quel beau petit couple ! Comme ils s’entendent bien ! entonne le chœur des spectateurs, tandis que Scouby, je le vois, a du mal à garder son sérieux… Comme tout le monde se dirige vers le salon, je me ressaisis et allonge quelques taloches bien senties au téméraire personnage. - Z’avez pas honte ? Va falloir que je me nettoie, maintenant ! Je venais juste de terminer ma septième grande toilette de la journée ! - Que voulez-vous, s’excuse-t-il, pas repentant pour un sou mais prenant prudemment la fuite hors de portée de mes griffes, « je suis d’un naturel affectueux, c’est plus fort que moi ! » C’est pas possible ! Il prend de l’assurance, ma parole ! Il faudra que je remette les horloges à l’heure, dans cette maison ! Il a suffi que je m’absente un seul week-end pour que le chat des champs s’émancipe et prenne des airs de matamore ! Quel sans-gêne ! Quelle familiarité ! Je vais revenir tous les week-ends, dorénavant ! Je dois garder le contrôle de la situation ! Mais si Olivier propose de me garder, hein, qu’est-ce que je fais ? Cruel dilemme !
  21. Chapître 40 : JE REMETS LES HORLOGES A L'HEURE ! Je suppose que l’Orca s’en est donné à cœur joie pour vous raconter, en long, en large et en travers, tout ce qu’il a fait durant les deux jours où je l’ai laissé, seul et sans surveillance, jouir de la compagnie exclusive de mes parents-z-à-moi. En ce qui me concerne, vous comprendrez bien que je ne pouvais pas les accompagner à la campagne ce week-end-là : Olivier venait me garder ! Je m’en faisais une joie ! Nous avons renoué notre amour idyllique et platonique, mais pour très peu de temps hélas… Le dimanche soir venu, il est retourné roucouler avec sa Nathalie et je me suis retrouvée abandonnée, pauvre chatte solitaire et incomprise. Scouby m’a dit par la suite que si je continue à arborer un petit visage si triste à chaque fois que mon Grand Amour est venu me tenir compagnie, il est préférable pour mon moral que j’accompagne systématiquement ma famille à la campagne ! Propos auxquels je n’ai répondu que par un soupir accablé. C’est vrai que je suis un peu déprimée quand je me sens ainsi délaissée… Et puis, je ne comprends vraiment pas comment on peut me préférer une créature sans superbe fourrure, sans belle queue et sans magnifiques moustaches tombantes… Vraiment, ça me dépasse ! Mon genre de beauté serait-il passé de mode ? Aurais-je perdu ma séduction ? - Voyons Ardoise ! Je te répète pour la millième fois qu’Olivier n’est pas un chat ! - Je sais ! C'est-à-dire que je le sais intellectuellement, mais c’est tout ! Comme nous avons pratiquement grandi ensemble, je l’ai adopté pour compagnon de vie ! expliqué-je pathétiquement. Puis je vais me coucher sur le tapis de la chambre du déserteur, ou sur son fauteuil de bureau et je me plonge dans des pensées moroses… Pas de ça, Ardoise ! Assez ruminé ! Mon optimisme naturel reprend le dessus. En un sursaut d’énergie, je saute sur mes pattes, subitement toute guillerette et je fais le tour de l’appartement en courant, histoire de m’échauffer les muscles. Puis, le soir venu, je me blottis sur les genoux de Daniel ou de Scouby. Eux, ils ne me quitteront jamais ! - Tu n’aurais pas un peu de steak haché pour mwâââââ ? miaulé-je en roulant des yeux langoureux. Mais oui, il y en a ! Scouby me sert copieusement, toute contente que j’aie repris du poil de la bête (sans jeux de mots, hein ! Ne me dites pas que la bête, c’est moi !). Quand l’assiette est vide… - Ca fait longtemps que je n’ai plus reçu du colin d’Alaskââââââ ! (nouveau regard noyé). Il y en aura demain, c’est promis ! Je suis comme l’héroïne de la pièce « Le mariage de Mademoiselle Beulemans » : on ne peut rien me refuser ! Et j’en use, et j’en abuse… Le week-end suivant, Mademoiselle Ardoise Beulemans était du voyage, calée dans son panier. Ca n’a pas commencé très brillamment ! A peine roulons-nous depuis dix minutes que Daniel a l’impression que ses freins ne répondent pas aussi bien que d’habitude. Pour en avoir le cœur net, il s’engage dans une petite rue calme pour stopper brusquement, histoire de tenter l’expérience. Boum ! Le panier (contenant le trésor que vous savez) posé sur le siège arrière, décolle pour accomplir une gracieuse pirouette dans l’air et achever sa course (à l’envers, bien sûr !) sur le plancher de la voiture. Je me retrouve sur la tête, complètement abasourdie. - Le CHAT !!!!! piaule Scouby, horrifiée. Elle descend de voiture en coup de vent, ouvre la portière arrière et remet le panier bien à l’endroit sur le siège. - Ma pauvre Ardoise ! Malheureux petit amour ! Comment te sens-tu ? Je ne réponds pas. J’ai le sifflet coupé. - Elle ne peut pas s’être fait mal, dit Daniel d’un air faussement dégagé (au fond, bien embêté quand même), elle a atterri sur du tapis ! Et puis, le panier est rembourré… - Quel sauvage ! me chuchote tendrement Scouby en serrant le panier contre son cœur. Nous nous remettons en route, moi toujours hébétée et muette d’émotion. Régulièrement, Scouby se retourne sur son siège, au risque d’attraper un torticolis, pour vérifier si je ne suis pas tombée dans les pommes. Mais non, j’arbore ma bonne tête de tous les jours. Toutefois, jusqu’à Charleroi, aucun miaulement déchirant ne retentit dans la voiture, ce qui est tout à fait exceptionnel. Cela prouve à quel point je suis perturbée. Ensuite, mes cordes vocales se décoincent providentiellement et ma mère d’adoption se sent complètement rassurée sur mon sort lorsque, retrouvant toute la vigueur de ma voix de soprano, je me mets à vocaliser avec énergie pour me plaindre de la longueur du trajet. - On y est presque, mon Minou ! - Miââââââââââ ! Non, on n’y est pas presque ! Je sais bien où nous sommes : on a à peine dépassé Charlerwâââââââââ ! Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! Mais toutes les choses ont une fin, même les trajets en voiture ! Au bout d’une heure, j’ai enfin pu me dégourdir les pattes dans la cuisine de notre petite maison ! Qu’est-ce que j’étais contente à la perspective de passer mes nerfs sur l’Orca, vous ne pouvez pas savoir ! Ah ! il allait voir ce qu’il allait voir, le matou ! Je levais déjà une patte vengeresse quand je me suis avisée… qu’il n’était pas là ! Ca, c’était vraiment bizarre… et frustrant, vous pouvez me croire : vous vous tapez un interminable trajet en voiture avec commotion cérébrale et tout, pour pouvoir exercer sur quelqu’un vos dons de haute surveillance et lorsque vous arrivez, prête à remplir votre mission, il n’y a personne à surveiller ! Il aurait pu faire un effort ! Etre coopératif ! C’est vrai quoi ! Pendant une longue demi-heure, je me suis postée près de la chatière, dans l’espoir de voir surgir ma victime. Peine perdue ! - Il n’a pas compris qu’on est vendredi et il sera allé dormir dans quelque grange, a supposé Scouby. On le verra bien demain ! - Mais en attendant, qu’est-ce que je fais, moi ? - Bonzour ! Je me retourne vivement vers mon assiette, allonge le museau, pleine d’excitation. Mais oui, c’est bien mon amie la petite musaraigne ! Ou peut-être une autre, je ne suis pas très physionomiste, pour moi toutes les musaraignes se ressemblent ! Nous nous flairons mutuellement le bout du nez. Oui, comme vous vous en doutez, la caméra était restée une nouvelle fois à Bruxelles, je crois que cela ne vaut plus la peine d’être répété… - Ca fait longtemps que je ne vous avais plus vue ! dis-je avec mon plus gracieux sourire. - Pourtant, z’ai touzours mon petit nid dans un trou de votre ceminée ! Z’aime bien vivre ici, le zentil çat noir et blanc me laisser manzer ses croquettes ! La petite musaraigne grimpe dans le bol de croquettes. J’en renifle le contenu et fronce délicatement le nez. - C’est des croquettes bon marché, peuh ! Je préfère les Félix ou les Whiskas ! dis-je d’un ton connaisseur. - Ah ? Moi z ‘aime bien ! Croc-croc-croc… Allez, z’ai fini, ze vais me coucer ! A demain, zoli çat gris ! En se dirigeant tranquillement vers le salon, ma petite compagne passe sans broncher entre les pieds de Scouby qui nous observait de la porte, frôle Daniel sans manifester la moindre appréhension avant de se faufiler dans son petit trou sous la cheminée. Cette fois, Daniel n’a pas essayé de la capturer au moyen d’une ramassette et d’une boîte en carton : il fait trop froid dehors pour une petite bête comme ça. Et puis, elle revient toujours… Au moins, j’ai eu un peu de compagnie, l’absence de l’Orca me pèse moins… Et je suis sensiblement de meilleure humeur que lors de mon arrivée ! A notre tour, nous sommes montés nous coucher, moi dans les bras de mon père d’adoption, bien au chaud. Il peut en témoigner : j’ai dormi d’une traite jusqu’au matin. Lui avait des crampes parce qu’il n’avait pas osé bouger de peur de me déranger. C’est toujours comme ça. Le lendemain était, bien sûr, un autre jour ! Je me suis levée en pleine forme, prête à vivre un tas d’aventures passionnantes. Mon humeur était combative, aussi, lorsque j’ai vu la P’tite-Goulaffe entrer dans ma cuisine comme chez elle, me suis-je offusquée. En quelques jours, j’avais eu le temps de réfléchir et de m’aviser que j’avais été plutôt naïve la dernière fois que j’avais laissé l’autre chatte grise se chauffer devant mon feu. J’ignorais en effet (ce que m’a ensuite confié l’Orca) que la petite impudente envisageait de s’installer chez moi à demeure, quand nous viendrons habiter définitivement ici. Or, si je suis bien forcée d’admettre la sempiternelle présence du célèbre chat des champs, il n’est pas question que j’accepte d’héberger une autre CHATTE ! Car chatte il y a, même si la P’tite-Goulaffe se fait encore passer pour un chaton. - Tu as mille fois raison ! miaule à mon oreille une voix nasale bien connue. Enfin, tu commences à tirer profit de mes leçons ! - Oh, bonjour, Vot’Seigneurie ! Ca faisait bien longtemps ! - Que veux-tu, petite chose, il y a tellement à faire dans l’au-delà !... Et puis, je m’éloigne petit à petit dans le temps, je n’ai plus tellement envie de m’intéresser aux choses terrestres. Toujours est-il que tu as raison ! Pas question d’accepter la présence d’une autre chatte chez toi ! Une créature dont on ne sait même pas d’où elle vient… - Oh, si, P’tite-Goulaffe vient de la dernière maison de la rue… - Et elle s’appelle P’tite-Goulaffe, en plus ! soupire la céleste siamoise en levant les yeux. « Si elle est bien nommée, elle s’emparera de toute ta nourriture ! » - Voui ! Et en plus elle a le culot de me ressembler presque comme une sœur ! Sauf sa tête : elle a des yeux d’Orientale et un long nez ! - Elle te ressemble, en plus ! Imagine le danger que tu cours : par distraction, tes parents pourraient ramener P’tite... heu… Machin à ta place, dans l’appartement ! - Oh, quand même pas ! Moi je suis vraiment unique, on peut pas me confondre avec un autre chat ! Regardez les jolies petites plumes sur mon ventre, elles volettent quand je marche. Ca, c’est vraiment spécial ! Je fais une démonstration, en ondulant des pattes. - D’où cela vient-il ? demande sa Seigneurie éberluée. - Oh, tout simplement, le vétérinaire qui m’a stérilisée ne fait pas de chirurgie esthétique. Il m’a recousue en laissant dépasser une petite poche de peau avec de longs poils blancs ! C’est ça qu’on dirait des plumes ! - Beurk ! Je ne trouve pas ça particulièrement joli… - Moi bien ! On dirait presque que je porte un petit pagne ! Une moitié de tutu ! - Enfin !... Des goûts et des couleurs… Il y en a bien qui se font fixer un diamant dans le nez, alors… - Un dia… Oh, ça me plairait ! Mais je ne crois pas que Scouby m’offrira un diamant pour mon anniversaire… - Peu importe, je ne suis pas venue ici pour bavarder à bâtons rompus avec une croqueuse de diamants, mais pour t’encourager dans tes bonnes résolutions : pas d’autre chatte chez toi, c’est bien compris ? - Voui voui, Vot’Seigneurie ! Pas d’autre chatte sauf vous ! Mais elle, évidemment, elle a un statut à part… Les purs esprits sont chez eux partout !
  22. Chapitre 39 : ARDOISE ET LA PETITE-GOULAFFE [ Vous avez lu le dernier chapitre d’Ardoise Quand elle raconte notre réveillon ? Quand elle bavasse comme ça, elle est toute gentille, mais en réalité elle a un caractère… aïe aïe aïe ! Scouby dit que j’exagère. Qu’Ardoise est une adorable petite chatte grise, charmante et affectueuse. Moi je veux bien !... Mais je ne sais pas si les coups de patte dont je me vois si souvent gratifié sont vraiment des signes d’affection. Personnellement, j’en doute. Bien sûr, il suffit d’être prudent. De lui dédier des regards pleins de soumission et d’adoration ! De ne pas piétiner son espace vital. Mais il est grand, son espace vital, si vous saviez ! Je dois avouer que je me sens un peu frustré. Comme je suis un chat poli, je lui cède la plume avant de vous écrire et voilà ! Elle raconte tout. Et jacasse… et bavasse… Il ne me reste rien à dire ! Avant, c’était facile, elle avait son univers, moi le mien. Mais depuis quelques semaines, elle partage mes week-ends et a décidé de tout régenter ! Bien sûr, moi, j’essaie d’éviter les histoires. Je m’aplatis comme une crêpe, lui susurre des « chère Ardoise » par-ci, des « jolie Ardoise » par-là, je me fais plus discret qu’une ombre… et elle trouve ça tout naturel ! Bon, maintenant que je me suis déchargé le cœur, je dois reconnaître qu’elle n’est pas méchante pour un sou. Parfois elle se dégèle et nous passons d’agréables moments en tête-à-tête, sur la table de la cuisine, devant le feu. Mais n’imaginez pas que je puisse donner un coup de langue amical sur sa belle fourrure à triple épaisseur ! Ca, pas question ! Pourtant moi, je suis un chat très physique : quand j’aime bien quelqu’un, humain ou animal, je distribue les lélèches, les bisous, les caresses… Elle n’est pas comme ça. Pourtant, quand il s’agit de s’assurer que je suis bien moi, elle n’hésite pas à fourrer son petit nez tout froid dans mon cou ! Ensuite, elle flaire le contenu de ma gamelle, elle saute sur ma chaise de cuisine (alors qu’elle en possède une, elle aussi !) et moi je ne dis rien. Avouez que je suis bonne pâte, quand même ! Elle vous a raconté le réveillon. Est-ce qu’au moins, elle vous a dit que j’étais beau ? Non ? Enfin, beau n’est pas vraiment le mot. Mais avec ma sveltesse, mon pelage noir et blanc, j’avais de l’allure, de la classe. Je portais un smoking… Je me suis tenu bien droit avec, dans l’allure et le regard, un petit air intellectuel qui, je crois, a fait grand effet sur les invités. Je n’ai perdu ma dignité qu’un tout petit moment, quand je me suis précipité sur le plateau de zakouskis abandonnés, après l’apéritif. Mais je me suis repris bien vite… En définitive, je suis assez fier de moi. L’Ardoise, elle, s’était affalée sur les genoux de Monsieur Grand-Tonton. Elle se nettoyait consciencieusement, baillait, s’étirait… Aucun savoir-vivre ! Et c’est moi qu’on traite de bouseux ! Enfin, ce n’est pas mon rôle de lui faire des observations : elle a des parents qui devraient l’éduquer convenablement. Faut dire qu’ils ne sont pas assez sévères avec elle, ils lui passent tout, sous prétexte qu’elle a été très malheureuse quand elle était petite ! C’est pas comme ça qu’on élève une Ardoise, je dis ! Maintenant, bien sûr, il est trop tard… La charmante est méfiante, comme vous le savez. Mais sa naïveté ne lui permet pas de voir plus loin que le bout de son museau rose, sinon elle comprendrait bien de qui elle doit se méfier ! Pas d’un pauvre chat des champs noir et blanc, non, non ! Elle se trompe d’adresse… mais vous, vous avez déjà deviné de qui je veux parler, pas vrai ? J’ai assisté l’autre jour à une scène dont l’hypocrisie (ou devrais-je dire « la haute diplomatie » ?) m’a laissé rêveur. J’étais tranquillement couché sur ma chaise, tandis qu’Ardoise batifolait çà et là. Se perchant sur le rebord de la fenêtre (son poste d’observation favori), elle a regardé le jardin. Il avait neigé, tout était blanc. Ardoise, pas habituée, était très intriguée par ce spectacle. Tout à coup, son attention a été attirée par une petite silhouette qui évoluait péniblement dans la neige. - Oh, s’est écriée Scouby, c’est la pauvre Petite-Goulaffe ! Elle s’enfonce jusqu’au ventre dans cette neige ! On ne la laisserait pas un peu entrer, Ardoise ? - C’est celle qui m’a grogné dessus l’autre jour, a marmonné l’intéressée, peu enthousiaste. - Z’avez raison, chère Ardoise, dis-je sans bouger de mon lieu de repos, faut pas se laisser grogner dessus ! Surtout par une espèce de Petite-Goulaffe ! Laissez-la dehors, ça lui fera les pattes ! Je dis ça comme ça, mais il ne faut pas me prendre pour un sans-cœur. Je sais très bien que Scouby ne va pas laisser ce fléau de Petite-Goulaffe enfoui dans la neige glacée ! Evidemment, elle ouvre la porte et Petite-Goulaffe entre, les yeux baissés, l’allure modeste. La chère Ardoise est dans l’expectative : le dos raide comme la justice, le regard soupçonneux, elle ne quitte pas l’intruse de l’œil. - Bonjour, noble Demoiselle Ardoise, chuchote le diabolique chaton. Plus de grognement ni de poil hérissé, cette fois ! Petite-Goulaffe a compris la leçon. En un quart de tour, elle a reconsidéré la situation et établi sa stratégie. - B’jour, maugrée la légitime propriétaire des lieux. Petite-Goulaffe se dirige à pas menus vers la cuisine, suivie de près par ma gracieuse compagne de week-end qui ne la quitte pas de l’oeil. - Puis-je me permettre de me chauffer les pattes à votre feu ? minaude la petite peste avec un regard implorant. La bonne pomme hésite, puis permet. Je la vois se détendre à vue d’œil. Je me dois de l’avertir. - Faites attention, chère Ardoise, ne baissez pas votre garde, dis-je. Donnez le bout d’une griffe à la Petite-Goulaffe et elle vous saisira toute la patte ! Donnez-lui une patte et il ne vous restera même plus la queue ! - M’sieur Orca aime plaisanter ! roucoule le monstre en me décochant une œillade. Je n’insiste pas : comme d’habitude, on donnerait à Petite-Goulaffe le Bon Dieu sans confession ! Elle s’accroupit près du poêle, dans une pose pleine d’humilité. Lorsqu’elle entrouvre les yeux, j’y vois toutefois danser la petite flamme coutumière qui ne me dit jamais rien de bon ! - C’était bien aimable de votre part, je m’en vais maintenant, dit-elle au bout de cinq minutes. Scouby s’inquiète. - Tu es sûre de vouloir repartir, Petite-Goulaffe ? Tu ne veux pas rester encore un peu devant le feu ? - Merci, non, je ne veux pas abuser… Encore grand merci, noble Demoiselle Ardoise. A bientôt, j’espère… - Mais voui, répond la pauvre bestiole proprement roulée dans la farine en deux temps trois mouvements. Je suis le seul ici à rester lucide au sujet de la Petite-Goulaffe. Mais ce n’est pas la peine d’essayer d’en convaincre Scouby, Dan et la chère Ardoise, ils ne me croiraient pas ! Malgré moi, je ne puis m’empêcher d’admirer le tour de force de la minuscule créature. J’ai mis des mois avant de me faire accepter et aimer par ma famille d’accueil, et elle obtient un résultat presque similaire en quelques instants ! Evidemment, moi, je n‘ai pas l’aspect trompeur d’un bébé-chat perdu dans un monde cruel ! J’ai l’air de ce que je suis, ni plus ni moins : un honnête chat des champs ! - Mais, me direz-vous (dupes comme chacun), tu es peut-être de parti pris, Orca. Pourquoi tiens-tu pour acquis que Petite-Goulaffe jouait la comédie ? - Eh bien, mes amis, sa première visite a duré cinq minutes. La seconde dix, la troisième vingt... Le week-end suivant, la Petite-Goulaffe en a eu assez d’attendre sur la terrasse que quelqu’un la remarque. Elle a fait le tour de la maison, a sauté sur l’appui de fenêtre du salon (où se tenait ma famille) pour manifester sa présence en faisant de grands gestes désespérés. - Mais, Orca, cela prouve simplement que Petite-Goulaffe est très intelligente, ce qui a toujours été évident ! Mais peut-être n’avait–elle aucune arrière-pensée… - Vous n’y êtes pas, les amis ! Figurez-vous que le week-end passé, Ardoise n’était pas là… - Tiens ? Où était-elle ? - Elle était restée dans son appartement. Son Grand Amour venait la garder, paraît-il, et en l’absence de sa rivale à deux pattes partie visiter sa propre famille, Ardoise espérait bien le convaincre de reprendre la vie commune… - Je suppose qu’elle n’a pas réussi ? - Non, bien sûr ! Mais, vous savez, l’amour se nourrit d’illusions… Enfin, toujours est-il que, le week-end passé, j’étais bien content : je n’aurais pas besoin de surveiller chacun de mes gestes, de peser chacun de mes propos… Je pouvais dire tout ce qui me passait par la tête, sans être bâillonné par la censure… - Tu exagères un peu, Orca, non ? - A peine un tout petit peu ! La bestiole grise est d’une susceptibilité, si vous saviez ! Ca, Petite-Goulaffe l’avait compris instantanément ! Samedi, donc, Petite-Goulaffe arrive à la porte, arborant ses nouveaux petits airs penchés et chat-fouins… Sitôt entrée dans mon logis, elle renifle discrètement, lève un tantinet la tête. - Tiens ! Votre proprio n’est pas là, M’sieur Orca ? - Pas aujourd’hui ni demain, Petite-Goulaffe. Et j’ajoute, pris d’une légère inquiétude : « Ce n’est pas une raison pour… » Je parle dans le vide. La transformation est radicale : Petite-Goulaffe se dresse sur ses ergots, toute humilité oubliée, se rue sur ma gamelle…. et la vide en un clin d’œil. Puis, elle vient flairer la chaise sur laquelle je me prélasse voluptueusement, bien installé sur un tas de vieux journaux. - Oh, vous n’avez pas envie d’aller faire un petit tour, M’sieur Orca, que je puisse m’installer sur votre chaise ? - Pas question, Petite-Goulaffe, dis-je flegmatiquement. Assieds-toi dans le panier d’Ardoise ou retourne d’où tu viens, à ta meilleure convenance. Elle inspecte le panier bien rembourré, fait la moue. - J’aurais préféré votre chaise… avec le tas de vieux journaux ! L’air olympien, je regarde au loin. - Eh bien, pauvre Petite-Goulaffe, tu ne sais pas où t’asseoir ? demande Scouby en caressant l’exaspérante créature qui se tortille en poussant des miaulements roucoulants. Et voilà ! Un nouveau paquet de vieux journaux est déposé pieusement devant le feu. Petite-Goulaffe s’y installe, le regard triomphant. Elle est restée toute la matinée… Parfois, elle se levait et arpentait la cuisine et le salon d’un petit air de propriétaire, comme elle le faisait déjà l’été dernier. Visiblement, en pensée, elle dispose ses meubles, change les papiers peints. Elle ne m’a pas dit, cette fois : « Comme nous allons être heureux ici, M’sieur Orca ! » Non. Je crois que dans son for intérieur, elle a décidé de me donner mon congé. « Merci et adieu, M’sieur Orca, reprenez votre baluchon de vagabond et allez chercher refuge ailleurs ! » Quel sort réserve-t-elle à la malheureuse Ardoise ? Va-t-elle continuer à lui manifester un profond et faux respect, tout en l’entortillant autour de sa minuscule patte ? Ou va-t-elle tenter un coup d’Etat ? - Bon, je m’en vais maintenant, sinon M’man va s’inquiéter, décide la créature au bout de quelques heures. Comme d’habitude, elle est cérémonieusement reconduite jusqu’à la porte par Scouby qui lui prodigue des mots gentils. Heureusement, Petite-Goulaffe ne connaît pas le mécanisme de la chatière ! Pourvu qu’elle ne le comprenne jamais ! Vous imaginez, elle viendrait manger toutes mes provisions de la semaine ! Peut-être même montrerait-elle le mécanisme à « M’man », justement surnommée « l’Aspirateur Universel » ! J’en frémis ! Enfin ! A chacun ses petits problèmes ! Pas la peine d’envisager des catastrophes, j’aviserai s’il y a lieu, le moment venu. Pour l’heure, mon « modus vivendi » me convient : vie de chat en semaine, vie de « pas-chat » le week-end ! Bombance du vendredi soir au mardi soir (en comptant sur les provisions) puis régime du mercredi soir au vendredi ! Ca, c’est vraiment ce qu’on appelle « mener une double vie » !
  23. Chapitre 38. C’EST A NOUVEAU NOEL ! Nous voilà déjà en décembre, Noël se profile à l’horizon. Comme d’habitude, Scouby a ressorti du placard son arbre de Nowèle en plastique tout rabougri et l’a décoré avec de petits objets en bois. Cette fois, je n’ai pas assisté à l’opération : j’étais fatiguée et je dormais paisiblement sur mon radiateur. Et puis, ce n’est pas un spectacle à déplacer les foules, vous savez : il est si petit, cet arbre de Nowèle ! Je pensais que nous allions paisiblement passer le réveillon à nous trois, Daniel, Scouby et moi, mais hélas ! Dans la soirée du 23 décembre, j’ai été brusquement arrachée à mes rêves heureux. - Ardoise, réveille-toi, on part en week-end ! - On part en… Où ça ? J’étais encore à moitié endormie, vous comprenez, sinon j’aurais tout de suite réalisé où nous allions ! Ils ont profité de mon état d’esprit cotonneux pour me fourrer dans mon panier. Alors là, je me suis réveillée : j’avais saisi l’horreur de la situation ! - Non ! Ne me dites pas qu’on part à la campagne ! Dans le frrrrrrroid ! - Allons, Ardoise, quand le feu est allumé, il fait bon ! - Faut d’abord qu’il accepte de s’allumer, le feu ! Pendant ce temps-là, moi j’ai frrrrroid ! Et en plus, faut que je subisse la présence de l’Orrrrrrrrca ! Ils m’ont laissée récriminer à plein gosier sans se soucier de ma pauvre petite personne. Ils ont chargé la voiture (je suis considérée comme faisant partie des bagages, c’est honteux !) et nous voilà partis. Sur la route, j’ai continué mes lamentations : « Pourkwâ me faire çaaaaaaaaaa, à mwâââââââ ? Aaaaaaaaaah ! Quel malheuuuuuuuuuuur ! « - Ardoise, tais-toi ! Ce chat m’énerve ! - Oooooooooooh désespwâââââââââr ! Pour couvrir ma voix éplorée, Daniel a augmenté le son de la radio. J’ai été obligée d’endurer la voix miaulante d’une chanteuse nouvellement éclose : « Lalalalalalala ! Ooooooh lâââââ ! » - Miâââââââââ ! sangloté-je de concert, anéantie par la rigueur de mon sort. Scouby me décoche un regard qu’elle détourne aussitôt : si mes yeux étaient des mitraillettes, elle serait à présent raide morte sur son siège ! Daniel, en termes imagés, parle de m’étrangler. Je sais bien qu’il n’est pas sérieux mais quand même, ce n’est pas agréable à entendre ! Il est loin, le respect dû au chat d’appartement ! Les voilà maintenant qui discutent à propos de leur réveillon de Nowèle. Je tends l’oreille. - J’espère que les chats seront sages, s’inquiète Scouby. - Compte là-dessus, dis-je. - Ardoise, nous avons des invités, alors ne me fais pas honte ! - Moi ? questionné-je innocemment. - Oui, toi ! Je te connais ! Pendant le réveillon, ne saute pas sur la table et n’énerve pas Orca ! - MOI, j’énerve l’Orca ? dis-je, suffoquée d’indignation. Ca c’est la meilleure ! C’est plutôt Orca qui passe sa vie à m’énerver, moi ! Par sa seule présence ! Par sa petite odeur ! Par ses miââââââ ! - Arrête de miauler de cette manière sauvage ! - J’imitais les miââââ d’Orca ! C’est un bavard, Orca ! On me laisse ronchonner. On sait très bien que je suis toujours de mauvaise humeur en voiture. On attend que ça passe. Et, effectivement, ça passe ! Quand nous nous immobilisons, je me sens renaître à une vie plus agréable. On sort les paquets (moi comprise). Quand les portes extérieures sont bien fermées, la chatière bloquée (de mon côté), on me rend à la liberté. Je sors de mon Titanic, je m’ébroue… puis, comme chaque week-end, je commence une minutieuse exploration. Rien ne semble avoir bougé pendant mon absence… Ah, si ! Les gamelles d’Orca sont vides. Quel goinfre, cet Orca ! Oui, je sais, je suis de mauvaise foi. De TRES mauvaise foi ! Et alors ? Oh ! Il a visité MON bac à sable ! Va falloir que Scouby le change, pas question que je pose mon joli derrière à l’endroit où ont valdingué ses pattes de bouseux. Oui, je sais, je suis snob ! Daniel va chercher du bois dans le fenil. Je le suis du regard avec nostalgie. Malgré toute mon ingéniosité, je n’arrive JAMAIS à explorer ce fenil ! Chaque fois que j’arrive, on me ferme la porte au nez. On a peur que je me perde, que je me blesse, que je reste bloquée sous un tas de bois, de paille ou d’outils de jardinage, que sais-je ? J’ai beau protester de ma parfaite prudence, personne ne me croit ! Daniel allume le poêle à bois de la cuisine, puis un petit radiateur à pétrole dans le salon. L’insert, ce sera pour demain. Je m’étends sur le tapis devant le petit radiateur et commence une toilette approfondie, pour me remettre de mes émotions. - Miââââââââââ ! Evidemment ! On ne peut même pas se reposer une minute, dans cette maison ! Quand le chat des champs fait son entrée en miaulant d’allégresse, la brave chatte des villes peut se mettre au boulot ! Je vous vois venir… Vous allez me dire que je ne suis pas OBLIGEE de passer mes week-ends à surveiller les moindres faits et gestes de l’Orca ! Vous me direz que l’Orca est assez grand pour se conduire convenablement ! Vous me direz ce que vous voulez, je ferai la sourde oreille : il est de mon DEVOIR d’empêcher le chat des champs de se croire maître de mon territoire à moi, un point c’est tout ! Vous me direz encore qu’avec un appartement pour moi toute seule (ce qui veut dire : sans autre chat), je dispose déjà d’un appréciable espace vital. Je répondrai qu’étant la chatte attitrée de Daniel et Scouby, la première dans l’ordre de préséance, il est normal que leurs lieux de séjour soient les miens ! L’Orca ne sera jamais qu’un sans-abri que, dans mon infinie bonté, j’accepte d’héberger dans ma maison de campagne. Il en sera de même pour tous les chats qui suivront ! Même si le matou est d’un autre avis, je suis dans mon droit le plus strict… et les gens qui ne me comprennent pas ne connaissent rien aux chats (race dont je suis l’une des plus dignes représentantes). Compris ? Après cette petite parenthèse destinée à mettre les choses au point, je poursuis mon récit. - Miââââââ ! Bonsoir ! s’écrie l’Orca rayonnant, Comme j’aime les week-ends ! Et il frotte affectueusement sa tête contre les chevilles de mes parents. Moi, bien sûr, comme à chacune de nos rencontres, je le flaire consciencieusement de la tête à la queue pour m’assurer qu’il s’agit bien de lui. On lui donne à manger. Ma gamelle à moi est déjà pleine, mais je crois que mes leçons commencent à porter leurs fruits : Orca attend d’être servi, sans plus oser mettre le nez dans mon assiette en plastique sur laquelle s’égaie un petit clown. Il sait très bien où est son plat à lui, moins joli que le mien comme il se doit. Après s’être rassasié, le chat des champs poursuit ses effusions. Il est toujours comme ça, le vendredi soir : tout fou ! Il va et vient, ne sachant où donner de la tête. Il sautille. Moi, pendant ce temps, lovée devant mon feu ou couchée sur un vieux journal, je considère toutes ces gesticulations d’un petit air supérieur. - Ardoise, quelle poseuse tu fais ! s’esclaffe Scouby. Je fais semblant de n’avoir pas entendu. La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe ! Ici aussi, il y a un arbre de Nowèle ! Il est plus intéressant qu’à la maison. Il est plus grand (ça, ce n’est pas difficile), il sent le vrai sapin et il est couvert de boules brillantes et de petites lumières. J’irais bien l’examiner de près, mais à chaque fois que je vais me mirer dans une grosse boule jaune (Oh ! une Ardoise toute dorée !), Daniel frappe dans ses mains ou m’appelle près de lui. Je veux bien qu’on m’applaudisse et qu’on recherche ma compagnie, mais on pourrait aussi me laisser vivre ma vie, tout de même ! La nuit, nous avons bien dormi, moi tout contre Daniel et l’Orca de l’autre côté du lit. Il apprend vite, l’Orca, je dois bien l’admettre : le premier jour de notre cohabitation forcée, quand il a essayé de me réveiller d’un coup de langue affectueux (quelle familiarité !), j’ai réagi avec une vivacité frappante. - Vlan ! - Ouille ! - N’encombrez pas mon espace vital ! Sinon… Il se l’est tenu pour dit. Maintenant, quand nous dormons dans la chambre, il prend soin de laisser une distance de trois mètres au moins entre nous. Cela me satisfait. Le lendemain, nous avons assisté aux préparatifs du réveillon. Une nouvelle fois, on nous a fait la leçon. - Soyez sages, hein, les chats ! Ne sautez pas sur la table ! - Pourquoi ? s’ébahit l’Orca. - Ils en font une idée fixe, dis-je. J’espère quand même qu’on va recevoir un peu de foie gras ! - Du FOIE GRAS ! Il est aux anges. Il n’a pas oublié que, l’année dernière, il a reçu sa part de réveillon de Nouvel An, ça lui a laissé une telle impression que, durant des mois, il a abordé mes parents avec des yeux pleins d’espoir : « Dites, c’est bien bon ce que vous mettez dans mes assiettes, mais z’auriez pas un peu de foie gras ? Ou, encore mieux, des rillettes ? ». Orca ADORE les rillettes ! Dans l’après-midi, les invités arrivent. L’oncle et la tante de Scouby. - C’est ma grand-marraine et mon grand-tonton, dis-je à l’Orca. - NOTRE… rectifie-t-il automatiquement. Quelle outrecuidance ! Voilà qu’il s’approprie toute ma famille, maintenant ! Je ravale ma fureur : comme nous sommes le soir de Noël, j’ai décidé de me montrer bonne fille. Je me suis très bien comportée durant toute la soirée ! Je me suis installée sur les genoux de mon grand-tonton. Quel beau pantalon en velours il avait ! Je mourais d’envie d’y essayer mes belles griffes bien pointues, mais je me suis dit que ce serait peut-être mal vu. Alors, je me suis abstenue. Sous ma surveillance, Orca a pris garde d'observer son maintien. Après l’apéritif, il s’est toutefois emparé des zakouskis qui restaient. Il a mangé la mousse de saumon et les œufs durs aux filets d’anchois, mais a dédaigné les œufs de lompe et le pain grillé. - Tant qu’à faire, z’auriez pu tout manger ! dis-je d’un ton désapprobateur. - J’aime pas le caviar, rétorque-t-il. Ben tiens ! Chipoteur, avec ça ! Vers dix heures du soir, toute la compagnie est partie pour la messe de minuit et nous sommes restés seuls, le sans-abri et moi. On en a profité pour faire un petit somme, mais d’abord on a regardé partout s’il n’y avait pas des restes de réveillon à se mettre sous la dent, mais non, tout était sous clé, dans le frigo ! Pas grave, on n’avait plus tellement faim, on avait déjà fait honneur à tous les plats. Quand la famille est revenue, nous nous sommes organisés pour la nuit. Daniel a dormi dans le salon avec Orca et moi, et Scouby et les invités à l’étage. Nous, on avait bien chaud, c’était chouette ! Couchée en escargot au fond d’un fauteuil, j’ai fait des rêves pleins de boules dorées ! Le lendemain, ma grand-marraine et mon grand-tonton nous ont fait leurs adieux, à l’Orca et à moi, et sont rentrés chez eux. Nous avons encore dormi devant le poêle de la cuisine, tout l’après-midi. Le soir, nous avons reçu des restes d’entrecôte, cadeau de ma grand-marraine. Je dois dire que nous étions assez euphoriques et, pendant quelques heures, j’ai oublié ma mission de haute surveillance… Malgré ce défaut d’attention, rien d’irrémédiable ne s’est produit, heureusement ! Je l’ai échappé belle ! Imaginez que l’Orca ait profité de ma distraction pour escamoter d’un tour de patte ma maison et ma famille ! Que serais-je devenue ? Et un jour plus tard, nous sommes, à notre tour, rentrés à la maison. Au moment de faire les paquets, Scouby et Daniel étaient assez déprimés. Orca lui aussi, avait un air triste, comme toujours quand il voit qu’on vide le frigo et qu’on va le laisser seul. - Mon pauvre petit Minou, nous serons vite de retour ! a chuchoté Scouby à l’éploré. - C’est vrai, vous-z-en faites pas, je serai bientôt re-là ! dis-je dans un grand élan de générosité. Cela ne semble pas le consoler. Je suis un peu mal à l’aise : c’est vrai, moi j’ai une petite vie bien organisée, bien tranquille, bien douillette, et lui n’a que les week-ends pour se payer du bon temps. Il a beau m’exaspérer parfois, je trouve ça triste. - Dommage qu’on ne puisse pas l’emmener ! a soupiré Scouby. L’Orca à Bruxelles ? Dans un espace clos, sans son jardin, sans ses promenades, sans ses points de repère ? Sans ses copines les chattes ? Avec moi pour seule compagnie tout au long du jour ? Je crois que pour lui, ce serait l’enfer ! Je vous laisse imaginer la joie du vagabond noir et blanc quand il nous a vus revenir, quelques jours après. Bien sûr, ses gamelles étaient bien nettoyées comme d’habitude, ses croquettes étaient mangées et il avait même renversé la poubelle (vide) pour en explorer l’intérieur. Je crois que c’est un grand spécialiste des poubelles… Un peu comme moi quand j’étais petite et abandonnée, avant de me retrouver dans un refuge ! L’autre jour, j’ai eu une surprise : parmi le courrier que nous dépose le facteur, il y avait une enveloppe à mon nom : « Mlle Ardoise »… Tiens, mais c’est moi, ça ! Scouby l’ouvre. Un de ces jours, faudra quand même que je lui dise de ne pas fourrer son nez dans mon courrier personnel, ça ne se fait pas ! - Oh, s’exclame-t-elle, regarde la belle carte, Ardoise ! C’est une carte représentant des cloches rouges et dorées, avec des petits chats gris qui me ressemblent… - C’est ta grand-marraine et ton grand-tonton qui te souhaitent une bonne année 2000, avec 365 jours de bonne nourriture : Félix, Sheba, Whiskas… Bref, tout ce que tu aimes… et que tu vas recevoir. - Formidable ! dis-je, ravie. Mais pourquoi Scouby a-t-elle ce petit sourire moqueur ? - Cela implique aussi que, pendant un jour entier, je ne te nourrirai pas du tout, enchaîne-t-elle, étant donné que 2000 est une année bissextile… J’en demeure la bouche ouverte… je pense bien qu’elle plaisante, mais dans le doute… La prochaine fois que je verrai ma grand-marraine, je lui demanderai un petit avis rectificatif : « En 2000, Ardoise a droit à 366 jours de bons petits plats ! » Je serai quand même plus tranquille !
  24. Chapitre 37. JEUX DE MAUX Les deux protagonistes de cette scène sont majestueusement assis sur leurs derrières, côte à côte, sur une table de cuisine campagnarde. La Divine (distraitement) : Gratt, gratt, gratt… Le Charmeur (compatissant) : Une puce, chère Ardoise ? La Divine (sursautant) : Une puce, moi ? Jamais de la vie ! Kiséki vous dit que je pourrais avoir des puces ? Le Charmeur (accommodant) : Ah, je me disais… En vous voyant vous gratter… La Divine (mentant comme une arracheuse de dents) : J’ai pas de puces, moi ! Ca m’est jamais arrivé d’avoir des puces, à moi ! Le Charmeur (sincère, lui) : A moi non plus. Quand j’attrape des bestioles, c’est des tiques ou des poux, pas des puces. La Divine (imbue de son importance) : Moi, ce que j’ai, c’est de l’aigue-zéma ! Le Charmeur (éberlué) : De l’aigue-zéma ? C’est quoi ça ? La Divine (supérieure) : C’est une maladie psykosomatik ! Parce que j’ai eu un grrrrrand chagrin d’amourrrrr ! Le Charmeur (stupéfait) : Un grand chagrin d’amour ???? La Divine (énervée) : Arrêtez de répéter tout ce que je dis ! Vous savez quand même qu’Olivier a déménagé, non ? Le Charmeur (visité par la lumière) : Ah oui ! Mais oui ! Bien sûr ! (Tout ce qu’il ne faut pas entendre !) La Divine (gravement) : Alors moi, j’en ai eu un tel chagrin, que j’ai attrapé de l’aigue-zéma ! De l’urtikèr, quoi ! Le Charmeur (dubitatif) : Vous êtes sûre que vous n’avez pas de puces ? Ca me semble un peu gros à avaler, votre urtikèr ! La Divine (modestement) : C’est parce que je suis un chat spécial ! Mes maladies sont toujours très aigue-zotiks ! Quand j’étais petite, j’ai eu le coryza ! Le Charmeur (piétineur d’illusions) : Mais ce n’est pas une maladie exotique, le coryza ! C’est tout ce qu’il y a de plus courant ! La Divine (sidérée) : Comment ? Une maladie avec un si joli nom ? Le Charmeur (doctoral) : Ca ne veut rien dire, le nom ! Même s’il se termine par i ou par a ! Le coryza, c’est un bête rhume ! La Divine (offensée) : Pourtant, j’ai été TRES malade ! J’ai ATROCEMENT souffert ! J’éternuais tout le temps ! C’était juste avant que je fasse la connaissance de ma famille ! Le Charmeur (mettant les choses au point) : De NOTRE famille… La Divine (coupant les poils en quatre) : De MA famille à plein temps et de NOTRE famille à temps partiel ! Ca vous va comme ça ? Le Charmeur (ergotant) : Oui, mais alors admettez qu’ici, c’est MA maison à 100 % ! La NOTRE à 20 % ! Hein ? La Divine (se trouvant en terrain glissant) : Oh, et puis, arrêtez de discuter, vous ne racontez que des bêtises ! Chaque fois que vous écrivez un chapitre, je suis obligée de corriger vos éculu… vos élucu… vos fadaises, quoi ! Le Charmeur (offusque) : Je n’écris jamais que la stricte vérité ! La Divine (cat-égorique) : Eh ben, votre vérité n’est pas la mienne, voilà ! Le Charmeur (sentencieux) : Ca, je n’en ai jamais douté ! Peut-être y a-t-il un malentendu entre nous ? Pourtant, si nous voilà côte à côte sur cette table, sans nous entre-déchirer, cela doit quand même vouloir dire quelque chose ! La Divine (terre-à-terre) : Voui, ça veut dire que c’est le seul endroit pour bien profiter de la chaleur du poêle ! Et comme je suis une chatte pacifik, je vous laisse une partie de la place, puisque je peux pas couvrir la table à moi toute seule ! Dommage, d’ailleurs… Le Charmeur (ironique) : Vous faites pourtant de votre mieux… La Divine (avec candeur) : Voui, j’ai une belle fourrure, hein ? Superbe qualité, triple épaisseur… Regardez comme elle s’étale ! C’est pas comme la vôtre ! Le Charmeur (soupirant) : Hélas ! La Divine (généreuse) : Parfois, je vous plains vraiment, vous savez ! Quand je suis à Bruxelles, sur mon radiateur, et que je regarde la pluie et la neige dehors, je me dis comme ça : « Et l’Orca qui est dans le froid ! faudrait peut-être que je sois un peu plus gentille avec lui quand on va se voir ! » Le Charmeur (incrédule) : Vous pensez ça, vous ? La Divine : Mais voui ! Le Charmeur (ému) : Z’êtes une brave fille, au fond ! Tout au fond ! La Divine (réaliste) : Je me dis ça quand vous n’êtes pas là ! Quand je vous vois, j’oublie… et ma patte se détend toute seule ! C’est nerveux ! Psykosomatik ! Le Charmeur (résigné) : Il va falloir que je m’habitue… Heureusement, vous ne tapez pas très fort ! je préfère quand même quand vous restez chez vous, à la ville, sur votre radiateur, soit dit sans vous offenser ! La Divine (mélancolique) : Moi aussi, je préfère… mais maintenant qu’Olivier a déménagé… (soupir). Et puis, je DETESTE la voiture ! C’est bien simple : quand je me retrouve dans cet engin qui roule, c’est nerveux, faut que je hurle ! Comme ça : AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! OOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOH ! (plainte lugubre). Le Charmeur (ébouriffé) : C’est affreux ! La Divine (dramatique) : Et puis quand je me retrouve ici et que je vous vois, vous devinez dans quel état sont mes nerfs ! En charpie ! Le Charmeur (hypocrite) : Je compatis. La Divine (frénétique) : Gratt, gratt, gratt… Tiens, keskesêksa ? Le Charmeur (joyeusement) : Une puce ! Réjouissez-vous, chère Ardoise ! Vous ne souffrez pas d’aigue-zéma psychik !
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